Le temps de s’ennuyer

1398684548340[1]Ne pas avoir d’activité programmée n’est pas synonyme de ne rien faire. L’enfant a parfois besoin de ces moments de tranquillité, de retour sur lui et d’appropriation des espaces. C’est un véritable choix et une véritable activité.

Le périscolaire peut lui aussi être pensé comme un temps libre dont les espaces peuvent être investis par les enfants avec des coins dans lesquels ils vont pouvoir venir jouer, bricoler, se déguiser, dessiner, construire, lire, écouter… ou ne rien faire.

« Sois présent, surtout lorsque tu n’es pas là » Fernand Deligny

Ce titre pourrait paraître provocateur. S’ennuyer est presque considéré comme un gros mot, dans le contexte actuel, où l’on cherche souvent à vouloir rendre optimum le temps. Que ce soit en famille, à l’école ou en séjour de vacances, la tendance est de planifier, prévoir, organiser et utiliser au mieux le temps pour proposer aux enfants le maximum de sollicitations.

La mise en place d’activités quantifiables et évaluables semble être un gage de sérieux et de qualité à faire valoir auprès des parents. Les exemples sont nombreux, que ce soit dans le cadre périscolaire ou dans le domaine des vacances. « Ici, ce n’est pas une garderie ! » clame en forme de slogan un organisateur en évoquant les activités qui sont proposées aux enfants à la sortie de la classe. L’intention est certes louable. On cherche à rendre les enfants plus intelligents, à développer leurs potentialités… On veut leur permettre de découvrir, d’apprendre, de s’épanouir…. Mais, cette abondance de moments contraints, dans lesquels les enfants sont en permanence encadrés et sollicités par les adultes, n’est pas toujours adaptée aux réalités éducatives et aux besoins de chacun.

DU TEMPS POUR SOI
Ne pas avoir une activité programmée, normée et organisée n’est pas synonyme de ne rien faire. L’enfant a parfois besoin de ces moments de tranquillité, de retour sur lui et d’appropriation des espaces. C’est un véritable choix et une véritable activité. Régulièrement, quelques élèves demandent à rester dans la classe pendant la récréation, ou se débrouillent pour y traîner tout seul ou à effectif très réduit au moment de la sortie. Parfois, ils ne font rien de particulier et sont simplement là.

À les voir ainsi, on pourrait se dire qu’ils s’ennuient en comparaison des autres qui jouent dans la cour. Parfois, ils dessinent, écrivent au tableau, utilisent les ordinateurs, discutent, regardent, déambulent, lisent des albums qu’ils ont pourtant en permanence à leur disposition, mais qu’ils semblent apprécier différemment… Les volontaires changent. Certains sont plus réguliers que d’autres, mais le petit groupe de 3 ou 4 enfants, pourtant sans cesse différent, semble toujours se délecter comme d’une gourmandise du fait de rester en classe. Quelles sont leurs motivations  ? Un besoin d’être tranquille et de se couper de l’agitation du grand groupe, d’être en petit comité avec des copains, l’envie de rester au chaud, de se retrouver en classe dans un autre contexte, ou simplement de prendre son temps …

DU TEMPS POUR ÊTRE AUTONOME
Laisser aux enfants des espaces et des temps qui leur permettent de pouvoir s’organiser entre eux, dans des activités qui ne sont pas dirigées par les adultes me semble aussi une donnée importante dans l’organisation du temps de l’enfant.
Ces espaces éducatifs de jeu et de relations où les enfants sont autonomes et dans lesquels il leur faut prendre en compte l’autre, négocier, s’organiser, gérer les conflits et les leaders, adapter l’activité en fonction du groupe sont d’une grande richesse dans la construction personnelle de chacun.
Or, pour certains enfants, ces temps ont tendance à se réduire. Il y a bien les récréations, mais ce sont des moments très normés institutionnellement avec une délimitation courte du temps. Ailleurs, en périscolaire, en famille, en séjour de vacances, ils ont bien souvent de moins en moins de moments pour être ensemble, jouer et s’organiser.
En classe, je rencontre régulièrement des enfants, qui éprouvent de grandes difficultés à travailler en groupe et pour lesquels la négociation avec l’autre se révèle extrêmement difficile. Comme ces quatre élèves de CE1, qui devaient ensemble trier des aliments et les classer. Ils présentèrent à la classe un document contradictoire dans lequel chacun avait gardé son idée de départ. Lorsque les autres enfants pointèrent les incohérences, la réponse fut chaque fois individuelle : « Ça, ce n’est pas moi qui l’ai fait. » Savoir observer les autres, chercher à les comprendre, s’organiser, négocier, partager des savoirs et des réflexions, mutualiser, construire ensemble ne s’apprend pas qu’en classe dans les travaux de groupe. C’est une construction lente et multiple dans laquelle ces moments informels et autonomes entre pairs pour jouer, discuter, s’ennuyer ou décider ensemble me semblent importants.
Mais, pour certains enfants, ces moments d’autonomie ont tendance à disparaître de leur environnement, avec des arguments de rentabilité et de sécurité. Une activité dirigée étant supposée plus éducative et mieux surveillée. La mise en place du temps périscolaire n’échappe pas à cette logique.

