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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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Le souci de terrain

Les centres de vacances nécessitent-ils un encadrement adapté aux objectifs de départ ?

  • Oui, le fait que la société confie à de grands adolescents la responsabilité de s’occuper des enfants des autres est l’un des fondements de l’éducation populaire et un élément spécifique de sa dimension socio-éducative. L’accompagnement de jeunes par d’autres jeunes met en œuvre de la solidarité, du partage, de l’entraide, de l’intérêt aux autres tout cela étant constitutif des liens sociaux. Dans ce contexte, on se trouve moins dans un rapport de spécialiste à usager, d’éducateur à éduqué, que dans une relation de dons et d’échanges. Les animateurs offrent leur enthousiasme, leurs compétences parfois récentes pour certaines d’entre elles, donnent du temps et en retour prennent conscience de leurs valeurs, de leurs capacités et font leurs premiers apprentissages, pour beaucoup de leur futur « métier » de parents. Grâce à cette activité, à la responsabilité sociale qui y est attachée, à l’apport financier modeste certes, mais qu’il ne faut pas négliger y compris au niveau symbolique, les jeunes animateurs franchissent des étapes qui leur permettent d’accéder au monde et au statut des adultes. Cette volonté de prendre des responsabilités vis-à-vis d’autrui, de prendre une place dans la société, cette prise de conscience des évolutions mises en jeu pour sa propre personne sont perçus par les animateurs. Mais cela est souvent confus, non encore pleinement conscient, parfois en partie masqué par des intérêts directs (gagner un peu d’argent) tout à fait légitime. Le rôle de la formation va consister à les aider à mettre ces différents éléments en évidence et à les analyser. Cela va orienter la façon dont on va s’adresser à ces futurs animateurs, mais aussi la manière dont on va penser la formation de ceux qui vont avoir la responsabilité de les accompagner : les directeurs de centres de vacances.

Comment abordez-vous un groupe de jeunes arrivant en formation ? D’abord, comme de jeunes adultes qui ont fait le choix de s’occuper d’éducation auprès d’enfants. Nous allons partir de contenus de l’activité d’animateur et de leurs propres compétences. Le contenu nécessite de travailler à la connaissance des enfants, à la connaissance des différentes structures dans lesquelles ils vont se trouver et sur l’importance des rapports éducatifs qu’ils vont créer, soit par les activités et l’organisation de la vie quotidienne, soit directement dans leurs relations avec les enfants. Partir de leurs propres compétences est parfois plus complexe. Au début du stage, quand on interroge les jeunes sur leurs expériences, sur leurs compétences éducatives, le plus souvent ils n’en évoquent pas. En fait, on s’aperçoit au cours du stage qu’ils en possèdent déjà. Une partie de la formation va consister à les faire surgir, à les mettre en évidence pour qu’ils puissent les rendre utilisables.

La formation théorique en apportant un éclairage extérieur à ce vécu permet d’accéder à une maîtrise plus grande. Comment procédez-vous ? Le stage est souvent divisé en trois parties. La première est très centrée sur les personnes, leur vécu, leurs motivations avec des moments de pratique comme l’apprentissage de jeux sportifs, de jeux dansés… Bien sûr les stagiaires jouent eux-mêmes à ces jeux et cela permet d’articuler le plaisir d’être joueur et le rôle de l’animateur dans ces activités. La question des comportements, les capacités de maîtrise apparaissent souvent dans ces moments là. Cette double capacité à jouer soi-même et à observer et analyser la fonction des jeux est constituante de la fonction d’animateur. La deuxième partie du stage prend appui sur la première pour apporter des éléments théoriques, des éléments de compréhension plus globaux en s’appuyant sur les expériences, les observations, les compétences repérées dans un premier temps. Ces éléments sont dispensés par les formateurs et à rechercher dans des dossiers documentaires mis à disposition des stagiaires. La troisième partie va consister à exploiter les acquis par des études de cas, des situations problèmes, des constructions de projets. Dans des situations proches de celles qu’ils pourraient rencontrer en centres de vacances, les stagiaires vont élaborer un projet d’activité seul ou à plusieurs, préparer un accueil d’enfants, organiser l’hébergement d’un groupe… Ils devront alors utiliser ce qu’ils ont acquis à travers les exposés ou les recherches documentaires, à travers les débats, à travers leurs propres réflexions de futur éducateur, à travers les négociations avec les autres acteurs du projet pour construire des propositions et les justifier.

