Le droit au départ en vacances collectives : un vrai projet politique

1391614784851[1]La refondation de l’école et la réforme des rythmes éducatifs continuent de susciter bien des réactions. À croire que les enjeux éducatifs et la vision globale de l’éducation sont bien peu de choses à côté de « postures » partisanes, corporatistes ou archaïques. Même si nous avons nous aussi regretté les erreurs, les modalités ici ou là trop rapidement imposées et mises en oeuvre, mesuré les complexités inhérentes à un projet d’une telle envergure, nous soutenons « la refondation de l’École à l’oeuvre aujourd’hui ». Nous contribuerons avec vigilance et avec force, par des propositions construites sur nos compétences et nos conceptions éducatives, à la réussite de cette réforme.

Cette réforme articule et met en tension les différents temps sociaux dont l’un d’entre eux ne bénéficie pas aujourd’hui, de toute l’ambition politique qui devrait lui être apportée. Le temps libre, les temps libérés, les temps de vacances et de loisirs sont absents de la politique actuelle du gouvernement.

Les Ceméa ont toujours porté des conceptions éducatives qui combattent les dérives consuméristes, les logiques qui font des participants une clientèle. Ils privilégient des pratiques fondées sur l’émancipation des personnes, leur responsabilisation, leur apprentissage du vivre ensemble, pour mener le combat de la reconnaissance de l’éducation non formelle.
En 1988 nous organisions « 2010 l’Odyssée des loisirs » en complicité avec Joffre Dumazedier, en 2004, les journées d’étude sur les « Temps libérés » avaient permis à des chercheurs comme Jean Viard ou André Rauch, de valider ce combat pour un droit aux vacances et aux loisirs pour tous, contre les inégalités et les exclusions grandissantes.Le droit au départ en vacances, à la mobilité choisie pour découvrir l’ailleurs et s’ouvrir aux autres sont des utopies qu’il nous faut rendre concrètes pour tous.

« Valérie Fourneyron, ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative a annoncé l’ouverture d’un grand chantier visant à faire évoluer le secteur des colonies de vacances à but non lucratif et à le conforter dans sa mission principale : permettre à tous de partir en vacances collectives. » Chiche, devrions-nous dire, parce que les Ceméa soutiennent cette décision. L’analyse des raisons qui conduisent à la baisse de fréquentation ne doit pas conduire pour autant à une vision minimaliste et quelque peu nostalgique des colos. Ce sont celles de demain qu’il faut inventer !

C’est un regard politique et une ambition philosophique qui doivent conduire ces travaux. Nous contribuerons à la définition de ce projet de label. Pour des colos, mais aussi des accueils de loisirs, ancrés dans leurs milieux, qui contribuent chacun, dans leurs identités propres et complémentaires, au véritable brassage social, qui permettent une vie collective de qualité et une réelle découverte de l’ici et l’ailleurs.

Nous porterons sans relâche, au nom de la dimension éducative des accueils collectifs de mineurs, la question du volontariat dans l’animation. Loin de la caricature actuelle, dérogatoire au droit du travail. Loin de tout glissement vers la précarisation. Loin encore de la tenace illusion du « bassin d’emploi ». Un vrai projet politique qui doit donner la possibilité à des milliers de personnes de prendre des responsabilités éducatives et citoyennes sur un temps donné, dans un cadre reconnu et porté au plan européen !

Et bonne année !

Vincent Chavaroche, Directeur général adjoint des Ceméa

Texte paru dans VEN n°553




Rythme éducatif

L’aménagement des rythmes scolaires ne concerne pas uniquement l’organisation des horaires à l’école. Poser la question du rythme de vie des élèves amène à s’interroger de façon beaucoup plus globale sur l’Éducation et la place de l’enfant et de l’adulte dans les apprentissages.

S’il n’y a pas de lien entre les règles de vie instaurées à l’école et hors de l’école, comment l’enfant peut-il construire des repères et établir une cohérence entre la règle et son rôle ? Si l’on n’a pas le droit de courir sous le préau pendant la récréation et qu’on le peut durant le temps périscolaire (ou inversement), quel sens les enfants peuvent-ils mettre à cet interdit ?

Cette rentrée scolaire repose la question du rythme de vie des enfants. Depuis le mois de septembre, certaines municipalités ont commencé à mettre en oeuvre l’aménagement des rythmes scolaires et les Projets éducatifs territoriaux. Au-delà des polémiques sur sa genèse et les conditions de son application, ce dispositif a le mérite de pointer la nécessité d’une prise en compte plus globale de la vie de l’enfant. Les temps éducatifs sont multiples et les adultes qui y participent aussi : parents, enseignants, intervenants spécialisés en temps scolaire, animateurs du périscolaire, personnel de cantine… auxquels, il faut ajouter tous les adultes qui interviennent durant les temps de vacances de l’enfant. Très souvent, ces différents espaces sont hermétiques et sans lien entre eux.

UN ANACHRONISME DE FAIT
Cette absence de vision globale dans la prise en compte du temps de l’enfant et de son éducation me semble anachronique et inadaptée à la réalité. Les apprentissages sont devenus encore plus globaux et interdépendants. Un enfant qui fait une recherche sur internet chez lui, avec l’aide de ses parents, de sa fratrie ou d’un copain, qui participe avec un animateur à un atelier informatique en périscolaire ou à la médiathèque, qui construit le blog du centre de loisirs, est-il moins en apprentissage que s’il travaille l’informatique à l’école ? Les situations ne s’opposent pas, elles se complètent avec un environnement, des spécificités et des enjeux différents. Certaines missions de l’école se sont transformées. Il s’agit moins d’apporter des connaissances, que de permettre à l’enfant de pouvoir chercher, trier, gérer, utiliser et mettre en synergie les informations auxquelles il peut avoir accès. Mon propos n’est pas de mettre sur le même plan un ensemble de situations, très différentes de par leurs enjeux, mais de mettre en évidence leur interdépendance et la nécessité de mise en relation pour construire et faire sens.

Globalité du temps de l’enfant. De même, en termes d’apprentissages sociaux, s’il n’y a pas de lien entre les règles de vie qui sont instaurées à l’école et hors de l’école, comment l’enfant peut-il construire des repères et établir une cohérence entre la règle et son rôle ? Si l’on n’a pas le droit de courir sous le préau pendant la récréation et qu’on le peut durant le temps périscolaire (ou inversement), quel sens les enfants peuvent-ils mettre à cet interdit ? Il peut y avoir des raisons objectives, liées au nombre ou à d’autres facteurs. Mais si elles ne sont pas explicitées, l’interdit devient alors purement subjectif et l’école ou le périscolaire mettent en place des règles de vie qui se coupent de la réalité et ne font plus sens. L’aménagement des rythmes amène à prendre en compte les enfants de manière plus globale, en ne considérant pas uniquement le temps scolaire, mais en y incluant également le périscolaire. Cela ouvre une porte sur la refondation de l’école et son adaptation aux réalités de la société d’aujourd’hui et de demain. Les associations d’Éducation populaire ont un rôle important à jouer dans cette dynamique pédagogique et cette réflexion pour un environnement éducatif plus global.

