Trop de projet ?

Aujourd’hui, qui n’a pas son projet ? Dans notre domaine aussi, il y a inflation. Des notions de projet éducatif à projet pédagogique, nous sommes arrivés à un empilage de projets, d’activités, de fonctionnement, de vie collective, d’organisation, de je ne sais quoi encore, souvent sans liens, électrons libres de procédures artificielles.

Dans les structures de vacances et de loisirs collectifs, toute l’organisation, puis la vie même des centres sont basées sur le projet pédagogique. C’est de lui qu’on entend le plus souvent parler. Or, il ne peut y avoir de projet pédagogique sans projet éducatif. Affirmation péremptoire, mais évidence première ! Le projet éducatif, appelé encore projet politique est ce qui donne sens. C’est ce qui va permettre ensuite, à l’action d’exister. Le projet éducatif est de l’ordre de l’intention, philosophique ou idéologique. C’est ce qui, à l’origine, a fondé l’action. Il y a toujours une intention derrière un projet. Ce n’est jamais par hasard qu’une organisation, municipalité, comité d’entreprise, structure de quartier, association ou coopérative, ou toute autre forme, décide d’organiser les vacances ou les loisirs d’enfants et de jeunes. Derrière l’intention la plus anodine, il y a de l’idée, du sens, une vision du monde, de la société. Et comme nous sommes dans le domaine du projet, il y a toujours une idée de transformation, ou de construction. Et comme plus avant encore, ces projets s’adressent à des enfants et des jeunes, cette transformation, inéluctable, porte les germes de la société de demain. D’un seul coup, le fameux projet éducatif dont malheureusement on parle trop peu prend toute sa dimension. Sans lui, pas de pistes de travail pour construire le projet pédagogique, qui n’est, et ne doit être que la mise en acte des intentions, des buts à atteindre du projet éducatif. On comprend bien que des projets pédagogiques sans liens avec un projet éducatif ne peuvent être, y compris à partir des meilleures intentions possibles, qu’à la dimension d’une équipe dans le meilleur des cas, du seul directeur dans le pire des cas. La garantie éducative impose le projet éducatif, au risque sinon de soumettre les enfants et les jeunes aux diktats d’actes individuels sans cohérence.

Dans les projets éducatifs doivent apparaître des termes forts, indiquant formellement les buts à atteindre. Bien souvent ces termes restent trop vagues, les intentions trop floues. Il est difficile pour les équipes d’encadrement des séjours de concrétiser ces intentions, ou plus exactement, il devient très facile d’en faire n’importe quoi. Et le projet pédagogique sera de fait inévaluable. Or un directeur, puisque ce sera souvent lui qui négociera en amont avec l’organisateur, doit pouvoir soumettre les grandes lignes de sa mise en oeuvre du projet éducatif. Et un organisateur doit pouvoir percevoir dans les prémices du projet pédagogique la manière dont ces intentions éducatives vont être concrétisées. C’est à partir de cette rencontre, de cette négociation que le séjour va se monter. Il paraît impensable, encore une fois pour une question de garantie éducative qu’un directeur, puis une équipe puisse faire n’importe quoi à partir d’un projet éducatif trop flou (quand il existe formellement). Et si les équipes d’encadrement successives participent à l’évolution du projet éducatif, qui de ce fait reste quelque chose de vivant, en lien constant avec l’évolution des pratiques sociales, c’est au travers de l’analyse de leurs mises en actes successives, de tâtonnements, de recherche action. Mais certainement pas à coups de force dissimulés, de « cause toujours tu m’intéresses » cachés derrière des sourires condescendants, de « une fois sur place, je ferai bien ce que je veux », quand on est pas dans le domaine des « c’est moi le pédago, je vais lui apprendre moi, à cet organisateur ce que c’est qu’un centre de vacances ou de loisirs » ! Fichtre ! Parions en toute sérénité que de tout temps les organisateurs ont su, à défaut de ce qu’était un centre de vacances, ce pour quoi ils le créait. Peut-être est-il temps de toiletter les projets éducatifs. De dire qu’ils sont travaillés et mis en place pour une durée déterminée. Qu’ils précisent formellement le public auquel ils s’adressent. dans quel cadre social. Qu’ils précisent l’intention de transformation ou d’évolution de la société. Il est banal aujourd’hui de stigmatiser tel projet éducatif réclamant haut et fort l’accès à l’autonomie, voire l’autonomie tout court, ou encore le respect de l’environnement, et le projet pédagogique en découlant privilégiant un voyage à l’étranger en transport en commun, toutes journées minutées, essaimant ses émanations de gazole à tout vent. Les enfants et les jeunes, tout autant que les équipes d’encadrement ont besoin de cohérence pour progresser. Les projets pédagogiques, construits à partir des projets éducatifs doivent être cohérents. Jusqu’à l’aboutissement des actes.

