Accueillir les jeunes enfants : enjeux politiques et éducatifs

1389630575172[1]Crèches, écoles maternelles, « maisons vertes », centres de vacances et de loisirs, points d’accueils diversifiés, constituent aujourd’hui une mosaïque originale, véritable service complémentaire à l’école publique comme aux dispositifs de santé publique, de prévention, d’action sociale et culturelle.

Et ils sont des milliers, au delà des parents, éducateurs, enseignants, puéricultrices, aide-puéricultrices, animateurs, cuisiniers, personnels de service, médecins, sages-femmes, militants de l’éducation populaire, psychologues, directeurs et directrices, élus municipaux, à incarner ce vaste réseau de continuité éducative. Ils animent, soignent, gèrent, construisent des projets éducatifs, culturels, accueillent les enfants, conseillent les parents, soutiennent des familles en difficultés, sensibilisent les élus quant à l’importance de leur travail. Ils sont un socle de vie, un tremplin pour l’éducation, une étape essentielle pour les plus jeunes des citoyens de ce pays. Les comptes rendus et les apports théoriques réunis ici s’appuient sur des conceptions pédagogiques puisées dans l’expérience et dans les références à l’Éducation nouvelle mises en oeuvre par les Ceméa dans leurs formations. Ils alimentent la réflexion de ce réseau de praticiens et de chercheurs*.

Rappellons en ici les principales : le tout-petit est une personne. L’importance de l’interaction entre l’individu et le groupe, enfant et adulte ; la place centrale de l’activité pour comprendre et agir sur le monde, l’influence du milieu de vie sur le comportement. Cette confiance et l’enthousiasme mis au service de l’éducation, de la santé et de la vie sociale, se heurtent pourtant à des incohérences graves.

Depuis 2008, la pauvreté augmente en France et affecte trois millions d’enfants. De plus, des menaces permanentes pèsent sur les gestionnaires associatifs, sur les collectivités publiques qui n’hésitent plus à faire appel à des services privés à but lucratif, considérant le parent usager comme un client. Les besoins sont énormes, exprimés par les familles et par les éducateurs ; ce sont, la formation des personnels, la diminution des effectifs de classes ou de groupes d’enfants, l’augmentation des moyens financiers, l’accompagnement des familles pour concilier vie familiale et vie professionnelle.

Face à ces enjeux politiques les Cemea militent pour un « véritable service public de la petite enfance » avec ses exigences éducatives de qualité, de gratuité, de recherche réactivée, de formations à développer.

Marie-Claire Chavaroche-Laurent, Chargée de mission nationale Jeunes enfants
Serge Guisset, Ceméa Languedoc-Roussillon

Texte paru dans le dossier spécial Jeunes Enfants de janvier 2014




Accueillir l’enfance

« La question n’est plus seulement de savoir quel monde nous laisserons à nos enfants mais quels enfants nous laisserons au monde !  » Philippe Meirieu.

Il y a déjà à peu près vingt-cinq ans que j’accompagnais mon premier petit gars à la crèche, à Bordeaux. La « référente » de Florian fait encore aujourd’hui partie de notre proche environnement, comme la psychologue qui intervenait quelques heures dans cette structure municipale et qui continue de participer aujourd’hui à l’aventure de la revue Spirale, que je dirige depuis 1996.
Dans les années quatre-vingt, le bébé était déjà une personne et la « bébologie » s’érigeait en science à part entière. Une conception novatrice du bébé s’établissait qui considérait le bébé du « pipicacadodo » comme un être capable d’exprimer ses besoins, de se faire comprendre et d’interagir avec son entourage.
La réflexion sur les modes d’accueil, on parlait de « garde d’enfants » à l’époque, et les pratiques qui s’y référaient furent totalement renouvelées. Des nourrices mercenaires du XVIIIe siècle aux crèches hygiénistes du début du XXe siècle, les établissements d’accueil de la petite enfance entamaient leur tranquille mais radicale révolution. Dolto était passée par là, qui affirmait que le bébé était une personne (et Winnicott dès 1949 et Brazelton dans les années soixante-dix et Bernard Martino dans son célébrissime documentaire télévisé de 1984) et l’ouvrage de Myriam David et Geneviève Appell, Lóczy ou le maternage insolite (1973), avaient profondément marqué les esprits. La convention internationale des droits de l’enfant de 1989 introduisait déjà les travaux très récents sur les curricula qui édictent connaissances, objectifs et valeurs qui encadrent les pratiques d’un accueil de qualité de la petite enfance. Parents, professionnels, institutions, nous échafaudions de nouvelles modalités d’accueil et d’accompagnement des petits enfants par des adultes qualifiés et bienveillants, pour les aider à trouver leur voie dans un environnement sécurisant. Nous mettions l’accent sur la nécessité de repenser, radicalement, la politique de la petite enfance, à l’échelle d’un établissement, d’une ville, d’un pays, de l’Europe même.

