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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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En Suisse aussi…

Les centres de vacances et de loisirs ne sont pas l’apanage de la France. Voici des extraits d’un mémoire de licence de Sciences de l’éducation, soutenu en juillet 2000 par Véronique Monnerat, et qui a été publié dans la revue des Ceméa suisses, Cahiers Ceméa n°223. Une internationale de l’Éducation nouvelle serait la bienvenue…

J’ai cherché à voir quel rôle et quelles finalités les enfants eux-mêmes attribuaient à la formation scolaire et extrascolaire (famille et loisirs) et s’ils avaient conscience d’une diversité dans les apprentissages, les lieux d’éducation, les finalités et les voies pour les atteindre. C’est aussi un détour par l’école et la famille pour en savoir un peu plus sur les apprentissages en camps de vacances. Dans ce sens, j’ai proposé aux enfants un ensemble de douze objectifs d’éducation en leur demandant s’ils pensaient les apprendre davantage dans le cadre de l’école, de la famille ou des loisirs, ou des trois. En m’inspirant de listes analogues, la liste des items couvre un champ relativement large et diversifié en proposant des objectifs cognitifs et affectifs. Les résultats du questionnaire sont présentés sous forme de tableau représentant le pourcentage des enfants qui choisissent la famille, l’école ou les loisirs (y compris les camps de vacances) comme étant le plus favorable à l’apprentissage de chacun des douze objectifs d’éducation. Les activités de loisirs l’emportent majoritairement quant à la préparation aux loisirs futurs, à l’autonomie, aux relations amicales et à la connaissance du monde, à la solidarité (A, D, G, I, j, K, F). Les loisirs (comprendre toutes activités y compris les camps hors cadre scolaire) sont des lieux de copains, un lieu important pour apprendre à se débrouiller (moins que l’école mais plus que la famille), un lieu où on s’amuse, « tu te défoules ». À l’inverse, la préparation à la vie professionnelle et l’acquisition de savoir-faire sont considérées massivement du ressort de l’école (E, C, L). De même, trois objectifs qui concernent l’un la santé (B) et l’autre les valeurs relèvent plutôt de l’apprentissage en famille. La famille serait-elle un lieu de construction de sens (H) ? Il est intéressant de constater la nuance des réponses aux deux objectifs qui peuvent paraître proches de sens : se débrouiller et être autonome. Est-ce qu’être autonome renvoie à la liberté, au fait de faire seul, plus seul que se débrouiller ? Ou est-ce qu’apprendre à se débrouiller est une condition, une activité à maîtriser pour devenir autonome ? On apprend à se débrouiller presque autant en famille qu’à l’école ; en revanche, on devient plus autonome à l’école.

