Objets inanimés…

1398355864982[1]Je me souviens encore du brouhaha provoqué par l’introduction du terme d’animateur dans les colonies de vacances, devenant par là même des centres de vacances et de loisirs. Le Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animation (Bafa) remplaçait le diplôme de moniteur de colonies de vacances. Nous étions en 1973. Trois ans auparavant avait été créé le Brevet d’Aptitude à l’Animation Socio-Educative (Base), qui ne fit pas tant de vagues, me semble-t-il.

Passer de la fonction de moniteur à celle d’animateur posait d’un coup la question de la fonction. Le débat fut vif, avec, sous-jacent, un refus de « donner une âme, de donner de la vie » et autres définitions toutes académiques. Les mots forts que j’entendais autour de moi disaient véhémentement le refus de considérer les sujets qu’étaient les enfants, les jeunes mais aussi les encadrants comme des objets auxquels il faudrait insuffler on ne savait quelle vie, ou quelle âme !

Le débat ne me sembla pas soulever tant de vacarme dans le milieu professionnel, lequel, bien que peu défini, existait déjà. Les « permanents » (on ne sait trop de quoi d’ailleurs) trouvaient un terme auquel se raccrocher. Le concept viendrait plus tard, nourri notamment par la mise en oeuvre du Defa (Diplôme d’État aux Fonctions d’Animation). Il faut bien évidemment rapprocher tout cela du bouillonnement de l’époque, à la fois culturel et politique – nous sommes tout proche encore de 1968. Mais on peut également le rapprocher d’un débat qui me semble conserver toute son acuité, même occulté comme il l’est aujourd’hui ; c’est celui de la mise en oeuvre du projet politique de l’Éducation populaire.

Et d’un coup nous revoilà à peu près quarante années plus tard au cœur du même débat, posé certes d’une toute autre manière. L’Animation, puisque le terme est devenu générique (même s’il recouvre tout et parfois n’importe quoi, avec autant de précision que celui de « projet ») est directement, génériquement issue de l’Éducation populaire et des valeurs qui l’ont fondée. Dans un raccourci certes discutable, on peut dire que l’on est parti d’une ambition puissante de mettre en oeuvre des pratiques dans lesquelles des sujets parlent, se parlent entre eux, s’organisent, apprennent le vivre ensemble, la liberté et la pratique collective de celle-ci. En plus clair, un projet d’émancipation, de respect d’autrui. Peut-on dire que la boucle semble se boucler, dans une sorte de « fonctionnalisation », par la vision, et je n’ose penser à un projet politique, de sujets qui animent des objets ?

Peut-on dire, dans ce débat, en le poussant à l’extrême, que la marchandisation pourrait pousser ces mêmes « sujets » à consommer des objets ? ou que ces sujets « pensants » donneraient de l’énergie à ces objets captifs pour leur apprendre à « mieux » consommer, voire se consommer eux-mêmes ? Pris dans cette spirale, le débat se perd. On peut pourtant le résumer à quelque chose de bien plus simple, quoique… Soit l’animation est le moyen d’acter, d’agir, les valeurs profondes de l’Éducation populaire, soit elle est ou sera autre chose. Le débat est donc réellement politique. Au sens profond du terme politique. Justement très éloigné des concepts gargarismes que sont l’instrumentalisation, la fonctionnalisation, la rentabilité et autre gestion. Soit elle est effectivement l’affinement jusqu’à l’absurde de ce triste constat de « sujets qui animent des objets ». C’est alors tout autre chose.

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »
Lamartine

Alain Gheno

Texte paru dans VEN n°554




Formation professionnelle des animateurs

1398355864982[1]Les débats actuels et la mise en place très progressive de la réforme des rythmes scolaires ont mis sur la place publique les lourdes carences en formation professionnelle des animateurs. Si la situation est bien connue des principaux acteurs du champ de l’animation, en revanche le grand public a été justement choqué du décalage entre les attendus de la réforme et la triste réalité des qualifications professionnelles de ceux qui auront pour l’essentiel en charge les activités périscolaires. L’animation en tant que forme d’intervention sociale peut jouer un rôle d’éducation, de culture et d’invitation à la transformation sociale mais la bonne volonté et l’enthousiasme ne suffisent pas. Les pratiques d’animation requièrent une vision politique, des valeurs et des savoir faire. Comme tout métier, l’animation s’apprend. Pour que l’animation professionnelle soit réellement à la hauteur de ses intentions, elle a besoin d’une rénovation de son système de formation professionnelle. C’est une responsabilité qui incombe à l’ensemble des acteurs du champ de l’animation.

Entre septembre 2012 et mars 2013, le Cafemas 1 a initié une étude sur les trajectoires professionnelles des métiers de l’animation. Il s’agissait d’observer comment se déroulent les carrières. Avec quels bagages ces professionnels commencent-ils leurs activités ? Quelles sont les principales portes d’entrée ? Existe-t-il des logiques pour les évolutions de carrière ?

Une situation effectivement sinistrée
Cent quatre-vingt professionnels, animateurs, intervenants spécialisés, coordonnateurs, directeurs, tous en poste dans la diversité des structures qui mobilisent des pratiques d’animation, soumis à une enquête, ont retracé leur carrière lors d’un entretien approfondi. La qualification professionnelle était l’un des points étudiés.
Cet échantillon représentatif du champ a livré des informations précieuses sur les questions de la qualification professionnelle des acteurs. Une étude ne saurait dire toute la réalité, néanmoins, gageons que les gens du terrain quels que soit leur poste ne seront pas surpris par les informations recueillies.
– 88 % ont commencé leur activité professionnelle sans diplôme professionnel relatif à l’animation. – L’accès à une qualification professionnelle est lent, il ne concerne que ceux qui restent plusieurs années dans le métier. – Il faut en moyenne aux animateurs cinq ans dans le secteur associatif et sept ans dans la fonction publique pour accéder à un diplôme professionnel. Mais nombre d’entre eux ne font qu’un passage de quelques années dans l’animation. – Seul le secteur social présente une réelle différence avec davantage d’animateurs diplômés et un accès plus rapide à la formation. Il faut rappeler l’obligation de qualification professionnelle figurant au sein des principales conventions collectives de ce secteur. Les parcours de vie soulignent aussi l’importance des ACM 2comme porte d’entrée dans le métier d’animateur. – 75% des professionnels ont été animateurs occasionnels dans les ACM. – 79% ont entamé une formation préparant au Bafa ou au Bafd.