Pour illustrer le propos : quelle cohérence peut-il y avoir entre les intentions d’autonomie (encore !), de liberté, de citoyenneté d’un projet éducatif, et l’interdiction formelle dans les séjours de se servir d’un couteau (pour les plus jeunes), de monter aux arbres (anecdotiques), ou de participer à des réunions voire d’organiser soi-même ses journées ? On le voit, il doit être impossible à un directeur ou à une équipe de transformer les intentions du projet éducatif. Les directeurs, et les équipes qu’ils vont mettre en place, sont au service du projet éducatif. Les projets pédagogiques sont les illustrations successives d’un projet éducatif. C’est quand les projets pédagogiques sont au plus près des intentions éducatives des organisateurs qu’ils permettent à ceux-ci de faire évoluer leur projet. C’est en cela que le projet éducatif est un élément formateur des directeurs et des équipes d’encadrement. Agissons !

Alain Gheno

Cahiers de l’animation n°65




Oser écrire un projet pédagogique

A l’approche de l’été, des « petites vacances » ou encore du début de l’année scolaire, les directrices et directeurs des accueils collectifs de mineurs sont amenés à rédiger un projet pédagogique, « leur » projet pédagogique. Pour certains, c’est un exercice imposé qu’il faut bien faire – puisqu’on le demande – mais qu’ils oublieront bien vite après avoir recopié (à quelques mots près) le précédent ; pour d’autres, c’est un exercice enthousiasmant qui permet de dessiner les contours du prochain séjour, d’en imaginer les arcanes, de rester toujours en ébullition, de poser les premières lignes du nouveau scénario… pour la plupart d’entre nous, c’est entre les deux… chacun plaçant le curseur où il le veut et où il le peut !

Pourtant, il me semble que cet exercice est porteur de beaucoup de sens et qu’il n’est pas réellement difficile à faire, encore faut-il partir du bon bout et pour cela, il est juste et simplement nécessaire d’oser…

Oser repartir de ce qui fait l’essence même de nos structures : des lieux de vacances et de loisirs, des lieux où le temps doit être libéré et non confisqué ou dénaturé. C’est notre acte de naissance, notre raison d’être, notre colonne vertébrale. Si l’on n’ose pas dire notre propre conception des vacances et des loisirs, il y a fort à parier que le séjour que l’on mettra en place fera peu (ou presque pas) de place à ces notions. Pour cela, il faut oser répondre à la question suivante : quelle est la différence entre ma conception personnelle des vacances et des loisirs et celle des enfants ? Comment justifie-t-on les différences s’il y en a ? S’il y a trop d’écart entre ce que j’attends de mes propres vacances et celles que je propose aux enfants, c’est qu’il y a un problème à résoudre ! On peut aussi directement leur demander ce qu’ils attendent de leurs vacances ; parfois, on est surpris par leurs réponses.

Oser ne pas utiliser les mots qui « font bien » et qui, bien souvent, sont très marqués « école » et finalement vide de sens. On peut parler simplement d’activités manuelles, de jeux, de jeux traditionnels et sportifs, de jeux de société, de vélo, de cabanes, de relations et éviter « motricité », « activités ludiques », « travaux manuels », « médiation », « citoyenneté » ou encore « psychologie ». Et pour pousser la logique jusqu’au bout,oser retirer du projet pédagogique les phrases-bateaux que tout le monde (croit-on) écrit dans son projet. « l’enfant sera acteur de ses vacances », « nous favoriserons son autonomie », « le centre permettra de développer sa citoyenneté »,… Ce n’est pas que ces phrases soient inintéressantes mais la plupart du temps, ceux qui les écrivent se gardent bien de dire concrètement comment ils vont faire. Cela reste bien souvent des vœux qui ne réaliseront pas. Pire, certains séjours fonctionnent d’une telle façon qu’ils sont parfois en contradiction totale avec ce qui est écrit dans le projet ou alors bien pâle.