ORGANISER L’ESPACE
Pour ces activités proposées aux enfants après la classe, l‘organisation tourne souvent autour de deux préoccupations récurrentes : mais que font les animateurs ? et qui surveille ?
Cette question de la sécurité, omniprésente actuellement, a tendance à uniformiser la structure proposée et à formater ces activités périscolaires naissantes sur le modèle : l’animateur dirige et surveille son activité. Pourtant, l’animation, étymologiquement et pédagogiquement parlant, est bien plus vaste que cet espace où elle se trouve bien souvent contrainte. Fernand Deligny écrivait : « Sois présent, surtout lorsque tu n’es pas là. »
Le rôle de l’animateur est de créer ou de mettre en valeur des espaces matériels, de relations humaines et d’activité dans lesquels les individus vont pouvoir développer leurs potentialités, apprendre et se construire en fonction de leurs besoins et d’un environnement. Le périscolaire pourrait permettre d’avoir des activités autonomes. Mais cela est plus complexe à organiser et à faire vivre qu’une structure dans laquelle chaque animateur dirige et surveille son activité. Il ne s’agit pas de laisser des enfants dans une cour et d’exercer une surveillance de l’ensemble. Il s’agit d’organiser l’espace et de permettre aux enfants de se l’approprier. Mettre en place des coins dans lesquels ils vont pouvoir venir jouer, bricoler, se déguiser, dessiner, construire, lire, écouter… ou ne rien faire. Il s’agit aussi de donner la possibilité aux enfants de faire évoluer ces coins d’activités en fonction des réalités, de leur intérêt et de l’intérêt général.
« Est-ce qu’avec mon copain, on peut emporter des livres dans la cabane ? » La réponse de l’animateur va être fonction d’une réalité locale et impliquer une organisation, une gestion. Comment s’assure-t-on que les livres reviennent en état, sont remis à leur place ? C’est une situation beaucoup plus complexe à gérer que lire un conte à un groupe. Cela oblige aussi les animateurs à circuler entre les différents lieux. Ils savent où sont les enfants, viennent voir, s’adaptent à la situation.

DES ANIMATEURS QUI CIRCULENT DANS LES ESPACES
Parfois, ils sont sollicités pour un conseil, pour une participation temporaire, pour parler ; parfois le groupe est entièrement autonome et leur passage n’a pour but que de rappeler implicitement la présence d’un adulte sur lequel ils peuvent compter. Si un enfant est isolé, il faut arriver à percevoir s’il y a un problème ou s’il éprouve simplement le besoin d’être tranquille un moment.
Ces activités autonomes représentent de vrais temps d’animation. Elles ne s’opposent en rien à la richesse et l’intérêt d’activités plus guidées et structurées, mais en sont complémentaires.
Dans le contexte actuel de mise en place de projets pour l’aménagement des rythmes scolaires et du temps de l’enfant, il me semble important d’avoir à l’esprit cette multiplicité des besoins, même celui de ne rien faire. L’activité ne se limite pas à une forme dirigée. Elle peut être multiple et doit permettre aux enfants de prendre le temps d’apprendre à être autonomes.

Olivier Ivanoff

Texte paru dans le Cahier de l’Animation n°86




L’aventure en CVL ?

L’aventure commence à l’aurore, à l’aurore de chaque matin… Ce sont les premières paroles d’une des toutes premières chansons de Jacques Brel… Quand c’est la quotidienneté qui devient aventure, quand c’est ce que nous oublions de voir chaque jour.

