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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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Avignon’s paradise

Festival d’Avignon, juillet 2008. C’était la première fois que je mettais les pieds dans cette ville, transformée par le festival, où le moindre petit bout de panneau signalétique, les moindres grille, grillage ou barrière deviennent pour un temps un moyen d’affichage et de publicité. Petit Mistral, c’est le nom de l’école maternelle du centre ville qui est transformée en centre d’accueil de public géré par les Ceméa. C’est dans ce lieu que je rejoins l’équipe qui est déjà là depuis une semaine. Le lieu sonne comme le calme au plein coeur de la tempête : une fois l’imposante porte refermée les bruits de la foule et de la rue hypra-animée s’étouffent pour laisser place au son des cigales. Le contraste est flagrant et très rassurant.

VOIR PLUTÔT QUE FILMER J’avais pour idée préalable de filmer des instants du festival, filmer des temps d’accompagnement culturel, garder des traces, des souvenirs. J’avais donc dans mon sac une caméra et un ordinateur pour traiter l’image. Et puis très rapidement l’idée a été mise de côté, l’envie d’aller voir des spectacles dans le Off ou de faire des siestes durant mes moments de temps libre a été plus forte que la prise d’images. Vivre pleinement les choses plutôt que m’en faire une copie. La caméra est laissée de côté, Julien, le collègue, l’utilise de temps à autre pour jouer. Dernière semaine de festival, la maison accueille désormais des festivaliers adultes et un séjour d’adolescents. Le public diffère donc légèrement des deux semaines précédentes ; nous avions eu des lycéens jusqu’alors.

Là, il n’y a plus de professeurs avec lesquels il faut s’accorder, voir temporiser. Il s’agit d’un séjour type ACM. Alors, on met en place des réunions quotidiennes : « Le but est de vous construire vos parcours de spectateurs, en autonomie. Qu’allez-vous voir aujourd’hui ? » « Et les spectacles que vous avez vu, ils étaient biens ? Vous les conseillerez ? Et le jeu d’acteur ? Et l’histoire ? Et la scénographie ? »… Les ados construisent leurs vacances : spectacles, siestes, repas, discussions, pataugeoire, ils entrent et sortent de la maison en nous donnant des horaires de retour. Certains connaissent très bien le théâtre et Avignon, d’autres absolument pas.

FILMER QUAND MÊME MAIS QUOI ? Et puis un matin où trois d’entre eux sont en vide d’activité (pas trop envie de sortir, pas envie de voir du spectacle juste pour en « bouffer » le plus possible) l’idée de jouer avec la caméra s’impose comme une évidence, l’objet attire l’envie. Mais pour filmer quoi ? Pour quoi faire faire ? Alors on part dans les rues d’Avignon, petites explications techniques de l’appareil et petits conseils : le champ et le hors champ, se déplacer les jambes fléchies pour que la caméra ne vibre pas trop. La consigne que je leur donne est de filmer ce qui les a marqués le plus quand ils sont arrivés à Avignon et tenter de le retranscrire par l’image. Unanimement cela sera l’effervescence de la rue, le flot incessant des pas, les petites manifestations en faveur des intermittents du spectacle, les petites troupes du Off qui font chacune de la pub à leur manière pendant des heures sous un soleil de plomb, la surenchère de publicités pour les spectacles du Off. Les ados réfléchissent aux cadrages. Que filme-ton  ? Comment ? On partage les ressentis et les visions différentes de chacun. Un parti pris met tout le monde en accord : ne pas filmer les visages car « dans la masse les visages ne se perçoivent plus ». Et puis à table, le soir, on discute des références filmographiques de chacun : Lynch, Tarantino, Desplechin, Ozon … et la manière dont chacun filme : « Tu as vu, dans Les Fils de l’homme, il y a un plan séquence de quinze minutes, alors que c’est une scène de combat dans des ruelles, c’est vraiment impressionnant comme technique ». Et puis à force de parler de scènes de films, on se retrouve à faire des liens avec les spectacles que l’on a vu du In et du Off : « Dans la pièce de Pommerat, la scène où il y a la chanteuse qui s’écroule alors que le chant continu et qu’on se rend compte que ce n’est pas elle qui chante, c’est comme dans la scène de Mulholland Drive. Mais je trouve que dans le film la scène est plus poignante, plus profonde, elle fait presque pleurer ». Et puis il y a le Hamlet de Ostermeier vu au Palais des Papes où la vidéo est intégré à la pièce : « C’est intéressant la manière de filmer les visages de près ». « Et puis c’est fort, c’est filmé et projeté en direct, tu vois l’acteur et celui qui a la caméra qui sont sur scène et tu as le résultat en direct de ce qu’il filme, avec l’effet sepia en plus ça rend les visages vraiment troublants  ».

POURQUOI PAS UN COURT ? A force de parler de cadrages, de plans, du style des réalisateurs, l’envie de se tester à fabriquer un court-métrage leur vient à l’esprit. L’envie d’un court-métrage « chelou » avec des plans « pas comme d’hab’ ». « On pourrait faire un truc sur une ambiance, une histoire qui n’en est pas une mais qui est juste un alibi pour mettre en place une ambiance » ; « ouais, une atmosphère d’oppression, sans bruits, un type perdu dans une foule… sans visages ». Alors les ados se sont mis à élaborer un scénario en s’attardant plus sur le cadrage, les plans pour pouvoir mettre en place une atmosphère, imaginer des angles de prises de vues pas communs en se servant des références ciné de chacun, à motiver les autres pour devenir acteurs, à réfléchir où filmer…

SE TESTER ET CRÉER Petit Mistral devient donc le lieu de la réalisation, un « type perdu qui rencontre sa folie personnalisée » circule dans le couloir là où le reste de l’année marchent des enfants de maternelle. La cour de l’école est le lieu de la scène finale, à 2 heures du matin après le spectacle, – « Comme ça avec les spots on peut vraiment créer une ambiance pesante, et on peut filmer les ombres immenses sur les hauts murs de l’école ». Les réalisateurs ont fait appel à tous le groupe d’ados pour faire cette scène, il faut créer un effet de foule.

Le temps du cinquième repas devient un temps d’activité, la réalisation se passe sous les yeux des festivaliers adultes accueillis à Petit Mistral qui se mettent alors à jouer leur rôle de spectateurs en questionnant les jeunes réalisateurs sur le pourquoi et le comment, sans jamais tomber dans la question embarrassante ou vexante qui stopperait net l’énergie du moment. Le lendemain, après l’atelier retour de spectacle, c’est au tour du montage. Les trois ados à l’origine du projet se retrouvent devant l’écran. Je leur montre comment fonctionne le logiciel de montage. La discussion commence sur ce qu’ils gardent et ce qu’ils jettent, dans quel ordre, les effets spéciaux à rajouter… Le court-métrage est projeté le soir même lors du repas dans la cour de l’école devant tous les ados et adultes de Petit Mistral. Ce n’était pas du Lynch mais l’objectif est atteint, l’ambiance d’oppression est bien réussie. Et parce que « l’acte est vierge même lorsqu’il est répété » ces jeunes se sont testés et ont créé leur style de réalisation, leurs cadrages ; ils se sont « inspirés de » et non pas « fait comme ». Le festival a permis non le mélange des genres mais la complémentarité des outils ; voir le spectacle vivant, en parler, le mettre en rapport avec le cinéma, discuter des références et des goûts de chacun et faire du spectacle vivant pour fabriquer son cinéma.

Guilhem Rivaillon

Article extrait de CA n° 67 – Les vacances : un droit ! – Juillet 2009

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