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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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Comme un écho

Les Ceméa sont nés en 1937. Dans un contexte bien particulier, un bouillonnement d’idées, d’enthousiasme, la mise au grand jour de ce que pouvait créer l’éducation populaire. Les colonies de vacances existaient depuis longtemps, 300 000 enfants les fréquentaient en 1936. Denis Bordat, qui fut Délégué Général des Ceméa de 1969 à 1979 nous raconte ici dans quel contexte, les Ceméa sont nés… Et, au travers des lignes, un peu aussi pourquoi.

1936 : j’ai treize ans et je suis déjà un vieux routier des colonies de vacances. Certaines municipalités ouvrières de la région parisienne ont découvert depuis quelques années qu’il n’était plus possible de laisser les colonies de vacances à la seule bonne volonté des œuvres charitables. On achète des châteaux plus ou moins abandonnés par leurs occupants pour « les enfants des travailleurs », mais aussi, on construit, on construit dans la hâte tant les besoins sont grands, et l’on construit avec, comme seul critère de la vie en internat, les critères de l’internat scolaire dans le meilleur des cas, de l’hôpital ou de la caserne dans le pire. Grands dortoirs avec chambre de surveillant, grands réfectoires. C’est dans l’une de ces colonies que je me retrouve, chaque année, de sept à quatorze ans.

J’entends le maire encore aujourd’hui… Un grand discours exaltant devant la population réunie sur la place de notre mairie de banlieue. « Et nous avons la plus belle colonie qui ait jamais été construite en France. La plus belle parce que construite au cœur d’une grande forêt qui va jusqu’à la mer. La plus belle, parce que près de la mer ; elle donne sur l’immense plage du phare de la Coubre où vos enfants se baigneront tous les jours. » Les yeux des parents s’illuminent de vaguelettes, eux qui n’ont jamais vu la mer, « la plus belle parce que nous avons construit huit dortoirs équipés de cent lits chacun, la plus belle parce que nous avons construit un immense réfectoire qui peut contenir huit cents places… » J’étais l’un des huit cents, quelque part à une table du réfectoire. Je n’ai pas souvenir de moniteurs, le mot même n’existait pas, ni même le mot surveillant. Il y avait bien pour tout ce monde une dizaine, une douzaine peut-être d’adultes, en dehors des dames que nous apercevions, dans cette immense usine-cuisine préparer les repas, mais une douzaine d’adultes à tout faire. On les voyait parfois revenir tôt le matin avec une camionnette pleine de légumes ou de bidons de lait ou d’épicerie ou de quartiers de viande, car il fallait BIEN nous nourrir ; la nourriture, c’était quasiment sacré. L’un ou l’autre conduisait parfois le car pour une courte excursion. L’un ou l’autre aussi, le soir ou le matin, dans le dortoir passait pour voir si tout allait bien. L’un ou l’autre aussi veillait dans les grandes allées du réfectoire pour aider les plus jeunes quin’avaient pas trouvé de place à table et pour s’assurer que les plus âgés les aidaient à BIEN MANGER. Sans doute, je me souviens aujourd’hui de quelques moments difficiles au cours de ma première année de vacances mais les mauvais moments des années suivantes, je les ai oubliés pour n’en conserver qu’un souvenir ébloui. Abandonnés à notre initiative, nous nous organisions en bandes généralement homogènes d’âge, parfois mixtes et parfois non mixtes selon la nature du moment, bandes de dix à quinze avec leurs chefs et leur hiérarchie, bandes tantôt rivales et tantôt alliées. J’ai vécu cent fois chaque année La Guerre des boutons de Pergaud, avec ses cabanes construites et détruites qui devenaient forteresses au cours de deux mois de vacances, car nous partions deux vrais mois, qui devenaient forteresses avec leurs défenses, leurs armes qu’il fallait fabriquer, leurs munitions qu’il fallait stocker, leurs trésors qu’il fallait d’abord ramasser dans les chasses les plus variées, voire les plus dangereuses ou les plus condamnables, et dont les lézards gris ou verts, les orvets, les couleuvres ou les vipères faisaient tristement les frais. Trésors aussi qu’il fallait conserver, dans des boîtes, des caisses, des zoos improvisés qu’il fallait défendre des pillages éventuels des bandes adverses, car parfois le trésor changeait de camp. Un de la bande, souvent, devait monter la garde à midi, sacrifiant l’heure du repas ; sur la quantité, personne ne s’apercevait de son absence au réfectoire.