Je suis toujours convaincu que le centre de vacances ou de loisirs reste, encore maintenant, le seul lieu organisé dans lequel des enfants et des jeunes peuvent vivre des projets, leurs projets. Ceci à condition que les adultes qui les accompagnent leur laissent l’espace de liberté nécessaire et suffisant pour que cela soit possible ou encore, pour être plus clair, que les animateurs n’obligent pas les enfants à rentrer obligatoirement dans des projets qu’ils auraient préconçus avant le séjour. Malheureusement, on s’aperçoit que les directeurs ont des demandes très précises quant au « remplissage » de tous les moments du centre de vacances ou de loisirs. Combien de réunions de préparation de centres sont exclusivement consacrées à la conception de plannings d’activités dans lesquels les enfants devront entrer coûte que coûte ? Je crains qu’elles ne soient très nombreuses ! Or, si on veut que les enfants puissent avoir leur place dans la construction de leurs vacances et de leur loisirs, tout ne peut être pré-inventé, préconçu, préparé par les animateurs sinon on accepte que, certes, les animateurs aient des projets pendant les séjours mais que les enfants, eux, ne peuvent pas en avoir. C’est quoi, alors, des projets d’enfants ? Il peut y en avoir de plusieurs sortes. Ils ne sont pas vraiment hiérarchisables, ils sont seulement repérables si l’on se donne un peu de disponibilité pour le faire. Il peut y en avoir des petits et des grands ou mieux des plus courts et des plus longs. L’intérêt de permettre aux enfants d’avoir leurs propres projets crée les conditions de l’aventure. Les adultes étant là pour accompagner, aider, rechercher avec les enfants ce que ceux-ci auront prévu, imaginé, initié, conçu… Bien entendu, tout ne sera pas possible et qu’importe d’ailleurs, le fond étant bien, pour les animateurs, de se doter d’une attitude qui permette l’aventure. Les aventures sont nombreuses en centres de vacances et de loisirs et elles ne revêtent pas forcément un habit innovant – « l’innovation » étant devenu une espèce de leitmotiv alors que certaines « innovations » sont parfois bien pauvres. L’aventure collective est incontestablement devenue une aventure incroyable aujourd’hui. Permettre à des enfants d’être en relation avec d’autres (et pas seulement à côté des autres), de construire, d’inventer avec d’autres est sans doute un levier puissant pour combattre l’individualiste croissant qui s’impose à nous. Evidemment, cette aventure n’est pas vraiment télévisuelle : pas de milieu hostile, pas d’animaux sauvages, de forêts impénétrables, de concurrence entre les personnes, pas de premier ou de dernier, non, juste des individus auxquels est donnée la possibilité de construire des relations, de mettre en place des choses qui leurs sont propres. Cette aventure-là est, finalement, à la portée de tous, petits et grands. Il est nécessaire, en réunion de préparation des séjours, de ce poser cette question centrale : comment allons-nous organiser la vie collective pour que les enfants y trouvent leur place, ou mieux y prennent leur place ? Je crois que la première chose dont il faudra nous convaincre, c’est qu’il n’y a pas nécessité, comme on l’entend souvent, de « limiter les contraintes de la vie collective » mais au contraire d’utiliser la vie collective comme une occasion extraordinaire de faire ce que l’on ne pourrait faire sans les autres. En ne voyant la vie collective que comme une succession de contraintes qu’il faudrait nécessairement limiter, on s’empêche de penser que les possibilités de construire à plusieurs sont infiniment plus nombreuses que celles de construire seul.

L’autre point, qui à mon sens, constitue une vraie aventure dans nos séjours, est la conquête de l’autonomie – conquête comme on dirait conquête de l’espace. C’est aussi une aventure extraordinaire qui n’est d’ailleurs pas dissociée de la précédente, elle y est nécessairement attachée (ou alors on considère que les enfants ne peuvent pas s’apprendre entre eux). La conquête de l’autonomie revêt bien des formes, traverse tous les âges : s’habiller seul, choisir ses vêtements, couper sa viande, se servir, faire une cabane, couper une planche pour son camion ou une branche pour son arc, organiser une randonnée, préparer son matériel, allumer un feu, prévoir, discuter, organiser, réorienter, aménager,… C’est une aventure que l’on fait, comme l’autre, sous le regard et avec les conseils des animateurs.

Laissons donc les enfants se construire leurs vacances et leurs loisirs en réorientant nos projets pédagogiques qui ne sont bien souvent que des succession de phrases théoriques vides de sens et qui ne disent pas comment les adultes vont associer les enfants à leurs vacances, ne demandons pas aux animateurs de produire uniquement des plannings bien ficelés où les activités proposées ne sont conçues que sur le mode individualiste (chacun fait son truc), ne nous enfermons pas dans le tout sécuritaire où la législation (et surtout ce que l’on imagine de la législation) prend le pas sur la vie, lâchons un peu les brides et pensons à donner un peu de pouvoir aux enfants. Je ne doute pas que les centres de vacances et de loisirs soient une aventure pour les animateurs et les directeurs, un des enjeux est qu’ils soient aussi une aventure pour les enfants.

Jocelyn Vérité

Article extrait de CA n°57 – 70 ans, déjà ?



Petites histoires d’enfants

Un centre de vacances maternel. Des enfants et une animatrice qui laissent vivre leurs vacances, qui les construisent. Alors naissent les histoires. Alors se vivent des histoires… De l’imaginaire à l’œuvre, à l’observation spontanée de ce qui nous entoure. Quel plaisir !