À la fin de la formation – qui est relativement courte – les stagiaires seront-ils capables de maîtriser la situation particulière dans laquelle ils vont se trouver, de jeunes gens devant encadrer d’autres jeunes ? La plupart arriveront dans le centre de vacances ou de loisirs prêts à travailler au sein d’une équipe, d’un collectif. Mais à condition que cette équipe fonctionne bien, soit capable d’entraide, d’action collective, d’évaluation. Et pour cela, il faut un chef d’orchestre, c’est la fonction du directeur ou de l’équipe de direction du centre.

Le directeur ou un directeur adjoint doivent être les garants du bon fonctionnement collectif. N’est-ce pas là, souvent, que le bât blesse ? Le bât peut blesser à plusieurs niveaux ! Dans la composition même de l’équipe, par exemple. Si le directeur n’a regroupé que de jeunes stagiaires, qui ont une expérience des centres de vacances comme participants mais qui n’ont jamais encadré, c’est un élément de faiblesse. Il est indispensable de trouver une répartition équilibrée entre les animateurs expérimentés et les nouveaux venus. C’est un des rôles du directeur que d’accepter d’être dans cet équilibre permanent, où doivent toujours figurer des stagiaires. C’est son rôle formateur, car il en a bien un. Certains directeurs ont constitué leurs équipes, souvent depuis plusieurs séjours. Certes, ils forment des groupes très solides, mais leur fonction formative voudrait qu’ils intègrent aussi systématiquement des stagiaires. Si l’on veut pouvoir continuer à se réclamer d’une animation socio-éducative réellement porteuse de citoyenneté pour les jeunes, il faut faire une place aux jeunes débutants dans le projet pédagogique, sinon la machine se grippera tôt ou tard. On aura une activité qui tourne bien, encadrée par des gens très compétents, mais on ne répondra plus au projet social global d’animation.

Le directeur de centre ne remplirait-il donc plus aussi bien qu’avant son rôle de formateur ? Certains directeurs considèrent que le projet pédagogique doit être construit uniquement en fonction des enfants. Ils se placent là dans des rapports sociaux, voire économiques traditionnels : d’un côté il y a les bénéficiaires d’un service et de l’autre ceux qui ont comme tâches de réaliser le service. Dans ce cadre, les animateurs stagiaires sont plutôt considérés comme une charge car le temps que le directeur va mobiliser pour eux, s’il le fait, va être considéré par lui comme détourné de l’objectif du projet. Mais si le centre de vacances est considéré par le directeur et par l’organisateur comme une communauté éducative globale dont une des missions est d’aider des jeunes à assumer des responsabilités sociales et éducatives, la formation des animateurs sera partie intégrante du projet. Et l’expérimentation d’autres rapports sociaux sera à l’œuvre.

Cela nécessite une continuité entre le stage de formation, le stage pratique avec le directeur, l’évaluation, le retour en formation. Il faudrait presque un cursus. Il existe sans doute des avantages à coordonner les différentes étapes de formation. Les partenaires devraient favoriser les relations entre l’organisme de formation et l’organisateur – parfois ils ne font qu’un -, entre le centre de vacances ou de loisirs et le stage de perfectionnement. Plus les relations sont bonnes entre les différents partenaires, plus les résultats sont satisfaisants. Attention toutefois à la formation « maison » qui risque de happer l’animateur dans un projet global sans qu’il puisse prendre du recul. Il a déjà du mal à se positionner, vu son âge et le caractère nouveau de sa démarche. Le sécuriser, c’est bien, mais il a tout autant besoin de liberté. Si l’on considère bien le stagiaire comme un jeune en formation et non comme un animateur lambda qui doit se contenter de faire son boulot, tout ira bien.