Cette étude confirme les carences de formation du secteur. L’état des lieux fluctue selon les domaines d’intervention et ce sont les animateurs socio-éducatifs qui connaissent les taux les plus bas de diplômés. Ainsi les professionnels qui encadrent les millions d’enfants accueillis lors des ACM et activités périscolaires sont-ils le plus souvent dépourvus de toute qualification professionnelle. Dans le meilleur des cas, le Bafa et le Bafd font office de formation professionnelle 4.
Pourtant l’animation connaît une expansion durable, les pratiques d’animation s’implantent dans des milieux les plus divers. Mais cette expansion s’effectue le plus souvent dans une spirale négative où l’absence de qualification autorise des conditions de travail et de rémunération médiocres. Celles-ci drainent vers ces activités des professionnels sans qualification. La boucle est alors bouclée et la professionnalisation de l’animation s’effectue dans la précarité des animateurs au grand détriment des publics, de la quantité des interventions et de la reconnaissance de ce métier.
Dans ce contexte sinistré, est-il toujours possible de revendiquer pour l’animation une mission d’émancipation et un rôle dans la lutte contre les inégalités sociales et culturelles ? Les espoirs et les visées d’émancipation que l’Éducation populaire revendiquait pour les activités d’animation risquent bien de se diluer dans des animations appauvries par manque de qualification.

Identifier les points de blocage
Ces constats appellent à un sursaut de l’ensemble des acteurs et à une mutation des possibilités d’accès à la qualification professionnelle avec une priorité pour les animateurs du secteur socio-éducatif. Sans prétendre à l’exhaustivité, signalons les principaux obstacles qui entravent l’accès aux qualifications.

Pas d’obligation conventionnelle de certifications
Les principales conventions collectives du champ ne mentionnent pas l’obligation de qualification professionnelle pour accéder à des fonctions d’animation, celles-ci ne sont citées qu’a titre indicatif ou d’exemple pour la classification des salariés. Ce choix qui pouvait être justifié dans le contexte de la signature de la convention collective de l’animation en 1988, est-il encore légitime ? Situation identique dans la fonction publique territoriale où une très large majorité des animateurs relève de la catégorie C, grade accessible sans obligation de certification professionnelle. Dans un contexte si peu exigeant on voit mal les employeurs associatifs et publics recruter du personnel diplômé pour les emplois les plus nombreux et s’exposer à une remise en cause des grilles de classification.

Déclassement des certifications
Comme aucune qualification professionnelle n’est exigée pour les emplois les plus nombreux de l’animation, la reconnaissance des diplômes existants se trouve tirée vers le bas. Le titulaire d’un diplôme d’animateur de niveau IV se voit alors proposer des postes avec des fonctions d’encadrement intermédiaire : coordination d’équipe ou responsabilité d’établissement à faibles effectifs. Situation identique pour la fonction publique territoriale ; les agents relevant du cadre B de la filière animation occupent le plus souvent des fonctions de coordination voire de direction avec une qualification d’animateur 6. S’illustre ici la logique absurde de la formation récompense. Ainsi, après avoir travaillé plusieurs années comme animateur sans qualification, le professionnel se voit proposer une formation d’animateur pour exercer des fonctions de coordination. Il va alors exercer de nouvelles fonctions pour lesquelles il n’aura pas davantage été formé ! Voici une variante du principe de Peter 5 qui serait drôle si elle n’était bien réelle.

Le flou réglementaire des activités d’ACM
Ces activités mobilisent une large majorité des animateurs professionnels ; de ce fait, elles influencent l’ensemble du champ sur les questions de qualification professionnelle des animateurs. Ces accueils relèvent d’une réglementation spécifique fondée sur la protection des mineurs. Celle-ci prévoit que les personnels pédagogiques soient majoritairement titulaires de diplômes spécifiques : les célèbres Bafa et Bafd 6. Il est sans doute inutile dans les colonnes de cette revue de rappeler que dans la logique d’Éducation populaire des ACM, ces brevets sont une préparation accessible à tout ceux qui souhaitent exercer occasionnellement une action éducative durant ces accueils. Pourtant, bien que sans visée professionnelle ces brevets sont massivement utilisés par les professionnels, car ils sont le plus souvent la seule exigence des employeurs 7. Officiellement, un texte est censé corriger cet usage abusif en faisant obligation de diplômes professionnels pour les directeurs d’ACM exerçant plus de quatre-vingt jours par an. Ce texte est peu respecté sur le terrain. Malheureusement, aucune obligation de qualification professionnelle n’est demandée aux « simples » animateurs professionnels. La règlementation de ces activités entrave ici l’accès à la qualification professionnelle.

Un système de formations, de certifications et de financements multiples et complexes
Le manque de coordination et de cohérence entre les différents acteurs qui conçoivent financent, organisent, prescrivent et contrôlent les possibilités de formation est sans doute la caractéristique majeure du système de qualification du champ. On y observe aussi bien des doublons, plusieurs diplômes couvrant les mêmes besoins, que des manques – absence de formation dédiée au socio-éducatif secteur dominant. L’ensemble du système est peu lisible et concurrentiel. En 2008, le très critiqué rapport Bertsch 8 s’appuyait sur cette situation pour dénoncer la jungle des 215 certifications différentes, les passerelles difficiles d’une filière à l’autre, la multiplication des ministères certificateurs et surtout l’inadéquation de l’offre à la nature des besoins. Si les oppositions à ses préconisations ont été vives et légitimes, il faut reconnaître la contradiction entre une offre pléthorique et complexe et un aussi faible pourcentage de professionnels diplômés.