Trouver une crèche
Il y a à peu près cinq ans, j’ai refait le chemin à rebours, accompagnant mon dernier petit gars à la crèche, à Marseille. Je me réjouissais à l’avance des changements que je pressentais, j’avais hâte de retrouver cette créativité des professionnels et ce souci de l’autre en devenir. LA crèche, il fallut d’abord la trouver, liste d’attente immémoriale, propositions hasardeuses, usines à bébés, enfin, une structure associative toute neuve, avec de beaux projets mais surtout une écoute et une attention particulière à notre encontre, parents et enfant. Félix a essuyé les plâtres, on va le dire ainsi, de l’ouverture ; personnel trop mobile, difficultés de communication avec l’encadrement, j’avais l’impression de me retrouver vingt ans plus tôt, quand l’absence de moyens et de réflexion faisaient le lit d’un accueil précaire et peu respectueux des enfants, des parents mais tout autant des professionnels.

Risque de destructuration
Huit cent mille enfants naissent chaque année en France et près de 2,25 millions d’entre eux ont moins de trois ans. L’accueil de la petite enfance, qui s’était radicalement transformé en quelques années, serait-il en cours de déstructuration ?
La question peut se poser au vu de plusieurs événements concomitants ou successifs : rapport Tabarot de juillet 2008, rapport Juilhard de juillet 2009 rassemblant tous deux des propositions portant sur l’assouplissement des règles encadrant l’accueil individuel et collectif afin d’augmenter les capacités d’accueil des jeunes enfants mais mettant aussi radicalement en cause la qualité de cet accueil. C’est, comme si pour rendre effectif le droit opposable à la garde d’enfants, mesure emblématique de Nicolas Sarkozy lors de sa campagne présidentielle et prévue pour 2012 (avec 322 000 places à créer pour couvrir les besoins), le gouvernement avait décidé de donner la priorité aux crèches privées, aux jardins d’éveil et aux regroupements d’assistantes maternelles, le tout dilué dans une sous-professionnalisation affichée des professionnels. Quid dès lors de l’expérience cumulée par les professionnels et du travail au quotidien sur la qualité, la montée en compétence, les enjeux et les chantiers de la coéducation, l’accueil de la diversité, la place des parents, des professionnels, des enfants ? Quid encore de la concertation sur ces sujets, associant les différentes parties prenantes ?
Mobilisation générale Les collectifs Pas de bébés à la consigne, Pasde0deconduite, l’Appel des appels, d’autres encore et jusqu’à l’association Spirale ont organisé en commun les États GénérEux pour l’Enfance, le 26 mai 2010 à Paris pour dénoncer la libéralisation du secteur, la volonté des dirigeants de faire du chiffre à tout prix (augmenter le nombre de places de garde) sans se soucier de la qualité d’accueil des plus jeunes de notre pays. Ces États générEux pour l’enfance avaient décidé d’être délibérément indécents et de prendre la parole que l’on ne leur avait pas donnée pour qu’ensemble, nous construisions une vraie politique pour l’enfant en France ; un cahier de doléances, réunissant plus d’une centaine de revendications a été édité pour l’occasion.
Car, contre ce mot d’ordre actuel qui semble être : faire plus en dépensant moins, privatiser largement, déqualifier le personnel auprès des jeunes enfants ; pour changer une couche, pourquoi faire des études, n’est-ce pas M. Darcos ? et gérer le monde de la « garde d’enfants » à flux tendu, il nous fallait bien construire une mobilisation générale des professionnels de la Petite Enfance. Depuis, cette « déferlante nationale de la petite enfance » continue de faire oeuvre de résistance et les récentes publications du collectif Pas de zéro de conduite (Les enfants au carré ? Une prévention qui ne tourne pas rond et le Manifeste Petite enfance : pour une prévention prévenant) nous engage à maintenir élan et vigilance.

Règne du quantitatif
Car il faut bien s’en rendre compte, rien n’a changé de cette volonté affichée de l’État de dénaturer les métiers de l’accueil, de l’éducation, du soin, de la justice, de la culture. N’assistons-nous pas en effet à la dégradation de tous nos systèmes de valeurs culturelles qui sont toujours plus soumis à la standardisation et à ses impératifs orientés vers la consommation, à la dégradation des modes de vie en société, que ce soit au sein du couple, des structures de la famille, de la vie sociale, qui tendent à se décomposer ou à se stéréotyper ? N’entendons-nous pas, de toutes parts, un discours réactionnaire et sécuritaire, forme d’un désir de retour à des archaïsmes outranciers qu’il convient hâtivement de révoquer ?
Aux professionnels de l’enfance, qui exercent dans les champs de l’accueil, de l’éducation, du soin, de la justice, de la culture, il est maintenant demandé de prouver leur valeur, ce terme n’étant entendu chez nos contemporains que dans sa seule acceptation marchande. Or, la dignité humaine ne se marchande pas, assurait Kant. La dignité des professionnels de l’enfance, originairement engagés dans la sensibilité de l’autre, est aujourd’hui bousculée par un certain nombre de menaces ici rapidement rappelées pour les plus emblématiques et récurrentes, dans le champ de l’accueil de la petite enfance. Les projets gouvernementaux actuels conduisent, en effet, en dépit des effets d’annonces ministérielles, à une dégradation des dispositifs existants. À la volonté proclamée d’accueillir plus d’enfants, d’un « droit opposable à la garde d’enfant », répondent les atteintes multiples à la qualité de l’accueil.
Les choses sont claires, c’est le règne proclamé du quantitatif au dépend du qualitatif. En effet, dans la suite du rapport Tabarot remis à l’été 2008, sur le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance en France, le gouvernement a successivement :