Après la sieste, les enfants descendent petit à petit dans la cour. Très vite, Maïssa, Sam Jeffrey, Aslam et Sara se retrouvent tous les quatre perchés sur le puits à jouer, à se pousser, à grimper sur la structure en métal qui le surplombe, sans qu’un jeu s’instaure véritablement. J’attrape une petite balle et je me transforme alors en un gros loup affamé et les enfants en petites brebis très malignes ! On arrête de se chamailler pour avoir le puits à soi tout seul et on se serre même les coudes : « Attention Sara ! Le loup arrive par derrière ! Vite, vite, vite, il va t’attraper ! Ouf, t’es sauvée ! Tu nous auras pas le loup, tralalalalèreuh ! ». Ils se mettent même dans la peau de brebis plus impertinentes les unes que les autres et me narguent du haut de leur bergerie… Grrr ! Je suis de plus en plus affamée et je rôde autour de leur abri en les menaçant, en tentant d’imiter leur bêlement et voilà mon repas du soir mort de rire face à mes singeries de loup… J’impose quelques règles à suivre : Comme j’ai de grandes pattes, je n’ai le droit de courir que pour me placer à des endroits stratégiques ; pour attraper mon festin, je ne peux que tenter de les toucher s’ils sont proches de moi ou de les toucher à la volée avec ma balle. Certaines brebis sont plus hésitantes que d’autres pour mettre le museau dehors… J’oblige donc tout ce petit monde à se mettre en danger en criant d’assez loin pour n’effrayer personne : « Brebis, sortez de la bergerie ! » La bergerie est alors ouverte et je peux pendant un petit laps de temps m’introduire dans leur demeure. Quand j’attrape une brebis, je l’emporte dans mon garde-manger où, elle doit rester prisonnière jusqu’à ce qu’un(e) copain(ine) vienne la toucher pour la délivrer. Les enfants arrivent les uns après les autres et me voici très vite submergée par cette ribambelle de brebis aussi téméraires que solidaires les unes des autres ! Il me faut donc un compère pour ne pas perdre mon repas pendant que je tente d’attraper les rescapés… D’abord Christine qui préfère avoir la balle que courir après ses copains, puis Aurélien qui pense que, « comme j’ai pas le droit de courir, vaut mieux que je garde la balle et que je reste proche du garde-manger et que lui courre après les brebis pour les attraper » La stratégie s’avère efficace ! Au bout d’un certain temps, je laisse ma place de loup à un des enfants mais bizarrement, le jeu semble moins attractif, comme si j’avais véritablement LA place du grand méchant loup qu’on prend plaisir à faire tourner en bourrique… peut-être que leur vraie joie était là ! Quoiqu’il en soit les brebis se remettent à me narguer, une fois ma place reprise dans le jeu, bêlent, chantent et rient à tue-tête et ce jeu de chat prend les dimensions d’un univers pris d’assaut par des petites brebis ravies de voir le gros loup bien dépourvu devant son garde-manger vidé en moins de temps qu’il n’a pu le remplir !

Les insectes sont nos amis, il faut les aimer aussi ! Durant la journée de préparation, nous nous étions mis d’accord, Céline, Romain, William et moi pour travailler principalement sur des activités liées à la nature (arbres musicaux, cabanes dans les bois, herbiers…) afin de permettre aux enfants de prendre pleinement possession des lieux et voire même de dépasser certaines appréhensions comme les piqûres de petites bêtes en tout genre. J’ai donc voulu construire un terrarium pour pouvoir observer les différents insectes que nous rencontrions lors des ballades et des activités sur les terrasses. Les premières réactions sont un peu hésitantes ; tout d’abord en petits groupes, chacun son seau à la main, on part découvrir où se cachent les insectes ; les fourmis sont nombreuses sur les troncs d’arbres, on trouve aussi des grosses larves dans la terre en creusant profond et des araignées sous de vieilles planches… Pour ce qui de la récolte, on n’est pas très au point… Dalia ne veut pas prendre la fourmi sur son doigt parce que ça pique ; Johan a une super collection de larves, un gendarme et des fourmis plein son seau. Mais en courant me montrer son trésor, il trébuche et tout son butin se « fait la malle » dans l’herbe haute ; Dorcas se met à pleurer dès qu’une mouche s’approche d’elle et la majeure partie de nos découvertes sont plus mortes que vives ! Une fois revenus au hangar où nous attend un grand carton en guise de terrarium, nous faisons le compte de nos trouvailles : un escargot jaune, des fourmis en veux-tu en voilà, de grosses larves blanches presque transparentes, un gendarme rebaptisé « policier » par Johan, des araignées de toutes tailles… Nous essayons ensuite à l’aide d’un manuel de reconnaître les insectes ramassées là ; rien à dire, les enfants vont même jusqu’à reconnaître la famille des larves qui se transformeront en une espèce de scarabée ! Je suis un peu rassurée, j’ai redouté quelques instants que cette idée de terrarium ne tombe trop vite à l’eau… Une fois les insectes reconnus, nous nous affairons autour de leur future maison… De quoi çà a besoin tout ce petit monde pour manger, se balader comme dans la nature, dormir ? Aurélien et Omar vont spontanément chercher de la mousse et des cailloux ; Gaëlle les dispose au fond ; Johan ramène du sable pour que les larves puissent se cacher, Dalia continue à chercher de nouveaux spécimens dans la cour pendant que Lehna et Marianne dessinent leurs insectes préférés… Le terrarium prend forme et les craintes des enfants se dissipent et à toute allure ! Christine s’est fait un nouvel ami et tient absolument à aller faire un petit bisou à son escargot avant d’aller se coucher ; Dalia s’amuse de voir la fourmi qu’elle tient dans sa main la mordre sans que cela lui fasse mal et met des fleurs dans le carton pour égayer le quotidien de nos petits amis. Les journées se suivent et il nous arrive régulièrement d’aller remettre de l’eau et des pissenlits dans le carton et de réapprovisionner notre terrarium de nouveaux insectes trouvés au cours des balades.