L’absence de formations initiales publiques et gratuites
Il n’existe pas de système de formation initiale, publique et gratuite pour les emplois les plus fréquents d’animateurs en face à face avec un public. Un jeune qui souhaite devenir animateur ne pourra pas se préparer à ce métier dans le cadre de sa scolarité initiale. Seules les fonctions de coordination ou d’animateur concepteur sont couvertes pas un DUT Carrières sociales option animation délivré par le ministère de l’Enseignement supérieur depuis 1966 9. Cette impossibilité aberrante est sans doute la cause première des carences de qualification professionnelle de la masse des animateurs. Elle a pour conséquence de faire supporter la responsabilité du financement des formations des 165 000 animateurs :

  • Soit aux futurs professionnel ou à leur famille ;
  • soit aux aux employeurs qui vont devoir utiliser les fonds de la formation professionnelle issus des cotisations salariés et employeurs ;
  • soit aux conseils régionaux ou à Pôle Emploi dans le cadre de leur politique d’emploi en direction de la jeunesse.
    Pour les animateurs de la fonction publique territoriale l’accès à la formation est tout aussi difficile. Leur organisme de formation, le CNFPT 10, ne finance pas les formations diplômantes des agents. Les municipalité, employeurs n°1 des animateurs de face à face, doivent alors financer la formation sur leurs fonds propres sans pouvoir recourir à des fonds mutualisés. L’absence de formation initiale détourne aussi les jeunes scolarisés de leurs projets d’être animateurs. Ces jeunes s’orientent alors souvent vers la filière des carrières sanitaires et sociales plus accueillantes dans le cadre de la scolarité initiale pré-bac. Pour ceux qui persistent, l’accès à une qualification sera le plus souvent précédé par une longue période d’attente pour obtenir un financement employeur ou bien par une période de chômage et de précarité pour accéder à une formation dans le cadre des politiques de l’emploi.

Philippe Segrestan, chargé d’études animation au Cafemas militant Ceméa

Texte paru dans VEN n°554




Et si on inventait le volontariat de l’animation ?

Relire les Cahiers de l’animation depuis 20 ans c’est aussi se replonger dans les questions et les problématiques qui traversent le secteur de l’animation. Le combat pour la mise en place d’un véritable statut du volontariat pour l’animation revient comme une constante dans ce paysage.

En cette fin d’année 2012, nous en sommes toujours au même point. Les animateurs qui encadrent occasionnellement les ACM durant leur temps de vacances ou de loisirs n’ont toujours pas de statut satisfaisant qui reconnaisse cet engagement.
Le CEE, contrat de travail, rattaché au code du Travail mais dérogatoire à certains points dont le temps de travail, le repos quotidien et la rémunération… reste en vigueur. Malgré un bilan très négatif sur la mise en place des nouvelles dispositions sur le repos compensateur, rien ne bouge.

QUELLE RECONNAISSANCE ?
Dans ce numéro nous fêtons les 20 ans de la revue. Nous pouvons également fêter 20 ans de combat pour une reconnaissance de l’engagement des animateurs volontaires à travers la revendication pour un statut du volontariat dans l’animation.

Ainsi, dans le numéro 7 de juillet 1994, nous écrivions : « Ni salarié à part entière, ni bénévole ».
Dans le numéro 31 de juillet 2000 nous écrivions : « C’est pourquoi les Ceméa se battent, avec d’autres partenaires, pour que soit reconnu un statut du volontariat dans les CVL »
Dans le numéro 55 de juillet 2006, nous titrions notre article sur la création du CEE « une belle idée dévoyée ».

LE VOLONTARIAT, UNE TROISIÈME VOIE AVEC LE BÉNÉVOLAT ET LE SALARIAT
Le bénévolat est une activité qui demande aux personnes d’être intégrées dans la société (c’est-à-dire de pouvoir subvenir déjà à leurs besoins en étant salarié où retraité) et il relève toujours, quelle que soit son appellation, du caritatif, ou du soin et de la réparation. Tout le monde sait que l’économie générale des ACM ne permet pas un véritable salariat.

Par ailleurs, la question n’est pas qu’économique, elle est aussi politique car la philosophie des ACM ne repose pas sur la salarisation ou la professionnalisation de tous les animateurs et directeurs.

La richesse de cette activité repose sur la rencontre et l’échange entre des animateurs professionnels et des animateurs volontaires. Entre ceux dont c’est le métier et ceux qui apportent leurs énergies, envies et projets. C’est un leurre de penser qu’il y aurait une niche d’emploi dans l’encadrement des ACM uniquement sur les vacances scolaires.

PRÉCISER LE CADRE DU VOLONTARIAT
Il reste donc une voie possible, le volontariat de l’animation. Voie qui reconnaîtrait une double dimension.

Celle de l’engagement citoyen des animateurs tant appelé par la société.
Celle d’une reconnaissance des ACM comme espace éducatif spécifique et d’intérêt général.

Un volontariat qui reconnaisse l’engagement de ces jeunes à sa hauteur, par une indemnité décente ; pas 20 € par jour ! Le montant de cette indemnité est une revendication légitime des animateurs.
Un volontariat qui permette à cette jeunesse de s’engager sans avoir à financer la formation inhérente à l’animation.
Un volontariat qui assure une réelle protection sociale en cas d’accident pendant cet engagement. Un volontariat qui soit comptabilisé pour les droits à la retraite comme le fut le Service national en son temps.
Un volontariat limité dans l’année pour ne pas se confondre avec le salariat des animateurs professionnels, dans une limite de 60 jours par an. Un volontariat réservé aux structures non lucratives de l’économie sociale et solidaire, car il n’est pas concevable que des jeunes s’engagent et s’investissent pour le profit des actionnaires d’une société, ou l’enrichissement personnel de responsables de structures marchandes.
Un volontariat qui doit pouvoir s’appliquer sur tous les séjours de vacances et accueils de loisirs. Parce qu’on peut toujours poursuivre cette utopie de lier loisirs et vacances.

LE VOLONTARIAT DANS L’ANIMATION UN ESPACE D’ENGAGEMENT À RECONNAÎTRE
Ce volontariat ne serait que le juste retour d’une société envers ses jeunes qui s’engagent auprès d’enfants et de plus jeunes pour leur faire passer des vacances éducatives. Notre société doit reconnaître et valoriser ces 300 000 jeunes qui permettent à plus de 6 millions d’autres jeunes de passer des vacances et ou des loisirs éducatifs de qualité et sécurisés. Nous pensons de même que ce volontariat permettra à un nombre encore plus important de jeunes de s’engager et de prendre des responsabilités dans les ACM, et qu’il soutiendra la revendication plus large d’un départ en vacances et d’un accès aux loisirs du plus grand nombre.

Fabrice Deboeuf

Les Cahiers de l’Animation n°81




Ça, c’est fait !

Comme il était à craindre, la mise en oeuvre de la nouvelle mouture du Contrat d’engagement éducatif n’est pas sans effets pervers. Elle conduit à des situations inadaptées aux terrains mais aussi et surtout à une perte de sens de l’action éducative. Ce constat appelle à une réflexion profonde et à l’invention de nouvelles perspectives.

