Introduction – VST n°123 Sexualité, quand l’institution s’en mêle

vst123Il y a les situations de mixité interdites, possibles, choisies, réfléchies, imposées… Il y a les approches techniques de la sexualité, réduite aux relations sexuelles : contraception, assistance technique, assistance humaine… Il y a les couples qui se constituent, amour et parfois projets, avec alors la discussion permanente sur la procréation, qui plus est quand on estime que les personnes sont fragiles et qu’on s’interroge sur leurs capacités de décision puis de portage. Il y a l’hyperféminisation des métiers du soin et de l’éducatif, avec à la clé des stéréotypes de genre peu réfléchis et largement reproduits. Derrière tout cela, il y a à la fois le « droit à » pour les usagers, et les risques permanents d’envahissement et de normalisation institutionnelle. À quand une recommandation de bonnes pratiques portant sur la « bonne » sexualité à la charge des institutions ? Les institutions peuvent-elles s’en mêler sans s’emmêler ?

Le sexe – selon l’étymologie –, c’est ce qui sectionne. Ce qui coupe l’espèce humaine en deux sexes ; ce qui divise l’homme entre le rationnel et le pulsionnel ; entre ce qui rassure et ce qui surgit : l’image ou le rêve érotiques, l’excitation imprévue ou l’érection inopportune. Le sexe, c’est aussi ce qui ravit au sens fort du terme, ce qui arrache la créature à l’ordinaire de la sensation.

Être professionnellement en position d’observer la sexualité des autres et de pouvoir y intervenir, c’est occuper une place habituellement interdite : il est classiquement considéré aujourd’hui que la sexualité est du domaine de la vie privée. Pourtant, au siècle dernier, les freudo-marxistes et les reichiens disaient que la sexualité est politique ; mais ce n’est plus dans l’air du temps. Tout au plus la classe politique veut bien parler du sexe, mais c’est alors en termes de morale pour éradiquer la prostitution, ou de droit des handicapés-citoyens-consommateurs à une vie sexuelle construite évidemment dans les normes de la bienséance. Bienséance et vie privée, nous voici alors à la porte de la chambre à coucher parentale, lieu ultime du secret. Personne n’est censé savoir ce qui s’y passe, et surtout pas les enfants pour qui elle est un objet d’insatiable curiosité. Pendant des décennies, ce secret du sexe, construit comme honteux hors du mariage consacré, fut la porte ouverte aux abus. L’institution religieuse s’en mêla terriblement  ; ce qu’a fait vivre l’Église catholique irlandaise à des jeunes femmes filles-mères est à inscrire au Panthéon de l’immonde humain. Et à nos portes, ces Bon- Pasteur si accueillants, et tellement rééducatifs, avec les jeunes pécheresses et sauvageonnes [1] …

L’époque a changé : les personnes accueillies dans les établissements du secteur sanitaire et social ont des droits définis par les lois, et ceux-ci ont une incidence sur le domaine du sexuel : droit à l’information, à la contraception par exemple.

On a pris également peu à peu conscience que les professionnels aiment parfois trop les enfants ou jouissent trop de leur pouvoir sur eux. Ainsi avertis, les éducateurs et les soignants restent toutefois seuls et impuissants devant ce qui les traverse, et ont alors généralement tendance à mettre de côté la question sexuelle, la rabattant sur son volet anatomo-physiologique que traiteront les infirmières et les médecins.

Et pourtant, la question sexuelle les concerne. La mettre hors champ de l’action éducative et sanitaire, c’est d’une certaine façon perpétuer l’eugénisme, cette construction pseudo scientifique et raciste selon laquelle il faut prendre les moyens d’éviter la procréation des anormaux et des marginaux, leurs « tares » étant supposées héréditaires. Au nom de cette idéologie, on a, par exemple, imposé une contraception à leur insu à des jeunes filles de certaines institutions et de même fait pratiquer des « appendicites » qui étaient en réalité des avortements. Et plus généralement, on interdit les pratiques sexuelles dans les foyers et lieux d’hébergement sous prétexte « d’interdit de l’inceste » !

