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Des vacances pour se découvrir et apprendre

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Comment on fait cuire les hérissons

Une journée à Paris. Au programme : un trajet en car, visite de la tour Eiffel, promenade en bateau-mouche, shopping, métro, re-trajet en car. Une journée touristique somme toute bien banale, sauf que…

5h30 Il fait encore bien nuit sur le « terrain des étangs », terrain d’accueil des gens du voyage (capacité d’accueil cinquante emplacements). L’équipe, composée en partie d’animateurs, arrive. Le départ est prévu pour 6h30 mais avant, il faut faire le tour des caravanes pour rappeler que c’est aujourd’hui et qui plus est dans une heure, qu’a lieu la journée à Paris.

De l’envie à la réalisation Il est des choses qui se disent et qu’on entend. Cela faisait un moment qu’on entendait parler, sur le terrain, d’une envie d’aller à Paris. Quand on leur posait la question du « pourquoi faire ? » on s’entendait répondre : « Pour faire comme tout le monde, voir la tour Eiffel et faire des photos »… On a tout de suite été séduit par le projet. L’envie a pris du terrain, et bientôt enfants, ados et adultes parlaient de « cette journée à Paris ». Il nous a fallu un temps très long pour mettre en place ce projet, puisque nous avions comme intention d’associer les participants au projet, et l’une des caractéristiques de ce public est la difficulté à se projeter : ils sont là aujourd’hui, mais demain ? Ils ont envie aujourd’hui, mais demain ? Mais « c’est quand demain ? »

6h30 Une trentaine de personnes sont prêtes, pas forcément celles qui étaient initialement prévues. On devrait partir mais on ne peut techniquement pas, le chauffeur est en train de subir un interrogatoire. Depuis quand a-t-il son permis ? Qu’il le sorte tiens, qu’on vérifie. Depuis quand fait-il ce travail ? Quelle route va-t-on prendre ? Ça va durer combien de temps ? Et voilà notre chauffeur qui sort la carte routière…

7h30 On part. On a saisi l’opportunité, pensez donc, petits et grands étaient OK pour un même projet. Oh la belle action familiale que voilà ! Mais si certaines institutions ont une définition bien précise de ce qu’est une famille, les voyageurs en ont une autre ! Nous avions fixé (subvention oblige) que pour un mineur participant, il devait y avoir un membre de sa famille majeur. Mais ils sont tous cousins ! Les objectifs étaient pour le moins différents. Les nôtres étaient pédagogiques. Que les adultes participent à une activité avec les enfants dont ils ont la responsabilité. Que les voyageurs puissent jouir comme tout un chacun de loisirs touristiques. Que les urbains (voyageurs sur terrains des villes) et buissonniers (gitans vivant en roulotte et stationnant en campagne) puissent vivre un moment ensemble… Les leurs étaient plus basiques : voir, faire comme « tout le monde ». 8 heures Péage de l’autoroute, on retrouve un animateur et un groupe de buissonniers. Parmi eux, Jean, pasteur évangéliste, nous fait part de quelques mots pour que le voyage se passe au mieux, il commentera ainsi chaque étape de notre voyage.

9 h00 Premiers énervements : « On est bientôt arrivé ? » « Faut qu’on s’arrête ». « Il avance pas l’gadjo, y sait pas conduire »… Il commence à faire chaud, ils commencent à attaquer le pique-nique.

9h30 Première pause. On s’aère, on discute, on calme le jeu. Un petit avertissement sur le pique-nique de midi, genre : « Si tu le manges, t’en auras plus à midi » et pour toute réponse : « Oui, mais c’est maintenant que j’ai faim »… Le public de l’immédiateté.

11 h00 Arrivée à Paris, on nous dépose au Trocadéro. Première photo. La tour Eiffel :

  • Ha oui, qu’c’est beau !
  • C’est ça qu’on appelle l’architecture ?
  • Ça sert à quoi ?
  • À rien.
  • Ah oui, mais c’est beau !
  • Et en plus, ça se visite, y’a des volontaires ? Une dizaine, les trente autres ont le vertige, la montée se fait par les marches. Au premier étage, il ne nous en reste plus que quatre. « On a pas l’habitude nous. Ma cousine, pour monter dans l’camping (comprendre petite caravane) y a qu’une marche. »

13 h00 Pour le déjeuner, on propose une dispersion avec un point de rendez-vous, l’équipe en profite pour se retrouver. Cinq minutes plus tard, nous sommes cernés … par une bande de trente voyageurs ! Tout au long de cette journée nous constaterons que les voyageurs ont plusieurs angoisses notament liées au vide, à la foule, aux grands espaces. Peur d’être sous terre, d’être en l’air, d’être sur l’eau. Nous les découvrons, eux les indépendants, très dépendant de nous, insécurisés. C’est une des rares fois où nous avons pu avoir une relation si proche entre nous. Nous avions avec nous la fine fleur du caïd voyageur, du beau rebelle, ceux qui cinq jours avant se tiraient dessus à la carabine, ceux qui quinze jours après se faisaient « serrer » par cinquante CRS, et durant cette journée, ils avaient besoin d’être rassurés.

14 h00 Après avoir vérifié la présence de gilets dans le bateau, la solidité de celui-ci, après un entretien sur les compétences du conducteur et de la traductrice, plus de la moitié des participants osent-daignent monter sur le bateau-mouche : assis sur leur chaise, pas un n’a osé bouger. Si les autres passagers pouvaient en faire de même !

16 h00 Shopping. On refait un petit topo sur la responsabilité de chacun, de la loi et du fait que quoi qu’il arrive, à 18 heures, on monte dans le car pour le retour. Métro [metro] n.m. chemin de fer souterrain… Souterrain adj. Qui est sous terre. Comment faire entrer un groupe de manouches super flippés à l’idée d’aller sous terre, dans un véhicule conduit par quelqu’un avec qui on ne peut même pas discuter, le tout au milieu d’une foule de gadjé ? Compatissez !

18 h00 Retour. Le trajet retour est plus calme que l’aller, on fait moins les malins !

19 h00 Les estomacs crient famine.

20h30 Les grillages du terrain se dessinent à l’horizon. Les autres, ceux qui sont restés aux caravanes, sont là à nous attendre. Ils ont mangé eux, depuis deux heures déjà. Le car se vide, on nous serre la main, on nous remercie, ce fut une belle journée… On crie sur le terrain, on raconte. Une journée touristique qui n’a rien d’une simple journée de conso Une expo photo, il fallait que l’on ramène des preuves, il était important pour les participants que notre journée soit vue par ceux qui n’avaient pas pu y assister. L’équipe avait envie de faire un bilan avec les participants, nous n’avons pas pu le mettre en place : certains étaient partis sur d’autres terrains ou en prison… Et puis les mémoires sont courtes… « Pis s’est passé, on en parle plus. » On a réussi informellemennt à recueillir des impressions. Et bientôt sur le terrain on entendait : « On repart quand à Paris ? ben oui, la Ninnin elle a pas pu v’nir, elle voudrait voir ! » J’aurais pu vous raconter l’histoire de huit jeunes manouches dans un club de remise en forme, ou vous apprendre à parler l’argomich’, J’aurais aussi pu vous donner les « mémoires d’un père Noël après son passage au terrain des étangs » ou encore vous donner la recette du hérisson… J’aurais pu.

Sof

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