Oser résister aux parents et leurs demandes de plannings. Les demandes étant bien souvent la partie immergées de l’iceberg. Les séjours de vacances et les accueils de loisirs qui osent proposer de vraies vacances aux enfants qu’ils accueillent avec des programmes abondamment « ouverts » ou tout n’est pas déjà figé remportent très largement les suffrages des parents après quelques jours de fonctionnement. Le projet pédagogique n’est pas un document qui doit dire comment des adultes doivent faire plaisir à d’autres adultes mais comment les enfants vont vivre leurs vacances et leurs loisirs.

Oser écrire une partie du projet pédagogique avec les animateurs, les personnes de services, en écrivant leurs phrases, leurs mots. Bien entendu le directeur et l’équipe de direction doit pouvoir poser des choses, des idées, une ossature du projet mais toute l’équipe doit avoir sa place dans cet écrit.

Oser aussi une vraie lecture de la réglementation des accueils collectifs de mineurs et arrêtons avec les lois qui n’existent pas – oui les enfants ont le droit de faire de la cuisine, d’utiliser un opinel ou encore de monter dans les arbres, non les animateurs ne sont pas obligés de toujours avoir les enfants sous les yeux, d’être obligatoirement deux pour sortir du centre avec un groupe. Les lois que l’on invente ou qu’on lit mal brident considérablement nos possibilités d’actions et celles des enfants.

Oser finalement écrire une partie du projet avec les enfants. Au lieu de fonder nos réunions de préparation sur la construction d’un planning, osons dire concrètement comment on va se débrouiller pour que les enfants puissent proposer des choses mais aussi comment ils pourront « entrer » et « sortir » d’une activité qu’ils auront pu choisir un moment donné ; osons dire à quels moments (nombreux) les enfants pourront-ils jouer librement dans la journée, qu’est qu’on aura mis en place, installé, aménagé, de façon plus ou moins définitive, pour qu’ils puissent jouer seuls ou à plusieurs, sans forcément être avec ou sous le regard des animateurs. Bien sûr, il faudra un peu de courage au début mais, petit à petit, il faudra bien que les séjours de vacances et les accueils de loisirs évoluent vers plus de liberté pour que les enfants se réapproprient leurs temps libérés et que ces lieux (re)deviennent des espaces uniques qui n’existent nulle part ailleurs… Osons…

Jocelyn Vérité

Article extrait de CA n°58 – Des temps pour agir



L’aventure en CVL ?

L’aventure commence à l’aurore, à l’aurore de chaque matin… Ce sont les premières paroles d’une des toutes premières chansons de Jacques Brel… Quand c’est la quotidienneté qui devient aventure, quand c’est ce que nous oublions de voir chaque jour.

