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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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Jouer en réseau

Mais qui diable a bien pu avoir cette idée saugrenue de faire entrer une douzaine d’ordinateurs, dans ce sacro-saint lieu de rencontres, de découverte, d’éducation et de partage qui fleure bon les valeurs qui nous sont chères à nous animateurs socio-culturels ? Les jeunes ne sont-ils pas assez devant leur écran chez eux pour en rajouter « chez nous » ?

Du danger des jeux en réseau

Quand on parle jeux vidéo et plus particulièrement jeux en réseau, c’est souvent l’image du JT de Jean-Pierre Pernaut (ou autre !) qui vient à l’esprit : un joueur de plus a été retrouvé dans un piteux état chez lui après une overdose de jeux… Il ne dormait plus, ne s’alimentait ni ne s’hydratait plus (ou presque), etc., etc. Il faut bien dire qu’on l’imagine volontiers : véritable albinos, les yeux rouges, hypnotisé par son écran et tirant virtuellement sur tout ce qui bouge !

Les légendes urbaines sont décidément bien tenace et si je ne nie pas que cela puisse arriver, je me remémorerai les musiciens qui passent leur temps à jouer de leur instrument (à s’en crever les tympans !), les lecteurs invétérés (à en devenir aveugle !) qui n’arrivent pas à décoller de leur ouvrage tant qu’ils n’ont pas dévoré la dernière page et autour desquels le monde pourrait s’écrouler, les férus de nature qui vont guetter toutes les nuits un buisson, espérant découvrir quelques espèces sauvages au petit jour… Les « addictions » sont nombreuses, les passions souvent dévorantes. A chacun de les gérer et de se faire aider si besoin ! Les jeux en réseau n’échappent pas à cette règle, ils ne s’en démarquent pas non plus. Ce qui peut faire peur, c’est qu’une majorité des jeux en réseau a lieu « en ligne », entendez par là que les parties se jouent en étant connecté à internet. Elles se déroulent dans un monde virtuel persistant en constante évolution – même quand vous n’êtes pas devant votre ordinateur – puisqu’étant planétaire, il y a toujours des joueurs devant leur écran dans un hémisphère ou dans un autre. Le danger est de ne plus vouloir ou pouvoir décrocher de peur de louper quelque chose d’important. Je pense que c’est une éducation, une réflexion à apporter. On ne peut pas tout maîtriser tout le temps… Ça me fait un peu penser aux jeunes enfants qui ne veulent pas aller se coucher de crainte de manquer quelque chose. Si ce type de jeu vidéo met cette dérive en exergue, ce n’est ni exclusif ni exhaustif : on peut être accro. à l’info 24h / 24h grâce notamment à internet ou à la télé. Souvenons-nous du temps de cette bonne vieille mire, des uniques chaînes françaises nationales et de leurs programmes diffusés qu’une douzaine d’heures par jour ! Mais pourquoi le choix d’introduire le jeu en réseau dans un local jeunes ? Le jeu en réseau est un phénomène de société, on peut le nier, l’ignorer ou le prendre en compte. C’est ce dernier choix que nous avons fait. Nous avons ouvert la porte, découvert le personnage, l’avons apprivoisé. L’important est comme dans tout : ouvrir les yeux, aiguiser son sens critique et garder le meilleur en évitant le pire. Si beaucoup de jeux en réseau sont violents, tous ne le sont pas. Et quand bien même, d’autres jeux de cour ou de société ne sont-ils pas eux aussi porteurs de cette violence ? On retrouve un peu le même principe : les bons et les méchants, une ou des morales… Le réseau introduit désormais la notion de terroristes et de forces de l’ordre là où on jouait aux gendarmes et aux voleurs quand on était petit ! En invitant le jeu en réseau au local, nous nous sommes emparés de l’objet, avons ouvert le dialogue avec les jeunes. La cerise sur le gâteau, c’est que nous avons attiré un nouveau type de public qui a initié un public d’habitués qui a lui-même initié le premier aux autres activités du local.

Oui mais, avant, on jouait ensemble…

Eh bien, encore un truc qui n’a pas changé ! Si chacun est seul face à son ordinateur, les joueurs sont généralement répartis par équipe. Les stratégies se créent au fil de la partie comme dans un bon Douaniers-contrebandiers ou dans une bonne partie du jeu de société Dune. La réflexion, la stratégie et les échanges entre coéquipiers sont primordiaux ; de leur qualité dépendra la victoire ou la défaite. Les joueurs sont ainsi amenés à s’entraider pour éliminer un démon dans World of Warcraft. Ages of empires incite également à échanger des denrées et des matières premières pour évoluer et faire évoluer ses compagnons de route… Avec parfois des joueurs à l’autre bout de la planète, ce qui donne l’occasion de réviser sa géographie, de s’enquérir du temps qu’il fait en Australie ou aux Etats Unis et de parfaire son anglais ! L’échange se fait pendant la partie mais aussi, bien souvent, après : on refait le match et on souligne les actions remarquables comme on pourrait le faire après un bon match de rugby ! Ennemis et alliés sont oubliés : il n’y a plus que des joueurs sans étiquette, des participants au même moment ludique.

Trop de jeu tue le jeu

Le jeu en réseau confirme la règle : trop d’exclusivité tue l’exclusivité et donc trop de jeu tue le jeu. C’est là qu’intervient l’animateur : faire en sorte que les jeunes ne fassent pas que fréquenter leur ordinateur mais qu’ils découvrent et pratiquent d’autres activités… Ce qu’ils faisaient en rechignant un peu au départ est devenu normal et vécu avec plaisir aujourd’hui. Le jeu en réseau est devenu une activité comme les autres, parmi les autres. L’animateur, on en a peu parlé pour le moment alors que sa place est primordiale. En étant attentif, à l’écoute, en étant partie prenante dans les parties de jeu en réseau, il a été l’élément fédérateur entre joueurs initiés et débutants, le garant des règles de fonctionnement et de bonne conduite – au moins le temps que chaque jeune les intègre et en soit garant à son tour – l’élément modérateur quand il le fallait, l’incitateur vers d’autres activités, l’éveilleur d’esprit critique. Lors des dernières vacances, nous avons monté un atelier de modélisation afin qu’une partie des jeux puisse se dérouler dans des lieux imaginés par les jeunes. Avec leur animateur, ils se sont lancés dans la reproduction du local jeunes et d’une partie du centre-ville avec un logiciel d’image 3D. Ils ont dû se concerter, se répartir les différentes tâches. Ils ont relevé les côtes des différents bâtiments en les mesurant mais aussi en utilisant les plans du cadastre récupérés auprès de la Mairie. Ils les ont reconstitués à l’échelle sur ordinateur, sont partis les photographier pour récupérer les bons coloris et motifs des façades et des revêtements de sol… Puis le travail de chaque groupe a été rapatrié sur un seul et même ordinateur chargé d’amalgamer tous ces petits bouts pour obtenir un ensemble définitif, cohérent et utilisable dans les jeux. D’une activité virtuelle souvent décriée est né un vrai projet de jeunes, bien inscrit dans le réel. Qui prétendra que le jeu en réseau n’est pas une activité digne de ce nom ?

Stéphane Esquirol

Article extrait de CA n°60 – Je, jeux, enjeux
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