Les temps sociaux dédiés aux vacances et aux loisirs sont en train de muter. Le rythme de vie des enfants et des jeunes va évoluer, inéluctablement, vers un « moins de temps scolaires et un moins de vacances » qui va nécessiter une réflexion profonde sur les terrains de chacun des partenaires éducatifs.

Après quelques balbutiements durant les vacances de printemps, soutenue par une multitude de textes explicatifs, de modèles, de tentatives de traduction en actes concrets, de circulaires, la mise en place du nouveau Contrat d’engagement éducatif (CEE) a pu s’épanouir cet été.
À lire, plus loin dans ce Cahier, ce qu’a provoqué, vu des organisateurs et des directeurs, la mise en place, on se dit que malheureusement on avait raison quand on dénonçait la nouvelle mouture du CEE !

EFFETS PERVERS…
Les équipes d’encadrement des séjours de l’été, et je serais tenté de dire toutes les équipes, ont vécu un beau moment de « grand n’importe quoi ».
Et surtout, en creux, parce que rien ne se dit de cela, la mise en place des temps de repos dans le cadre du CEE a eu et aura des effets pervers considérables, dont on peut penser que pour partie, ils sont irréversibles.
Le premier effet pervers tient justement de la notion de repos des animateurs. Cadrés dans une structuration ne tenant pas compte de la vie et de la dynamique propres aux ACM, cette réforme aura favorisé une plus grande fatigue des animateurs, appelés à se reposer quand ils n’en avaient pas besoin. L’énergie passée à tenter de planifier une organisation de la ressource humaine (au singulier c’est nettement moins propre qu’au pluriel) a été détournée au profit de l’appareil plutôt que de s’exercer au profit des jeunes et des enfants. Les équipes de direction, autant que les organisateurs se sont retrouvés à gérer l’ingérable, au risque du ridicule – obliger à des repos dans la journée et en même temps nommer l’astreinte de nuit, illégale, du doux terme de « quiétude nocturne ». Mais en toute conscience de ce ridicule, qui porte atteinte au sens même des loisirs collectifs et contraint les équipes à de douloureux reniements. Quant au souci d’équité, il a été balayé à coups de réadaptation de l’indemnité aux contraintes des temps de compensation, compensation payée ou pas d’ailleurs, à géométrie variable…

… ET PERTE DE SENS
Et puis, rien sur les enfants et les jeunes ! Rien sur la rupture de la continuité éducative. Rien sur la sécurité affective des plus jeunes, pour lesquels, parfois, l’animateur ou l’animatrice « repère » a disparu dès le deuxième jour pour cause de tableau de roulement. Rien sur les séjours supprimés, rien sur les surcoûts, supportés cette année par les associations, avant de l’être demain par les parents au travers d’une augmentation des prix. Rien. Tout c’est bien passé ! J’entends déjà les commentaires : vous voyez bien que c’est possible, ça a été fait cet été ! Pourtant, s’ouvre dans le champ de l’animation un chantier qui devrait mobiliser toutes les énergies. Les temps sociaux dédiés aux vacances et aux loisirs sont en train de muter. Le rythme de vie des enfants et des jeunes va évoluer, inéluctablement, vers un « moins de temps scolaires et un moins de vacances » qui va nécessiter une réflexion profonde sur les terrains de chacun des partenaires éducatifs. Et une coordination mieux pensée.

ÉCUEILS À L’HORIZON
Mais trois écueils déjà se profilent : la tentation de la niche d’emploi que semble offrir l’encadrement des temps de vacances scolaires (leurre d’autant plus puissant que l’emploi pérenne est en crise), la question du volontariat dans l’animation (l’animation volontaire est indispensable au bon équilibre des ACM) et la perte de sens historique de l’Éducation populaire, au moment ou le terme (à défaut du concept) sert de support à quasiment tous les diplômes professionnels de l’animation.
Pour un de ces écueils, aurons-nous le temps et la sagesse de nous inspirer des travaux de la Commission européenne qui avance à grands pas, appuyée sur des expérimentations de nombreux états européens, vers la définition d’un statut du volontariat dans l’animation ? Après tout, il est temps de recevoir du sang neuf pour revivifier et redonner sens à ce que les fondateurs de l’Éducation populaire ont créé.

Alain Gheno

Les Cahiers de l’animation n°80




Poids et mesures

Opération toujours délicate que de dégager des indicateurs observables pour mesurer l’atteinte des critères de validation pour la formation Bafa. D’autant qu’il faut qu’ils soient adaptés à la fois à la spécificité du stage, théorique ou pratique, et au critère à évaluer.

La formation à l’encadrement des accueils collectifs de mineurs est une formation en alternance, qui s’articule autour de trois temps de formation : un temps de formation générale, un temps de stage pratique et un temps d’analyse de cette pratique et d’approfondissement. On peut penser que le stage de formation générale est un stage d’entrée en formation. Un moment qui donne à voir le déroulement de la formation, son économie générale. Qui ouvre la porte à la compréhension des enjeux des rôles et fonctions de l’animateur, qui plus est, dans une démarche d’engagement volontaire. Presque d’évidence, le stage pratique sera le premier contact avec la réalité de terrain, la première confrontation des capacités du stagiaire à un réel qui les transformera petit à petit en compétences. Et le stage dit d’approfondissement, si il peut être un temps de consolidation de certaines compétences, est avant tout un stage d’analyse de la et des pratiques.

COMMENT ÉVALUER ET VALIDER LE BAFA ?
Posée de cette manière, la formation Bafa prend pour aspect une limpidité toute azuréenne. Le bât blesse dès que l’on tente de poser un système d’évaluation ou de validation de cet ensemble qui, de toute évidence, ne peut se valider que sur l’ensemble ! C’est la tâche des jurys départementaux,qui statuent sur l’attribution du brevet, ou non – cela sur la base des évaluations et des commentaires portés par les diverses équipes des trois temps de formations. En toute logique, on peut penser que les critères de validation sont les mêmes pour tous les stagiaires. Il serait cocasse qu’ils puissent varier ou différer en fonction des départements, des climats ou des flux magnétiques. De la même manière, on peut penser que les validations se font à partir d’indicateurs observables, adaptés à la fois à la spécificité du stage et au critère à évaluer.