  • Modifié le décret du 20 février 2007 relatif aux établissements d’accueil des jeunes enfants (EAJE). Votés par la Cnaf le 2 février 2009 et rapidement publiés au Journal officiel, ces changements impliquent l’augmentation de l’accueil en surnombre des enfants (qui de 10 % passera à 20%), de fait la modification des taux d’encadrement et le passage du ratio de personnel qualifié qui régresse de 50 % à 40% : puéricultrices, éducateurs de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, infirmiers ou psychomotriciens.

– Proposé de créer des Maisons d’assistants maternels (Mam) qui correspondent dans les faits à des structures d’accueil pouvant recevoir jusqu’à seize enfants pour quatre assistant(e)s maternel(le)s, sans aucune norme de fonctionnement et d’encadrement, approuvé en première lecture à l’Assemblée nationale, le 4 mai 2010. – Lancé l’expérimentation des jardins d’éveil pouvant accueillir de huit à douze enfants de 2 à 3 ans par adulte (soient huit enfants pour un adulte en crèche collective), sans garantie quant à la qualification des personnels et sans élaboration approfondie sur l’articulation avec l’école maternelle dont on connaît par ailleurs l’ampleur des critiques qui lui sont adressées, comme autant de volontés affirmées de démanteler ce fleuron de l’institution scolaire française.  [2] – Approuvé la non exclusion de la directive « services » (ex Bolkestein) relative aux services dans le marché intérieur émanant de l’Union européenne qui ouvre le champ de l’accueil à la libre concurrence et aux lois du marché. Malgré de récentes préconisations en faveur du recours à des « conventions d’objectifs annuelles ou pluriannuelles » qui permettraient de subventionner certains projets portés par des associations, les services en charge de l’accueil de la petite enfance ne sont plus inclus dans les services sociaux d’intérêt général (SSIG) : la marchandisation de l’accueil est en cours, le marché des crèches aiguise les appétits et apparaissent à tout va de nouveaux opérateurs privés qui proposent leurs prestations aux employeurs, entreprises, municipalités, institutions. – Validé la réduction de soixante à trente heures du temps de formation initiale des assistantes maternelles agréées qui accueillent les enfants à leur domicile. – Et décidé de permettre aux assistantes maternelles l’accueil de quatre enfants au lieu des trois autorisés actuellement. Que pouvons-nous ajouter ? Que le prix à payer de ces mesures pour les enfants et les familles sera bien assurément celui de la qualité d’accueil du jeune enfant. Partout aujourd’hui naît et se renforce une insécurité sociale aux visages multiples. L’enfant apparaît comme le sujet élu de cette inquiète sollicitude pour l’avenir. Il convient qu’ensemble, mouvements, collectifs et associations réunies, qui dénoncent cette « grande braderie de l’accueil » et exigent un plan d’urgence pour la petite enfance, nous participions de cette insurrection des consciences que l’Appel des Appels réclamait obstinément de ses voeux pour répondre aux défis posés par la crise sociétale contemporaine qui risque de virer au cauchemar pour les enfants de demain. S’il est un antidote à ce cauchemar, il est à inventer, n’ayons pas peur des mots, ensemble et avec enthousiasme, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, comme on dit. Pour que d’indignés, nous redevenions tous, engagés, fiers de notre avenir.

Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre.

Article paru dans le dossier spécial Jeunes Enfants de janvier 2014




Éloge de l’ordinaire

« Ici, il n’y a rien de spécial. C’est une colo très ordinaire », annonce d’entrée la directrice de ce centre maternel. Je suis venu pour faire
un reportage photos et elle s’excuse un peu de n’avoir à m’offrir que l’ordinaire de la vie des enfants. Mais pendant les deux jours que je vais passer dans ce centre qui accueille des enfants de 4 à 6 ans, je vais être confronté à des situations éducatives d’une extraordinaire richesse. Il n’y a rien de «médiatique» : pas d’escalade, de camping, d’astronomie, d’initiation à l’informatique ou tout autre activité d’appel que certains organisateurs mettent en avant pour séduire les parents. Rien de tout cela. Simplement une vingtaine de jeunes enfants qui vivent ensemble, jouent, chantent, gèrent les activités du quotidien en harmonie avec leur âge et découvrent la nature.