Je suis toujours convaincu que le centre de vacances ou de loisirs reste, encore maintenant, le seul lieu organisé dans lequel des enfants et des jeunes peuvent vivre des projets, leurs projets. Ceci à condition que les adultes qui les accompagnent leur laissent l’espace de liberté nécessaire et suffisant pour que cela soit possible ou encore, pour être plus clair, que les animateurs n’obligent pas les enfants à rentrer obligatoirement dans des projets qu’ils auraient préconçus avant le séjour. Malheureusement, on s’aperçoit que les directeurs ont des demandes très précises quant au « remplissage » de tous les moments du centre de vacances ou de loisirs. Combien de réunions de préparation de centres sont exclusivement consacrées à la conception de plannings d’activités dans lesquels les enfants devront entrer coûte que coûte ? Je crains qu’elles ne soient très nombreuses ! Or, si on veut que les enfants puissent avoir leur place dans la construction de leurs vacances et de leur loisirs, tout ne peut être pré-inventé, préconçu, préparé par les animateurs sinon on accepte que, certes, les animateurs aient des projets pendant les séjours mais que les enfants, eux, ne peuvent pas en avoir. C’est quoi, alors, des projets d’enfants ? Il peut y en avoir de plusieurs sortes. Ils ne sont pas vraiment hiérarchisables, ils sont seulement repérables si l’on se donne un peu de disponibilité pour le faire. Il peut y en avoir des petits et des grands ou mieux des plus courts et des plus longs. L’intérêt de permettre aux enfants d’avoir leurs propres projets crée les conditions de l’aventure. Les adultes étant là pour accompagner, aider, rechercher avec les enfants ce que ceux-ci auront prévu, imaginé, initié, conçu… Bien entendu, tout ne sera pas possible et qu’importe d’ailleurs, le fond étant bien, pour les animateurs, de se doter d’une attitude qui permette l’aventure. Les aventures sont nombreuses en centres de vacances et de loisirs et elles ne revêtent pas forcément un habit innovant – « l’innovation » étant devenu une espèce de leitmotiv alors que certaines « innovations » sont parfois bien pauvres. L’aventure collective est incontestablement devenue une aventure incroyable aujourd’hui. Permettre à des enfants d’être en relation avec d’autres (et pas seulement à côté des autres), de construire, d’inventer avec d’autres est sans doute un levier puissant pour combattre l’individualiste croissant qui s’impose à nous. Evidemment, cette aventure n’est pas vraiment télévisuelle : pas de milieu hostile, pas d’animaux sauvages, de forêts impénétrables, de concurrence entre les personnes, pas de premier ou de dernier, non, juste des individus auxquels est donnée la possibilité de construire des relations, de mettre en place des choses qui leurs sont propres. Cette aventure-là est, finalement, à la portée de tous, petits et grands. Il est nécessaire, en réunion de préparation des séjours, de ce poser cette question centrale : comment allons-nous organiser la vie collective pour que les enfants y trouvent leur place, ou mieux y prennent leur place ? Je crois que la première chose dont il faudra nous convaincre, c’est qu’il n’y a pas nécessité, comme on l’entend souvent, de « limiter les contraintes de la vie collective » mais au contraire d’utiliser la vie collective comme une occasion extraordinaire de faire ce que l’on ne pourrait faire sans les autres. En ne voyant la vie collective que comme une succession de contraintes qu’il faudrait nécessairement limiter, on s’empêche de penser que les possibilités de construire à plusieurs sont infiniment plus nombreuses que celles de construire seul.

L’autre point, qui à mon sens, constitue une vraie aventure dans nos séjours, est la conquête de l’autonomie – conquête comme on dirait conquête de l’espace. C’est aussi une aventure extraordinaire qui n’est d’ailleurs pas dissociée de la précédente, elle y est nécessairement attachée (ou alors on considère que les enfants ne peuvent pas s’apprendre entre eux). La conquête de l’autonomie revêt bien des formes, traverse tous les âges : s’habiller seul, choisir ses vêtements, couper sa viande, se servir, faire une cabane, couper une planche pour son camion ou une branche pour son arc, organiser une randonnée, préparer son matériel, allumer un feu, prévoir, discuter, organiser, réorienter, aménager,… C’est une aventure que l’on fait, comme l’autre, sous le regard et avec les conseils des animateurs.

Laissons donc les enfants se construire leurs vacances et leurs loisirs en réorientant nos projets pédagogiques qui ne sont bien souvent que des succession de phrases théoriques vides de sens et qui ne disent pas comment les adultes vont associer les enfants à leurs vacances, ne demandons pas aux animateurs de produire uniquement des plannings bien ficelés où les activités proposées ne sont conçues que sur le mode individualiste (chacun fait son truc), ne nous enfermons pas dans le tout sécuritaire où la législation (et surtout ce que l’on imagine de la législation) prend le pas sur la vie, lâchons un peu les brides et pensons à donner un peu de pouvoir aux enfants. Je ne doute pas que les centres de vacances et de loisirs soient une aventure pour les animateurs et les directeurs, un des enjeux est qu’ils soient aussi une aventure pour les enfants.

Jocelyn Vérité

Article extrait de CA n°57 – 70 ans, déjà ?



Trop de projets tuent le projet

La lecture des quotidiens, l’écoute des programmes radio ressassent des projets, tous plus mirobolants les uns que les autres. Aujourd’hui, qui n’a pas son projet ? Dans notre domaine aussi, il y a inflation. Des notions de projet éducatif à projet pédagogique, nous sommes arrivés à un empilage de projets, d’activités, de fonctionnement, de vie collective, d’organisation, de je ne sais quoi encore, souvent sans liens, électrons libres de procédures artificielles.