L’ART DIFFICILE DES CRITÈRES MESURABLES
Donc, si les critères sont effectivement les mêmes, les indicateurs sont, heureusement, à géométrie variable puisqu’ils ne peuvent exister que dans la vie réelle, dans l’acte, dans l’action, dans l’agir. Ce qui assure à chacun – parce que d’évidence également, chaque stagiaire sait sur quoi il va être validé et de quelle manière, pour pouvoir se situer – à la fois un cadre clair et l’exercice de sa propre responsabilité.

Pour illustrer ce qui précède, les indicateurs pour valider la capacité d’un stagiaire à prendre en charge un groupe de jeunes et d’enfants ne peuvent apparaître que lors du stage pratique puisqu’aucune situation de ce type n’existe en stage de formation générale.

De même, des indicateurs permettant l’évaluation des capacités à travailler en équipe ou à participer à une vie collective seront adaptés au cadre. On peut évidemment poser des passerelles entre les différents temps de la formation, mais les indicateurs resteront adaptés au concret de la situation.

SE FORMER À L’OBSERVATION
Pourquoi redire toutes ces évidences ? Peut-être parce qu’il n’est rien de moins évident que « les » évidences  ! On ne peut évaluer, et donc valider, que des attitudes, des faits, des pratiques observables. Il s’agit tout à la fois d’une question d’équité et de respect des personnes ! Et l’observation s’organise, se rationnalise. C’est une pratique qui s’apprend. On se forme a l’observation. Il ne s’agit pas de perception, d’impression, de divination ! De même, tout ce qui ressort des impressions que l’on peut avoir d’une personne ne se fait qu’en référence à sa propre personne. Comment pouvoir, comment oser même, parler d’une personne trop timide, trop ou pas assez dynamique, fermée, souriante, agréable, enthousiaste, voire rigoureuse ou engagée dans l’action. Cela ne se fait qu’en référence à la personne qui porte le jugement, qui se pose de fait en référence « attestée » ! Pour conclure, quoique ce ne puisse l’être si brièvement, la formation pour obtenir le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur ou de directeur, est organisée par des organismes habilités nationalement, ou régionalement. Dans le dossier d’habilitation figurent les critères de validation des formations, qui s’imposent à tous.

QUELS INDICATEURS POUR LE STAGE PRATIQUE ?
Le stage pratique, moment clé de la formation, est à la charge et sous la responsabilité des organisateurs de séjours. Ils ont donc l’obligation de se référer au même cadre de formation, aux mêmes critères. Ils ont donc à fournir des indicateurs, dans les projets éducatifs des séjours ou des accueils. Non ? Non ! Parce qu’ils n’ont pas de lien, de référence avec l’habilitation des organismes de formations ! Et peut-être ne faut-il pas qu’il y en ait.. Mais, sans que cela soit en aucune manière une remise en cause du rôle fondamental des organisateurs dans la formation des animateurs, parce que, quand même, c’est là que s’apprend le « métier » (et pas, dans ce cadre-ci, la profession) d’animatrice et d’animateur, n’y aurait-il pas alors… deux poids, deux mesures ?

Alain Gheno

Les Cahiers de l’Animation n° 77




Le coût du prix

Deux logiques s’affrontent quand on parle de vacances et de loisirs collectifs, de prix des séjours, et de prix de la formation. En oubliant qu’à l’origine, il s’agissait de la même. On entend dire très souvent que la formation pour obtenir le Bafa est chère. On entend dire dans les marges de ce discours que ce prix « exorbitant » sert aux mouvements pédagogiques à engranger de mirifiques bénéfices, quand on ne parle pas de profits.

Quelques Rappels
La formation est trop chère, c’est un fait, réinscrite dans le contexte actuel qui l’a dénaturée, en tous cas pour ce qui est de l’aspect financier. Pour ce qui est de l’équilibre orix de la formation-coût de cette formation pour les organismes habilités, une étude de 2001, réalisée à la demande du ministère de la Jeunesse et des Sports de l’époque par l’Iredu, organisme universitaire proche du CNRS montrait deux choses . que le prix moyen de la formation Bafa (et Bafd) était en moyenne un tiers moins cher que le prix des formations professionnelles, et que ce même prix couvrait de façon limite les charges directes liées à la formation.

Oui le Bafa est cher. Il est en tous cas trop cher pour que tout le monde, indépendamment de sa situation sociale puisse y accéder. Il y a certes des aides d’Etat, des aides des collectivités locales, des comités d’entreprise, mais il n’y a plus de prise en charge globale. La revendication de cette prise en charge témoignant de la reconnaissance de l’importance de ce dispositif de formation valorisant l’engagement des jeunes n’est pas nouvelle. Elle va aujourd’hui à contre-courant des tendances technicistes et libérales, elle repose la question du sens éducatif de cet engagement et du prix qu’une société est prête à payer pour contribuer à l’éducation de sa jeunesse.

Un petit point d’histoire
A l’origine, ou presque, des formations Bafa et Bafd, le prix couvrait les frais engagés par les associations habilitées par l’Etat pour les réaliser, Rappelons que ces associations sont toutes à but non lucratif, c’est-à-dire qu’elles ne font pas de profits, et que les éventuels excédents dégagés par leur activité sont réinjectés dans cette même activité. Rappelons également qu’à l’époque, la caisse nationale d’allocations familiales finançait une partie du Bafa, et que ce financement est passé ensuite à un financement à la personne – le transfert de cette aide se retrouve dans l’évolution du prix de la formation par une baisse !
Mais ce prix se calculait aussi dans un ensemble, comprenant le stage pratique. Le stage pratique était de fait rémunéré (la question ne se posait d’ailleurs pas) et cette rémunération était censée couvrir les frais de formation. Mieux encore, beaucoup de gros organisateurs, en tous cas les comités d’entreprises et les grandes fédérations remboursaient la formation, avec une prime accordée aux stagiaires lors du stage pratique !
On était bien loin des tergiversations actuelles pour savoir si le stage pratique est rémunéré ou non, si les stagiaires doivent être moins payés que les diplômés, et autres insanités. Cela montre bien que la question du sens éducatif de l’engagement des jeunes dans l’encadrement des accueils collectifs de mineurs est totalement absent des objectifs poursuivis par beaucoup d’employeurs. Disons le tout net, oui le stage pratique doit être rémunéré, et un animateur stagiaire exerçant de droit les mêmes responsabilités qu’un animateur diplômé doit être payé de la même manière.
De plus, les rémunérations des animateurs et des directeurs « volontaires » tenaient compte de quelque chose que l’on oublie de plus en plus. Un engagement solidaire, dans un large mouvement d’ensemble, pour que le plus grand nombre d’enfants puissent partir, c’est-à-dire, pour que le prix des séjours soit le plus bas possible ! Il est nécessaire de resituer tout ie contexte financier des formations bafa et bafd dans un ensemble.
Que cet ensemble semble anachronique est une possibilité. Pas une fatalité !
Pour résumer, les rémunérations des stages pratiques permettaient de prendre en charge le prix de la formation, et ces rémunérations, hors des règles et des normes du monde professionnel (on parlait d’indemnité) étaient basses pour permettre un prix de séjour le plus accessible à tous.

