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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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Les ESPE, ou écoles supérieures du professorat et de l’éducation : un levier pour la refondation de l’École de la République ?

Comblant le vide conséquent à la liquidation des IUFM et de la formation initiale des futurs professeurs des écoles, collèges et lycées, la création des ESPE va-t-elle instaurer les conditions propices à une préparation appropriée à l’éducation de nos enfants, nos successeurs, afin qu’ils grandissent et acquièrent les savoirs et compétences utiles pour vivre et agir avec les autres dans le monde que nous nous préparons nous-mêmes à leur léguer ?

Deux positions observables
Pour avancer en direction d’une refondation de l’École de la République, une grande concertation a été organisée à l’initiative du ministre de l’Éducation nationale pendant l’été et le début de l’automne 2012, un rapport a été remis. Puis, un conseil national de l’innovation pour la réussite éducative dont on attend des propositions a été créé au printemps 2013. Un nouveau rapport va-t-il s’ajouter à d’autres et se perdre ou est-on cette fois enfin fondé d’espérer ? Le pouvoir sera-t-il de fait laissé, une fois de plus, aux inerties associées aux refus de voir les réalités actuelles et aux refus des connaissances dont on dispose aujourd’hui sur les processus psychiques à l’oeuvre dans le travail de grandir et de transmission, ainsi que sur les formes sociales à instaurer pour favoriser ces processus ? Ou, pour le dire autrement, va-t-on laisser une fois de plus le pouvoir aux paresseux et aux ignorants oeuvrant pourtant dans le temple même des savoirs que représentent les ministères de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ?
On peut le redouter. En effet, les différents acteurs du système ne travaillent pas dans la même direction. Même s’il en est d’autres, deux grandes positions sont observables. D’un côté, se tiennent les ignorants qui, aveuglés par leur volonté de ne pas savoir et de ne pas entendre les mouvements, les fureurs et les rumeurs du monde, estiment assister au renoncement continu aux savoirs à enseigner à l’école. Ceux-ci déclarent très secondaire ou inutile une formation non disciplinaire et même les stages sur le terrain. Ils persistent à croire et à faire croire que tout s’apprend sur les bancs de l’université et ne veulent pas savoir ce que l’expérience de la vie apprend. À chaque fois que l’on augmente le nombre des années de la formation initiale, ils réclament toujours plus de « disciplinaire », donc, corrélativement, toujours moins de formation au métier. D’un autre côté, se tiennent ceux qui s’appuient sur l’expérience et les connaissances actuellement établies dans l’expérience et dans les recherches sur l’enfance et l’adolescence, sur les conditions sociales des apprentissages, sur les situations de groupe et leurs effets, sur les épreuves psychiques de la confrontation à la culture des autres, sur ce qui est mobilisé dans les psychés des enfants mis en groupe lors du travail de transmission et entre les générations, sur l’importance des pratiques, sur le rapport aux techniques, sur l’importance de l’alliance éducative entre les deux groupes de socialisation de base que sont l’école et la famille, sur les résonances en chacun des contenus qui viennent heurter les croyances, sur le rapport au savoir, sur le besoin d’humilier autrui…

Assurer les missions de l’école
Si les nostalgiques d’une époque, qui n’a sans doute jamais existée, l’emportaient, les réalités actuelles continueraient d’être ignorées et sera amplifiée l’impuissance du ministère de l’Éducation nationale, de ses structures et de ses personnels à créer les conditions propices à une formation adaptée des futures générations de professeurs et d’éducateurs. En effet, avec une formation réduite aux disciplines enseignées à l’université puis à l’École, on rendra les futurs professeurs incapables d’assurer les différentes missions de l’École, incapables de comprendre les différentes manifestations des enfants réactivement à ce que l’École leur propose, incapables de préparer les générations à venir à vivre et à agir dans le monde qui nous entoure et nous constitue.