Dans les structures de vacances et de loisirs collectifs, toute l’organisation, puis la vie même des centres sont basées sur le projet pédagogique. C’est de projet pédagogique qu’on entend le plus souvent parler. Or, il ne peut y avoir de projet pédagogique sans projet éducatif. Affirmation péremptoire, mais évidence première ! Le projet éducatif, appelé encore projet politique est ce qui donne sens. C’est ce qui va permettre ensuite, à l’action d’exister. Le projet éducatif est de l’ordre de l’intention, philosophique ou idéologique. C’est ce qui, à l’origine, a fondé l’action. Il y a toujours une intention derrière un projet. Ce n’est jamais par hasard qu’une organisation, ici municipalité, là comité d’entreprise, là encore structure de quartier, association ou coopérative, ou toute autre forme, décide d’organiser les vacances ou les loisirs d’enfants et de jeunes. Derrière l’intention la plus anodine, il y a de l’idée, du sens. Il y a une vision du monde, de la société. Et comme nous sommes dans le domaine du projet, il y a toujours une idée de transformation, ou de construction. Et comme plus avant encore, ces projets s’adressent à des enfants et des jeunes, cette transformation, inéluctable, porte les germes de la société de demain. D’un seul coup, le fameux projet éducatif dont malheureusement on parle trop peu prend toute sa dimension. Sans projet éducatif, pas de pistes de travail pour construire le projet pédagogique, qui n’est, et ne doit être que la mise en acte des intentions, des buts à atteindre du projet éducatif.

On comprend bien que des projets pédagogiques sans liens avec un projet éducatif ne peuvent être, y compris à partir des meilleures intentions possibles, qu’à la dimension d’une équipe dans le meilleur des cas, du seul directeur dans le pire des cas. La garantie éducative impose le projet éducatif, au risque sinon de soumettre les enfants et les jeunes aux diktats d’actes individuels sans cohérences.

Dans les projets éducatifs doivent apparaître des termes forts, indiquant formellement les buts à atteindre. Bien souvent ces termes restent trop vagues, les intentions trop floues. Il devient alors difficile pour les équipes d’encadrement des séjours de concrétiser ces intentions, ou plus exactement, il devient très facile d’en faire n’importe quoi. Et le projet pédagogique sera de fait inévaluable. Or un directeur, puisque ce sera souvent lui qui négociera en amont avec l’organisateur, doit pouvoir soumettre les grandes lignes de sa mise en œuvre du projet éducatif. Et un organisateur doit pouvoir percevoir dans les prémices du projet pédagogique la manière dont ces intentions éducatives vont être concrétisées. C’est à partir de cette rencontre, de cette négociation que le séjour va se monter. Il paraît impensable, encore une fois pour une question de garantie éducative qu’un directeur, puis une équipe puisse faire n’importe quoi à partir d’un projet éducatif trop flou (quand il existe formellement). Et si les équipes d’encadrement successives participent à l’évolution du projet éducatif, qui de ce fait reste quelque chose de vivant, en lien constant avec l’évolution des pratiques sociales, c’est au travers de l’analyse de leurs mises en actes successives, de tâtonnements, de recherche action. Mais certainement pas à coups de force dissimulés, de « cause toujours tu m’intéresses » cachés derrière des sourires condescendants, de « une fois sur place je ferai bien ce que je veux », quand on est pas dans le domaine des « c’est moi le pédago, je vais lui apprendre moi, à cet organisateur ce que c’est qu’un centre de vacances ou de loisirs » ! Fichtre ! Parions en toute sérénité que de tout temps les organisateurs ont su, à défaut de ce qu’était un centre de vacances, ce pour quoi ils le créait. Peut-être est-il temps de les toiletter, les projets éducatifs. De dire qu’ils sont travaillés et mis en place pour une durée déterminée. Qu’ils précisent formellement à quel public ils s’adressent, dans quel cadre social. Qu’ils précisent l’intention de transformation ou d’évolution de la société. Il est banal aujourd’hui de stigmatiser tel projet éducatif réclamant haut et fort l’accès à l’autonomie, voire l’autonomie tout court, ou encore le respect de l’environnement, et le projet pédagogique en découlant privilégiant un voyage à l’étranger en transport en commun, toutes journées minutées, essaimant ses émanations de gazole à tout vent. Les enfants et les jeunes, tout autant que les équipes d’encadrement ont besoin de cohérence pour progresser.