Et pourtant, la question sexuelle c’est aussi devenir homme ou femme, et se préparer à une vie de couple ou de célibataire, ainsi qu’à un possible devenir parent. Ici, les éducateurs et les soignants ont un rôle à jouer dans l’accès des jeunes dont ils s’occupent à des rôles masculins ou féminins échappant aux redoutables stéréotypes du machisme pour les uns, de la féminité soumise pour les autres ; leur permettant peut être dès lors d’échapper à la reproduction des rapports intrafamiliaux violents dont ils ont été les victimes et qui sont parmi les origines de leur placement ou de leur maladie.

Le handicap, sous toutes ses formes, est une surface de projections de nos craintes par rapport à la sexualité, à son caractère pulsionnel. Si nous sommes en proie à ces pulsions, alors les « autres », forcément… Une professionnelle parle de l’appréhension du personnel devant la sexualité des vieux dans une maison de retraite, des craintes des soignants et des parents devant des manifestations de vie sexuelle. Un vieil homme a des relations avec une dame, tous les deux un peu Alzheimer, « ils sont pris sur le fait ! » dit-elle, comme s’il s’agissait d’un crime ! La famille proteste. La vieille dame, selon elle, ne peut être qu’une victime de ce vieillard libidineux… Et combien de parents ont en effet considéré que leur fille handicapée était une enfant quel que soit son âge ?

Comme antidote à cette vision infantilisante et asexualisante du handicap, il faut se souvenir de Frida Kahlo, peintre mexicaine, militante féministe et politique, handicapée physique, et de son extraordinaire vitalité qui lui a permis de vivre une exubérante vie sentimentale, sexuelle et politique, audelà de ses souffrances et de ses handicaps. La libido est en effet force de vie. Et à ce titre, elle est à accompagner, à civiliser, plutôt qu’à réprimer. Il semble bien qu’en ce domaine nous soyons bien timides, davantage que les éducateurs des années 1980 qui osaient penser qu’il y avait quelque chose à faire pour aider ceux dont ils s’occupaient à accéder à un certain degré de liberté. Et quand aujourd’hui « libido » devient synonyme de « droit à », et quand la pulsion devient consommation…

Alors, la sexualité, faut-il que l’institution s’en mêle, qu’elle soit institution législative, institution gérant un établissement d’accueil, institution soignante… ? Puisque que l’institution morale a largement sévi en la matière et n’est pas prête de s’arrêter de peser, comment faire sans continuer à s’en-mêler ?

Ce dossier ignore volontairement les grandes signatures militantes, celles des célèbres personnes-usagers du social comme celles de parents, de familles qui se dépatouillent à leur façon de ce qui leur est tombé sur la tête. Chacun saura trouver ailleurs, partout, leurs textes, leurs positions et analyses.

Nous ouvrons ce dossier par la parole de Sandrine Ciron, qui rapporte comment l’institution s’est mêlée de sa sexualité et comment elle s’en est sauvée. Suit une brève histoire de la mise à disposition de préservatifs par François Chobeaux, qui propose de prendre le statut de ces objets comme analyseur institutionnel.

La façon d’en parler, ou de n’en pas parler, est traitée : dans un foyer de placement d’adolescentes (Monique Besse), dans un lieu d’accueil de personnes souffrant de démence sénile (Lorraine Ory), en revenant sur l’histoire et en observant un foyer d’adultes handicapé-es (Jean-Luc Marchal). Nous contribuons au débat sur l’assistance sexuelle avec les points de vue de André Dupras, qui pose la question de la « normalité sexuelle » vue du Québec, et de Pierre Brasseur et Pauline Detuncq, qui s’intéressent à la construction politique de cette question.

Il y a aussi les situations où une question de sexualité devant être traitée par l’institution en cache puis en dévoile une autre. Yannick Benoist montre comment l’auteur d’actes répréhensibles peut être dans un enchaînement, où il était auparavant victime, et comment cette institution-là, la Protection judiciaire de la jeunesse, s’est dépatouillée de devoir à la fois travailler sur l’acte et sur le passé.

Enfin, pour clore le dossier, des repères chronologiques réunis par Monique Besse pour rappeler l’histoire récente du statut social de la sexualité et de sa prise en compte institutionnelle.