INSTITUER DES TEMPS DE RENCONTRE
Le terme d’association complémentaire de l’enseignement public prend tout son sens. Se compléter pour permettre une approche multiple des situations éducatives et d’apprentissages dans lesquelles les enfants se construisent. Mais cet aménagement des rythmes scolaires, s’il ouvre la porte à une prise en compte plus globale de l’enfant, amène aussi à s’interroger sur le statut et le rôle des adultes qui les encadrent. Quelle formation pour les animateurs et les intervenants du périscolaire ? Sommes-nous dans une logique d’animation volontaire indemnisée, d’animateurs professionnels ou d’« intermittents » de l’animation ? Se pose également la question du lien entre les différents partenaires de cette cogestion du temps de l’enfant. Elle nécessite d’organiser et d’institutionnaliser des moments et des cadres de rencontre. Toutes ces interrogations dépassent largement la gestion d’une simple modification horaire et induisent une réflexion de fond sur l’École et l’Éducation. Mieux adapter l’environnement éducatif et le rythme de vie aux besoins de l’enfant sont des objectifs ambitieux, qui amènent à repenser de manière profonde les pratiques pédagogiques. L’Éducation nouvelle est toujours d’actualité.

Olivier Ivanoff, rédateur en chef

Les Cahiers de l’Animation n°84




Colos saison 138

La belle histoire des colos retient souvent l’année 1876 comme date de création de la première colonie. Il en est passé de l’eau sous les ponts depuis ces 138 vacances d’été. Pour autant l’imaginaire collectif semble s’être fixé sur quelques clichés, ignorant souvent les formes renouvelées que sont les séjours de vacances collectives aujourd’hui, ignorant même les périls qui guettent cette forme de vacances.

Le 6 juillet 2013. Premier jour des vacances scolaires et premiers départs vers les colonies de vacances. C’est encore comme ça qu’on les appelle fréquemment dans le langage courant ou dans les médias, perpétuant la diffusion d’un cocktail d’images à la fois surannées et heureuses. Les « colos » donc, recouvrent des réalités qui ont pourtant souvent bien changé. Les séjours sont plus courts, voire même très courts (1 à 4 nuits) lorsqu’il s’agit de minicamp au départ du centre de loisirs. Les activités et les thématiques se sont diversifiées avec l’apparition de nouvelles pratiques (surf, séjour solidaire) et l’influence du marketing touristique voire la concurrence quand les organisateurs doivent répondre à des appels d’offre et quand émergent des opérateurs commerciaux. Les destinations se sont ouvertes à de nouveaux horizons, notamment à l’étranger pour les adolescents même si les Alpes et la côte Atlantique restent des destinations traditionnelles. La colo n’est plus l’apanage des 6-11 ans et le public adolescent est aujourd’hui majoritaire. Ce qui ne change pas, c’est l’image positive des colos auprès des familles qui font bénéficier leurs enfants de ces séjours. Elles savent y trouver une expérience propice aux découvertes, à l’autonomie et aux apprentissages sociaux. Pour ces familles « les séjours de vacances offrent une expérience de vacances spécifique,la fois ludique et éducative, qui permet aux enfants d’apprendre à vivre avec les autres » nous dit l’OVLEJ dans une enquête récente [5].

LA DÉMOCRATISATION DE L’ACCÈS AUX VACANCES EST TOUJOURS À CONSTRUIRE

Ce qui ne change pas, non plus, c’est la non démocratisation de l’accès des enfants aux vacances collectives. En 2011, seuls « 7,5% des enfants et des adolescents sont partis en vacances collectives, colonies, camps ou séjours linguistiques [6] » ; chiffre que l’on peut porter à tout juste 10 % en y ajoutant les minicamps, soit plus d’1,8 million en 2011 selon le ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Education populaire [7]. L’accroissement des difficultés économiques renforce les traits déjà présents dans la sociologie des bénéficiaires et des exclus des vacances collectives. Les facteurs du revenu de la famille et l’accès aux aides financières sont des éléments décisifs pour le départ en colo. L’enquête de l’OVLEJ montre la sur-représentation des enfants des familles les plus aisées et l’effet des politiques d’aide pour les familles très modestes. En revanche entre 1000 et 3000 euros de revenus mensuels de la famille, les enfants sont sous-représentés et parmi ceux-ci l’existence d’une aide du comité d’entreprise est décisive. Au-delà du facteur économique, la place de la colo dans l’imaginaire collectif, dans les stratégies éducatives des familles, la visibilité du secteur auprès des partenaires publics tout comme la proximité des organisateurs auprès des usagers sont des éléments à considérer par les acteurs oeuvrant pour les vacances collectives.

LE VOLONTARIAT, UN PILIER FRAGILISÉ Les séjours sont encadrés majoritairement (75 %) par des animateurs Bafa et des directeurs Bafd, dont plus de la moitié a moins de 24 ans. Acteurs, très souvent occasionnels mais indispensables de l’encadrement des séjours, ils amènent leur engagement, leur enthousiasme au bénéfice des aventures humaines et éducatives que sont les colos. Pour certains ce sera l’affaire d’un été ou deux, pour d’autres un tremplin vers un métier, pour beaucoup une ouverture aux questions d’éducation, à la prise en compte de la diversité, du collectif et de l’intérêt général, en tout cas un moment rarement anodin dans un parcours de vie. Cette activité, longtemps peu légiférée, souffre aujourd’hui d’un manque de statut pour ces acteurs volontaires et met ainsi en péril l’organisation des séjours de vacances collectives. Dans une société où l’animation est aussi devenue un métier, dans une société du chômage de masse et de la précarité, dans une société où peu d’espaces échappent aux appétits marchands, il y a urgence à créer un statut du volontariat de l’animation. « Grâce à cette forme d’engagement, les volontaires permettent aux organismes d’accueil de remplir leur mission d’organisation de vacances répondant à des objectifs sociaux et éducatifs qui définissent leur statut et qui relèvent de l’intérêt général. [8] »

Laurent Michel

Les Cahiers de l’animation n° 83




Les colos dans la tradition tchèque

En République Tchèque la fréquentation des colonies de vacances s’inscrit dans une longue tradition et la plupart des enfants participent au moins à une colonie de vacances d’été par an. Les enfants et leur famille font leur choix parmi des propositions faites par des associations, des centres de loisirs et des entreprises.

Avec le soutien de nos partenaires de NDIM, Gabriela Kynclová et Michaela Tužilová NDIM = Národní institut d􀀀tí a mládeže = Institut national des enfants et des jeunes NIDM et les Ceméa sont partenaires depuis plus de dix ans. Leur coopération est soutenue depuis le départ, dans le cadre des protocoles d’accord bilatéraux entre la France et la République Tchèque. Ce partenariat revendique un droit au départ pour tous et une place reconnue du volontariat dans la société.