Vous avez insisté sur la formation de citoyen à donner au jeune adulte, notamment grâce au rôle que peut jouer le directeur du centre de vacances. Aller au-delà du projet pédagogique est certes généreux, mais peut sembler utopique. Je n’ai pas l’impression que ce soit utopique. Une société, si elle le souhaite peut organiser et mettre en œuvre une éducation à la citoyenneté et surtout des pratiques actives de citoyenneté. Aujourd’hui, les moyens offerts aux jeunes de traduire en actes leur citoyenneté sont rares. Difficile dans ces conditions de prendre une vraie place sociale, d’être reconnu comme individu ayant une certaine valeur et jouant un rôle dans la société. Le centre de vacances, au contraire, par sa taille et son fonctionnement, peut permettre à des jeunes de s’inscrire dans une véritable pratique, avec une vraie activité et de vraies responsabilités. De plus, statistiquement, l’engagement dans l’animation socio-éducative est celui qui peut toucher le plus grand nombre de jeunes.

Cela implique un véritable projet social. Est-ce encore plausible dans une société en crise, avec des problèmes difficiles à résoudre comme le chômage ? La question du chômage des jeunes peut, bien sûr, venir contrecarrer ce projet de société. Pour ce qui est de faire diminuer le taux, la proposition de professionnaliser les 70 000 animateurs formés chaque année apparaît plutôt comme un tour de passe-passe que comme une solution au chômage des jeunes. S’agirait-il d’en faire des salariés qui travailleront trois mois par an ? Peut-on alors parler d’insertion sociale des jeunes ? Nous constatons trois raisons chez nos stagiaires pour s’engager dans cette activité ; première raison, une dimension financière certaine, mais les jeunes savent aussi que pour être professionnel dans l’animation, il faut autre chose que le Bafa. Deuxième raison, une réelle conscience de l’expérience que cela apporte. Enfin, la satisfaction d’être un « agent d’éducation ».

La dimension éducative ne peut exister sans la capacité de l’équipe de direction, des animateurs, à organiser le séjour dans ce sens. Comment parviennent-ils à avoir une réflexion sur eux-mêmes qui les empêche de décider à la place des autres ou d’accaparer le pouvoir ? Cela suppose, pour les futurs animateurs, de prendre conscience de ce qu’ils vivent tous les jours et d’y réagir. Inventer des dispositifs pour ne pas reproduire ce qu’on a critiqué comme participant est difficile. La naissance de projets d’animation se travaille beaucoup avec les jeunes, surtout dans le stage d’approfondissement, après qu’ils ont déjà vécu des situations d’animation en stage pratique.

Les directeurs de centres de vacances sont parfois de jeunes adultes, des animateurs ayant deux ou trois ans d’expérience. Quel est le contenu de leur formation ? Ce qui est central, c’est la capacité du directeur à diriger, à animer son équipe, à créer les conditions pour que les animateurs travaillent au mieux, à les accompagner dans leur travail avec les enfants, à observer, à restituer, à dialoguer, à les aider parfois directement. Ces aspects sont souvent négligés dans les centres de vacances et arrivent loin derrière les tâches strictement fonctionnelles de direction. Néanmoins, nous insistons aussi fortement sur la dimension de compétence de gestion qui représente une garantie pour les organisateurs. On ne peut confier un budget à quelqu’un qui ne saurait pas le gérer. Le travail fondamental du directeur est de bien construire et négocier son projet pédagogique, de convaincre du bien-fondé de ce projet, de savoir l’adapter à une nouvelle équipe, à de nouvelles populations d’enfants, d’en faire un vrai outil de pilotage pour l’équipe dans son ensemble.