Rémunérer l’encadrement
L’évolution de la société, mais aussi certaines pratiques ou dérives posent aujourd’hui, de fait, plusieurs problèmes. Que plus de 30% des stages pratiques ne soient plus rémunérés augmente d’autant le prix de la formation, et écarte un trop grand nombre de personnes de cette même formation. La moitié, peu ou prou, du coût de la formation est aussi due au fait qu’elle se déroule majoritairement en internat. Dans l’inconscient collectif, on oublie rapidement qu’une formation sur plusieurs jours nécessite une vie collective, le plus souvent en internat, avec ses propres coûts d’hébergement et de restauration. Il ne faudrait pas que pour des raisons économiques et simplement économiques, cette expérience d’internat soit écartée. Elle est de plus en plus une première expérience de vie en collectivité pour de futurs animateurs qui s’occuperont d’enfants, justement en internat. Et l’argument du développement des loisirs de proximité n’est pas bon, puisqu’au même moment se développent les séjours courts, les miniséjours, inclus dans les activités des structures de loisir, qui se déroulent en internat. Quant au prix des séjours de vacances collectives, il pose les mêmes problèmes. En tous cas, ceux de l’accessibilité. Ils sont également totalement assujettis à ce qui précède, au prix de la formation, aux rémunérations des encadrements, à ce lien générique formation/encadrement et aux évolutions des contenus proposés, donnant une place souvent importante à des pratiques d’activités plus onéreuses. Là aussi, et très majoritairement, on peut trouver ces séjours chers, il faudrait alors comparer les prix et les services offerts avec le marché des offres de vacances plus commerciales ! Il faudrait aussi parler de la sécurité des enfants, (les séjours de vacances et de loisirs collectifs sont les endroits où ils sont le plus en sécurité, tous accueils confondus y compris familiaux), de la plus-value éducative, des brassages sociaux et culturels, d’apprentissage des fondamentaux du vivre ensemble, qui sont des éléments constitutifs des vacances et des loisirs collectifs du champ de l’éducation populaire. Mais si, et par erreur, les encadrements devenaient professionnels, c’est-à-dire réalisés par des personnes salariées au sens strict du terme, ces mêmes séjours augmenteraient en moyenne de 30% ! Ce qui, de fait, empêcherait le même pourcentage de personnes d’y accéder. On le voit. On se mord rapidement la queue !

Quelle solution alors ?
Peut-être pas un appel à l’Etat en lui-même. Mais un appel à la collectivité, ou aux collectivités publiques. Les Ceméa ont régulièrement contribué aux appels de la JPA pour dénoncer le fait que plus de trois enfants sur dix ne partent toujours pas en vacances. Chaque enfant et jeune doit pouvoir partir en vacances. C’est l’affaire de tous, de chacun, donc de la collectivité. Chaque jeune qui en a le désir, et parce que cela participe de deux choses : du départ de tous en vacances et de la formation à la vie citoyenne, doit pouvoir accéder aux formations Bafa. C’est là encore l’affaire de tous. Et donc aussi de la collectivité. La vraie question est donc dans la recherche d’une solution collective. Pas dans la dénonciation vengeresse de fantasmatiques profits réalisés sur le dos des enfants ou des stagiaires. Peut-être s’agit-il parfois de prendre le recul suffisant pour avoir une vue d’ensemble. Le paysage semble alors plus cohérent, et les réels objets de mobilisation plus évidents. ■

Vincent Chavaroche
Alain Gheno

Article extrait de CA n°63 – Décider, choisir, agir



Un cadre, oui mais un seul !

Quand un mouvement d’éducation, un organisme de formation intervient auprès de jeunes stagiaires, ou de moins jeunes d’ailleurs, dans un état de droit, il le fait au regard de la loi. Une loi qui ne peut être qu’une et…