Chaque année, plus de 200 000 enfants et jeunes participent aux colonies de vacances organisées par près de 200 associations travaillant toute l’année auprès des enfants et des jeunes. Certaines d’entre elles proposent des colonies de vacances non seulement à leurs membres mais aussi à un large public. Des centres de loisirs gérés par les autorités communales, départementales et régionales organisent également ce type de séjour. Le nombre de centres de loisirs en République Tchèque est d’environ 300 et, chaque année, sont organisées près de 2000 colonies pour 70 000 enfants. Enfin, depuis le changement de système politique en 1990, de nombreuses entreprises comme les agences de voyages, mais aussi d’autres entreprises, se sont lancées dans l’organisation de colonies de vacances.

LE PLUS SOUVENT LE SÉJOUR SE DÉROULE SOUS LA TENTE Par le passé, une colonie de vacances avait une durée de trois semaines mais depuis une dizaine d’années elle ne dure plus que deux semaines – surtout à la demande des parents, mais aussi d’animateurs qui ont du mal à avoir suffisamment de temps libre pour le travail dans les colonies. La plupart des colonies se déroulent « sous tente » et typiquement avec des tentes munies d’un soubassement en bois. Idéalement, on recherche un paysage qui n´est pas encore touché par la civilisation, une forêt ou un pré, près d’une petite rivière où il y a ni foule ni embouteillage.

UNE LONGUE PRÉPARATION EN AMONT Avant le séjour, il faut d’abord gérer l’équipe de ceux qui participent à la préparation. Cela représente pas mal de démarches administratives comme envoyer une demande à la municipalité du lieu de réalisation de la colonie, informer la station régionale de l’hygiène, distribuer et ramasser des formulaires d´inscription, composer les menus de la colo, élaborer un budget ou organiser l’acheminement du matériel nécessaire. Le groupe doit en même temps se concentrer sur la création du programme qui est très souvent fondé autour d’un jeu thématique qui se joue pendant toute la colonie. Il faut se rencontrer régulièrement et tout préparer suffisamment en avance. Des questions pratiques, de technique et d’organisation sont abordées souvent dès l’automne de l’année précédente. Au-delà de cette forme classique, des séjours périurbains sont organisés à proximité des grandes villes et très souvent les participants rentrent chez eux pour la nuit. Les colonies de vacances organisées par les entreprises disposent parfois de locaux et de bâtiments pour le camping équipé de petits chalets.

Svatava SIMKOVA, Ji ZAJIC

Les Cahiers de l’Animation n°79




Résistances éducatives

« Les phénomènes d’exclusion, les logiques de ghettoïsation n’épargnent pas le secteur des accueils collectifs de mineurs…Chacun de nos choix d’organisation de la vie collective, de la vie quotidienne, de l’activité, des modes de relations entre les personnes traduit nos choix politiques… Vous en faites partie,vous qui êtes animateurs, animatrices volontaires, directeurs et directrices volontaires, professionnels de l’animation, directeurs de structures, organisateurs de ces accueils collectifs. »

Dans le contexte actuel, réaffirmer le sens politique de l’acte éducatif, de l’action éducative conduite dans les accueils collectifs de mineurs tient de la salubrité publique !
Notre pays est secoué, troublé par la politique actuelle du gouvernement concernant le traitement de l’insécurité et de la délinquance.
Nous sommes nombreux, citoyennes et citoyens, à être scandalisés par les amalgames et les procédés utilisés pour mêler montée de la délinquance et immigration, pour jeter à la vindicte populaire des personnes ou des communautés pour ce qu’elles sont plutôt que pour ce qu’elles seraient supposées avoir commis.
Le procédé est nauséabond. Les Ceméa ont déjà, et régulièrement, dénoncé ces pratiques et ces amalgames – voir notre communiqué de presse en ligne sur le site national des Ceméa concernant les mesures prises en direction des Roms. Les phénomènes d’exclusion, les logiques de ghettoïsation n’épargnent pas le secteur des accueils collectifs de mineurs.
Il est important de revenir sans cesse sur le combat qui doit être mené, poursuivi, sans faille ni relâche par tous les acteurs éducatifs de ce secteur. Vous en faites partie, vous qui êtes animateurs, animatrices volontaires, directeurs et directrices volontaires, professionnels de l’animation, directeurs de structures, organisateurs de ces accueils collectifs.
L’acte éducatif est politique, lorsque l’organisation concrète de l’accueil des enfants et des familles, en accueil de loisirs comme en séjour, s’appuie sur des valeurs de laïcité, de respect et de prise en compte des personnes dans le groupe, sur l’apprentissage du vivre ensemble.
Tout, absolument tout ce qui relève des choix d’organisation de la vie quotidienne, de la vie collective des enfants et des jeunes en ACM, de l’activité, tout ce qui définit les relations entre les adultes de l’équipe éducative et les enfants traduit un choix politique. Un choix qui renvoie à des logiques de domination ou pas, à des logiques consuméristes ou pas, à des logiques d’émancipation des personnes ou pas, à des logiques d’association des enfants à l’organisation de leurs loisirs et de leurs vacances ou pas.En être conscient est déjà un pas vers le choix politique.
Aujourd’hui, nous, mouvement d’éducation nouvelle, dénonçons à nouveau la stigmatisation d’une population et les amalgames populistes.
Nous rendons hommage aux organisateurs qui ont accueilli et continuent de le faire, tous les enfants, y compris des enfants sans papiers en lien avec le réseau Education sans frontières.
Nous disons haut et fort : RESPECT, face au travail remarquable réalisé par vous, animateurs, directeurs volontaires et professionnels au sein des équipes d’encadrement des Accueils collectifs de mineurs qui avez mis et mettez en place, au quotidien, dans les faits, un vivre ensemble émancipateur.
Nous soutenons sans hésitation les organisateurs, quel que soit leur statut, associatif, service vacances de comité d’entreprise ou collectivité locale, qui ont un projet politique, un projet éducatif affirmant et traduisant leur rejet de toutes les exclusions, de toutes les pratiques de ghettoïsation, leur résistance aux pressions de tous les intégrismes. Nous sommes déterminés à lutter contre toute technicisation de l’animation, volontaire et professionnelle, qui la transforme en outil de gestion aimable et complice du vide éducatif des ACM. Nous sommes et resterons force de proposition sur ces enjeux. Les Ceméa, en cette période où les pratiques d’amalgames et les logiques sécuritaires s’affirment, restent sur leurs positions et conceptions de mouvement d’éducation nouvelle et d’éducation populaire. Ils ne lâchent rien face aux attaques permanentes des valeurs auxquelles ils sont attachées.

Vincent Chavaroche

Article rédigé dans le n° 72 des Cahiers de l’Animation




Le parapluie ou le mauvais objet

Dans un temps où le projet prévaut sur l’acte, où l’intention se suffit, où l’activité n’est qu’un objet, où le sens des vacances collectives disparaît dans de trop abstraites joutes oratoires, où il s’agit souvent plus de se souffleter à coups de responsabilités non assumées, il peut être intéressant de recentrer ces « débats » sur leur objet !