Préparer le professeur à entrer dans une classe
Une École se doit de créer les conditions d’une expérience de vie en commun, de pratiques en commun, qui, seules, peuvent équiper culturellement un enfant de ce dont il a besoin pour grandir, où savoirs abstraits et savoirs concrets se conjuguent. Les modalités de transmission et de mise en activité, ici seulement évoquées, préparent à recevoir d’autres connaissances et donnent à chaque être humain les compétences utiles pour prendre en charge sa vie quotidienne ; elles lui fournissent les conditions d’une expérience partagée qui donnent notamment accès à la pratique de la parole prise avec les autres, indispensable pour prendre sa part et sa place dans les pays démocratiques où nous avons la chance de vivre grâce aux sacrifices de nos prédécesseurs. Oui, l’École et la Famille — ou des structures de suppléance familiale — sont les deux groupes sociaux complémentaires de socialisation et d’éducation de base des nouvelles générations dans nos sociétés. L’École doit être pensée sur cette base, et non avec le projet exclusif de faire entendre les récits des savoirs abstraits et académiques. En effet, pour concevoir un enfant et l’élever, pour fabriquer psychiquement, socialement, culturellement un enfant, lui permettre de grandir avec son époque, un père et une mère ne suffisent pas, il faut aussi une société qui s’engage, par son École, et qui organise les utiles liens entre l’École et la Famille. L’École est espace culturel intermédiaire. Si ses structures ne fonctionnent pas comme une société elle induit des conduites et des pensées antisociales. Parmi les savoirs ignorés, rappelons cette évidence, trop souvent passée sous silence : l’école est un groupe de groupes, une classe est un groupe. Pourtant la sensibilisation sinon la formation aux réalités des processus collectifs, à ce qu’ils produisent en nous, n’est pas au programme des formations. Notre propre contribution personnelle à ces processus, dans ses dimensions inconscientes, est maintenue à l’écart de toute possibilité d’émergence à la conscience. Quand la question du groupe est toutefois inscrite dans un programme, les formations proposées sont théoriques, pour la plupart, ou assurées par des formateurs très insuffisamment formés pour cela.
La sensibilisation à la vie des groupes et à ce que que l’on donne à voir de soi-même aux autres dans un groupe et à son insu n’existe pas. Or, elle est indispensable. Le professeur n’est donc pas préparé à entrer dans une classe, un groupe-classe et n’a qu’une idée très approximative ou erronée de ce que le système de l’Éducation nationale provoque, avec sa complicité passive, en regroupant des jeunes qu’il assoit les uns à côté des autres, des heures durant et à longueur d’années. En outre, pour pouvoir être et se situer dans un groupe, une organisation, s’adresser à d’autres, et s’investir dans son travail, il est nécessaire d’être assigné à une place instituée donnant une existence sociale et nourrissant le sentiment de la continuité de l’existence entre les générations. C’est ce qui permet de se sentir compter pour les autres, pour la société. Sans instances instituées et instituantes créant un système de places sociales pour les différents acteurs du système scolaire, le travail de transmission des professeurs et cadres de l’école ne peut être entrepris de façon satisfaisante. L’affiliation des nouvelles générations à ce qui est déjà là avant elles ne peut se produire. Ou encore, il est évident que toute procédure ponctuelle d’éducation à la citoyenneté, par exemple, est artificielle, si des instances de pratiques concrètes et quotidiennes d’exercice de cette citoyenneté ne sont pas conçues et actives.

