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Introduction - VST n°123 Sexualité, quand l’institution s’en mêle

vst123Il y a les situations de mixité interdites, possibles, choisies, réfléchies, imposées… Il y a les approches techniques de la sexualité, réduite aux relations sexuelles : contraception, assistance technique, assistance humaine… Il y a les couples qui se constituent, amour et parfois projets, avec alors la discussion permanente sur la procréation, qui plus est quand on estime que les personnes sont fragiles et qu’on s’interroge sur leurs capacités de décision puis de portage. Il y a l’hyperféminisation des métiers du soin et de l’éducatif, avec à la clé des stéréotypes de genre peu réfléchis et largement reproduits. Derrière tout cela, il y a à la fois le « droit à » pour les usagers, et les risques permanents d’envahissement et de normalisation institutionnelle. À quand une recommandation de bonnes pratiques portant sur la « bonne » sexualité à la charge des institutions ? Les institutions peuvent-elles s’en mêler sans s’emmêler ?

Le sexe – selon l’étymologie –, c’est ce qui sectionne. Ce qui coupe l’espèce humaine en deux sexes ; ce qui divise l’homme entre le rationnel et le pulsionnel ; entre ce qui rassure et ce qui surgit : l’image ou le rêve érotiques, l’excitation imprévue ou l’érection inopportune. Le sexe, c’est aussi ce qui ravit au sens fort du terme, ce qui arrache la créature à l’ordinaire de la sensation.

Être professionnellement en position d’observer la sexualité des autres et de pouvoir y intervenir, c’est occuper une place habituellement interdite : il est classiquement considéré aujourd’hui que la sexualité est du domaine de la vie privée. Pourtant, au siècle dernier, les freudo-marxistes et les reichiens disaient que la sexualité est politique ; mais ce n’est plus dans l’air du temps. Tout au plus la classe politique veut bien parler du sexe, mais c’est alors en termes de morale pour éradiquer la prostitution, ou de droit des handicapés-citoyens-consommateurs à une vie sexuelle construite évidemment dans les normes de la bienséance. Bienséance et vie privée, nous voici alors à la porte de la chambre à coucher parentale, lieu ultime du secret. Personne n’est censé savoir ce qui s’y passe, et surtout pas les enfants pour qui elle est un objet d’insatiable curiosité. Pendant des décennies, ce secret du sexe, construit comme honteux hors du mariage consacré, fut la porte ouverte aux abus. L’institution religieuse s’en mêla terriblement  ; ce qu’a fait vivre l’Église catholique irlandaise à des jeunes femmes filles-mères est à inscrire au Panthéon de l’immonde humain. Et à nos portes, ces Bon- Pasteur si accueillants, et tellement rééducatifs, avec les jeunes pécheresses et sauvageonnes [1] …

L’époque a changé : les personnes accueillies dans les établissements du secteur sanitaire et social ont des droits définis par les lois, et ceux-ci ont une incidence sur le domaine du sexuel : droit à l’information, à la contraception par exemple.

On a pris également peu à peu conscience que les professionnels aiment parfois trop les enfants ou jouissent trop de leur pouvoir sur eux. Ainsi avertis, les éducateurs et les soignants restent toutefois seuls et impuissants devant ce qui les traverse, et ont alors généralement tendance à mettre de côté la question sexuelle, la rabattant sur son volet anatomo-physiologique que traiteront les infirmières et les médecins.

Et pourtant, la question sexuelle les concerne. La mettre hors champ de l’action éducative et sanitaire, c’est d’une certaine façon perpétuer l’eugénisme, cette construction pseudo scientifique et raciste selon laquelle il faut prendre les moyens d’éviter la procréation des anormaux et des marginaux, leurs « tares » étant supposées héréditaires. Au nom de cette idéologie, on a, par exemple, imposé une contraception à leur insu à des jeunes filles de certaines institutions et de même fait pratiquer des « appendicites » qui étaient en réalité des avortements. Et plus généralement, on interdit les pratiques sexuelles dans les foyers et lieux d’hébergement sous prétexte « d’interdit de l’inceste » !