Dans le meilleur des mondes possibles (des accueils collectifs de mineurs !), les organisateurs organisent, les directeurs dirigent, les animateurs animent etc. etc. et tout devrait aller pour le mieux. La suite logique aurait pu être : et les enfants et les jeunes en profitent ! Une des dérives possibles – bien entendu dans un modèle théorique – est cette tentation millénaire d’aller chercher dans l’oeil de l’autre la poutre qu’on ne voit pas dans le sien. Or cette dérive n’est pas que dans un monde virtuel, malheureusement ! Moi, si j’étais organisateur je ne ferai pas comme ça, bougonnent les directeurs (qui pourtant ne pourraient pas diriger sans les séjours organisés !), et moi si j’étais directeur je Dirigerai Môssieur (ou Madame !), je n’ouvrirai pas sans arrêt le parapluie de mes peurs ! Je majusculiserai la fonction ! Et les uns de renvoyer les autres à l’excès de leur prise en compte de l’environnement culturo-sociétalo-mondialisalo-économique, ces mêmes autres ironisant sur la frilosité, voire l’incompétence pédagogique de ces uns. Nous ne parlerons pas du jeu qui sévit à l’identique entre directeurs et animateurs : en chaque animateur sommeillant un directeur et en chaque directeur une réminiscence de quelques souvenirs d’animation… Il importe, au moment où vont s’ouvrir des milliers de séjours, qui permettront à des millions d’enfants de passer des vacances pleines de repos, de plaisirs, d’aventures et de vrais apports éducatifs, de resituer quelques points socles.

NE PAS SE TROMPER DE CIBLE Tous les adultes, mais aussi toutes les structures, les organisations qui vont de près ou de loin, organiser, gérer, diriger, animer les accueils collectifs de mineurs le font sur la base d’un projet politique, ou éducatif – la différence de lecture n’étant après tout qu’une différence de focale ! Avant donc de se voler dans les plumes au nom de sacro-saints principes qui n’ont plus de principes que le sacro-saint, il conviendrait que chacune des parties concernées étudient ce même projet. Chaque organisateur a l’absolue liberté d’organiser la forme de séjour qui correspond à ses principes. Mais, chaque directeur a l’absolue liberté, et l’absolu devoir de bien négocier sa participation à l’entreprise – au sens construction. Il est le bras actif du projet de l’organisateur. Il ne peut pas, engagé dans l’action, reprocher à cet organisateur ce qu’il a accepté, contractuellement en plus, de mettre en oeuvre. À moins de tromperie sur la « marchandise » ! Il importe que chaque directeur mesure bien le fait que sans le projet éducatif de l’organisateur, le projet pédagogique idéal qu’il porte n’aurait aucun sens, aucune valeur parce que totalement coupé d’une réalité de terrain, donc de publics. Pour autant, pas un organisateur ne devrait pouvoir reprocher à un directeur de ne pas avoir osé dépasser des limites que lui même a installées. Acteurs complémentaires d’un projet politique commun pour les vacances et les loisirs collectifs, c’est possible  ? Si oui, ça tient de la relation, de la construction commune, de la non-instrumentalisation de la dynamique unique qui continue de fonder les ACM ! Il est impossible, pour cause justement de projets et d’ambitions éducatives, de confondre un stage d’activités pour jeunes ou adultes, un voyage touristique, un séjour linguistique, un échange de jeunes et tous autres programmes et organisations y compris de loisirs, avec l’entité et l’objet Accueil Collectif de Mineurs ! Il ne faut pas oublier que pour ce qui concerne notre pays, cette organisation unique est institutionnellement organisée, qu’elle se construit sur un projet éducatif obligatoire, et qu’historiquement, elle est une activité institutionnellement organisée au même niveau que l’école, avec les mêmes ambitions sociales et sociétales, voire de fait, républicaines. Il ne faut pas oublier que les vacances collectives d’enfants et de jeunes sont considérées comme faisant partie de l’éducation, de ce qui soude et dynamise un collectif, ce qui alimente une citoyenneté. Grands mots et grands principes ? Oui ! Mais qui, remis au coeur des préoccupations qui ouvraient ce petit texte, les resituent à une autre échelle… Bonne vacances donc à tous les bénéficiaires heureux des ACM de cet été.

Alain Gheno

Cahier de l’Animation n°71




Vision globale

Les accueils collectifs de mineurs sont à la croisée de réalités, de nécessités et d’enjeux différents. Établir un projet pédagogique nécessite une perception globale de cet environnement.

Lors de discussions dans des stages de formation d’animateurs ou de directeurs, sur les motivations des parents et les raisons pour lesquelles leurs enfants participent à des séjours ou des activités, j’ai régulièrement entendu des prises de positions de stagiaires hiérarchisant ces situations. Ils mettaient positivement en avant les parents qui leur semblaient avoir compris l’intérêt éducatif des séjours de vacances et leur signifiaient être conscients de l’apport que cela peut avoir sur le développement, l’autonomie, les relations de leurs enfants. Pour les autres parents, dont les motivations avancées étaient avant tout pratiques et liées à la nécessité de faire garder leurs enfants, qu’ils soient surveillés, ne risquent ni accidents, ni de faire des bêtises et ne s’ennuient pas, la considération était plus négative, voire condescendante.
On peut comprendre que des animateurs ou des directeurs se sentent plus valorisés dans leur travail et leur fonction par certains arguments que par d’autres. Et qu’en faisant l’analyse de ces réalités lors de leurs stages de formation, ils aient tendance à mettre en avant certaines motivations par rapport à d’autres. Des parents qui sont dans une démarche éducative en opposition à ceux qui ne viendraient que « consommer » une forme de garderie de nécessité. Mais les accueils collectifs de mineurs, qu’ils soient avec ou sans hébergement, qu’ils se situent en temps périscolaire ou en période de vacances recouvrent des réalités, des besoins et des enjeux multiples. Cette globalité a fait et continue de faire leur particularité et leur richesse.

LA RÉALITÉ ET LES BESOINS ÉVOLUENT A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, une des motivations principales de certains départs d’enfants était la nécessité qu’ils se refassent une santé, qu’ils changent d’environnement, qu’ils mangent bien, qu’ils dorment bien et qu’ils respirent le bon air. Ce qui n’a pas empêché ces colonies de vacances d’être le terreau d’une démarche pédagogique d’une richesse inouïe. Il me semble important que les accueils collectifs de mineurs restent dans cette logique globale. Porteurs de situations éducatives et de valeurs et sachant s’adapter à la réalité et aux besoins en fonction d’un environnement. Quelle que soit l’entrée par laquelle les parents ou les enfants aborderont la structure, l’important est ce qu’ils vont être amenés à y vivre et à y construire. Le projet pédagogique se doit de prendre en compte cette globalité.