Les projets pédagogiques, construits à partir des projets éducatifs doivent être cohérents. Jusqu’à l’aboutissement des actes. Pour illustrer le propos : quelle cohérence peut-il y avoir entre les intentions d’autonomie (encore !), de liberté, de citoyenneté d’un projet éducatif, et l’interdiction formelle dans les séjours de se servir d’un couteau (pour les plus jeunes), de monter aux arbres (anecdotiques), ou de participer à des réunions voire d’organiser soi-même ses journées ? On le voit, il doit être impossible à un directeur ou à une équipe de transformer les intentions du projet éducatif.

Les directeurs, et les équipes qu’ils vont mettre en place, sont au service du projet éducatif. Les projets pédagogiques sont les illustrations successives d’un projet éducatif. C’est quand les projets pédagogiques sont au plus près des intentions éducatives des organisateurs qu’ils permettent à ceux-ci de faire évoluer leur projet. C’est en cela que le projet éducatif est un élément formateur des directeurs, et des équipes d’encadrement. Mais il n’est plus temps, dans un projet pédagogique de se gargariser de grands mots, de belles intentions. Il est temps d’agir et de dire comment on va faire. Mais c’est une autre histoire à suivre ?

Alain Gheno

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°36



Le projet pédagogique

On évoque souvent le projet pédagogique dans le milieu des CVL. Mais de quoi parle-t-on ? À quoi et à qui sert-t-il ? Qu’apportera-t-il à vos fonctions de jeune animatrice ou animateur ? Nous allons tenter de répondre à ces questions et de clarifier ce concept. Nous verrons en effet en quoi il vous sera utile de mieux le comprendre pour y trouver votre place.

Les objectifs éducatifs de l’organisateur

Vous avez entendu le directeur du séjour le citer et vous demander, éventuellement, de l’appliquer. Le projet pédagogique est un contrat moral entre les différents acteurs des CVL : en premier lieu entre l’organisateur et le directeur. La plupart des CVL sont des organisations temporaires ouvertes pendant les vacances sur des durées plus ou moins longues et sont souvent encadrées par des personnes dont ce n’est pas le métier permanent. Ils sont organisés par des municipalités, des associations, des comités d’entreprise, des structures de quartier qui ont un avis sur l’éducation des enfants et des jeunes. Ils ont aussi des situations à assumer et à gérer : aider les parents qui travaillent en organisant la garde de leurs enfants, le mercredi, pendant les vacances, le matin ou le soir ; proposer des activités de loisirs hors de l’école, dans les cités…

Pour répondre à ces questions, ces organisateurs définissent des objectifs et une politique d’éducation repérables au travers d’un projet éducatif, un projet politique pour l’enfance et la jeunesse. Ils y réaffirment des idées comme le droit pour les enfants aux vacances et aux loisirs, quelles que soient leurs classes sociales, leurs conditions de vie. Le projet éducatif est un texte présentant leurs intentions en matière d’éducation, de citoyenneté, de santé, d’accès aux activités culturelles et sportives, de solidarité entre les personnes de la commune, l’association ou l’organisation. Il aborde les aspects quantitatifs, c’est-à-dire le volume des actions prévues, le nombre de lieux d’accueil dans la ville ou le quartier, les manifestations à caractère social et les moyens financiers, techniques, humains nécessaires à leur réalisation. Il traite aussi des aspects qualitatifs des actions, c’est-à-dire du niveau que les organisateurs veulent atteindre en matière de conditions matérielles d’accueil et de déroulement des activités avec les enfants…

Le centre de vacances ou le centre de loisirs que vous allez encadrer, celui auquel vous avez participé l’été dernier sont un des résultats et des mises en œuvre de ces politiques. Ils s’éloignent de l’image des centres coupés de toute organisation sociale ! En effet, il ne s’agit pas uniquement d’occuper les enfants pendant quelques jours ou quelques semaines. Partie intégrante de la vie sociale et du quotidien des familles, les CVL ont un rôle social et éducatif à jouer et contribuent à l’éducation des enfants et des jeunes.