Solène Marchand

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°43



L’activité

Ce qui suit n’est pas une réflexion sur les différentes activités considérés les unes à côté des autres, individuelles ou collectives mettant en évidence des techniques différentes. Nous ne parlerons donc pas des activités, mais de l’activité. Les exemples qui illustrent ce propos sont pris le plus souvent dans les activités manuelles ou plastique, car par expérience c’est ce que je connais le mieux. En général, lorsque l’on parle activité on pense à activité physique, motrice, à activité manuelle, la main n’étant qu’une partie du corps. En somme c’est ce qui se voit dans le corps en action. Pour certains observateurs être actif c’est s’agiter. C’est cela et pas seulement. Roger Cousinet disait : « Celui qui s’agite, n’agit pas ».

L’individu peut être actif et rester immobile. Prenons l’exemple de la lecture individuelle et silencieuse, cette activité statique par excellence :

  • Met en jeu l’intelligence, la sensibilité ;
  • entraîne la pensée, la mémoire ;
  • donne du champ à l’imaginaire. Alors, pourquoi oppose-t-on souvent l’activité intellectuelle à l’activité manuelle. En interrogeant l’histoire des civilisations nous constatons que :
  • Le travail des mains est réservé aux esclaves ;
  • le travail intellectuel est celui des maîtres, des penseurs, des savants, des sages. Cette opposition se retrouve lorsque l’on étudie l’art populaire. L’art populaire, dont les témoignages s’échelonnent du XVIème au XXème siècle est l’art du peuple. Depuis peu de temps il est reconnu, considéré, étudié et conservé. Au moment où Colbert, institue les manufactures royales, la société française vit une hiérarchie de l’art conforme à la hiérarchie sociale. Les arts libéraux, immatériels, sont réservés aux hommes libres, les arts « mécaniques » qui exigent la participation de la main sont abandonnés au petit peuple plus dépendant. En 1767, Jean-Jacques Rousseau en publiant L’Émile montre le premier, la valeur formatrice du travail des mains. Cette pensée naissante va raisonner dans toute l’histoire de l’éducation. Au début de ce siècle elle a pu prendre le nom d’éducation active. Des pédagogues comme Decroly ont utilisé l’activité comme moteur au service de l’acquisition des savoirs, des connaissances.

L’activité dépend des moyens que possède chaque être humain pour agir

Henri Wallon a montré l’importance pour l’être humain de l’évolution qui conduit celui-ci à la posture debout.

Ayant acquis la verticalité :

  • l’enfant va vers le monde à la recherche des objets,
  • l’enfant apprivoise et se sert des objets qu’il a autour de lui,
  • l’enfant y imprime ses traces,
  • enfin l’enfant crée ses propres objets. En se redressant, l’être humain se « dote » de nouveaux moyens :
  • il libère sa bouche occupée jusqu’à une époque à tenir sa proie, à mastiquer,
  • il récupère totalement l’exercice de la main, jusqu’alors utilisée pour la marche. Les centres nerveux du cerveau, ceux qui guident la main voisinent avec ceux du langage.
  • On a pu remarquer que les malades mentaux jusque là muets, parlent à nouveaux lorsqu’ils agissent. Dans la suite de son évolution l’homme crée un prolongement de la main en créant ses outils. Puis il invente des machines qu’il sait construire et utiliser. En retraçant une évolution simplifiée, on comprend mieux les transformations successives de l’homme :
  • homo erectus : station debout,
  • homo habilis : fabrique ses premiers outils,
  • homo sapiens : il réfléchit pour agir. Cette évolution est actuellement réorganisée du fait de découvertes archéologiques récentes. Dès ce moment il est humainement « outillé » pour entrer en activité.

L’activité, c’est quoi ?