BÂTIR UN PROJET COHÉRENT ET VIVANT Si l’on ne s‘appuie que sur des réalités matérielles pour organiser un accueil de mineurs, on se dirige fatalement vers de l’occupationnel, du faire pour faire. On ne cherche qu’à s’adapter à des circonstances. La forme dépassera le fond et une activité ne sera pas priorisée en fonction de l’intérêt qu’elle peut représenter pour les enfants, mais parce qu’elle entre dans le cadre. À l’opposé, si l’on méprise ou sous-estime le quotidien, les réalités, les besoins et les motivations du public concerné sous prétexte que cela n’est pas assez noble ou a tendance à interférer avec les objectifs pédagogiques d’un séjour, on se dirige vers du décalage et de l’exclusion pour les enfants et de l’amertume pour les animateurs : « Après tout ce que l’on prépare et fait pour eux, ils ne sont même pas intéressés… » Que la principale motivation de certains parents soit de trouver un mode de garde pour une période de vacances, ou que ce ne soient pas toujours les mêmes enfants qui reviennent chaque jour, cela n’est ni à déplorer, ni à stigmatiser, ni à simplifier mais fait simplement partie d’un contexte sur lequel doit s’appuyer l’équipe de direction et les animateurs pour bâtir et faire vivre un projet. Comment faire en fonction de cette réalité pour organiser l’accueil ? Quel lien pouvons-nous construire avec les parents ? Comment ? Quelles activités proposer ? Pourquoi ? Comment les mener, les faire évoluer ? Quelle ouverture sur l’extérieur ? Le projet pédagogique doit prendre en compte la réalité des enfants pour leur permettre de se construire.

Olivier Ivanoff

Cahier de l’Animation n° 70




Question de sens

Ils devraient pouvoir transformer leur environnement parce que le seul moyen de connaître un environnement est d’agir dessus. Gageons que le fait d’être encadré par des personnes enthousiastes, au clair de leur projet et de leurs conceptions éducatives fera que cette transformation sera valorisante, valorisée, positive. Et pour que les angoisses s’atténuent, décorer un lieu de vie, aménager une cabane, faire voguer un bateau sur un ruisseau sont autant de transformations du milieu. Une réunion d’enfants débouchant sur des décisions appliquées aussi !

Tant pis ! Tant pis si à la fin de la lecture de ce texte l’auteur fera figure au pire de dinosaure ou de mammouth, au mieux de « ringard » – outil utilisé pour activer une flamme ou attiser un feu. De toute façon, il apprécie la définition de ce terme citée par Philippe Meirieux ! Au sujet des séjours d’été, déjà que des milliers d’enfants s’agitent ou agissent (il y aurait comme qui dirait une petite différence), il lui est venu une irrépressible envie de dire que tout ne se ressemblait pas et que des manières différentes de faire exprimaient une vision très différente du monde et de son évolution.

UN SÉJOUR ORGANISÉ HORS SOL

Un séjour organisé autour d’un planning établi par les adultes, bien souvent longtemps avant ce même séjour, parfois sans connaître les enfants, et un séjour organisé autour des souhaits, envies, besoins des enfants ne sont pas identiques, ni dans leur forme, ni dans le sens qu’il génère. Un séjour dans lequel les enfants ont la parole, que cette parole est non seulement écoutée mais qu’elle est entendue, qu’elle est suivie d’effets, et un séjour dans lequel les enfants ont le droit de se taire et le devoir d’avoir l’extrême obligeance de faire tout ce qui était prévu pour eux ne se ressemblent pas. On pourrait se laisser aller à dire qu’ils s’opposent. Un séjour qui se vivra à l’identique, dans son rythme, ses activités, son organisation qu’il se déroule en montagne, en campagne ou en ville, portera en lui une autre dynamique que celui qui adaptera sa vie à son environnement, voire qui laissera cet environnement doucement prendre le pas sur de sacro-saintes organisations, voire conceptions dites éducatives. Nous avons souvent utilisé l’image du hors sol, pour faire référence à des formes d’élevage qui ne devrait rien avoir à faire en des lieux d’éducation, y compris de loisirs.

UN SÉJOUR POUR TORDRE LE RÉEL Plus encore, osons dire que dans ces temps de vacances, dans ces temps du loisir que Joffre Dumazedier définissait comme les temps du faire ce qu’on veut quand on veut, les enfants et les jeunes devraient avant tout, oui, avant tout, pouvoir se confronter à des expériences fondatrices. Se servir d’un couteau pour couper du bois, donc approcher le bois, le sentir, le connaître, le reconnaître, le façonner. Se servir de la terre, la toucher, la pétrir, s’en enduire, la cuire, la modeler, l’utiliser… la rendre utile Qu’ils devraient pouvoir (devrait en terme de « devoir » pour les adultes encadrants) se confronter aux éléments naturels, l’eau, l’air, le feu, pour en jouer et ce faisant les apprendre, les appréhender. Qu’ils devraient pouvoir tordre le réel en des temps et des lieux imaginaires structurés où jouer la vie est apprendre la vie. Plus avant encore, il est non seulement important, mais parfois fondamental qu’avant de s’acheter tel cerf volant sophistiqué les enfants en aient fabriqué de plus modestes mais, oh combien plus importants. Important qu’avant d’utiliser la scie électrique, et il faudra qu’ils l’utilisent, ils se soient confrontés à l’égoïne, qu’avant d’utiliser le tournevis électrique (et il sera confortable qu’ils l’utilisent) ils se soient fait de tendres ampoules au manche d’un tournevis. Important qu’ils puissent sentir l’herbe, les arbres, la mer, le sable, le blé dans les champs, le foin dans les granges, et les dessiner ou les peindre. Qu’ils écrasent des herbes pour en tirer des couleurs, qu’ils mélangent des pigments pour les mêler à de l’huile de lin ou autre colle avant d’utiliser la bombe de peinture qu’on ne devrait pas leur interdire. Important qu’ils désossent une mobylette avant de la remonter, important qu’ils fouillent le ventre d’un ordinateur ou d’un téléphone portable. Important qu’aucune activité ne puisse être écartée au nom de sa modernité ou de sa ringardise ! Ce qui fait la valeur d’une activité, c’est ce qu’on y fait, c’est comment on y accède. Oui, on peut bien passer d’une table en bois vert, d’une montgolfière en papier à un terrain de tennis ou de golf. Oui, on doit pouvoir aller dans la même journée de la télévision à son coin cabane, d’internet à une Cachette gamolle, de la planche de surf à un délectable moment de « rien faire ». Mais là où nous revendiquons notre ringardise, c’est quand nous disons que c’est la cabane qui valide la télévision, la Cachette gamolle qui valide internet Laissons aux enfants le temps de leurs expériences, laissons se développer les aventures. L’apprentissage de sa propre maîtrise s’acquiert dans des prises de risques « encadrées ». N’oublions pas trop vite de quoi nous sommes fabriqués, de quoi nous avons besoin. Pendant des siècles encore, chaque enfant aura le besoin fondamental de se confronter au végétal, au minéral, à l’animal, à lui-même et aux autres, dans des dialectiques indispensables. Veillons à ce qu’ils ne deviennent pas leur propre marchandise. La marchandisation des loisirs, c’est aussi la marchandisation des vacanciers…. de chacun des vacanciers. Et laissons-nous traiter de ringards par des cohortes d’imprécateurs qui rabâchent depuis des millénaires les mêmes vérités, toutes pédagogiques soient-elles !