Les formations à l’animation volontaire bénéficient d’un cadre réglementaire sur l’ensemble du territoire ; c’est légitime et suffisant. Ces formations sont réglementées, depuis bien longtemps, et leur cadre réglementaire évolue. Que se passe-t-il d’important pour que nous décidions, en cette période de préparation de l’été, qui ne manque pas d’actualité liée à l’éducation, à la jeunesse, au droit au départ en vacances, de consacrer quelques pages de cette revue à la question ? Aujourd’hui, alors que ce cadre réglementaire vient de faire l’objet d’une rénovation, d’une actualisation, les modalités d’application semblent faire l’objet de « personnalisations régionales ou départementales », qui le rendent différent selon l’endroit où on se trouve ! Plusieurs représentants des services de la jeunesse et des sports, censés faire appliquer ce cadre, l’aménagent, le complètent, l’instrumentalisent, l’adaptent en fonction de l’analyse qu’ils font de la situation locale, départementale ou régionale. Il n‘est plus identique pour tous parce que des instances, jurys entre autres, vont au-delà de leurs prérogatives et créent du cadre, local celui-là. Au risque de faire voler en éclat le principe d’égalité face au diplôme, à la formation, à l’évaluation et le caractère national de ce dispositif de formation ! Au risque de mettre les stagiaires devant un véritable labyrinthe pour le suivi et la gestion de leur dossier quand ils commencent leur cursus de formation dans une région, le poursuivent dans d’autres avec leur stage pratique et leur session d’approfondissement.
Les Ceméa ont largement contribué aux travaux qui ont conduit à ce nouveau cadre réglementaire. Nos contributions ont été celles d’un mouvement d’éducation nouvelle, fermement attaché aux valeurs de l’engagement volontaire, persuadé des apports spécifiques de ce dispositif dans l’animation des vacances et des loisirs collectifs de mineurs. Nous avons eu le souci de rendre ce dispositif, qui nous est envié au plan européen, encore plus efficace, plus pertinent, porteur d’espaces d’initiatives et de prises de responsabilité, en phase avec les évolutions des accueils collectifs de mineurs. Or, nous constatons aujourd’hui, et nous en avons fait part à notre interlocuteur ministériel, que c’est le principe même d’un diplôme national, valable sur l’ensemble du territoire qui est remis en cause. C’est l’égalité des usagers, des stagiaires devant la formation et ses prérogatives qui sont battues en brèche. Il y a un risque de perte de sens et d’instrumentalisation du dispositif de formation à l’animation volontaire. Aussi nous pensons utile de rappeler le caractère national de ces formations. Nous pensons urgent d’attirer l’attention des différents acteurs sur les conséquences de ces dérives qui souvent n’ont d’autre objet que le confort de la gestion administrative du dispositif au détriment du sens et des usagers.
Nous ne pouvons pas accepter que ces dérives se multiplient, avec comme alibi l’appropriation progressive du nouveau cadre par les services et les instances, alors que les exigences, en premier lieu vis-à-vis des stagiaires, en particulier sur leurs motivations à entrer en formation, sur le sens de leur engagement, sont elles, légitimement, plus fortes. Nous ne pouvons pas imaginer qu’un dispositif, centré sur la prise de responsabilité des jeunes, sur leur engagement éducatif, sur l’exercice de la citoyenneté, soit l’objet de ces dérives. Il ne s’agit pas pour nous de refuser les éventuelles améliorations des textes, les nécessaires clarifications et évaluations après un an d’application.
Au contraire ! Il s’agit de refuser les adaptations régionales qui instrumentalisent les stagiaires, qui en augmentant les exigences, en créant de nouvelles obligations, transforment le cadre d’espace ouvert en espace normatif et stérilisant. Il y aurait comme un paradoxe dans le fait que ceux qui seraient chargés de faire appliquer le cadre, de le faire respecter, l’adaptent ici ou là, l’aménagent, en lui faisant perdre tout son sens. Les Ceméa ne sont ici ni spectateurs impavides, ni donneurs de leçon. Ils rappellent simplement qu’un cadre doit être posé. Mais il doit être identique pour tous les acteurs concernés, quels que soient les lieux sur l’ensemble du territoire. C’est à ces conditions qu’il permet des initiatives, des prises de responsabilité, des engagements.

Vincent Chavaroche

Article extrait de CA n°62 – Cadre, cadrage, encadrement



Comme un écho

Les Ceméa sont nés en 1937. Dans un contexte bien particulier, un bouillonnement d’idées, d’enthousiasme, la mise au grand jour de ce que pouvait créer l’éducation populaire. Les colonies de vacances existaient depuis longtemps, 300 000 enfants les fréquentaient en 1936. Denis Bordat, qui fut Délégué Général des Ceméa de 1969 à 1979 nous raconte ici dans quel contexte, les Ceméa sont nés… Et, au travers des lignes, un peu aussi pourquoi.

1936 : j’ai treize ans et je suis déjà un vieux routier des colonies de vacances. Certaines municipalités ouvrières de la région parisienne ont découvert depuis quelques années qu’il n’était plus possible de laisser les colonies de vacances à la seule bonne volonté des œuvres charitables. On achète des châteaux plus ou moins abandonnés par leurs occupants pour « les enfants des travailleurs », mais aussi, on construit, on construit dans la hâte tant les besoins sont grands, et l’on construit avec, comme seul critère de la vie en internat, les critères de l’internat scolaire dans le meilleur des cas, de l’hôpital ou de la caserne dans le pire. Grands dortoirs avec chambre de surveillant, grands réfectoires. C’est dans l’une de ces colonies que je me retrouve, chaque année, de sept à quatorze ans.

J’entends le maire encore aujourd’hui… Un grand discours exaltant devant la population réunie sur la place de notre mairie de banlieue. « Et nous avons la plus belle colonie qui ait jamais été construite en France. La plus belle parce que construite au cœur d’une grande forêt qui va jusqu’à la mer. La plus belle, parce que près de la mer ; elle donne sur l’immense plage du phare de la Coubre où vos enfants se baigneront tous les jours. » Les yeux des parents s’illuminent de vaguelettes, eux qui n’ont jamais vu la mer, « la plus belle parce que nous avons construit huit dortoirs équipés de cent lits chacun, la plus belle parce que nous avons construit un immense réfectoire qui peut contenir huit cents places… » J’étais l’un des huit cents, quelque part à une table du réfectoire. Je n’ai pas souvenir de moniteurs, le mot même n’existait pas, ni même le mot surveillant. Il y avait bien pour tout ce monde une dizaine, une douzaine peut-être d’adultes, en dehors des dames que nous apercevions, dans cette immense usine-cuisine préparer les repas, mais une douzaine d’adultes à tout faire. On les voyait parfois revenir tôt le matin avec une camionnette pleine de légumes ou de bidons de lait ou d’épicerie ou de quartiers de viande, car il fallait BIEN nous nourrir ; la nourriture, c’était quasiment sacré. L’un ou l’autre conduisait parfois le car pour une courte excursion. L’un ou l’autre aussi, le soir ou le matin, dans le dortoir passait pour voir si tout allait bien. L’un ou l’autre aussi veillait dans les grandes allées du réfectoire pour aider les plus jeunes quin’avaient pas trouvé de place à table et pour s’assurer que les plus âgés les aidaient à BIEN MANGER. Sans doute, je me souviens aujourd’hui de quelques moments difficiles au cours de ma première année de vacances mais les mauvais moments des années suivantes, je les ai oubliés pour n’en conserver qu’un souvenir ébloui. Abandonnés à notre initiative, nous nous organisions en bandes généralement homogènes d’âge, parfois mixtes et parfois non mixtes selon la nature du moment, bandes de dix à quinze avec leurs chefs et leur hiérarchie, bandes tantôt rivales et tantôt alliées. J’ai vécu cent fois chaque année La Guerre des boutons de Pergaud, avec ses cabanes construites et détruites qui devenaient forteresses au cours de deux mois de vacances, car nous partions deux vrais mois, qui devenaient forteresses avec leurs défenses, leurs armes qu’il fallait fabriquer, leurs munitions qu’il fallait stocker, leurs trésors qu’il fallait d’abord ramasser dans les chasses les plus variées, voire les plus dangereuses ou les plus condamnables, et dont les lézards gris ou verts, les orvets, les couleuvres ou les vipères faisaient tristement les frais. Trésors aussi qu’il fallait conserver, dans des boîtes, des caisses, des zoos improvisés qu’il fallait défendre des pillages éventuels des bandes adverses, car parfois le trésor changeait de camp. Un de la bande, souvent, devait monter la garde à midi, sacrifiant l’heure du repas ; sur la quantité, personne ne s’apercevait de son absence au réfectoire.

