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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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Peur des Pokémon ?

L’humour douteux des noms des personnages, le graphisme simpliste inspiré des dessins animés japonais, la valeur marchande attribuée à chaque carte ne contribuent pas aisément à séduire les parents, enseignants ou animateurs. Mais une autre raison explique sans doute le rejet manifesté par certains adultes. Ce jeu leur échappe ! Dans un ouvrage récent (1), le psychanalyste Serge Tisseron démontre que le succès des Pokémon tient en partie à la complémentarité du jeu sur console et des cartes imprimées. Face à sa Game-Boy, l’enfant est conduit à s’identifier à un petit garçon chargé de faire évoluer les créatures de son choix, il intervient dans le déroulement des faits et peut se projeter dans l’action. À l’inverse, les images fixes que sont les cartes, incitent l’enfant à s’identifier aux caractéristiques de telle ou telle créature, à se projeter dans l’être, à rêver de détenir l’apparence ou les qualités de son personnage préféré. Les relations que l’enfant établit avec chacune des deux formes du jeu sont donc très différentes. Dans la version informatique l’enfant intervient dans un scénario, doit inventer des stratégies et obtenir des informations auprès des personnages. Dans le jeu de carte, il évolue en même temps que son ou ses personnages favoris en traversant différentes épreuves. L’image de carton reste telle que nous l’avons toujours pensée : un miroir ou un reflet de la réalité. L’image vidéo, elle peut être explorée, conquise, transformée. Il y a probablement là une explication du succès des Pokémon, en même temps qu’un élément supplémentaire de l’incompréhension qu’éprouvent certains adultes.

Une autre culture ludique

Une autre difficulté brouille nos repères d’adultes : ces jeux ne correspondent à aucun souvenir des jeux pratiqués par les enfants il y a vingt ans ou plus. Un des fragments du dernier livre de Philippe Delerm (2) évoque avec pertinence sa délicate tentation d’adulte d’entrer dans le jeu d’un enfant absorbé par son fort PlayMobil® : « Tu crois que je saurais jouer au fort avec toi ? » (2) Tentative périlleuse de se prouver à soi-même que l’on est encore capable de s’immiscer passagèrement dans l’enfance. Prise de risque aussi ; celui de se voir jugé par l’enfant, trop visiblement étranger aux subtilités du conditionnel : « On aurait dit que je t’aurais envoyé un émissaire pour parlementer. » (2) Ce regard sur le jeu de l’enfant, le fait que puisse exister la velléité d’y prendre part, traduit une compréhension, une réminiscence d’une culture ludique pas tout à fait oubliée. Mais aujourd’hui, combien d’adultes peuvent envisager de jouer aux Pokémon ? Tellement ces êtres semblent éloignés de nos propres références enfantines. Tellement les règles du jeu paraissent, au moins à première vue, étrangères à notre expérience. Dans sa version cartes imprimées, la complexité du jeu (plus de 250 personnages différents) a conduit les enfants à développer, comme souvent ils savent le faire, leurs propres règles, plus simples, mais aussi plus fluctuantes suivant l’âge, les lieux, le moment. Et l’adulte s’y perd un peu plus encore… La version jeu électronique fait appel à une technologie informatique en constante évolution vis-à-vis de laquelle beaucoup d’adultes ont un handicap en terme de savoir et d’habileté. L’aisance des enfants dans l’acquisition du maniement des jeux électroniques leur permet de surpasser la plupart des adultes. Là où ces derniers cherchent une progression logique, un mode d’emploi, et avancent avec une grande méfiance, les enfants usent et abusent du tâtonnement, investissent, sans même toujours en prendre conscience, toutes les subtilités conçues à dessein pour une approche intuitive. « Avec les Pokémon, l’enfant fait des choses auxquelles les parents ne comprennent plus rien et, qui plus est, dans un domaine où l’adulte sent qu’il est dépassé, celui des nouvelles technologies et des fantasmes qui les accompagnent. » (3) Sans doute, plutôt que de céder à la tentation du rejet, les adultes doivent s’intéresser à ces jeux, mieux en comprendre les multiples intérêts et communiquer avec les enfants pour les aider à mieux en tirer profit.

Un terrain d’aventure structuré !

