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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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Paris, février 2010

Les canons à neige ont fonctionné toutes les nuits depuis un mois… Les pistes sont prêtes, surveillées nuit et jour par les nivologues, protégées par les forces de l’ordre… La saison de ski commence demain… Pas question qu’un hurluberlu abîme la neige précocement, ou s’octroie le droit et la liberté de profiter d’une « neige » vierge, avant l’heure et le jour démocratiquement décidé… Les décorateurs sont fiers de leur travail. Les sapins en pots zèbrent de vert les toboggans en résine qui supportent les pistes, les diffuseurs de molécules odorantes crachent une odeur de résine fraîche… Les comédiens sont prêts. Six mois de travail, six mois d’entraînement, pour affiner un accent, apprendre toutes ces histoires de montagnes dont raffolent les skieurs, peaufiner son rôle de berger, se préparer à répondre aux questions longuement mûries (inscrites au programme scolaire) par les enfants. Tout le monde est prêt. Demain des milliers de personnes pourront assouvir leur passion. Des anneaux de ski de fond au stade de slalom, des tunnels à surf aux toboggans à luge, des chemins à raquettes aux pistes à traîneaux… jusque même aux espaces réservés aux bonshommes de neige et aux batailles de boules de neige… Dix ans d’efforts pour intégrer ces structures artificielles à l’architecture et au patrimoine parisien. Mais quelle réussite ! Et quelle sécurité ! Et quel confort ! Finis les accidents de hors piste, mais aussi les polémiques. Finies les avalanches et les responsabilités d’entretien des pistes, finis les conflits avec les tenants d’une nature vierge et les protecteurs de barbelés. Quant à consommer de l’activité neige, autant le faire confortablement à côté de chez soi. En tous cas, pour les commerciaux des sociétés de neige, profit oblige, la proximité permet des plus-values considérables… Délire ? Peut-être. Je l’espère. Quoique !

Le carcan de la mode L’évolution des activités liées à la neige ne montre-t-elle pas une fâcheuse tendance à enfermer ces activités, à en délimiter de façon drastique les terrains de pratiques ? On a beau tenter de nous prouver que le surf est un engin plus « libertaire » (plus libérant ?) que le ski, sa pratique, aussi ludique soit-elle, se trouve également restreinte, légalement restreinte j’entends, à des terrains balisés, banalisés. Les modes nous pousseraient vers la pratique d’activités nécessitant des apprentissages moins lourds, moins ardus. Mais qu’on excuse ma mémoire ou ma mauvaise foi, j’ai entendu le même discours au sujet du ski de fond, ce ski si facile que tout un chacun pouvait pratiquer, de 6 mois à 102 ans… discours conduisant à l’abandon rapide et désabusé de l’activité pour cause de souffrance due à un manque de technique, ou même à l’hôpital. Peut-être y arriverons nous un jour, sur écran, en virtuel.

Un support de consommation En 1974, le docteur Lucien Bonnafé 1 s’insurgeait contre le rétrécissement de l’activité ski aux seules pistes damées. Il fondait son argumentaire sur la nécessaire liaison entre un milieu et une manière de le pénétrer, de le transformer, de se l’approprier, et sur l’utilisation de sa propre liberté dans un milieu libre. Pouvons-nous dire que nous avons progressé ? Que non ! La neige n’est plus qu’un support de consommation. Et la montagne également. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ce n’est pas l’activité pratiquée qui est consommatoire, c’est la manière d’y accéder ou de la pratiquer. Toute activité a vocation à rendre l’homme libre, parce que toute activité a vocation à permettre la compréhension des milieux, des environnements, et de soi-même en confrontation à ces milieux. Le skieur qui passe son temps à descendre les pistes le plus vite possible a une activité aussi noble que celui qui s’enfonce dans une forêt grâce à ses raquettes ou que le fondeur qui tourne inlassablement sur sa boucle. Chacun d’entre eux, par son mode de déplacement, par sa vision particulière, par la maîtrise de son équilibre, par sa technicité, transforme son milieu, se l’approprie, existe véritablement dans ce milieu. Autant que le surfeur, autant que le promeneur, autant que quiconque se met en jeu, se met en agir. Se met en agir. Sur ces propres choix, ses propres désirs. C’est au-delà que commence la consommation. Forcer par exemple un enfant à aller skier (ou pratiquer n’importe quelle activité de neige), sous prétexte que ses parents ont payé, ou qu’il a la chance qu’on lui permette cette activité réservée à une élite) tient du réflexe de consommation. Mais vouloir lui apprendre de force les principes de nivologie également. Le réflexe de consommation Comme s’il était de bon ton, obligatoire, d’apprendre (d’acheter ?) sous contrainte, d’ingurgiter je ne sais quelle représentation de la montagne. Quand, alerté par les débats et les polémiques, on revient au libre choix du pratiquant de sa propre activité, par je ne sais quel réflexe, on lui impose l’enquête auprès du berger du village, même quand il n’y a plus de berger, ni de village d’ailleurs, ou on lui raconte de force combien la vie pastorale d’il y a quarante ans était poétique et pleine de charme. Heureusement que ceux qui se complaisent dans ces fables sont d’authentiques représentants des cultures citadines, sinon ils auraient quelques difficultés à se regarder dans une glace ! Il est de bon ton, toutes activités pédagogiques confondues, de « bouffer » de la montagne. Mais dans un cadre oh combien délimité ! Oh combien sécuritaire ! Dans les normes. La montagne l’hiver semble restreinte aux quelques stations qui organisent l’activité. Il est plus que probable qu’il existe encore des bergers, une vie pastorale, une agriculture, une industrie voire une culture de montagne. Se réduisent-elles aux seules stations de sports d’hiver ? Peut-on décemment cloisonner à ce point la vie des personnes ?

Plaisir et liberté Éducation à l’environnement, éducation à la citoyenneté. Remplaçons le « à » par un « par ». Nous nous approcherons peut-être mieux d’un objectif plus noble. Éducation par l’environnement. C’est confronté à un milieu, à un environnement que j’en saisis petit à petit les tenants et les aboutissants. C’est en y pratiquant ma propre activité, en y réalisant mon propre plaisir que je transforme cet environnement, que j’apprends à le respecter. C’est bien ma propre activité, ma manière d’être à un environnement qui me constitue, et qui me donne à lire, à comprendre, à intégrer. Qu’importe alors la forme de l’activité. Qu’on me laisse découvrir ma glisse, ma forme de déplacement, ou de contemplation. Qu’on me laisse mes jeux, mon jeu. Qu’on me présente les éléments de compréhension qui vont me rendre libre, parce qu’en sécurité, dans un milieu hostile que je vais petit à petit m’approprier. Qu’on me laisse ma découverte, mon cheminement. Qu’on me laisse aller où je veux, comme je veux, avec qui je veux. Personne ne peut décider de ma compréhension d’un milieu pour moi. Sauf à installer une relation éducative loin des principes de démocratie ou de citoyenneté. La mer, la montagne, tous les milieux hostiles sont aussi des terrains d’aventure2, au sens noble du terme. Des terrains de liberté. D’apprentissage de la liberté. Est-ce en en interdisant l’accès qu’on espère rendre les gens responsables ? Ou plutôt, de manière plus pernicieuse, n’est-ce pas en fixant des interdits dans ces milieux hostiles, en les faisant accepter, en les banalisant, qu’on habitue progressivement une société à accepter et subir d’autres interdits ?

Alain Ghéno

Notes 1 – VEN n° 290 2 – Est-ce parce que les terrains d’aventures ont disparu des villes qu’il faut supprimer le terme même partout ?

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