La place du groupe de pairs dans les loisirs Nous venons de voir, dans la partie qui précède, les représentations des enfants sur différents aspects de l’apprentissage dans la famille et dans l’école. L’un des fils rouges de ce travail tente aussi de montrer qu’il existe, comme nous l’avons déjà vu précédemment, d’autres lieux de socialisation-éducation comme les camps de vacances. C’est pourquoi ce chapitre qui conclut cette présentation de résultats cherche à mettre en avant l’importance et la signification du groupe de pairs dans le contexte des camps de vacances. Premièrement, la fréquence d’apparition du mot « copain » tout au long des entretiens est révélatrice, par exemple, dans le chapitre VII, lorsque les enfants associent des idées au mot « camp de vacances » (voir tableau). Ensuite, on peut citer un des objectifs atteints principalement par les loisirs (46 %) : connaître l’amitié donc se faire des copains. Enfin, concernant les lieux d’apprentissages, « ailleurs » fait référence aux copains. Finalement, lors des entretiens, j’ai souvent terminé par la question : « Que dirais-tu à un enfant qui partirait pour la première fois ? Ou imagine que tu es adulte et que tu veux proposer à tes enfants de partir pour la première fois ». De nombreuses réponses ont été données par les enfants mais, principalement par : « Je leur dirai qu’ils vont se faire des copains ». Certains se justifient : « C’est bien de rencontrer d’autres personnes, de pas rester tout le temps avec ses parents, il faut apprendre d’autres choses avec d’autres enfants. » Les copains, non seulement assurent une large part des apprentissages, mais apparaissent en plus comme dominants pour les apprentissages les plus importants (relationnel, autonomie). Certes, dans les loisirs, les relations sociales sont valorisées, mais les copains, c’est en tant que groupe qu’ils apprennent quelque chose aux enfants. Ainsi : « J’ai appris à économiser l’eau. Quand on est plusieurs, on arrête l’eau pour se savonner. » En fait, c’est la vie collective et ses contraintes qui deviennent source d’apprentissages. On notera que les copains sont plus évoqués que les moniteurs comme autres agents de socialisation. Quelques enfants citent les moniteurs qui leur ont appris des jeux, des techniques ou leur ont donné des conseils pour le ski. Les moniteurs leur apprennent-ils à se joindre au groupe ? « J’ai appris seul mais je joue souvent en groupe, mais je les connaissais pas. » Dans leurs discours, finalement, ils font plus référence à un rapport à soi-même comme apprenants. En effet, ils s’expriment plus en « je » qu’en « on m’a appris ». L’enfant apparaît donc comme acteur de ses propres apprentissages. Lorsqu’ils parlent du groupe, ils disent : « On s’apprend des blagues ». Avec les copains, on apprend en tant que membre du groupe : « On discute, on chante, on discute de la journée, on s’évalue ; par exemple, tu as bien skié, c’est bien les sauts. » Par ailleurs, du côté de l’école, on sait que les copains jouent aussi un rôle important. Mon propos est ici de comprendre aussi ce qui caractérise cette rencontre avec des nouveaux copains. Ainsi, non seulement le groupe et le vécu avec les copains sont importants dans la vie de l’enfant : « C’est important de connaître plus de gens, de partager des choses avec des autres gens » mais, finalement, n’apprennent-ils pas aussi à vivre et à gérer ces nouvelles rencontres : « Ici on doit faire en sorte de se faire accepter pas les autres ». Vivre, ce n’est pas seulement apprendre des choses mais, avant tout, avoir des copains : « Oui, sinon tu restes tout seul, c’est pas drôle, faut pouvoir parler avec quelqu’un, se confier », « C’est pratique, si on est seul contre tous, on a plus de chance de perdre que si on est plus », « Si on se fait pas de copains, on reste tout seul dans son coin ». Comment définissent-ils cette relation avec des nouveaux amis ? Qu’est-ce qui différencie le copain d’école de celui du camp de vacances ?