Prenons la définition de Francine Best, philosophe de l’éducation. L’activité est la succession d’actions…

  • qui est fondée sur un besoin,
  • qui répond à un intérêt,
  • qui est déclenchée par un désir,
  • qui fait l’objet d’un projet ouvert,
  • qui se déroule par opérations fonctionnelles,
  • qui constitue une expérience personnelle,
  • qui donne lieu à une réflexion,
  • qui permet d’atteindre un ou plusieurs objectifs : expressions, découvertes, acquisitions, communication.

« … L’activité est une succession d’actions… »

  • Partir de rien pour arriver à quelque chose, une production d’objets, d’émotion de plaisir.
  • Cette succession d’actions se déroule le plus souvent dans un certain ordre.
  • Si l’activité a un début elle a aussi une fin.
  • Cette succession d’actions suppose le bilan en fin de parcours, utile pour entreprendre à nouveau en tenant compte des réussites et des échecs constatés.

« …Qui est fondé sur un besoin… »

  • Besoin de s’alimenter, d’exercer son corps, besoin de sommeil,
  • besoin de faire jouer son imaginaire, tel cet enfant qui peignait en noir son bateau pour faire « corsaire »,
  • besoin d’aller vers les autres,
  • besoin d’activité.

« … Qui répond à un intérêt… »

  • Hélène P. a toujours voulu faire du théâtre petite, se déguiser, au lycée écrire et jouer des pièces, entrer dans une école spécialisée, monter une compagnie, devenir comédienne.
  • Célestin Freinet dit : « On ne peut faire boire un cheval qui n’a pas soif »
  • La manifestation des intérêts conduit au choix de l’activité.
  • La liberté de choix des enfants est un principe d’éducation nouvelle.
  • Souvent il faut aider l’individu à démêler et à repérer ses intérêts.

« …Qui est déclenché par un désir… »

  • L’étonnement devant un milieu, une activité, une science.
  • La reproduction d’une activité que vous supposez donner du plaisir à ceux qui la pratiquent.
  • La transformation d’un lieu de vie plus beau, plus commode, plus personnel, plus convivial.
  • L’imitation d’un camarade, l’invitation à agir avec lui.
  • L’intégration a un groupe d’expression, à un groupe sportif.

Les trois points qui précèdent résument les situations d’entrée en activité. Si l’éducation répond à ces trois points l’idée d’une motivation extérieure, tombe.

Cette sorte de motivation, selon D. Winnicott est condamnable. Elle place l’individu dans un état de dépendance, qui peut avoir des effets sur toute une vie. On peut dire que motiver c’est imposer. Ceci n’a rien à voir avec celui qui pratique un métier, en langage populaire « l’homme de l’art ». Il montre par l’exercice de son métier un rayonnement qui peut entraîner à l’activité.

« …Qui fait l’objet d’un projet ouvert… »

L’activité a besoin d’un projet pour s’épanouir, projet si limité soit-il. Par expérience, le projet se déroule en phases que l’on peut caractériser :

  • Période de sensibilisation : besoins, intérêts, envie, découvertes ;
  • c’est le moment de l’étonnement.
  • ensuite, nommer le projet le plus complètement possible : je veux jouer à…, je veux faire un…
  • rencontrer un groupe de pairs, camarades ou copains pour annoncer le projet, ce qui permet d’ajuster, de compléter, d’écouter les remarques, de « socialiser » l’action.
  • Si une « inscription » existe, le bilan de fin de parcours sera plus aisé et mieux mesuré. Un projet ouvert est un projet qui peut se transformer en cours de réalisation, soit à cause de difficultés imprévues soit que l’intérêt se porte sur une partie seulement du projet prenant le pas sur l’ensemble. Ce peut être le cas de projets qui n’ont pas été suffisamment élaborés dans leur définition. Le projet fermé est un projet dont on ne peut changer aucun des paramètres, en cours de route. Il est souvent le résultat d’une motivation extérieure mal acceptée, cette situation illustre également le précepte discutable « tout ce qui est commencé doit être terminé ».

« … Qui se déroule par opérations fonctionnelles… »