Pour moi qui n’avais ni frère ni sœur, la colonie de vacances était le terrain privilégié de découvertes exceptionnelles et pour lesquelles l’école ne m’avait jamais rien apporté. Construire des choses avec mes mains, découvrir la nature et la vie de la campagne, jouer avec des camarades de mon âge dans un grand jeu permanent. Découverte aussi de la solidarité, découverte aussi de l’autre sexe, y compris dans les jeux sexuels qui avaient leur juste part dans l’ensemble des activités, qu’elles soient de paix ou de guerre. Les adultes connaissaient l’existence de ces bandes, mais ils se gardaient de trop intervenir, sauf si la collectivité ou l’un de ses membres était mis en péril. Certaines étaient spécialisées, et tous nous savions que lorsque l’économat avait été pillé de toutes les tablettes de chocolat, c’était la bande à Riton, que lorsque les trente vaches du fermier voisin avaient été une nuit sorties de l’étable et conduites dans une clairière pour une vaste corrida, c’était la bande à Jacques. Mais, à travers tout cela, quelle richesse dans l’approche des autres, dans les relations sociales dirait-on aujourd’hui, dans la libre invention sans cesse renouvelée ! Il y a apparemment quelque tristesse à dire cela aujourd’hui quand on a consacré l’essentiel de son activité à penser à l’organisation des centres de vacances, à la formation des moniteurs ou des directeurs qui devaient les encadrer. Je dis « apparemment », car ces expériences aussi ont nourri notre réflexion. Il ne faut pas gommer non plus les mauvais moments de la première année. L’arrivée… Perdu dans un cadre impossible à saisir pour un enfant de sept ans. La recherche angoissée de waters pendant plusieurs jours sans même oser demander « l’endroit » et, après leur découverte par hasard, découverte que les portes ne fermaient pas (comme à l’école), que les chasses d’eau automatiques vous inondaient lorsqu’on arrivait au mauvais moment. Découverte des douches collectives à l’âge même où je n’aimais plus faire ma toilette devant ma mère. Je ne savais même pas ce qu’était une douche : à la maison, la toilette, se faisait dans une cuvette sur l’évier de la cuisine. Terreur d’être nu devant les cinquante autres enfants. Terreur de cette sonorité particulière des douches collectives. Terreur de cette atmosphère embuée. Terreur de cette eau qui tombe de très haut sur la tête et dans les yeux. Terreur des voix adultes qui dominent le bruit en criant : lavez-vous, savonnez-vous, rincez-vous, essuyez-vous, rhabillez-vous ! Et les pipis au lit, moi je ne faisais jamais pipi au lit, mais chaque matin, sur les cent du dortoir, une bonne dizaine d’enfants avaient mouillé leurs draps ; « les pisseux », leur criait la rumeur. Le soir, j’avais du mal à m’endormir, terrassé d’anxiété à l’idée que moi aussi je pourrais… et une nuit c’est arrivé… l’accident, un rêve absurde, au pied d’un arbre. Je ne me suis pas rendormi de la nuit. Le matin, dès le jour, je me suis levé avant les autres, j’ai refait mon lit très bien avec les draps souillés. Lorsque le monsieur est passé comme chaque matin près de mon lit, il m’a dit : « Oh, c’est très bien aujourd’hui, tu as très bien fait ton lit, bravo. » Il y avait aussi la séance d’épouillage où nous passions tous, plusieurs fois dans le séjour. Si l’on trouvait un pou dans les lames du peigne fin, on était rasé, les filles aussi avec leurs longs cheveux, on leur mettait un foulard sur la tête, et les autres qui étaient passés au travers montraient du doigt les pestiférés : « Oh les pouilleux, les pouilleux… » Terrible ! On pourrait longtemps raconter le meilleur et le pire. Lorsque, quelques années plus tard, j’allai suivre aux Ceméa un stage de formation de moniteurs, je trouvai quelque écho dans mes souvenirs d’enfant aux propos des instructeurs. Ce qu’il faut dire encore, sans doute, c’est le grand respect que nous avions des adultes que l’on voyait tout faire dans la colonie : conduire les voitures, réparer un lit, une fenêtre, déboucher un lavabo, surveiller la baignade. Il faut leur rendre hommage. Sans eux, les colonies de vacances n’auraient jamais pris l’essor qu’elles ont pris. Tous étaient venus là en « mission », leur travail en colonie de vacances était partie intégrante de leur vie de militants, car tous étaient militants politiques ou syndicaux, et tous savaient que ce travail en colonie de vacances enrichissait leur vie de militants. J’ai bien connu l’un d’eux depuis, Henri, alors ardent militant anarchiste. Il était professionnellement mécanicien au garage municipal, il avait toujours un livre à lire à portée de main, une « histoire vraie » à raconter sur les fourmis, les abeilles, les choses de la nature. A la colonie, lorsqu’il ouvrait le capot d’une voiture, il y avait toujours une dizaine d’enfants autour de lui, et il expliquait, expliquait toujours. Sans diplôme aucun, il a été nommé quelques années plus tard bibliothécaire d’une très importante bibliothèque municipale ; il est aujourd’hui président d’honneur de la Fédération nationale des centres culturels communaux, toujours sans diplôme. Je crois qu’en 1937-1938, j’allai pour la dernière fois comme enfant en colonie de vacances à la Pointe de la Coubre. C’était le temps où des éducateurs déjà engagés dans les mouvements d’éducation nouvelle réfléchissaient à ce phénomène, nouveau dans ses dimensions sociales, et où ils projetaient de former des moniteurs. Gisèle de Failly rêvait alors de transformer certaines petites écoles de campagne en « Maisons de campagne des écoliers » pour les vacances des enfants des villes. Elle nous raconte dans quel contexte les Ceméa sont nés, quels courants pédagogiques les ont portés, quelles contradictions ils ont dû surmonter pour d’abord exister.

Denis Bordat

Article extrait de « CA n°57 – 70 ans, déjà ?« 
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