Monique Besse
François Chobeaux

Texte paru dans Vie Sociale et Traitements n°123

Notes :

[1] Voir le dossier « Que faire avec les filles », dans VST n° 106, 2e trimestre 2010.




Un garçon, ça ne pleure pas !

vst122Le machisme a encore de beaux jours devant lui. Plus on avance vers des mesures qui devraient permettre une véritable parité entre les hommes et les femmes, plus les forces réactionnaires se dressent pour en empêcher l’accomplissement.

Théorie du genre ou pas, nous savons bien, nous les éducateurs, que la différenciation des sexes se produit vers le plus jeune âge. Il suffit de jeter un œil sur la majorité de la littérature enfantine (malgré les efforts de Montreuil et du Salon du livre et de la presse jeunesse) pour voir que les stéréotypes se construisent dans les jeux, dans les couleurs, dans les rôles auxquels on fait aspirer les enfants. Dans le langage courant : « Un garçon ça ne pleure pas ! »

Combien de fois l’ai-je entendu, enfant ! Combien de fois l’entends-je encore aujourd’hui au hasard de mes promenades et de mes rencontres !

Oh ! Certes, nous avons fait des progrès dans les recherches pédagogiques auxquelles nous avons été conviés, mais ces efforts n’ont guère infléchi ni les vendeurs de livres, ni les fabricants de jouets, et l’homme de la rue continue sans le savoir, sans le vouloir d’ailleurs, par habitude, à produire les mêmes processus qui transportent les mêmes idées. La parité devrait être une attitude naturelle : on a besoin d’une attention particulière pour ne pas être pris au piège des habitudes.

Je dis bien : la parité qui devrait être une attitude naturelle. Le plus fort, c’est que nous sommes tous entraînés malgré nous à utiliser les stéréotypes.

J’entendais, ces jours-ci, prôner le sport féminin, parent pauvre du sport en général. D’abord parce que certaines disciplines, jusqu’à pas très longtemps, étaient fermées aux femmes et aussi parce que lorsque s’installent des compétitions féminines, le public est moins important que celui qui assiste aux mâles ébats des vedettes masculines. Cela bouge, bien sûr ! Et cela bouge très doucement, tout simplement parce que le premier réflexe ne va pas dans ce sens – parce que tout est bon pour justifier que le masculin l’emporte sur le féminin. Cela pourrait faire sourire si les conséquences sociales n’étaient pas si importantes, se traduisant dans les salaires, dans les rôles, dans les responsabilités. Même dans les professions où le genre féminin l’emporte sur le masculin, les postes de direction vont plus souvent vers les hommes, on le sait bien !

Alors quand tout à coup un ministre courageux décide de s’attaquer à cette forteresse, en prônant des exercices, des jeux, des histoires, où les stéréotypes sont mis en quarantaine, voici les bonnes âmes qui se mettent à crier au scandale, à la pornographie, à l’apprentissage de la masturbation, que sais-je ? Que n’ont-ils pas inventé dans cette rumeur où l’école est mise au piquet. Je devrais dire aussi « n’ont-elles pas », tant les femmes satisfaites de leur esclavage (ou tout au moins faisant semblant de l’être) sont parmi les plus remontées contre ces méthodes qui tendent à diminuer les raisons d’une dépendance millénaire.

La rumeur, la calomnie, depuis Beaumarchais, cela n’a pas beaucoup évolué. Alors, Mesdames, courbez-vous, n’oubliez pas de mettre votre rose tablier, et surtout remerciez ceux qui vous méprisent et vous persécutent. Grâce à vous, le machisme se porte bien.

Jacques Ladsous

Texte paru dans Vie Sociale et Traitements n°122




Mobile attitude

En quelques années, le téléphone mobile s’est imposé auprès des adolescents. Difficile d’y échapper pour les équipes qui encadrent les adolescents en vacances collectives. L’usage du mobile modifie la circulation de l’information avec les parents mais aussi au sein du groupe.

Aujourd’hui, la technologie a vite fait de nous rattraper et encore plus vite fait de nous dépasser. N’y voyez là aucune sorte d’amertume, d’inquiétude ou au contraire de jubilation, c’est un fait, point ! Les chercheurs, psychologues et éducateurs de tout poil, nous le disent aussi directement : les enfants et les jeunes y sont sensibles. Ils naissent avec ces nouveaux outils et se les approprient à la vitesse de la lumière. Bref, ce n’est pas difficile d’être dépassé, on sent à peine le courant d’air. Inutile aussi de résister, nous ne sommes pas de taille.