PRENDRE LE TEMPS DE DEVENIR GRAND
Les enfants vivent à leur rythme. Ici on prend le temps de devenir grand. Le matin, ils arrivent en forme. Chacun a dormi en fonction de ses besoins. On prend le temps de faire ou d’apprendre à faire, tous les gestes de la vie quotidienne, se laver, faire son lit, manger… Dans la vie courante, les enfants subissent bien souvent tous ces moments, plus qu’ils ne les gèrent, car le temps joue contre eux : « Déjeune vite, on est pressé, il faut aller à l’école. Attends, je vais beurrer tes tartines, ça ira plus vite… » Ici le temps joue pour eux, au rythme de chacun. On prend le temps de beurrer ses tartines, couper sa viande, faire son lit, se laver … Les adultes sont là pour aider ou apprendre en cas de besoin. La vie quotidienne n’est jamais un moment neutre. Et chez les jeunes enfants, elle représente une part importante de leur vie. A travers elle, ils affirment leur capacité à se prendre en charge et à appréhender le monde qui les entoure. Dans ce centre de vacances, on prend aussi le temps de jouer, de chanter, de raconter des histoires, de découvrir la nature… ou de ne rien fa ire de particulier. Le rythme des activités s’adapte aux enfants Les animateurs alternent des activités très structurées où tout le monde participe, à des moments où les petits sont plus autonomes et agissent en fonction de ce qui leur tient personnellement à cœur : jouer aux voitures, se déguiser avec les autres, passer du temps à caresser le poney qui est dans le parc de la colo ou aller se mettre tout seul dans la cabane au milieu du pré … Les animateurs étant là pour aider, proposer ou laisser faire. On organise des activités pour que les enfants découvrent, apprennent, coopèrent. Mais on leur laisse aussi du temps pour choisir, s’organiser et pratiquer des actions en fonction de leur propre développement. Ce qui m’a également frappé durant le temps que j’ai passé dans ce centre, c’est l’aspect des relations entre les enfants et avec les adultes. Vivre avec les autres. Apprendre à se respecter mutuellement, malgré les différences, gérer les oppositions et les conflits. Tout cela semblait se vivre au quotidien. Et les quelques disputes auxquelles j’ai assisté se sont gérées et vite résolues avec ou sans l’aide des adultes On avait le sentiment d’un groupe d’enfants vivant ensemble dans le respect de tous et où chacun avait sa place. Un enfant handicapé moteur faisait également partie du groupe. Les relations qu’il avait avec les autres étaient saines. Et l’ensemble des enfants portait sur lui un regard très naturel, sans rejet, ni compassion, étant capables de jouer avec son fauteuil ou de se disputer avec lui pour savoir qui utiliserait le gros feutre en premier. Je pense que l’organisation du centre pour un respect du rythme de chacun, n’était pas pour rien dans cet équilibre de vie. Quand chaque enfant est en situation de réussite par rapport à ce qu’il entreprend et se retrouve dans ce qu’il vit au centre de vacances, cela facilite grandement ses relations avec les autres.

NE PASSONS PAS À CÔTÉ DE L’ESSENTIEL
Le tableau dressé ici peut paraître idyllique, pourtant ce n’est que le centre de vacances très «ordinaire», qu’ont vécu ces enfants de 4 à 6 ans. Il fait bien ressortir le caractère essentiel de la vie collective et des relations. Mon propos n’est pas d’opposer la voile, l’escalade, le camping ou l’équitation à la vie du centre de vacances. Et de dire qu’il ne faut pas qu’il y ait ce type d’activités dans les colos. Il est bien évident que des activités spécifiques peuvent apporter beaucoup aux enfants et être enrichissantes pour eux. Mais il arrive parfois que, par leur médiatisation, elles cachent l’importance de la vie collective et des relations, les fassent passer au rang de choses subalternes et de second plan. Voire même, fassent vivre aux enfants des activités ne correspondant ni à leur tranche d’âge, ni à leurs besoins alors que ce qui fait toute la richesse éducative du centre de vacances, c’est bien ce lien entre l’activité, le rythme de vie et les copains.

Olivier IVANOFF

CA N° 65 ACTIVITÉ ET PROJET




Les jeux collectifs des 3-7 ans

Dans la famille, à l’école maternelle, dans les différents clubs et institutions qui accueillent les enfants les pratiques corporelles et ludiques ont indéniablement fait leur place parmi les facteurs importants de leur développement. Les idées nouvelles sont marquées par plus de liberté de mouvement accordée aux enfants, d’où l’utilité de parcs de jeux, de “structures” à grimper, s’équilibrer, se suspendre, se cacher, se balancer, glisser, l’offre de jouets invitant à l’action, à l’expérimentation, à l’imitation et la mise à disposition d’espaces et de matériels favorisant la “costumation” et les jeux symboliques. Sont aussi reconnus les bienfaits des contacts sensibles avec différents milieux physiques – eau, soleil, neige, sable, forêt…

Certes, sur le terrain les batailles engagées sont loin d’être gagnées. Les inégalités, l’injustice, la pauvreté ont, dès cet âge, créé des clivages. Tous les enfants n’ont pas le même accès au club des bébés-nageurs, à la patinoire, au jardin des neiges, à la ludothèque, à l’école de danse ou de judo, à un centre de vacances ou une garderie bien équipée. De plus, les idées nouvelles, plus ou moins bien médiatisées ont pu, ici ou là, donner lieu à des dérives : soit un laisser-faire systématique senti par l’enfant comme un manque de repères, un abandon, voire un droit de tout faire ; soit un forcing de sollicitations où la plasticité de l’enfant et son appétit d’activité servent d’alibi à l’impatience de certains adultes d’en faire des champions.