Et pourtant, la question sexuelle c’est aussi devenir homme ou femme, et se préparer à une vie de couple ou de célibataire, ainsi qu’à un possible devenir parent. Ici, les éducateurs et les soignants ont un rôle à jouer dans l’accès des jeunes dont ils s’occupent à des rôles masculins ou féminins échappant aux redoutables stéréotypes du machisme pour les uns, de la féminité soumise pour les autres ; leur permettant peut être dès lors d’échapper à la reproduction des rapports intrafamiliaux violents dont ils ont été les victimes et qui sont parmi les origines de leur placement ou de leur maladie.

Le handicap, sous toutes ses formes, est une surface de projections de nos craintes par rapport à la sexualité, à son caractère pulsionnel. Si nous sommes en proie à ces pulsions, alors les « autres », forcément… Une professionnelle parle de l’appréhension du personnel devant la sexualité des vieux dans une maison de retraite, des craintes des soignants et des parents devant des manifestations de vie sexuelle. Un vieil homme a des relations avec une dame, tous les deux un peu Alzheimer, « ils sont pris sur le fait ! » dit-elle, comme s’il s’agissait d’un crime ! La famille proteste. La vieille dame, selon elle, ne peut être qu’une victime de ce vieillard libidineux… Et combien de parents ont en effet considéré que leur fille handicapée était une enfant quel que soit son âge ?

Comme antidote à cette vision infantilisante et asexualisante du handicap, il faut se souvenir de Frida Kahlo, peintre mexicaine, militante féministe et politique, handicapée physique, et de son extraordinaire vitalité qui lui a permis de vivre une exubérante vie sentimentale, sexuelle et politique, audelà de ses souffrances et de ses handicaps. La libido est en effet force de vie. Et à ce titre, elle est à accompagner, à civiliser, plutôt qu’à réprimer. Il semble bien qu’en ce domaine nous soyons bien timides, davantage que les éducateurs des années 1980 qui osaient penser qu’il y avait quelque chose à faire pour aider ceux dont ils s’occupaient à accéder à un certain degré de liberté. Et quand aujourd’hui « libido » devient synonyme de « droit à », et quand la pulsion devient consommation…

Alors, la sexualité, faut-il que l’institution s’en mêle, qu’elle soit institution législative, institution gérant un établissement d’accueil, institution soignante… ? Puisque que l’institution morale a largement sévi en la matière et n’est pas prête de s’arrêter de peser, comment faire sans continuer à s’en-mêler ?

Ce dossier ignore volontairement les grandes signatures militantes, celles des célèbres personnes-usagers du social comme celles de parents, de familles qui se dépatouillent à leur façon de ce qui leur est tombé sur la tête. Chacun saura trouver ailleurs, partout, leurs textes, leurs positions et analyses.

Nous ouvrons ce dossier par la parole de Sandrine Ciron, qui rapporte comment l’institution s’est mêlée de sa sexualité et comment elle s’en est sauvée. Suit une brève histoire de la mise à disposition de préservatifs par François Chobeaux, qui propose de prendre le statut de ces objets comme analyseur institutionnel.

La façon d’en parler, ou de n’en pas parler, est traitée : dans un foyer de placement d’adolescentes (Monique Besse), dans un lieu d’accueil de personnes souffrant de démence sénile (Lorraine Ory), en revenant sur l’histoire et en observant un foyer d’adultes handicapé-es (Jean-Luc Marchal). Nous contribuons au débat sur l’assistance sexuelle avec les points de vue de André Dupras, qui pose la question de la « normalité sexuelle » vue du Québec, et de Pierre Brasseur et Pauline Detuncq, qui s’intéressent à la construction politique de cette question.

Il y a aussi les situations où une question de sexualité devant être traitée par l’institution en cache puis en dévoile une autre. Yannick Benoist montre comment l’auteur d’actes répréhensibles peut être dans un enchaînement, où il était auparavant victime, et comment cette institution-là, la Protection judiciaire de la jeunesse, s’est dépatouillée de devoir à la fois travailler sur l’acte et sur le passé.

Enfin, pour clore le dossier, des repères chronologiques réunis par Monique Besse pour rappeler l’histoire récente du statut social de la sexualité et de sa prise en compte institutionnelle.

Monique Besse
François Chobeaux

Texte paru dans Vie Sociale et Traitements n°123

Notes :

[1] Voir le dossier « Que faire avec les filles », dans VST n° 106, 2e trimestre 2010.

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