Alain Gheno

Les Cahiers de l’Animation n°69




Droit aux vacances

S’il suffisait de dire pour que tout se fasse, s’il suffisait de belles déclarations pour que la vie soit belle, les gallinacées porteraient des bridges en porcelaine et les baleines des ailes. Un droit n’existe que s’il s’exerce, s’il a les moyens de s’exercer.

Au risque de se répéter, mais dans ce domaine c’est un beau risque à prendre, les vacances, dans notre société, sont un droit ! Nous le disons depuis longtemps, et d’autres déjà le disaient, avant notre société des loisirs, et avant qu’une dérive toute contemporaine ne les transforme en objet marchand. Le temps libre, le loisir sont des éléments fondateurs de l’enfance. Un enfant ne se développe pas harmonieusement, s’il n’a pas accès à des structures de vacances. Il est à ce point-là de développement nécessaire de rappeler que ce droit a été reconnu comme un droit fondamental par la loi de lutte contre les exclusions adoptée en 1998.

DÉNONCER Nous vivons un moment de notre société où des enfants ne peuvent pas partir en vacances collectives. Faute de moyens. Il est entendu par tout le monde que ces vacances collectives participent du lien social, de l’accès à la culture. Il est entendu par tout le monde que ces expériences fondent la responsabilité citoyenne des adultes à venir. Et la moitié des enfants n’y ont pas droit, objectivement ! C’est là une injustice première, criante. Décréter un droit ne suffit pas ! Encore faut-il lui permettre d’être, d’exister, de se réaliser. Dans une société démocratique, un droit s’exerce ! Quand on peut ! Il est temps, plus que temps que les politiques donnent les moyens à ce droit d’exister. Les mouvements d’éducation, les organisateurs de vacances et de loisirs collectifs dénoncent depuis bien longtemps le manque de moyens. Mais ils ne font pas que cela, ils agissent aussi au quotidien, dans les formations des équipes d’encadrement, dans les accueils collectifs, auprès des élus des collectivités locales et territoriales pour faire que ce droit ne reste une vague référence historique.

VERS UN PROJET DE LOI

L’exercice de ce droit, au travers des structures qui accueillent les séjours de vacances collectives, a des effets méconnus sur le développement local, la lutte contre la désertification des territoires, la création d’emplois. Ce n’est pas un droit partiel, exercé par une partie de la population. Il ne concerne pas les seuls enfants. L’impact économique est prépondérant dans certaines communes, tout autant que la dynamique sociale qu’il génère. Culturellement, et encore aujourd’hui, nombre de communes s’enorgueillissent d’accueillir des séjours de vacances. Et bien au-delà du seul aspect économique. Que dire de la sauvegarde des patrimoines, mais que dire de la passation des cultures, quand les vacanciers rencontrent d’autres personnes, d’autres modes de vie, qu’ils croisent d’autres histoires. Et que cela fonctionne dans les deux sens. Tous ces enjeux ont été rappelés lors de la journée du 9 juillet dernier, dans les murs de l’Assemblée nationale. La plateforme autour de la JPA y présentait cette revendication et le projet de loi sur le droit au départ. Des regards croisés sur le départ en vacances des enfants et des jeunes, départs en colo(s), en famille, sur les apports économiques des centres de vacances et de loisirs, sur les apports éducatifs des séjours collectifs comme sur le sens du départ dans la construction de la personne ont permis de mieux saisir l’importance de ce combat. Souhaitons que les élus s’en saisissent, qu’un débat parlementaire s’y intéresse, non pas comme un sous dossier mais comme l’un des éléments d’une politique nationale en faveur des enfants et des jeunes. Comme un autre droit fondamental aussi. Le droit à la même éducation. Et le loisir, les vacances, participent de l’éducation.

Vincent Chavaroche Alain Gheno

Article extrait de CA n° 68 – Un été 2009 – Octobre 2009




Un droit pour tous !

A longueur de magazines, à longueur d’images, de slogans publicitaires, de reportages, de plongées documentaires profondes au cœur des sociétés, des lieux, des cultures on nous vante le loisir, le voyage, la découverte du monde… Mais pour qui ?

Depuis plusieurs années, les Cahiers de l’animation ont abordé cette question du droit aux vacances, qui est une question de société. La situation est toujours aussi inacceptable, dans une société moderne comme la nôtre. Cette société des loisirs, disait-on même, où l’importance des temps libérés ne se trouve plus déqualifiée que par l’hymne au sacrifice du travail et la dénonciation de la prétendue oisiveté par les gouvernements de droite qui se sont succédés. Partir en vacances est un droit. C’est un droit arraché de haute lutte, il serait dommage de l’oublier. Comme il serait dommage d’oublier par qui cette lutte a été menée, et quand elle a été menée. Etre et partir en vacances est un besoin également. Qui a dépassé depuis longtemps la seule valeur de récupération de sa force de travail, pour entrer dans ce qui fonde une société et son mode de vie. TROIS MILLIONS D’ENFANTS Or tout le monde n’y a pas accès. Tous les enfants et les jeunes n’ont pas la possibilité de l’exercer : c’est un fait. Mieux encore, dans le contexte et les enjeux sociétaux actuels, il semble bien dérisoire aux yeux de beaucoup de politiciens et de citoyens. Alors, une fois de plus, il faut redire quelques vérités ; La crise touche plus les classes sociales les plus démunies, les plus défavorisées. La dimension économique est centrale dans le non départ en vacances. Mais elle n’est pas la seule. Le sentiment d’exclusion, et trop souvent la réalité d’exclusion de la vie sociale et de ses rites, le travail, les loisirs, les vacances, les activités socialement reconnues et valorisantes sont bien réels. Ils sont le lot quotidien de beaucoup de familles en grande difficulté, de familles de classes moyennes qui n’ont pas accès aux aides. Les vacances et encore plus le départ en vacances, ce n’est pas pour eux.

Comment faire comprendre qu’il n’y a pas de « valeur travail » s’il n’y a pas, au XXIe siècle, de « valeur vacances » ? Comment ne pas voir que les exclus des vacances sont aussi très souvent les exclus du travail. Et à tort ! ON ne mérite pas ses vacances, on y a droit !