  • L’activité est caractérisée par une succession d’actes qui vont d’un début à une fin, un accomplissement qui va de l’idée à sa réalisation.
  • Ces opérations fonctionnelles se terminent, le plus souvent, par une production dont les objectifs : expression de soi, découverte du monde, acquisitions de connaissances, communication, sont atteints. Mais le déroulement des opérations pose plusieurs questions. Il existe deux grandes tendances pour agir selon sa situation devant l’activité. Claude Levi-Strauss dans La Pensée sauvage détermine deux groupes de créateurs : les bricoleurs et les ingénieurs. Bricoler, avant d’être un terme légèrement péjoratif, se dit d’un cheval qui va de droite à gauche, sans raison apparente, du chien qui divague, de la balle qui rebondit ici ou là. Le bricoleur a une curiosité toujours en éveil : c’est un fouineur. Il possède un « trésor » de matériaux (souvent des rebuts) qu’il interroge et qu’il assemble par tâtonnement. Levi-Strauss dit que le bricoleur est proche d’une intuition sensible. L’ingénieur a une toute autre démarche de création que le bricoleur. Il n’interroge pas son « trésor » matériel, mais son trésor intellectuel, sa pensée. Il agit selon des lois, des principes, des concepts qui forment les points d’appui de sa création. Il peut aussi créer par tâtonnements successifs, mais picore d’hypothèse en hypothèse jusqu’à la réussite. S’il construit, il ne le fait pas petit à petit, pièce après pièce, mais globalement, tout étant déterminé à l’avance. Cette méthode ne peut rien laisser au hasard si fécond pour le bricoleur. Cette distinction permet de nous situer dans le vaste domaine de l’activité.

Le tâtonnement Tâtonner c’est communément marcher à tâtons. Dans l’activité, tâtonner c’est choisir un matériau, un outillage, une démarche qui serre au plus près le projet. Tâtonner peut donc conduire à infléchir le projet. C’est aussi hiérarchiser les différentes opérations, créer un ordre. Pendant cette phase le créateur peut découvrir et exploiter une voie nouvelle. Dans le domaine des activités plastiques il peut s’agir de remplacer une forme, une couleur, une matière par d’autres aux résultats plus satisfaisants. On retrouve cette même démarche dans les activités purement manuelles, ou scientifiques. Le tâtonnement s’arrête lorsque le projet est suffisamment clair.

L’apprentissage On doit accepter que tout n’est pas donné à la naissance. L’inné et l’acquis.

  • Toutes les activités demandent à un moment ou à un autre, des apprentissages allant d’un tour de main limité à une maîtrise plus complète.
  • L’activité ne peut pas être la répétition de ce que l’on sait déjà (ce qui peut être recherché pour confirmer des compétences nouvellement acquises).
  • Un climat de liberté est nécessaire aux apprentissages : les prisonniers oublient presque tout de ce qu’ils ont appris.
  • Il n’y a apprentissage que si l’apprenti :
  • sait ce qu’il désire apprendre
  • veut apprendre ce qui est nécessaire à la poursuite de l’activité. « Il faut être pris pour être appris » disent les compagnons charpentiers.
  • apprendre, ce qui se résume ainsi : savoir, vouloir, pouvoir

Le premier apprentissage est l’imitation

  • J’ai appris à tailler un sifflet en regardant l’oncle Alexis tailler un sifflet (y compris la mélodie : « Sève, sève mon flutiau »).
  • Jacqueline Nadel a remarqué que deux enfants, mis en présence de matériel en double ne commencent à communiquer que si les deux enfants choisissent le même objet. L’apprentissage sans but est inutile : l’apprentissage trop universel, inutile dans l’instant, n’est pas fixé.

Être créatif D. W. Winnicott parlant de créativité dit : « une création, c’est un tableau, une maison, un jardin, un vêtement, une coiffure, une symphonie, une sculpture et même un plat préparé à la maison ». La créativité c’est quoi ? D. W. Winnicott répond : « une coloration de toute mon attitude face à la réalité ».

  • On peut parler de pulsion créative.
  • La créativité donne le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue car c’est le contraire de la soumission.
  • « Un bébé ou un individu ne peut créer un objet que si cet objet existe déjà ». D. W. Winnicott
  • « C’est en jouant et peut être seulement quand il joue, que l’enfant ou l’adulte est libre de se montrer créatif ». D. W. Winnicott

Ne pas nier l’importance du résultat

  • Produit, émotion, plaisir.
  • L’activité et ses produits créent des problèmes qui aident ou rebutent l’individu en façonnant son esprit.
  • Une chose produite n’est pas extérieure à l’individu. Tony Lainé dit que cette chose vaut une signature.
  • L’objet n’est pas seulement une masse de matières, il porte en lui une signification culturelle. Un papier découpé chinois ne ressemble pas à un papier découpé polonais.
  • L’objet témoigne d’un milieu. L’art populaire est l’art du peuple. Une poterie de La Borne n’est pas une poterie de Ligron. Au cours des opérations fonctionnelles on peut poser la question de l’intervention de l’éducateur :
  • Quand et comment intervenir.
  • Rechercher une attitude positive en fonction du projet.
  • Lorsque un intérêt se manifeste :
  • écouter
  • aider à démêler le projet, à le débrouiller.
  • le fixer en le nommant le plus complètement possible.
  • autant que possible l’enregistrer devant un groupe témoin.
  • savoir discrètement suivre le projet.
  • partager raisonnablement l’intérêt, l’inquiétude
  • entretenir le besoin d’exactitude conforme au projet
  • ne pas laisser entreprendre l’impossible. Activité trop longue, trop complexe.
  • encourager.