  • Moins de bêtises, de disputes.
  • Ici, c’est vraiment des copains. À l’école, un jour, c’est des copains, un jour, c’est des ennemis.
  • Ils sont différents, ils ont pas la même manière de faire les choses.
  • Les copains d’école, tu les connais depuis longtemps, tu sais ceux que tu aimes ou pas ; là, il y en a qui sont bêtes et d’autres moins et puis après ceux qui sont bêtes, finalement ils sont sympas.
  • On est pas super proche tandis qu’ici on est toute la journée ensemble, la nuit on se dit tous nos secrets, tandis qu’à l’école on dit pas tout à tout le monde, ici tous ceux qui sont dans la même chambre, on se dit tout. Ce travail avait pour but de s’intéresser avant tout à ce qui se passe du côté des enfants : comment ils se représentent les apprentissages effectués dans les camps de vacances, le sens qu’ils leur attribuent. L’ensemble de ce travail contient ce que les enfants disent de leurs expériences éducatives en camp de vacances. Que nous disent-ils ? À travers la richesse de leurs discours, nous avons découvert qu’ils ont des idées sur les contenus de leurs apprentissages. Les camps sont des moments de vacances, de loisirs et de divertissement qui permettent d’apprendre à s’organiser, à découvrir et apprendre de nouveaux sports, des activités et à décider de leurs activités. Les camps ne sont-ils pas « une bonne solution pour apprendre plein de choses en s’amusant » (Le Matin,p. 103). Ils acquièrent des compétences et de l’autonomie, peut-être utiles pour de futures vacances mais aussi pour la vie. Ces moments permettent non pas de décider seul, mais de négocier, d’écouter l’autre, de s’entraider. En cela, ils nous éclairent sur l’éducation en camp de vacances, sur la transmission des valeurs, sur les moyens et l’orientation de celle-ci. Dans toute logique éducative, il y a une conception de l’homme, une conception du citoyen, une conception des vacances. Les camps de vacances participent-ils à la construction de sa personnalité ? C’est dans cette manière de vivre ces activités de loisirs, telle que les enfants la racontent, que se trouve peut-être la réponse. L’activité n’est pas une simple consommation, c’est aussi une manière de se faire une histoire, de pouvoir en faire le récit. « Cette aventure conduit alors l’enfant à ne plus être à la sortie des vacances, ce qu’il était au départ » (Rauch, 1993). Ils ne manquent pas de souligner l’importance des copains, la rencontre, le rapport aux autres. À travers les activités collectives, les sentiments et les émotions côtoient l’organisation et laissent des souvenirs. Ce rapport aux autres s’enrichit de la liberté qui le fonde, temps libéré des contraintes scolaires et familiales. La liberté, qui le fonde, lui donne une dimension particulière, il peut être un lieu à haute teneur éducative : temps du tâtonnement, de l’expérience, de l’apprentissage et du projet. Il n’y a pas de profs dans le camp mais des moniteurs, « c’est comme des copains, ils nous laissent faire des choix, ils nous écoutent, on peut dire des trucs et rigoler ; en plus, ils sont jeunes. » Un enfant, à qui j’ai demandé comment il voyait le travail du moniteur, m’a répondu « assister, cadrer. » « C’est cool, ils nous apprennent aussi des choses, mais ils ne sont pas tout le temps en train de nous apprendre, ils rigolent aussi avec nous. » « Si les profs faisaient les monos, ils seraient pas du tout la même chose, ici ils se fâchent pas. » « Parfois, ils remplacent les parents. » On le voit, les enfants ont des choses à dire sur les pratiques de leurs éducateurs (parents, enseignants, moniteurs). Ils ont des idées sur leurs rôles et ont des attentes vis-à-vis de leurs éducateurs. Il semble bien que ce nouveau rapport aux autres, cette vie de groupe dans un cadre particulier, soit spécifique aux camps de vacances. En ce sens, les camps de vacances privilégient bien une rupture dans la vie de l’enfant. Certes, on peut supposer que, peut-être pour certains, c’est un lieu de compensation des manques personnels (on peut imaginer qu’un enfant unique a du plaisir à partager une semaine de vie collective avec d’autres enfants) ou, pour certains parents, c’est un lieu qui devrait venir compléter ce qui se fait ailleurs, par exemple à l’école. Cependant, les enfants le disent bien, ce n’est pas la même chose à l’école. Même la classe de neige ne ressemble pas au camp : « En classe de neige, on fait un peu les fous et les professeurs, ils vont le dire aux parents, tandis que les moniteurs, ils ne nous punissent pas comme ça, ils nous font plus faire la vaisselle, mais ils ne nous punissent pas ». On y apprend tout autant de choses qu’à l’école, certes « c’est moins important que l’école, mais c’est entre les deux ». Finalement, ce qui fonde ces apprentissages, c’est une forme de liberté orientée vers l’autonomie et le plaisir : « En camp, c’est mieux parce que quand on va en classe de neige, les professeurs, on ne peut pas les tutoyer. Les moniteurs, c’est comme des copains et on apprend plus avec les moniteurs en camp. » Les enfants portent-ils alors une critique non pas sur l’apprentissage mais sur la « forme scolaire » de l’apprentissage ? N’a-t-on pas trop vite affirmé que les centres de vacances sont dominés par la « forme scolaire » ? La socialisation, définie, dans le Petit Larousse, comme un processus par lequel l’enfant intériorise les divers éléments de la culture environnante (valeurs, normes, codes symboliques et règles de conduite) et s’intègre dans la vie sociale, semble apparaître comme une notion tout à fait appropriée aux camps de vacances, mais elle ne saurait certes pas être la seule propriété des camps de vacances : l’école et la famille éduquent aussi dans ce sens. Cependant, les camps de vacances ne proposent-ils pas une occasion spécifique de socialisation pour autant que la vie quotidienne et le collectif ne deviennent pas de plus en plus éducatifs et finissent par trop ressembler à l’école ? Les colonies des années 2000 doivent s’adapter et inventer une réponse originale dans une société qui consacre plus de temps aux loisirs de ses enfants. Il faut alors reconsidérer les centres de vacances non pas comme une structure compensatoire du temps de travail des parents ou complémentaire à l’éducation familiale et scolaire, mais comme un lieu d’un nouveau rapport entre soi et les autres dans un cadre particulier.

Véronique Monnerat

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°40

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