UN FRANÇAIS SUR DEUX Ce sont ainsi plus de trois millions d’enfants et de jeunes qui ne partent pas en vacances. Et cette année, plus particulièrement, il semblerait qu’un Français sur deux ne partira pas en vacances. Ces trois millions ne pourront pas vivre des situations dont celles et ceux qui agissent dans le monde de l’éducation savent bien qu’elles contribuent fortement à la construction de la personne. Partir en vacances, et en séjour de vacances collectives, c’est en effet pouvoir sortir de son cadre de vie quotidienne, dans ses différentes composantes, sociales, culturelles, éducatives, relationnelles, architecturales et environnementales. C’est découvrir d’autres repères. Cet éloignement avec les adultes de son quotidien, parents, enseignants, animateurs du quartier, permet à l’enfant, dans une continuité éducative, de quitter un rôle, un personnage dans lequel il est souvent enfermé. C’est la possibilité d’être dans une reconnaissance sociale différente. Cette situation particulière lui donne la possibilité de jouer sur une autre scène, avec d’autres partenaires, sans a priori sur les personnes. La séparation contribue ici à l’accès à l’autonomie et à son apprentissage pour chacun. DE L’ICI À L’AILLEURS Le départ en vacances, hors du cadre de vie habituel, permet le pas de côté, la mise à distance avec le quotidien. Partir en vacances, c’est passer de l’ici à l’ailleurs. C’est aussi découvrir le « ici » de l’autre. C’est avoir la possibilité de modifier son rapport aux autres, son rapport au monde. La confrontation avec un environnement différent de celui du quotidien donne des moyens d’agir et de se situer dans son environnement habituel. La confrontation avec des environnements naturels différents, au-delà de la découverte de milieux spécifiques permet de resituer son milieu de vie quotidien, urbain pour la plus grande majorité des personnes, dans un contexte plus large et plus complexe.

C’est l’occasion de se construire une compétence d’ouverture aux autres, aux autres cultures, aux autres modes de vie, aux autres environnements et aux autres langues. Cette capacité d’adaptation, ce rapport au monde sont aujourd’hui un des éléments indispensables d’insertion et d’action dans le monde moderne actuel. Les séjours de vacances collectives permettent ces situations, dans une expérience de vie collective enrichissante et éducative. Voilà autant de raisons pour revendiquer l’accès aux vacances pour tous les enfants et les jeunes. C’est pourquoi les Ceméa, membres de la plateforme pour le droit aux vacances de tous les enfants et les adolescents soutiennent la proposition de loi instaurant une aide au départ en vacances pour les enfants et les adolescents mineurs. Cette loi pourrait être présentée au Parlement en novembre prochain, si la sensibilisation des politiques est suffisante… L’enjeu est clair.

Vincent Chavaroche

Article extrait de CA n° 67 – Les vacances : un droit ! – Juillet 2009




Éloge de l’ordinaire

« Ici, il n’y a rien de spécial. C’est une colo très ordinaire », annonce d’entrée la directrice de ce centre maternel. Je suis venu pour faire
un reportage photos et elle s’excuse un peu de n’avoir à m’offrir que l’ordinaire de la vie des enfants. Mais pendant les deux jours que je vais passer dans ce centre qui accueille des enfants de 4 à 6 ans, je vais être confronté à des situations éducatives d’une extraordinaire richesse. Il n’y a rien de «médiatique» : pas d’escalade, de camping, d’astronomie, d’initiation à l’informatique ou tout autre activité d’appel que certains organisateurs mettent en avant pour séduire les parents. Rien de tout cela. Simplement une vingtaine de jeunes enfants qui vivent ensemble, jouent, chantent, gèrent les activités du quotidien en harmonie avec leur âge et découvrent la nature.

PRENDRE LE TEMPS DE DEVENIR GRAND
Les enfants vivent à leur rythme. Ici on prend le temps de devenir grand. Le matin, ils arrivent en forme. Chacun a dormi en fonction de ses besoins. On prend le temps de faire ou d’apprendre à faire, tous les gestes de la vie quotidienne, se laver, faire son lit, manger… Dans la vie courante, les enfants subissent bien souvent tous ces moments, plus qu’ils ne les gèrent, car le temps joue contre eux : « Déjeune vite, on est pressé, il faut aller à l’école. Attends, je vais beurrer tes tartines, ça ira plus vite… » Ici le temps joue pour eux, au rythme de chacun. On prend le temps de beurrer ses tartines, couper sa viande, faire son lit, se laver … Les adultes sont là pour aider ou apprendre en cas de besoin. La vie quotidienne n’est jamais un moment neutre. Et chez les jeunes enfants, elle représente une part importante de leur vie. A travers elle, ils affirment leur capacité à se prendre en charge et à appréhender le monde qui les entoure. Dans ce centre de vacances, on prend aussi le temps de jouer, de chanter, de raconter des histoires, de découvrir la nature… ou de ne rien fa ire de particulier. Le rythme des activités s’adapte aux enfants Les animateurs alternent des activités très structurées où tout le monde participe, à des moments où les petits sont plus autonomes et agissent en fonction de ce qui leur tient personnellement à cœur : jouer aux voitures, se déguiser avec les autres, passer du temps à caresser le poney qui est dans le parc de la colo ou aller se mettre tout seul dans la cabane au milieu du pré … Les animateurs étant là pour aider, proposer ou laisser faire. On organise des activités pour que les enfants découvrent, apprennent, coopèrent. Mais on leur laisse aussi du temps pour choisir, s’organiser et pratiquer des actions en fonction de leur propre développement. Ce qui m’a également frappé durant le temps que j’ai passé dans ce centre, c’est l’aspect des relations entre les enfants et avec les adultes. Vivre avec les autres. Apprendre à se respecter mutuellement, malgré les différences, gérer les oppositions et les conflits. Tout cela semblait se vivre au quotidien. Et les quelques disputes auxquelles j’ai assisté se sont gérées et vite résolues avec ou sans l’aide des adultes On avait le sentiment d’un groupe d’enfants vivant ensemble dans le respect de tous et où chacun avait sa place. Un enfant handicapé moteur faisait également partie du groupe. Les relations qu’il avait avec les autres étaient saines. Et l’ensemble des enfants portait sur lui un regard très naturel, sans rejet, ni compassion, étant capables de jouer avec son fauteuil ou de se disputer avec lui pour savoir qui utiliserait le gros feutre en premier. Je pense que l’organisation du centre pour un respect du rythme de chacun, n’était pas pour rien dans cet équilibre de vie. Quand chaque enfant est en situation de réussite par rapport à ce qu’il entreprend et se retrouve dans ce qu’il vit au centre de vacances, cela facilite grandement ses relations avec les autres.