DANS LES PREMIERS ÂGES, LE TÉLÉPHONE AVAIT UN FIL
Il n’y a pas si longtemps (enfin si, quand même un peu), on découvrait les ordinateurs. Il n’y a pas si longtemps, il fallait expliquer aux enfants comment utiliser une souris ; on avait même de petits programmes ludiques pour le faire. Aujourd’hui, on dirait presque que, dès la naissance, à la manière des Japonais apprentis confectionneurs de sushis, les enfants savent se servir de la souris, Il n’y a pas si longtemps, les équipes de colos et de camps d’ados réfléchissaient à l’usage du téléphone (qui était bien souvent dans le bureau) : fallait-il ou non permettre aux parents d’appeler leurs enfants ? Aujourd’hui, la réponse est loin derrière nous tant il semble évident à tout le monde qu’enfants et parents doivent se donner des nouvelles pendant un séjour. Il n’y a peut-être que les enseignants en classe de découverte qui se posent encore la question ! Peu après, on s’est demandé comment gérer le pointphone qui a trôné dans presque tous les centres de vacances. Il n’y a pas si longtemps, nous nous sommes interrogés sur le portable pour les ados. Les réponses n’étaient pas si simples mais très peu d’entre eux étaient concernés, alors il était assez facile d’échanger avec eux et avec leurs parents. Je me souviens assez nettement de ce que nous avions écrit dans un courrier aux jeunes et aux parents avant un séjour dans les Alpes. En substance, nous disions que le portable n’était pas nécessaire, que nous donnerions des nouvelles régulièrement, que nous inciterions très fortement les jeunes à en donner aussi, par courrier et par téléphone. Nous disions encore que pour la bonne adaptation des jeunes et surtout pour permettre à chacun d’entre eux de prendre du temps et de faire l’effort de construire des relations au sein du groupe et avec les animateurs, le mobile nous semblait néfaste. Je vous assure (si, si !) que le discours était très facile à entendre par de l’ordinateur, de la tablette, des mobiles… les parents et aussi par les jeunes (si, si, vraiment, je vous assure !) et que personne n’avait apporté de portable. À cette époque (franchement pas si lointaine, ne soyez pas désagréable !), on partait en camp et le directeur, les animateurs et les jeunes ne donnaient des nouvelles à leur famille qu’une ou deux fois en quinze jours ou trois semaines. C’était même un sujet de blague entre parents : alors, t’as reçu une carte ? Elle t’a appelée pendant le séjour ? On ne comptait pas le nombre de fois où c’était arrivé tant c’était rare. Une seule main suffisait largement à plusieurs parents !

DE LA FRITURE SUR LA LIGNE
Mais aujourd‘hui, le mobile s’est tellement banalisé que plus aucune équipe ne se pose la question (en tout cas pour elle-même) de l’intérêt ou non d’emporter son portable. Les arguments sont nombreux : c’est un élément de sécurité avant tout, bien sûr, et d’organisation mais franchement, on ne se demande pas si on le met ou pas dans son sac à dos, on le prend, un point c’est tout, et on n’oublie pas le chargeur. On se demande même si on aura besoin d’un adaptateur si on part à l’étranger. Bref, pour nous, équipe, c’est réglé.

En revanche, le smartphone des ados (ils n’ont plus que ça, n’est-ce pas ?) nous pose problème. Que va-t-il se passer en cas de coup de cafard ? suite à un désaccord avec un animateur ? ou avec un jeune ? ou si la chambre n’est pas à leur goût ? un peu trop spartiate ? si les repas ne leur plaisent pas (ce qui est fréquent) ? le sac-à-dos trop lourd ? la vaisselle trop longue ? À coup sûr, ils vont téléphoner à leurs parents et ça va nous revenir aux oreilles, déformé, dénaturé, amplifié, plus vite que la lumière, façon boomerang. Ça passera même sans doute par les oreilles de l’organisateur, premier contact des parents. Et vous connaissez le principe, le petit truc insignifiant qu’on n’avait même pas vu et qui s’était réglé presque dans l’instant devient un problème incroyable, une montagne infranchissable, un machin non identifié qui va nous pourrir la vie.