Du projet éducatif au projet pédagogique

Écrit et publié dans le bulletin d’informations de la municipalité, de l’association ou du CE, le projet éducatif accompagne le catalogue de présentation des séjours et fixe le cadre et les grandes orientations éducatives dans lesquelles devront se dérouler séjours et activités au quotidien.

Pour exister, les CVL doivent être organisés et encadrés. Responsable du séjour, le directeur aura peut-être le choix de diriger un centre de loisirs ou un centre de vacances d’enfants ou d’adolescents. Si ce n’est pas le cas, il devra néanmoins avoir un contact avec l’organisateur pour prendre connaissance de ses conceptions éducatives en lisant le projet éducatif. À défaut, il interrogera l’organisateur quant à ses intentions et les valeurs qu’il défend en matière d’éducation pour les enfants et les jeunes. Le directeur devra lui aussi présenter ses conceptions personnelles. C’est le projet de direction.

De cette rencontre souhaitable (qui n’a malheureusement pas toujours lieu) naîtra un premier accord entre les deux partenaires : le premier aspect du contrat moral. Le directeur devra sans doute y parler de sa volonté de permettre aux enfants d’accéder à l’autonomie, du respect des différences, de la lutte contre les inégalités ou encore du respect du rythme de vie en vacances… Il y traitera de ses choix d’organisation de l’équipe d’animation et des enfants accueillis pendant le séjour.

Ensuite, travaillé au sein de l’équipe de direction, ce projet de direction déterminera les grandes lignes du déroulement du séjour et posera le cadre d’intervention des animateurs : choix de répartition des enfants en grands groupes ou pas, par tranches d’âge ou non. Choix des activités importantes et de leur organisation. Prise de contact avec les prestataires d’activité. Rencontre des différentes personnes de l’équipe d’adultes du centre et répartition des animateurs sur les groupes d’enfants. Réflexion quant aux méthodes pédagogiques…

Le rôle de l’animateur dans le projet pédagogique

Le directeur ne pourra pas mettre seul en œuvre toutes cesbonnes intentions et ces choix et les traduire concrètement pendant le séjour. C’est là qu’interviennent les animateurs fraîchement sortis du stage de formation ou forts d’une première expérience.

Si vous n’êtes pas associé à la préparation du séjour, l’existence d’un projet pédagogique restera pour vous un aspect théorique, éventuellement un contrat obligé mais ni lu, ni compris, ni approprié. Cantonné à un rôle de “ simple exécutant ”, votre aventure éducative risque d’être limitée et pénible. Sans liens ni informations sur ce que font les autres, vous n’aurez pas l’impression d’être dans une équipe d’adultes travaillant sur le même projet et le projet pédagogique aura alors perdu tout son sens.

Dans le cas contraire, vous serez associé d’une façon ou d’une autre à la préparation du séjour. Le directeur, après négociation avec l’organisateur, a composé son équipe de direction (directeur adjoint, assistant sanitaire et économe). C’est avec elle et les animateurs professionnels qui travaillent toute l’année au centre qu’il traduit les intentions éducatives et pédagogiques portées dans son projet de direction : c’est le projet pédagogique.

Tous les aspects du séjour y sont abordés et passés au crible des intentions. Le déroulement des journées sera étudié au travers de chaque moment et des questions devront se poser inévitablement : comment organiser le lever des enfants dans le centre de vacances ? Faudra-t-il, afin de respecter leurs différents rythmes, s’organiser dans l’équipe d’animation pour accompagner ceux qui se réveillent tôt et éviter qu’ils ne réveillent les autres enfants ? Comment organiser les groupes : par tranches d’âge, par grandes “ familles ” ? Ces choix ne sont pas neutres. Certains seront plutôt pratiques et “ simples ” à gérer, mais porteront inconsciemment les adultes à traiter les enfants comme des “ objets ” qu’il faut animer et occuper. D’autres, au contraire, les placent au centre des préoccupations du séjour, considérant qu’en tant que personnes à part entière ils doivent être acteurs de leurs vacances.