NE PASSONS PAS À CÔTÉ DE L’ESSENTIEL
Le tableau dressé ici peut paraître idyllique, pourtant ce n’est que le centre de vacances très «ordinaire», qu’ont vécu ces enfants de 4 à 6 ans. Il fait bien ressortir le caractère essentiel de la vie collective et des relations. Mon propos n’est pas d’opposer la voile, l’escalade, le camping ou l’équitation à la vie du centre de vacances. Et de dire qu’il ne faut pas qu’il y ait ce type d’activités dans les colos. Il est bien évident que des activités spécifiques peuvent apporter beaucoup aux enfants et être enrichissantes pour eux. Mais il arrive parfois que, par leur médiatisation, elles cachent l’importance de la vie collective et des relations, les fassent passer au rang de choses subalternes et de second plan. Voire même, fassent vivre aux enfants des activités ne correspondant ni à leur tranche d’âge, ni à leurs besoins alors que ce qui fait toute la richesse éducative du centre de vacances, c’est bien ce lien entre l’activité, le rythme de vie et les copains.

Olivier IVANOFF

CA N° 65 ACTIVITÉ ET PROJET




L’éducation aux loisirs

Les quartiers Nord de Clermont Ferrand, banlieue. Une particularité : la rue ceinture le quartier. Dans ce paysage des plus ordinaires, une équipe a mis en place un centre de loisirs et construit un projet pédagogique autour de deux axes essentiels : l’éducation aux loisirs d’une part, les repères et les règles d’autres part.

L’éducation aux loisirs répond à la réalité des pratiques habituelles de la population du quartier.
Les structures de loisirs sont peu fréquentées. La population fortement immigrée a culturellement tendance à, parfois, se satisfaire d’une conception des loisirs où l’enfant est livré à lui-même. Certains d’entre eux vont seuls à l’école dès l’âge de quatre ans. L’absence de circulation automobile renforce cette habitude puisque, apparemment, il n’y a aucun danger réel.
Implanter dans un tel contexte un centre de loisirs au fonctionnement habituel, sinon classique, où les enfants doivent obligatoirement s’inscrire à l’avance pour venir eût été voué à l’échec. Il fallait, en amont, créer le besoin, l’envie, l’intérêt de fréquenter une structure de loisirs, ceci ne pouvant se faire que progressivement et avec des moyens adéquats. Bon nombre d’enfants et de familles ne venant pas spontanément au centre de loisirs, celui-ci tentera d’aller vers eux : certains animateurs ne seront donc pas au départ dans le centre, mais dehors.

Des animateurs hors du centre
Que tenteront-ils d’y faire ? Dans un premier temps, ce qu’ils peuvent et ce qui leur semble bien. D’une part, proposer aux enfants des activités dont on sait qu’elles remporteront du succès : aller à la patinoire, au cinéma, mais on sait que ce type d’activité peut placer les enfants dans une simple situation de consommation sans leur permettre pleinement de jouer et de vivre entre eux. D’autre part, proposer aux enfants de venir faire des activités dans la structure elle-même. Si cela sécurise les animateurs de revenir très vite dans les murs, cela peut en revanche apparaître trop contraignant pour des enfants qui ne peuvent pas se projeter dans le centre et donc déclencher chez eux un phénomène de fuite. Alors, face à ces deux risques, quelles solutions ont été tentées ?

Partir à l’aventure
Proposer aux enfants de jouer sur place, dehors, ou mieux encore de « partir à l’aventure ». Prendre un bus comme pour aller à la patinoire mais en fait pour aller dans un espace naturel pas trop éloigné, jouer, construire des cabanes… Des espaces, comme ça, pas trop loin, il y en a, oui, mais de l’autre côté de cette rue qui ceinture le quartier et encore au-delà d’une voie express. Bien que peu éloignés, ces espaces naturels de jeu sont devenus inaccessibles. L’expérience a prouvé que ce type de fonctionnement pouvait porter ses fruits. Les enfants en effet, méfiants au départ, se réinscrivent peu à peu à ces activités proposées à l’extérieur du centre et, progressivement, certains s’inscrivent même au centre de loisirs. Cette réussite s’explique également par le relais et le soutien assurés dans le quartier par d’autres types de personnel. Educateurs, assistants sociaux font aussi un travail d’information sur le centre de loisirs et d’incitation à sa fréquentation ; le centre peut ainsi progressivement tisser sa toile et la consolider.

Une souplesse de fonctionnement
On aboutit donc progressivement à un centre de loisirs où cohabitent deux types de fonctionnement : un centre dans lequel les enfants s’inscrivent et qu’ils fréquentent régulièrement, un centre où des activités sont proposées à l’extérieur aux enfants qui sont dans la rue. Certains enfants ont d’ailleurs très bien perçu ce double fonctionnement : inscrits au centre de manière régulière, ils demandent parfois à participer à une sortie qui est en train de s’organiser pour d’autres. On pourrait voir là un échec, les enfants ne s’intégrant finalement pas à la structure proposée. On peut y voir également un signe de réussite : les enfants se sont adaptés et profitent de la souplesse permise par la coexistence de ces deux types de fonctionnement. Cela complique sans doute un peu le travail des adultes mais le temps des loisirs ne peut véritablement en être un qu’avec cette souplesse-là.

Se donner et respecter des règles
L’autre travail qui se mène de pair avec les enfants qui ne fréquentent pas d’eux-mêmes ou sur incitation de leurs familles le centre de loisirs, est un travail sur les repères, les limites, les règles. Là également, il faut être au départ à la fois modeste et ambitieux. Si l’intention finale est bien d’amener les enfants à se donner et à respecter des règles leur permettant de vivre ensemble leurs loisirs et de respecter les adultes et les lieux, les objectifs intermédiaires seront eux beaucoup plus modestes : il s’agit simplement, mais ce simplement est fondamental, de permettre aux enfants de se donner et de respecter des règles qui assurent la « survie minimum » de la structure de loisirs.

L’acceptation des règles le fonctionnement du centre
Les premières règles sont donc très terre à terre : il s’agit de ne pas cracher, de ne pas se battre. Fixées par les enfants en fonction de leur réalité, ces deux règles de départ sont parfois complétées par d’autres en référence à des événements survenus par le passé dans le quartier : « On ne met pas le feu », « On ne sort pas les couteaux ». Au fur et à mesure de l’intégration et de la participation des enfants à la structure, les règles évoluent et ressemblent plus à celles qu’on peut rencontrer dans d’autres centres de loisirs : « On écoute parler les autres », « On range le matériel utilisé… » Cette acceptation de la ou des règle(s) rninimale(s) est fondamentale ; c’est elle qui conditionne le fonctionnement du centre avec un public considéré comme difficile.
Ces règles sont donc émises et discutées par les enfants, puis signées par eux, elles constituent dès lors un véritable contrat. Négocié entre les enfants et les adultes, ce contrat constitue un équilibre entre le minimum acceptable au départ par les enfants et les règles minimales sans lesquelles le centre ne pourrait pas fonctionner, d’où la notion de « survie minimale ». Lorsqu’il n’est pas respecté, ce contrat justifie parfois qu’un enfant soit refusé dans le centre pendant une durée donnée.
L’adhésion au contrat est la condition préalable à la poursuite de la fréquentation du centre par les enfants.

Alain Delbos
* D’après un entretien avec Véronique Camarero, directrice permanente OMJL de Clerrnont-Ferrand

Article extrait de CA n°63 – Décider, choisir, agir