LE MOBILE INTÉGRÉ AU TROUSSEAU
Et pourtant, chacun sent bien que le combat est déjà loin derrière nous : les jeunes (et maintenant les grands à partir de 9-10 ans) sont équipés, voire suréquipés.

L’organisateur ou le directeur qui interdirait les portables aujourd’hui aurait tôt fait de se faire dépasser, flouer, transgresser. Bien sûr, ils peuvent quand même le faire mais pour quel résultat ? Alors, convenons ensemble que le mobile fait partie maintenant de notre matériel de base au même titre que l’Opinel. Bref, impossible de l’interdire au risque de se ridiculiser. En équipe, il va donc falloir apprendre à faire avec, convenir de ce qu’il est possible de faire et de ne pas faire. Informer les parents de ce qui peut se passer et leur donner des clés pour réagir ; sans doute appeler le directeur pour confirmer ou infirmer une information, un mal-être, une difficulté rencontrée. Il va falloir en faire un paragraphe de notre projet pédagogique : comment va-t-on gérer le portable des jeunes, les appels à la famille mais aussi la recharge, les prises de courant, l’adaptateur et les multiprises, les convoitises, vols, pertes, immersions, ensablages, rayures et le coût ? Peut-être pourrait-on aussi voir le portable comme un élément qui va permettre la mise en oeuvre de projets que l’on n’osait pas mener. Aurais-je laissé des ados de 13-15 ans déambuler à Londres une journée entière dans des endroits différents si je ne m’étais pas assuré que chaque petit groupe avait au moins un portable chargé permettant de contacter l’équipe en cas de soucis, de problème d’itinéraire, de tickets de métro ou d’argent ?

Serais-je suffisamment serein en laissant des plus âgés prendre un bus local en Inde sans possibilité de se joindre ? Bref, n’y voyez là aucune sorte d’amertume, d’inquiétude ou au contraire de jubilation, c’est un fait, il va falloir faire avec, point !

L’été dernier, en Inde du Sud, deux itinéraires s’offraient à nous. Je pose la question au groupe, lequel préférezvous  ? Échanges, discussion, comparaison de ce que l’on va manquer dans l’un et découvrir dans l’autre. Difficile de trancher. Félix demande la parole : « Combien de temps pour chaque itinéraire ? » Après ma réponse approximative, Félix conclut « Je préfère le premier, j’ai plus beaucoup de batterie, mon IPhone ne tiendra pas pour le second ! » Le smartphone comme maître-étalon : il va falloir faire avec…

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Texte de Jocelyn Vérité, paru dans la revue des Cahiers de l’Animation N° 85, également paru dans le dossier des Cahiers de l’Animation Sur l’Adolescence.




Accueillir les jeunes enfants : enjeux politiques et éducatifs

1389630575172[1]Crèches, écoles maternelles, « maisons vertes », centres de vacances et de loisirs, points d’accueils diversifiés, constituent aujourd’hui une mosaïque originale, véritable service complémentaire à l’école publique comme aux dispositifs de santé publique, de prévention, d’action sociale et culturelle.

Et ils sont des milliers, au delà des parents, éducateurs, enseignants, puéricultrices, aide-puéricultrices, animateurs, cuisiniers, personnels de service, médecins, sages-femmes, militants de l’éducation populaire, psychologues, directeurs et directrices, élus municipaux, à incarner ce vaste réseau de continuité éducative. Ils animent, soignent, gèrent, construisent des projets éducatifs, culturels, accueillent les enfants, conseillent les parents, soutiennent des familles en difficultés, sensibilisent les élus quant à l’importance de leur travail. Ils sont un socle de vie, un tremplin pour l’éducation, une étape essentielle pour les plus jeunes des citoyens de ce pays. Les comptes rendus et les apports théoriques réunis ici s’appuient sur des conceptions pédagogiques puisées dans l’expérience et dans les références à l’Éducation nouvelle mises en oeuvre par les Ceméa dans leurs formations. Ils alimentent la réflexion de ce réseau de praticiens et de chercheurs*.