Mais souvent, l’oublié de cette évolution vers plus de motricité, plus d’expérimentation, plus d’activité, le parent pauvre, le laissé pour compte, c’est le jeu collectif. C’est que certaines interprétations d’analyses de psychologues ont été hâtives, menant à des contre-sens. La classification de Piaget, fixant l’apparition des jeux à règles vers 8-9 ans, après celle des jeux symboliques (3 ans) et des jeux d’exercice est souvent comprise comme une succession de tranches étanches, alors que chacun de ces comportements est présent toute la vie. Il évolue avec des périodes plus manifestes que d’autres où il envahit toutes les conduites. Les “relations socio-motrices”, par exemple, sont présentes dès le plus jeune âge. Hubert Montagner a montré, en observant les jeunes enfants dans les crèches, la place importante de ces relations dans leur comportement et la formation de leur personnalité. On coopère, on s’oppose, on s’imite, on s’agresse, on cherche à dominer ou à suivre, dès le plus jeune âge.

À 3 ans, l’enfant est capable de comprendre et d’appliquer une règle concernant le rapport à l’espace (cette ligne au sol dessine ton nid), aux objets (la cible est cette porte), aux autres (on passe sous les bras), de comprendre le but du jeu (ramasser et rapporter les balles rouges), de jouer un rôle (se cacher) ; mais, à l’évidence il ne peut se mettre à la place d’autrui, analyser rapidement une situation où sont imbriqués partenaires et adversaires, se conformer à une tactique collective. Les éléments de complexité à prendre en compte sont multiples : l’effectif d’enfants, la régulation de l’adulte, la nouveauté du jeu, le nombre de consignes et de règles, la technicité demandée aux gestes… mais le critère choisi comme axe de notre proposition est celui des rôles socio-moteurs, leur nombre et leur stabilité. Déjà certains fichiers de jeux pour l’école maternelle classent ainsi :

  • les jeux où les enfants reçoivent tous la même consigne (Cherchons…)
  • ceux où un enfant reçoit une consigne différente des autres (Loup, y es-tu ?)
  • ceux où deux groupes reçoivent des consignes différentes (Le filet des pêcheurs) Notre tableau à double entrée (p. 30) va plus loin en suivant les travaux de Pierre Parlebas et en distinguant :
  • les duels d’individus ou de groupes aux rôles symétriques ;
  • les duels dissymétriques ;
  • les épreuves opposant trois équipes rivales (ou plus éventuellement), directement ou indirectement (par barème interposé) ;
  • les oppositions d’un joueur contre tous les autres (situation pouvant évoluer). Au début, l’adulte joue souvent le rôle central.
  • les jeux d’un groupe où chacun joue pour soi.

Nous pensons que dans un fichier, les jeux doivent être déshabillés de leurs thèmes symboliques (fleurs, papillons, sorciers, animaux, aventures…) car ceux-ci doivent appartenir au groupe de joueurs, en fonction de son milieu et de son histoire propre. Cependant certaines dominantes apparaissent : • le voyage pour les parcours, pistes, relais, rallyes ; • la chasse pour les cachettes-recherches, les poursuites, les esquive-ballons, les investissements de territoires ; • les épreuves initiatiques pour les défis d’adresse et d’agilité comme les billes, sauts à l’élastique… • l’animation qui consiste à faire vivre une balle, un volant… par renvoi contre un mur ou au dessus d’un filet… • la bataille comme dans le corps à corps ou la dispute d’un ballon ; • la comédie comme dans les jeux de taquinerie (Je te tiens par la barbichette) ou dans les petits jeux d’expression (mimes…) ; Les titres donnés en illustration du tableau peuvent paraître énigmatiques. Les éclaircissements qui suivent les expliquent et les prolongent.

Jean-Claude Marchal, groupe de recherche Jeux et pratiques ludiques des Ceméa

Bibliographie Marchal J.-C., Jeux traditionnels et jeux sportifs, ed. Vigot, Paris, 1990. Marchal J.-C., École maternelle, 48 fiches de jeu, ed. EPS, Paris. Montagner H., L’Activité ludique, Ceméa, 1991. Parlebas P, Jeux sports et sociétés, lexique de praxéologie motrice, ed. Insep, Paris 1999.

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°29



L’accueil en centre maternel

Accueillir de jeunes enfants, c’est avant tout assurer leur sécurité affective pour qu’ils profitent au mieux de leur séjour.