De quels outils disposent un directeur, un animateur pour la bonne connaissance des publics accueillis ? Le directeur doit d’abord faire la démarche de s’informer auprès de l’organisateur pour avoir une connaissance des groupes, un bilan des années précédentes. Il doit pouvoir restituer le profil du groupe, la culture de l’organisateur aux animateurs qui vont encadrer le séjour. Dans le stage de base, à propos de la connaissance des structures des centres, on essaie de montrer le lien entre les caractéristiques des organisateurs et celles que l’on va retrouver dans les groupes d’enfants. Un comité d’entreprise, dans un groupe industriel possédant une culture forte et une association pour « tous publics » formeront des groupes d’enfants aux physionomies différentes. Il faut expliquer, par exemple, aux futurs animateurs que les jeunes, les enfants envoyés par tel CE ou telle municipalité se connaissent parfois depuis plusieurs étés et peuvent en jouer, car ils connaissent bien l’organisme, voire le centre de vacances, et l’animateur, lui, souvent débarque dans un groupe qui a une histoire qu’il ne partage pas encore. Sur le terrain, c’est au directeur du centre de s’adresser aux animateurs stagiaires, de donner la dimension historique, de présenter la culture des organisateurs, de parler des grands événements qui l’ont marqué. Pourquoi un jeune animateur ne saurait-il pas comment naît et vit un comité d’entreprise, quelles ont été les luttes, les choix idéologiques, les évolutions qui ont marqué son histoire ? Ces éléments sont partie intégrante de la culture du citoyen.

De nombreux organismes à forte tradition d’éducation populaire sont aujourd’hui amenés à réinterroger leur projet éducatif. Pourquoi ? Les organismes sociaux, les centres de vacances ne sont pas en dehors de la société. Ils ont subi eux aussi les années quatre-vingts, les années du fric, de la futilité, du marketing. Dans les catalogues, ils se sont mis à vendre une marchandise, à la remorque des agences touristiques qui, dans ces années-là, ont marqué de leur « philosophie » les centres de vacances. L’aspect social et éducatif n’était plus prioritaire, les rapports entre le personnel rémunéré par l’organisateur et les vacanciers, entre les vacanciers eux-mêmes avaient changé. En tant que vacancier salarié d’une entreprise, par exemple, on n’était plus partie prenante du projet du CE. On avait à l’égard de l’organisateur des revendications de même nature qu’à l’égard d’un hôtelier.

Les enfants eux-mêmes y perdaient leurs repères. En tout cas, le centre de vacances n’assurait plus la continuité d’une action éducative et une prise de conscience dans la mise en évidence d’un certain nombre de valeurs.

La durée de la formation Bafa (8+14+5 jours) suffit-elle à former des jeunes de tous horizons à la connaissance des enfants, à des pratiques différentes de séjours de vacances. Cela paraît un peu illusoire dans un laps de temps aussi court. Si cela était aussi problématique, on connaîtrait des échecs permanents, or ce n’est pas le cas. Cela signifie donc que quelque chose passe, existe avec des situations certes différentes d’il y a vingt ans. Il y a vingt ans, la majorité des jeunes étaient mieux protégés, moins confrontés à des difficultés de vie. Pour certains, la situation actuelle accélère leur maturité ; pour d’autres, cela les a beaucoup fragilisés. On va retrouver ces deux catégories de jeunes chez les animateurs, ce qui fait que cette population est devenue beaucoup plus hétérogène. Un certain nombre se retrouve en difficulté devant des enfants qui eux-mêmes vivent des situations déstabilisantes.

Le recrutement, la composition des équipes sont donc beaucoup plus compliqués qu’il y a quelques années. Si la réalité des jeunes animateurs est prise en compte, s’il s’agit pour eux de travailler dans une équipe riche de ses différences, de compétences et d’expériences, si le directeur a intégré une dimension de formation dans son rôle et dans sa fonction, si l’organisateur a fait de cette intégration des jeunes dans les équipes éducatives un axe de son projet éducatif, le dispositif Bafa est un outil inestimable d’éducation et de pratique de citoyenneté. En revanche, le Bafa ne me semble pas fait pour s’appliquer à des dispositifs anti-été chaud, d’animation de quartier ou de centre de vacances aux publics pré-adolescents et adolescents extrêmement violents en raison de leurs difficultés.

Marc Argilet, Jean-François Magnin

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