Les solutions matérielles choisies devront être confrontées aux intentions pédagogiques de départ. Ainsi, pour faire des repas un moment agréable et éducatif, de petites tables permettront de parler sans crier. Un adulte par table favorisera le bon déroulement du repas et incitera les enfants à goûter à tous les plats… Se donner la peine d’organiser des réunions d’enfants pour la mise en œuvre des activités donnera la satisfaction de les voir s’organiser et de donner leur avis. Il en sera de même pour préparer les temps de la toilette en gérant les contraintes matérielles, ou pour préparer les soirées en fonction de l’âge des enfants et de leurs projets.

Un projet collectif qui fixe les moyens des séjours

De votre place d’animateur, vous serez associé à la mise en place de ce projet pédagogique qui fixera le choix de l’ensemble des moyens de fonctionnement du séjour. Il faudra en prendre connaissance, vous l’approprier et – comme nous le défendons – poser des questions, débattre à son sujet.

Il faudra exprimer vos idées, les envies qui vous ont décidé à suivre une formation pour devenir, un temps, animateur de CVL. Et petit à petit, sans savoir tout ce que représente un CVL dans sa globalité, vous percevrez la place qui sera la vôtre. Vous pourrez faire des propositions sur l’organisation pratique du séjour, sur les activités que vous maîtrisez et que vous aimeriez proposer aux enfants. Garante du cadre de travail et du projet, donc des orientations prises, l’équipe de direction sera là pour vous aider.

“ Mais alors, ce projet, que m’apportera-t-il de plus ? ” vous demandez-vous. Une chose essentielle à notre avis : un cadre clair pour votre action et le changement de statut des animateurs qui abandonnent le rôle d’exécutants pour s’associer à la conduite d’une aventure pédagogique unique. Au lieu de vous inscrire dans un fonctionnement totalement imposé, sans maîtrise des choix pédagogiques, vous serez acteur du projet. Tous les instants sont porteurs de sens et souvent de choix pédagogiques. Votre action, seul ou avec d’autres animateurs, avec votre petit groupe d’enfants, contribuera au projet global. Porté collectivement, le projet pédagogique vous deviendra une aide, un outil de formation, une référence permanente. Cité dans les réunions auxquelles vous participerez, il cadrera vos responsabilités et leurs limites dans le travail quotidien, le dialogue au sein de l’équipe.

Droits et devoirs des animateurs

S’occuper d’enfants est un engagement très important et empreint de responsabilités qui témoigne de la confiance que l’on vous accorde. Il vous donne le droit de donner votre avis sur les choix de l’équipe d’animation, de participer vraiment à la construction du séjour, de prendre des initiatives sur les aspects concrets de la vie du centre (propositions d’activités, de sorties…) et l’évolution de l’organisation des moments de la vie quotidienne (toilette, repas, rangements…).

Cet engagement vous donne aussi le devoir d’argumenter vos choix et vos propositions. Vous devrez établir la cohérence entre le projet pédagogique, vos décisions et les activités que vous mettrez en œuvre. Vous aurez des comptes à rendre au directeur, aux autres animateurs, aux enfants et… à vous-même, face au contrat moral qui sera une aide pour vous durant le séjour.

Ce texte polycopié découvert lors de la préparation, sera la référence permanente qui vous permettra, au quotidien, au sein de l’équipe, de vérifier si ce que vous mettez collectivement en œuvre est bien la traduction des intentions de départ. Pour cela, l’équipe d’animateurs se rencontrera et, avec l’aide de l’équipe de direction, fera régulièrement le point sur le séjour.

Pour s’assurer que le matériel nécessaire aux activités est prévu, discuter d’un enfant posant problème, bien sûr. Mais aussi pour se questionner sur votre façon de mettre en place les activités, sur votre attitude, sur la place laissée aux enfants dans les choix et les décisions les concernant.

Vous aurez compris que le projet pédagogique, dont on dit qu’il ne sert à rien, ne se résume pas à un contrat technique définissant votre travail mais qu’il redonne du sens à votre engagement d’animateur de centre de vacances et de loisirs. Il vous replace au sein d’une équipe éducative, vous reconnaît des droits, des devoirs et vous responsabilise. Il prouve que s’occuper d’enfants et de jeunes en CVL aujourd’hui n’est pas une action technique mais éducative. Le projet pédagogique replace chaque acteur des CVL face à ses responsabilités lorsqu’il s’engage dans ce qui doit rester une aventure pédagogique forte.

Vincent Chavaroche

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°18