Pour Serge Tisseron les deux versions du jeu sont en effet riches d’intérêt. Le caractère interactif et évolutif du jeu d’abord permet aux enfants d’élaborer eux-mêmes une mise en scène de leurs peurs ou de leurs aspirations. La relation aux éléments (l’air, le feu, la terre et l’eau), l’apparence de chaque personnage et les métamorphoses qu’il subit, renvoient l’enfant à son propre corps et à son rapport au monde. La structure du jeu, les étapes (représentées par exemple par les différentes catégories de boîtes de cartes) balisent la progression des pouvoirs acquis par le joueur. C’est un ensemble de repères, prévisibles, qui organise le futur. « [Pour les enfants] l’avenir est devenu flou, et ils perçoivent souvent, à juste titre, leurs parents comme flottants et désemparés devant les bouleversements du monde. Dans ce jeu, au contraire, ils sont appelés à s’identifier à un héros de leur âge qui en a un. On comprend leur bonheur ! » (3) Dans cette progression, le joueur est accompagné, soutenu, conseillé par un personnage bienveillant (le professeur Chen). Il peut le consulter régulièrement, comme il demanderait conseil, dans la vie, aux adultes auxquels il accorde sa confiance. Une caractéristique des jeux vidéo est qu’ils obligent les joueurs à échanger des informations, à confronter leurs problèmes pour mieux partager les solutions. Même sans l’intermédiaire du câble ou d’internet, la sociabilité est indispensable, elle fait partie intégrante du jeu. Il n’est pas plus envisageable de progresser seul dans le jeu des Pokémon que de parvenir seul à atteindre le but dans un jeu de coopératif. Le danger du repli sur soi, s’il existe, ne provient pas du jeu lui-même. Bien au contraire les jeux vidéos encouragent, impliquent la socialisation. Pour Serge Tisseron, l’enfant qui trouve refuge dans le jeu vidéo (ou dans une autre passion solitaire) souffre en amont d’un isolement relationnel. Les mensonges, les fictions familiales, les contradictions et l’hypocrisie du monde qui l’entoure le poussent à s’enfermer dans l’univers des jeux vidéos qui se présentent explicitement comme des fictions : « […] les images, elles, ont toujours l’honnêteté de leur mensonge. Elles ne font jamais croire qu’elles disent la vérité. » (1) Lorsque nos parents nous offraient des jouets, ils connaissaient d’avance, et d’expérience, l’usage que nous en ferions. Les petites voitures, les poupées, les jeux de construction, les dînettes, avec lesquels ils avaient eux-mêmes joué, n’étaient pour nous que le moyen de nous approprier un monde qu’ils connaissaient bien : le leur, celui de leurs activités d’adultes. Aujourd’hui, d’autres jouets s’ajoutent aux jeux traditionnels. Ils permettent aux enfants de se préparer à un monde qui bouge, et qui désoriente parfois les adultes. Ils permettent aux enfants de construire leur relation à la machine, aux automates, aux gadgets intelligents. En jouant avec ces jouets différents, l’enfant apprend à relativiser leurs pouvoirs, à les traiter comme de simples outils, dénués de toute volonté, sans autres intérêts que ceux qu’il lui accorde. Il relativise leurs pouvoirs, apprend à se détacher d’eux quand le plaisir du jeu s’émousse et ne correspond plus à ce qu’il recherche, comme pour tout autre jouet. En cela, il bénéficie d’une compétence précoce qui fait parfois défaut aux adultes, plus fascinés et rapidement dépendants des gadgets électroniques (4). Les craintes qu’éprouvent certains adultes ne doivent pas les conduire à rejeter ces jeux. Ils priveraient les enfants d’apprentissages de comportements et d’attitudes qu’ils n’ont pas eux-mêmes acquis mais que le monde en évolution rend indispensables.

Ce qui ne change pas : le rôle médiateur de l’adulte

Beaucoup d’adultes sont désorientés par certains jeux nouveaux, imposés avec force par un tapage médiatique agressif. Quand il existe, le rejet des Pokémon par les adultes tient pour partie à des angoisses nées de l’incompréhension et du sentiment d’être exilés, étrangers à ce monde. Pourtant la présence de l’adulte reste primordiale. Son regard bienveillant, son écoute, sa manière de rentrer dans le jeu sans y être impliqué de la même manière que l’enfant, la possibilité qu’il offre de poser une parole sur les émotions vécues par l’enfant au cours de ses aventures ludiques se rapprochent du rôle de l’adulte racontant une histoire à l’enfant. S’ils se désintéressent de cette forme de jeu, le parent, l’animateur ne peuvent plus être des recours possibles lorsque l’expression d’une inquiétude ou la rencontre d’un problème nécessitent d’être verbalisées. La relation qui se noue, la communication qui s’établit, aident l’enfant à prendre de la distance avec le jeu. C’est cette présence qui constitue la meilleure garantie contre les éventuels effets néfastes des monstres venus du Japon.

Guy Loyrion

Notes (1) Tisseron (S.), Petites mythologies d’aujourd’hui, Aubier, Paris, 2000. (2) Delerm (P.), La sieste assassinée, Gallimard, Paris, 2001. (3) Tisseron (S.), « Le parcours initiatique des Pokémon », Le Monde Diplomatique, novembre 2000. (4) Carmagnart (F.) et (E.) Robson, « Qui a peur du Tamagochi ? », Hermès Sciences Publication, 1999.

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