Rappellons en ici les principales : le tout-petit est une personne. L’importance de l’interaction entre l’individu et le groupe, enfant et adulte ; la place centrale de l’activité pour comprendre et agir sur le monde, l’influence du milieu de vie sur le comportement. Cette confiance et l’enthousiasme mis au service de l’éducation, de la santé et de la vie sociale, se heurtent pourtant à des incohérences graves.

Depuis 2008, la pauvreté augmente en France et affecte trois millions d’enfants. De plus, des menaces permanentes pèsent sur les gestionnaires associatifs, sur les collectivités publiques qui n’hésitent plus à faire appel à des services privés à but lucratif, considérant le parent usager comme un client. Les besoins sont énormes, exprimés par les familles et par les éducateurs ; ce sont, la formation des personnels, la diminution des effectifs de classes ou de groupes d’enfants, l’augmentation des moyens financiers, l’accompagnement des familles pour concilier vie familiale et vie professionnelle.

Face à ces enjeux politiques les Cemea militent pour un « véritable service public de la petite enfance » avec ses exigences éducatives de qualité, de gratuité, de recherche réactivée, de formations à développer.

Marie-Claire Chavaroche-Laurent, Chargée de mission nationale Jeunes enfants
Serge Guisset, Ceméa Languedoc-Roussillon

Texte paru dans le dossier spécial Jeunes Enfants de janvier 2014




Accueillir l’enfance

« La question n’est plus seulement de savoir quel monde nous laisserons à nos enfants mais quels enfants nous laisserons au monde !  » Philippe Meirieu.

Il y a déjà à peu près vingt-cinq ans que j’accompagnais mon premier petit gars à la crèche, à Bordeaux. La « référente » de Florian fait encore aujourd’hui partie de notre proche environnement, comme la psychologue qui intervenait quelques heures dans cette structure municipale et qui continue de participer aujourd’hui à l’aventure de la revue Spirale, que je dirige depuis 1996.
Dans les années quatre-vingt, le bébé était déjà une personne et la « bébologie » s’érigeait en science à part entière. Une conception novatrice du bébé s’établissait qui considérait le bébé du « pipicacadodo » comme un être capable d’exprimer ses besoins, de se faire comprendre et d’interagir avec son entourage.
La réflexion sur les modes d’accueil, on parlait de « garde d’enfants » à l’époque, et les pratiques qui s’y référaient furent totalement renouvelées. Des nourrices mercenaires du XVIIIe siècle aux crèches hygiénistes du début du XXe siècle, les établissements d’accueil de la petite enfance entamaient leur tranquille mais radicale révolution. Dolto était passée par là, qui affirmait que le bébé était une personne (et Winnicott dès 1949 et Brazelton dans les années soixante-dix et Bernard Martino dans son célébrissime documentaire télévisé de 1984) et l’ouvrage de Myriam David et Geneviève Appell, Lóczy ou le maternage insolite (1973), avaient profondément marqué les esprits. La convention internationale des droits de l’enfant de 1989 introduisait déjà les travaux très récents sur les curricula qui édictent connaissances, objectifs et valeurs qui encadrent les pratiques d’un accueil de qualité de la petite enfance. Parents, professionnels, institutions, nous échafaudions de nouvelles modalités d’accueil et d’accompagnement des petits enfants par des adultes qualifiés et bienveillants, pour les aider à trouver leur voie dans un environnement sécurisant. Nous mettions l’accent sur la nécessité de repenser, radicalement, la politique de la petite enfance, à l’échelle d’un établissement, d’une ville, d’un pays, de l’Europe même.

Trouver une crèche
Il y a à peu près cinq ans, j’ai refait le chemin à rebours, accompagnant mon dernier petit gars à la crèche, à Marseille. Je me réjouissais à l’avance des changements que je pressentais, j’avais hâte de retrouver cette créativité des professionnels et ce souci de l’autre en devenir. LA crèche, il fallut d’abord la trouver, liste d’attente immémoriale, propositions hasardeuses, usines à bébés, enfin, une structure associative toute neuve, avec de beaux projets mais surtout une écoute et une attention particulière à notre encontre, parents et enfant. Félix a essuyé les plâtres, on va le dire ainsi, de l’ouverture ; personnel trop mobile, difficultés de communication avec l’encadrement, j’avais l’impression de me retrouver vingt ans plus tôt, quand l’absence de moyens et de réflexion faisaient le lit d’un accueil précaire et peu respectueux des enfants, des parents mais tout autant des professionnels.