Comprendre comment travaillent les interdits d’apprendre
L’École a pour mission d’accueillir tous les enfants d’âge scolaire. Elle se doit d’être inclusive pour le plus grand nombre, sinon toujours pour tous dans le même lieu. Pour remplir cette mission, il lui revient de créer pour eux les espaces et les médiations leur permettant d’éprouver qu’il y a une place pour eux à l’École, condition de base pour rendre possible leur mobilisation sur les tâches de base à l’École. C’est par sa structure, c’est-à-dire par ses formes sociales d’organisation des relations de travail que l’École provoque le travail de chacun de ses membres ainsi que les coopérations entre les élèves, les professeurs, les cadres d’éducation et de direction et les autres intervenants d’autres professionnels assurant son fonctionnement. Soulignons aussi que l’École et ses personnels accueillent des individus singuliers et non des catégories sociologiques ou des unités statistiques. Il faut prendre une distance avec les notions et représentations que véhiculent, sans l’avoir voulu, les approches globales et quantitatives. Elles ne renseignent pas sur les situations vécues. L’élève-statistique est une abstraction, ça n’existe pas. L’élève idéaltype n’existe pas, pas plus que le professeur idéal-type. Chaque individu suit un chemin singulier, original, un rythme qui lui est propre, pour grandir et pour apprendre, pour transmettre. Ce qui fait que l’École est mise en demeure de créer, à chaque instant, un espace potentiel commun, pour que les chemins se croisent, pour que les individus singuliers se parlent, se rencontrent, pour que les univers logiques de chacun s’ouvrent un peu, sans crainte d’effondrement ou de disqualification, afin d’entendre les logiques des chemins des autres, pour que le versant fratricide ou sororicide de l’humanité en chacun ne l’emporte pas sur le sororal et le fraternel.
On parle souvent de méthodes pédagogiques, de bonne ou de mauvaise méthode. Quand on prend un peu de recul, on comprend que toute méthode, sauf celles qui sont folles et faites pour rendre fou, peut être efficace, si elle est investie, c’est-à-dire si le maître est engagé, veut transmettre, mais pas immodérément, et s’il laisse pour cela une place aux élèves, une place pour le déploiement de leur propre désir d’apprendre qui se trouve parfois avoir été entravé par des interdits précoces d’apprendre. Il est nécessaire de comprendre, pour chaque enfant singulier, comment travaillent en lui les interdits d’apprendre qu’il a conçus et intériorisés au cours de son expérience de vie.
Un modèle de formation de futurs professeurs doit mettre en perspective ce qui peut s’apprendre en formation initiale et ce qui ne s’apprend qu’en formation continue.

Si une sensibilisation avant la prise de fonction peut alerter les futurs professeurs et les rendre sensibles aux complexités de leur futur métier, il est bien difficile pour eux, alors qu’ils sont mobilisés pour la réussite des examens diplômants et concours — qui jusqu’ici portaient quasi exclusivement sur des épreuves de connaissance disciplinaire — de se représenter avec toute leur consistance les dimensions du métier. Même si elles doivent faire l’objet d’une sensibilisation en formation initiale et à la faveur de stages supervisés par des professionnels qui savent ce que superviser veut dire et ne veut pas dire, ces dimensions et leur complexité peuvent être repérées, élaborées et comprises en formation continue. C’est pourquoi est nécessaire un dispositif d’accompagnement des nouveaux enseignants, qui implique un travail d‘équipe intégré au temps de travail. C’est aussi pourquoi, on devrait rendre obligatoire un stage d’une durée significative dans d’autres espaces que ceux d’une École. Comme le travail d’équipe est une pratique sociale très largement inconnue, bien que souvent invoquée, une formation au travail d’équipe est un préalable, sous condition que ces formations soient assurées par des formateurs capables eux-mêmes de travail d’équipe, et sous condition d’y consacrer le temps approprié. Il faut du temps pour se former, et d’abord le temps de se déformer, de renoncer aux bénéfices associés à une forme antérieure, sans se casser.