« … Qui constitue une expérience personnelle… »

  • Que penser de la création collective ?
  • Tous les enfants sont-ils créatifs ou sont-ils de la manoeuvre au service d’un leader° ?
  • Au contraire l’expérience personnelle est la seule capable : de se mesurer, de savoir où l’on est, de se situer, de tracer des perspectives.

« … Qui donne lieu à une réflexion… »

  • Réflexions différentes selon les situations.
  • Constat pendant le parcours, d’où nécessité d’inscrire le projet.
  • Comment j’ai vécu l’activité.
  • Ce que j’ai gagné, pas seulement sur un plan technique.
  • « Qui » et « quoi » m’aident° ? « qui » et « quoi » me gênent ?
  • Que faire maintenant ?
  • Le bilan permet de me situer, par rapport aux autres. Alors que nous n’avons rien dit des questions purement techniques, voire technologiques, nous avons élaboré les rapports qui peuvent exister entre l’activité et l’Éducation Nouvelle.

« … Qui permet d’atteindre un ou plusieurs objectifs… » Expression de soi

  • L’activité personnelle conduit le plus souvent à l’expression personnelle et dans certaines conditions à celle du groupe.
  • L’expression est jubilatoire Fierté de la réussite ou des progrès vers la réussite. Affirmation de nouveaux pouvoirs. L’expression dépend également des moyens mis en oeuvre. Il ne s’agit d’ailleurs pas que de richesses matérielles.
  • Il n’existe pas de petites expressions futiles, mais dans tous les cas de résultats essentiels.
  • Ces objectifs peuvent se confondre avec la désignation plus générale des « Arts et techniques », au service de l’individu.

Découverte du monde

  • L’activité favorise la découverte du monde.
  • C’est sans doute ce que l’on appelle la découverte du milieu qui constitue l’activité la plus favorable : mener l’enquête, l’interrogatoire, établir des statistiques permettant les comparaisons, etc.
  • La curiosité saine et active est le moteur de la découverte. Savez-vous comment on épluche une pomme au Vietnam ou comment le boucher lorrain affûte ses couteaux ?
  • La découverte peut commencer par des comparaisons techniques, donc palpables. Tel ce potier de Puisaye mis en présence d’un potier japonais discutant de four sans langue commune.

Acquisitions de connaissances

  • Les principes d’éducation nouvelle nous convient à agir pour apprendre.
  • Par expérience, il est notoire que l’activité favorise les connaissances (par le fait même d’agir), et de mieux fixer et retenir celles-ci.
  • L’apprentissage et la poursuite par soi-même d’une activité favorisent mieux l’acquisition que de se fier au témoignage des autres.
  • Plus l’activité est proche d’un « métier », plus elle a les moyens de se fortifier. Les activités de type occupationnels sont donc à proscrire comme celles que l’on ne retrouvera jamais dans sa vie future.
  • L’activité nous met directement en contact avec des techniques qui demandent de délier son corps, ses mains, ses gestes pour s’engager toujours davantage et d’une manière toujours plus juste.

Communication

  • L’activité pour se nourrir et se diversifier a besoin de communication.
  • Le langage articulé n’est pas le seul moyen de communiquer. Il en existe bien d’autres peut être plus discrets ou plus secrets. Pendant l’activité un geste répond à un autre geste (on aurait besoin d’une troisième main), un geste d’appel. Un sourire engage un autre sourire. Une connivence s’installe dans les rapports entre « compagnons » attachés à une tâche commune.
  • Il faut savoir tenir compte du langage des autres. Chaque métier à son vocabulaire. Dans le bruit de la gare de triage des wagons, les signes utilisés par le trieur : se touchant la tête signifie la tête de la rame, la main sur le ventre, les wagons du milieu, plus bas° : la queue de la rame. Le bruit que font les ciseaux des petits mains d’un atelier de couture, prévenant un danger. Sur l’enclume, les quelques coups de marteaux d’un forgeron indiquent le rythme et l’humeur. On peut trouver le même type de communication chez les sportifs, les comédiens, les musiciens.

Tirons deux grandes conclusions : Une confiance inaltérable dans les possibilités de l’individu. « Tout être humain peut se développer et même se transformer au cours de sa vie. Il en a le désir et les possibilités. » Une place primordiale de l’activité dans l’acquisition des savoirs, des connaissances, du savoir-être.« L’éducation doit se fonder sur l’activité, essentielle dans la formation personnelle et l’acquisition de la culture. » Ces conclusions reprennent « les principes qui guident notre action » élaborés en 1957 au congrès des Ceméa de Caen et qui n’ont jamais été remis en question.

Robert Lelarge

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°33