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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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La tartine de confiture

A-t-on jamais vu une tartine de confiture sans pain ? Une vraie tartine de confiture dont la seule évocation agace les papilles, fait palpiter les narines, et déclenche immanquablement un sourire de contentement. Une de ces tartines où la marmelade de mirabelle, la confiture de myrtilles sont venues s’étendre langoureusement sur une mie serrée, irrégulière, souple, odorante, légèrement acidulée, calée au milieu d’une croûte plus brune que dorée, craquante, chantante, complice. Bien malin qui dira qui du pain ou de la confiture fait la tartine. Elle sera osmose. Mais elle ne sera pas sans pain. Pourtant, ce n’est pas l’évocation du pain qui vient à l’esprit en premier quand on évoque une tartine de confiture. Il semble en être devenu l’élément habituel, usuel, presque anonyme. Indispensable, mais anonyme. Socle incontournable, mais si l’on y prend garde, socle oublié. Et oublié alors tout ce que ce pain a nécessité d’effort, de travail, de compétence, de temps, d’attention, d’amour parfois. Et s’il en était de même pour l’activité ? Ou plutôt pour la vie quotidienne ! La fameuse activité, celle qui fait les plannings et les catalogues, celle dont on parle sans arrêt, celle pour qui on pense que les enfants vont dans les structures de loisirs collectifs. Celle qui a été bien ou mal menée. Celle pour qui les moyens manquent souvent, ou qui va tous les engloutir. Cette activité tellement noble qu’elle ne peut plus être encadrée que par une aristocratie de spécialistes, pendant qu’une valetaille de torche-culs s’échine dans l’ombre à faire en sorte qu’elle existe ! Bref, L’activité : Que serait-elle sans la vie quotidienne ? Mieux encore, serait-elle sans la vie quotidienne ?

Pas d’activité sans vie quotidienne organisée Indissociables, certes. Indissociables l’activité et la vie quotidienne. D’autant que tous les éléments de la vie quotidienne sont activité. Mais il n’y aurait pas d’autres activités possibles sans la vie quotidienne. Qui peut se vanter de pratiquer quelque activité que ce soit sans avoir dormi, mangé ? Sans s’être a minima lavé, vêtu. Sans avoir l’équilibre affectif suffisant que donne la conscience du cadre, des limites spatiales et temporelles. Sans avoir l’assurance que les repères personnels, voire intimes sont stables et protégés. Les historiens de l’éducation affirment qu’elle est apparue, en tant qu’activité organisée, quand les besoins fondamentaux ont été assouvis. À cette époque, les besoins fondamentaux recouvraient l’abri, la nourriture, le vêtissement, la survie… Il n’empêche qu’il reste, dans notre époque moderne, quelques besoins fondamentaux, qui, s’ils ne sont plus de l’ordre de la survie, restent de l’ordre de la vie tout court. Alors disons le tout net. Il n’y a pas d’activité tant que tous les éléments qui font la vie quotidienne ne sont pas réalisés, et bien réalisés. Il peut y avoir ersatz, agitation, mais pas activité. Et comme pour le pain de la tartine, il va falloir se pencher sérieusement sur la rigueur, le travail, la compétence que nécessite la mise en place de la vie quotidienne. Non seulement il va s’agir de dormir, de manger, mais il va s’agir de bien dormir et de bien manger. De mettre en place les éléments indispensables pour que chacun puisse répondre à ses propres besoins. Il va être question d’organisation et de rangements, de déplacements, de courrier et de linge, d’argent de poche et d’accueil, de toilette et d’intimité, de lits et de salles à manger…

Permettre à l’enfant de prendre ses repères Tout ce qui fait les conditions de l’activité. Et bien au-delà. Parce que tous ces éléments de la vie quotidienne sont fondateurs. Fondateurs des personnes avant que d’être fondateurs d’activité. C’est autant au travers de son cadre de vie, familial, scolaire que dans ses temps de loisirs que l’enfant se construit. C’est d’abord dans la quotidienneté qu’il va prendre les éléments indispensables, les repères. C’est souvent en participant à l’aménagement de son lieu de vie qu’il prendra conscience de son propre espace, qu’il en mesurera les évolutions. Et d’un coup, la notion de rangement prend une autre dimension. Si elle n’est que contrainte morale, elle ne présente aucun intérêt. Si par contre, elle ressort de la plus élémentaire organisation de son propre espace, elle s’élève au rang d’activité. Il en sera de même quand il s’agira de prendre conscience, puis de connaître son corps. La toilette, le soin de son corps, l’habillement, donc le linge, tous ces éléments se trouvent teintés de couleurs bien plus nobles d’un seul coup, parce qu’on se situe dans le domaine du développement de la personne, et plus seulement dans celui des tâches ingrates à oublier le plus vite possible.

Mais alors on pourrait imaginer un renversement de valeurs ! Finie la valetaille de torche-culs anonymes bâclant au plus vite tous les temps de vie quotidienne pour confier les enfants à ces spécialistes de l’activité. Le socle du travail de l’animateur est l’organisation et la gestion des temps de vie quotidienne. Parce que ce sont eux qui conditionnent l’activité. La valorisation du travail de l’animateur doit se faire dans la reconnaissance du caractère indispensable de la vie quotidienne. Bien souvent, c’est dans des éléments obscurs, parce qu’habituels, qu’il faut aller chercher les causes de tels ou tels dysfonctionnements. Quand une activité n’a pas fonctionné, alors qu’elle était le choix des enfants, c’est souvent en amont qu’il faut aller chercher la cause. Dans un dysfonctionnement de la vie quotidienne. Il pourra autant s’agir de sommeil insuffisant que de problèmes de linge, de temps de repas mal pensé que de rangement de chambres ou de salles.

Etre garant de la qualité du cadre de vie Le rôle des adultes prend une toute autre connotation. Organiser la vie quotidienne. Puis veiller à son bon déroulement, dans l’intérêt de chacun. Avoir constamment à l’esprit que l’indispensable est dans le cumul de petits détails quotidiens, souvent anodins, mais qui rythment la vie des enfants et des jeunes, qui en assure le cadre, devenu presque invisible. Un cadre qui engendre des contraintes, qui contient… Ne se focaliser que sur la seule activité, ce n’est voir, toute proportion gardée, que la partie visible de l’iceberg. Et puis, s’il n’est pas certain que les enfants aient véritablement besoin des adultes quand il va s’agir de jouer – il est même possible qu’à ces moments là nous soyons plus gênants qu’autre chose -, il est certain qu’ils en ont besoin pour organiser le cadre de vie dans sa quotidienneté, parce qu’il ne sont pas en capacité de l’appréhender seuls. C’est même peut être à cela que servent les adultes. Organiser la vie quotidienne, en être garant. De manière volontaire, têtue. La confiture sans pain… ça devient très rapidement écœurant.

Alain Ghéno

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