La séparation d’avec la famille peut être chez le jeune enfant une source d’angoisse et avoir de graves conséquences sur son développement si elle est mal vécue. L’enfant ne doit pas se sentir abandonné par ses parents et garder des liens avec eux tout au long du séjour. Il va découvrir un environnement inconnu, de nouveaux lieux avec de nouvelles règles de vie : le centre de vacances avec d’autres enfants, de nouveaux adultes. Pour qu’il puisse se construire des repères dans le temps, dans l’espace et dans les relations interpersonnelles et pour que sa sécurité affective soit assurée, l’équipe a créé un cadre de vie à partir de ce double besoin de sécurité et d’autonomie. Le séjour en centre de vacances est ainsi une occasion pour l’enfant de conquérir une plus grande autonomie et il peut se risquer à prendre des initiatives.

Repères dans les relations Un groupe de vingt ou trente enfants est beaucoup trop important pour permettre à de jeunes enfants de s’y retrouver. Celui-ci a besoin de vivre dans un groupe restreint pour établir des relations et se sentir reconnu dans sa singularité. Dans notre centre, nous avons décidé de répartir les enfants en deux grands groupes. Sur le premier séjour, le groupe des “petits” comptait quinze enfants âgés de 4 ans et trois animateurs ; le groupe des “grands” comptait quinze enfants de 5 à 7 ans et deux animateurs. Cela permet également de mieux respecter le rythme de vie spécifique des plus jeunes. Chaque grand groupe était divisé en deux ou trois petits groupes, avec un animateur de référence. Cet animateur, le même pendant tout le séjour, sert de point de repère aux enfants. Ainsi l’animateur peut avoir des relations privilégiées et individualisées avec chaque enfant. Il vit avec son petit groupe les différents moments de la vie quotidienne. Ayant peu d’enfants dont s’occuper, il est plus disponible auprès de chacun et peut prendre le temps de les accompagner. Cet accompagnement individualisé permet à chaque enfant d’acquérir plus d’autonomie. l’animateur ne “fait pas” à la place de l’enfant mais l’aide à réussir seul, tout en restant vigilant. Par exemple, au moment de la douche, l’enfant se lave seul mais on veille à ce qu’il se rince bien et on l’aide éventuellement à s’essuyer convenablement. Le coucher, moment délicat où renaît l’angoisse ou la séparation a pu se passer sans grande difficulté. L’enfant peut compter sur son animateur disponible pour parler avec lui de la journée passée, des projets pour le lendemain. Il peut ainsi rassurer l’enfant et prend le temps pour l’accompagner jusqu’à son endormissement. Chaque petit groupe était doté d’un signe distinctif : un soleil, un lapin, un clown… Ce signe était repris à plusieurs endroits : la porte de la chambre, l’endroit où étaient rangées les chaussures, les valises au moment du départ… Quelques jours avant le début du séjour, l’animateur de référence a écrit une carte à chaque enfant de son groupe. Cette carte personnalisée (le prénom de l’enfant y été inscrit) lui souhaitant la bienvenue comportait la photo de l’animateur et le signe distinctif de son petit groupe. Elle a facilité la séparation avec les parents au moment du départ, L’enfant sachant avec qui il allait passer les dix jours du séjour. L’animateur n’est plus un inconnu. L’enfant peut aller vers lui, l’appeler par son prénom. Plusieurs enfants l’avaient apportée avec eux et la ressortaient le jour où l’animateur était en congé (nous avons même vu un enfant la ressortir l’année d’après en espérant retrouver son animateur). L’enfant a passé la première journée au sein de son petit groupe. Puis, progressivement, il a élargi ses relations au sein du grand groupe, au moment du repas et pendant les activités. Cela pour lui offrir davantage de possibilités tout en conservant les repères nécessaires, car son animateur de référence restant le même, il savait qu’il pouvait ce retrouver à tout moment, notamment pour la vie quotidienne. Bien sûr, les groupes ne sont pas “étanches”. L’enfant a la possibilité d’aller voir un autre enfant : son frère, sa sœur, un copain… Dès le début, nous avons pris soin de montrer à l’enfant où dormait son petit frère ou sa grande sœur. Nous avons également accepté que deux sœurs n’appartenant pas au même groupe, dorment la première nuit dans la même chambre. Dès le premier jour, les autres adultes travaillant sur le centre (la cuisinière, le directeur, l’assistante sanitaire) ont été présentés aux enfants. L’équipe de direction a organisé son travail pour être au maximum présente auprès des enfants et des animateurs. Cela est très important, d’autant plus qu’il lui revient de remplacer l’animateur de référence pendant son jour de congé.