Pour moi qui n’avais ni frère ni sœur, la colonie de vacances était le terrain privilégié de découvertes exceptionnelles et pour lesquelles l’école ne m’avait jamais rien apporté. Construire des choses avec mes mains, découvrir la nature et la vie de la campagne, jouer avec des camarades de mon âge dans un grand jeu permanent. Découverte aussi de la solidarité, découverte aussi de l’autre sexe, y compris dans les jeux sexuels qui avaient leur juste part dans l’ensemble des activités, qu’elles soient de paix ou de guerre. Les adultes connaissaient l’existence de ces bandes, mais ils se gardaient de trop intervenir, sauf si la collectivité ou l’un de ses membres était mis en péril. Certaines étaient spécialisées, et tous nous savions que lorsque l’économat avait été pillé de toutes les tablettes de chocolat, c’était la bande à Riton, que lorsque les trente vaches du fermier voisin avaient été une nuit sorties de l’étable et conduites dans une clairière pour une vaste corrida, c’était la bande à Jacques. Mais, à travers tout cela, quelle richesse dans l’approche des autres, dans les relations sociales dirait-on aujourd’hui, dans la libre invention sans cesse renouvelée ! Il y a apparemment quelque tristesse à dire cela aujourd’hui quand on a consacré l’essentiel de son activité à penser à l’organisation des centres de vacances, à la formation des moniteurs ou des directeurs qui devaient les encadrer. Je dis « apparemment », car ces expériences aussi ont nourri notre réflexion. Il ne faut pas gommer non plus les mauvais moments de la première année. L’arrivée… Perdu dans un cadre impossible à saisir pour un enfant de sept ans. La recherche angoissée de waters pendant plusieurs jours sans même oser demander « l’endroit » et, après leur découverte par hasard, découverte que les portes ne fermaient pas (comme à l’école), que les chasses d’eau automatiques vous inondaient lorsqu’on arrivait au mauvais moment. Découverte des douches collectives à l’âge même où je n’aimais plus faire ma toilette devant ma mère. Je ne savais même pas ce qu’était une douche : à la maison, la toilette, se faisait dans une cuvette sur l’évier de la cuisine. Terreur d’être nu devant les cinquante autres enfants. Terreur de cette sonorité particulière des douches collectives. Terreur de cette atmosphère embuée. Terreur de cette eau qui tombe de très haut sur la tête et dans les yeux. Terreur des voix adultes qui dominent le bruit en criant : lavez-vous, savonnez-vous, rincez-vous, essuyez-vous, rhabillez-vous ! Et les pipis au lit, moi je ne faisais jamais pipi au lit, mais chaque matin, sur les cent du dortoir, une bonne dizaine d’enfants avaient mouillé leurs draps ; « les pisseux », leur criait la rumeur. Le soir, j’avais du mal à m’endormir, terrassé d’anxiété à l’idée que moi aussi je pourrais… et une nuit c’est arrivé… l’accident, un rêve absurde, au pied d’un arbre. Je ne me suis pas rendormi de la nuit. Le matin, dès le jour, je me suis levé avant les autres, j’ai refait mon lit très bien avec les draps souillés. Lorsque le monsieur est passé comme chaque matin près de mon lit, il m’a dit : « Oh, c’est très bien aujourd’hui, tu as très bien fait ton lit, bravo. » Il y avait aussi la séance d’épouillage où nous passions tous, plusieurs fois dans le séjour. Si l’on trouvait un pou dans les lames du peigne fin, on était rasé, les filles aussi avec leurs longs cheveux, on leur mettait un foulard sur la tête, et les autres qui étaient passés au travers montraient du doigt les pestiférés : « Oh les pouilleux, les pouilleux… » Terrible ! On pourrait longtemps raconter le meilleur et le pire. Lorsque, quelques années plus tard, j’allai suivre aux Ceméa un stage de formation de moniteurs, je trouvai quelque écho dans mes souvenirs d’enfant aux propos des instructeurs. Ce qu’il faut dire encore, sans doute, c’est le grand respect que nous avions des adultes que l’on voyait tout faire dans la colonie : conduire les voitures, réparer un lit, une fenêtre, déboucher un lavabo, surveiller la baignade. Il faut leur rendre hommage. Sans eux, les colonies de vacances n’auraient jamais pris l’essor qu’elles ont pris. Tous étaient venus là en « mission », leur travail en colonie de vacances était partie intégrante de leur vie de militants, car tous étaient militants politiques ou syndicaux, et tous savaient que ce travail en colonie de vacances enrichissait leur vie de militants. J’ai bien connu l’un d’eux depuis, Henri, alors ardent militant anarchiste. Il était professionnellement mécanicien au garage municipal, il avait toujours un livre à lire à portée de main, une « histoire vraie » à raconter sur les fourmis, les abeilles, les choses de la nature. A la colonie, lorsqu’il ouvrait le capot d’une voiture, il y avait toujours une dizaine d’enfants autour de lui, et il expliquait, expliquait toujours. Sans diplôme aucun, il a été nommé quelques années plus tard bibliothécaire d’une très importante bibliothèque municipale ; il est aujourd’hui président d’honneur de la Fédération nationale des centres culturels communaux, toujours sans diplôme. Je crois qu’en 1937-1938, j’allai pour la dernière fois comme enfant en colonie de vacances à la Pointe de la Coubre. C’était le temps où des éducateurs déjà engagés dans les mouvements d’éducation nouvelle réfléchissaient à ce phénomène, nouveau dans ses dimensions sociales, et où ils projetaient de former des moniteurs. Gisèle de Failly rêvait alors de transformer certaines petites écoles de campagne en « Maisons de campagne des écoliers » pour les vacances des enfants des villes. Elle nous raconte dans quel contexte les Ceméa sont nés, quels courants pédagogiques les ont portés, quelles contradictions ils ont dû surmonter pour d’abord exister.

Denis Bordat

Article extrait de « CA n°57 – 70 ans, déjà ?«