Adapter la formation des chefs d’établissement à leur fonctions réelles
Parlons un peu de l’autorité. On peut exercer de l’autorité et assurer un pouvoir délégué par une institution quand on comprend de quoi il s’agit, quand on a renoncé à des rapports de simple puissance, c’est-à-dire de domination et de toute-puissance. La structure d’autorité et les repères d’autorité dans une École ne tiennent ni des statuts ni des textes écrits, bien que nécessaires. Ils ne tiennent que des lieux et de la qualité des paroles échangées régulièrement dans des instances conçues et investies spécifiquement pour cela entre les adultes qui assument dans l’école l’un des métiers d’éducation et d’enseignement, et entre adultes et adultes en devenir. Chacun sait combien les qualités personnelles et les compétences à animer et conduire des groupes et des réunions de travail d’un chef d’établissement sont capitales et orientent le climat d’un établissement.
Or, la formation que les chefs d’établissement reçoivent n’est pas adaptée à leurs fonctions réelles. Elle leur distille principalement une idéologie des rapports de puissance et non l’esprit des rapports d’autorité. Un chef d’établissement ne l’est que par ses exigences personnelles et non grâce à la formation qu’il a jusqu’ici reçu. Ajoutons et chacun le sait que les Écoles sont souséquipées en matière d’équipes de direction et d’administration eu égard à la multiplicité des tâches qui leur reviennent, aux pressions qu’elles subissent, aux problèmes quotidiens multiples qu’elles ont à prendre en charge et à tenter de résoudre. À tout cela s’ajoutent chaque jour des injonctions désorganisatrices venant de la hiérarchie et des sollicitations de celle-ci qui les appellent ailleurs que dans leur établissement.
Tout cela pour dire que le système Éducation nationale avec ses changements perpétuels et ses pratiques est le premier facteur de désordre et de discontinuité du service public de l’Éducation nationale. D’où le nombre des congés de maladie pour des motifs sérieux, sinon très graves, d’où le nombre des postes de direction qui restent vacants ou sont mal pourvus. Bien sûr, une société qui honore sa mission d’éducation et d’enseignement, a une politique de prérecrutement et de présalaire pour encourager les jeunes générations à s’orienter vers le métier de professeur. Or, les responsables publics ont pris le chemin inverse depuis vingt cinq ans en supprimant d’abord les Écoles Normales, puis les allocations, puis l’année de formation professionnelle rémunérée, en allongeant la durée de la formation initiale requise. En supprimant les pré-salaires et les allocations, les pouvoirs publics ont organisé sciemment la destitution du corps enseignant comme constitutif de l’État républicain et de son corps social.
En reculant l’âge d’entrée en fonction, les pouvoirs publics font comme si on n’apprenait que sur les bancs de l’université à être enseignant en situation, ce qui n’est pas le cas, car ce n’est tout simplement ni la mission de l’université, ni de sa compétence. Personne ne l’ignore. Les militants de l’Éducation nouvelle à l’école refuseront là où ils sont et comme ils le peuvent de participer à ce jeu de dupes. D’autant qu’ils savent que des écoles où l’on fonctionne autrement existent, à l’intérieur même de l’Éducation nationale, à l’initiative d’équipes engagées, et que leur réussite a été évaluée. Toutefois, soulignons que, curieusement, les ministères ne faisaient absolument rien pour que ces écoles soient connues, rien pour susciter de nouvelles bonnes volontés. Les choses ont commencé à changer. Il ne peut y avoir de révolution scolaire que par une politique très élaborée et patiente de transformations en s’appuyant sur de nombreuses équipes d’enseignants qui existent et travaillent.

Reconfigurer le travail du professeur
Pour une nouvelle politique scolaire, il faut renoncer à instrumentaliser l’école et la jeunesse en les mettant au service des échéances électorales. Lorsqu’une réforme prendra en compte les analyses, les connaissances et les principes, ici très schématiquement mentionnés, de nombreux volontaires se manifesteront. Pour s’orienter dans cette perspective et mettre en mouvement le système, il y a lieu de faire face aux inerties des uns et aux ignorances des autres. À cette fin, il est urgent que les responsables de la puissance publique sortent de leur anesthésie et de leur fascination pour les études dites statistiques, c’est-à-dire pour les unités fictives quantifiables créées pour les besoins des opérations statistiques.
En effet, si ces études donnent des représentations d’ensemble, elles ne renseignent absolument pas sur le réel de ce qui se passe dans un espace groupal singulier d’apprentissage, avec des personnes vivantes.

Sans un changement radical, sans une curiosité pour les connaissances établies par les travaux psychosociologiques et psychanalytiques sur les groupes, l’adolescence, le travail de grandir, les relations entre les générations, les relations intergenres, la confrontation en groupe à la culture de l’autre, la multiplicité des entrées dans les savoirs, des pratiques de la pédagogie de l’expérience, le système scolaire restera en l’état et chacun continuera d’attendre la catastrophe annoncée, tellement les structures scolaires et les formations nécessaires ne sont pas pensées et ne sont donc pas en relation avec la réalité du travail actuel de transmission. Elles ignorent en particulier que les enfants ont besoin d‘être encadrés par des adultes présents, solides et capables de sollicitude et travaillant avec plaisir en équipe. Ce qui suppose une reconfiguration complète du travail d’un professeur. On n’est solide que par les autres, qu’avec les autres, dans et par l’expérience du travail coopératif en équipe, par l’expérience renouvelée du plaisir d’être et de faire avec les autres, par des temps réguliers d’analyse et d’élaboration de ce qui advient.

André Sirota, Président des Ceméa

Texte paru dans la revue dans le VEN n°553

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