Avec les parents Nous avons enfin souhaité associer au maximum les parents. Certes, ils ne sont pas physiquement présents (bien qu’ils aient la possibilité de venir voir leur enfant). Mais travailler avec eux a facilité l’intégration de leur enfant dans le centre. Avant le séjour, nous leur avons envoyé un document leur présentant nos objectifs et leur décrivant le plus précisément possible la vie de leur enfant sur le centre. Ce document a deux intérêts : informer les parents, les rassurer mais surtout les inviter à parler avec leur enfant du séjour qu’il va vivre. Nous y avons d’ailleurs incorporé des photos du centre et des environs. En écoutant les enfants les premiers jours, je sais que beaucoup l’ont regardé avant de venir. Ce document a eu d’autant plus d’importance que plusieurs parents n’ont pas pu venir aux réunions d’informations. Ce travail avec les parents avant le séjour est très important. L’enfant peut ainsi se rendre compte qu’il n’est pas abandonné à des inconnus mais confié à un animateur avec qui ils ont des relations et en qui ils ont confiance. C’est pourquoi nous avions décidé aussi malgré un voyage en car avec plusieurs points de ramassage, de prendre ce temps au moment du départ pour parler avec chaque parent en présence de l’enfant. Pendant le séjour, celui-ci reste en contact avec ses parents par le courrier et par le téléphone. Cela a entraîné quelques larmes, mais quel bonheur pour un jeune enfant d’entendre ses parents lui dire qu’ils l’aiment et qu’ils pensent à lui. Nous avons été vigilants aussi pour que chacun reçoive du courrier de ses parents, n’hésitant pas à appeler pour réparer un oubli : car la carte qu’il reçoit “concrétise” le lien maintenu avec les parents. L’enfant peut la cacher secrètement ou l’afficher près de son lit. Il peut demander qu’on la lui relise plusieurs fois, notamment dans les moments d’angoisse.

Repères dans l’espace L’organisation de l’espace est importante dans le centre de vacances. S’il est organisé pour que l’enfant se l’approprie, il va favoriser la naissance d’activités, l’envie de découvrir, de manipuler, de construire, de jouer… Encore faut-il que l’enfant s’y sente en sécurité. L’équipe a donc travaillé à partir de la notion de territoire, propre à chaque groupe d’âge. La proximité du centre a permis à l’ensemble de l’équipe de se rendre sur place un week-end avant l’arrivée des enfants. Tous les animateurs ont pu découvrir la structure et l’environnement. Cette appropriation de l’espace a permis à l’équipe d’accueillir les enfants dans les meilleures conditions. On est en effet plus à l’aise lorsque l’on connaît bien les locaux et l’environnement. Ce week-end a également permis d’aménager les différents espaces, les lieux de vie et d’activité : chambre, salle à manger, salle de jeux, salle d’activité manuelle, parc… Certains étaient plus particulièrement destinés à un grand groupe : salle de jeux, coins extérieurs, partie de la salle à manger. Ce choix permet de tenir compte au mieux des besoins et des capacités des enfants d’âges différents, mais aussi d’éviter une trop grande concentration d’enfants dans un même endroit. Cependant un “grand” a la possibilité d’aller dans la salle de jeux des petits, ou un “petit” d’aller explorer l’espace des grands.

La salle de jeux est le lieu privilégié du grand groupe. Différents coins étaient installés : coins poupées, dînette, circuit voitures, coins livres… Un coin repos fait de matelas et d’oreillers recouverts de tissus permet à un enfant de se retirer du groupe et de se reposer un instant avant de retourner jouer seul ou avec ses copains. Au cours du premier séjour, nous avons remarqué que la salle de jeux des grands était mal située et peu investie par les enfants de ce groupe. Nous avons attendu pour la déplacer et la réaménager la fin du premier séjour. Ce n’était pas seulement dû à un manque de temps. Nous ne voulions pas perturber les enfants. S’il est en effet possible d’apporter des modifications aux aménagements, voire en ajouter de nouveaux, pendant un séjour, il est important que l’aménagement global reste stable pour permettre aux enfants de garder les repères qu’ils se sont construits.

Chaque petit groupe était réparti en une ou deux chambres. L’animateur de référence dort dans une chambre à proximité. Les signes distinctifs de chaque petit groupe sont reportés sur les portes de ces différents lieux. En aménageant les espaces, nous avons également réfléchi aux parcours des enfants afin d’éviter que tous se retrouvent en même temps dans le même couloir étroit. Les premiers jours, l’animateur de référence accompagnait les enfants dans la découverte de l’espace, leur rappelant souvent où se trouvaient les différents lieux, quels chemins prendre pour aller de la chambre à la salle de jeux ou à la salle à manger… Au fur et à mesure que les enfants s’appropriaient les espaces, ils pouvaient circuler librement. Cette conquête progressive d’une plus grande autonomie s’est faite à un rythme différent selon les enfants, mais nous avons pu constater que dès le deuxième jour, certains allaient, venaient et jouaient sans la présence d’animateur.

Repères dans le temps Pour un jeune enfant, se repérer dans le temps est difficile. À 4 ans, il n’arrive pas à avoir une vision globale de la journée. Quant à l’ensemble du séjour, ce n’est pas la peine d’y compter… Pourtant, il nous semble essentiel de lui permettre de se construire petit à petit ses repères. L’organisation de chaque moment de la vie quotidienne doit être identique chaque jour. C’est en effet ces moments qui structurent la vie de l’enfant. Très vite, il sait qu’avant de passer à table, on passe par les lavabos pour se laver les mains, que les douches en fin d’après-midi annoncent le dîner… Nous avons passé beaucoup de temps à préparer le plus précisément possible ces moments, afin que chaque animateur situe bien son rôle dans leur organisation, à ce moment précis. Malgré cette préparation commune, chaque animateur a très rapidement fonctionné à sa manière, tout en gardant en tête les objectifs communs. Cela est normal, car il s’adaptait aux enfants de son groupe, aux locaux… Afin d’éviter que les enfants soient perdus par un autre fonctionnement, l’animateur de référence expliquait à la personne qui le remplaçait pendant son jour de congé comment il procédait. Les enfants veulent toujours savoir quand ils vont rentrer chez eux. Leur dire qu’il reste sept ou trois jours ne les aide pas vraiment car ça ne leur dit rien. Nous avons profité de ce que les séjours durent dix jours pour nous servir des doigts de la main (notre main mais surtout celle de l’enfant) pour leur montrer le temps écoulé depuis notre arrivée et le temps restant avant le retour dans leur maison. Très rapidement, les enfants comptaient eux-mêmes chaque jour le nombre de doigts, et donc le nombre de jours restant. Le travail de l’équipe, pendant le séjour, et surtout dès la préparation, a permis d’accueillir les enfants dans les meilleures conditions. L’adaptation a été différente selon les enfants, très rapide pour certains, plus lente et difficile pour d’autres. Mais grâce au travail d’équipe, qui permet la “distanciation”, la prise de recul et la coopération entre des adultes, chacun a trouvé une place dans le centre.

Olivier Epron

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°29



Vous avez dit petit et gentil !

Tu dis : “ Ils sont petits, ils ont besoin de moi ”, mais en es-tu si sûr ? Tu dis aussi : “ Ils me font craquer, ils sont nature, j’ai toujours aimé les petits mômes. ” Tu dis encore : “ On en fait ce qu’on en veut, ils veulent bien tout, c’est plus facile ! ” Vraiment, en es-tu si sûr ? Toi qui as choisi de leur faire passer de bonnes vacances, comment vas-tu accepter que celui-ci s’oppose ? (“ Non, il ne veut pas aller aux toilettes maintenant et surtout pas avec les autres ! ”) Que celui-la trépigne ? (“ Non, il ne donnera pas la main à son voisin pour faire la ronde ! ” ) Que celui-là encore refuse d’ôter son anorak ! ou que celui-là crache sur l’autre animatrice qui lui propose un goûter ! Et que parfois, entre eux, ils ont de biens vilains gestes… Les accuseras-tu de caprices et de comédie ? Évoqueras-tu leur mauvaise éducation et les désordres familiaux ? Cela, tu en conviens, ne résout rien. Devant la salle d’eau inondée, la chambre sans dessus dessous, leurs conflits, leurs bagarres, leurs chahuts, tu te demandes tout à coup si tu as appris quelque chose au stage “ Approfondissement : Jeunes enfants ”. “ Ils n’agissent ensemble, ajoutes-tu, que dans mon dos et pour faire des bêtises ! ” Tu les croyais confiants et coopérants parce qu’ils étaient petits, tu les découvres volontaires et entreprenants ! Il te reste donc à te repositionner : observe ce qui se passe… Ils bougent, ils se déplacent, ils jouent seul ou à plusieurs, ils touchent à tout, ils viennent vers toi… Alors, sois attentif, disponible à leurs initiatives, à leurs itinéraires, à leurs jeux ! “ Ils sont si turbulents ”, dis-tu. À mon avis, ils sont seulement très actifs. Encourage-les dans leurs entreprises, autorise-les à bouleverser ce qui a été mis en place : ils expérimentent ! Aide-les à tâtonner, à recommencer s’ils se trompent et s’ils le souhaitent ! Soutiens leur désir ! Communique avec eux ! Agis avec eux mais pas à leur place !

Vois ce qu’ils font mais pas ce qu’ils produisent ! Et, là, sous tes yeux, là, au comptant, tu peux mesurer les résultats de ton travail d’animateur de jeunes enfants :

  • ils rincent les pinceaux avec sérieux ;
  • ils apportent le plat sur la table ;
  • ils s’inquiètent des activités du lendemain auprès de toi ;
  • ils vont seuls aux toilettes sans ouvrir tous les robinets, leurs rires éclaboussent notre fin d’après-midi.

Accompagne-les, discret et émerveillé de leurs découvertes, de leurs joies, de leurs vacances. Réjouis-toi de les voir grandir par eux-mêmes, pour eux-mêmes, libres de leurs mouvements et de leur formidable soif de vivre ensemble tout ce qui s’offre à eux. Prends ton temps pour que le leur leur appartienne. Il y a, vois-tu, égale dignité à encadrer des jeunes enfants ou des plus grands, égales responsabilités et difficultés aussi. Le tout petit enfant est une personne et il sait bien nous rappeler quels sont ses droits. À nous de nous en souvenir pour que tout se passe au mieux.

Nine Tapin

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°29