Risque de destructuration
Huit cent mille enfants naissent chaque année en France et près de 2,25 millions d’entre eux ont moins de trois ans. L’accueil de la petite enfance, qui s’était radicalement transformé en quelques années, serait-il en cours de déstructuration ?
La question peut se poser au vu de plusieurs événements concomitants ou successifs : rapport Tabarot de juillet 2008, rapport Juilhard de juillet 2009 rassemblant tous deux des propositions portant sur l’assouplissement des règles encadrant l’accueil individuel et collectif afin d’augmenter les capacités d’accueil des jeunes enfants mais mettant aussi radicalement en cause la qualité de cet accueil. C’est, comme si pour rendre effectif le droit opposable à la garde d’enfants, mesure emblématique de Nicolas Sarkozy lors de sa campagne présidentielle et prévue pour 2012 (avec 322 000 places à créer pour couvrir les besoins), le gouvernement avait décidé de donner la priorité aux crèches privées, aux jardins d’éveil et aux regroupements d’assistantes maternelles, le tout dilué dans une sous-professionnalisation affichée des professionnels. Quid dès lors de l’expérience cumulée par les professionnels et du travail au quotidien sur la qualité, la montée en compétence, les enjeux et les chantiers de la coéducation, l’accueil de la diversité, la place des parents, des professionnels, des enfants ? Quid encore de la concertation sur ces sujets, associant les différentes parties prenantes ?
Mobilisation générale Les collectifs Pas de bébés à la consigne, Pasde0deconduite, l’Appel des appels, d’autres encore et jusqu’à l’association Spirale ont organisé en commun les États GénérEux pour l’Enfance, le 26 mai 2010 à Paris pour dénoncer la libéralisation du secteur, la volonté des dirigeants de faire du chiffre à tout prix (augmenter le nombre de places de garde) sans se soucier de la qualité d’accueil des plus jeunes de notre pays. Ces États générEux pour l’enfance avaient décidé d’être délibérément indécents et de prendre la parole que l’on ne leur avait pas donnée pour qu’ensemble, nous construisions une vraie politique pour l’enfant en France ; un cahier de doléances, réunissant plus d’une centaine de revendications a été édité pour l’occasion.
Car, contre ce mot d’ordre actuel qui semble être : faire plus en dépensant moins, privatiser largement, déqualifier le personnel auprès des jeunes enfants ; pour changer une couche, pourquoi faire des études, n’est-ce pas M. Darcos ? et gérer le monde de la « garde d’enfants » à flux tendu, il nous fallait bien construire une mobilisation générale des professionnels de la Petite Enfance. Depuis, cette « déferlante nationale de la petite enfance » continue de faire oeuvre de résistance et les récentes publications du collectif Pas de zéro de conduite (Les enfants au carré ? Une prévention qui ne tourne pas rond et le Manifeste Petite enfance : pour une prévention prévenant) nous engage à maintenir élan et vigilance.

Règne du quantitatif
Car il faut bien s’en rendre compte, rien n’a changé de cette volonté affichée de l’État de dénaturer les métiers de l’accueil, de l’éducation, du soin, de la justice, de la culture. N’assistons-nous pas en effet à la dégradation de tous nos systèmes de valeurs culturelles qui sont toujours plus soumis à la standardisation et à ses impératifs orientés vers la consommation, à la dégradation des modes de vie en société, que ce soit au sein du couple, des structures de la famille, de la vie sociale, qui tendent à se décomposer ou à se stéréotyper ? N’entendons-nous pas, de toutes parts, un discours réactionnaire et sécuritaire, forme d’un désir de retour à des archaïsmes outranciers qu’il convient hâtivement de révoquer ?
Aux professionnels de l’enfance, qui exercent dans les champs de l’accueil, de l’éducation, du soin, de la justice, de la culture, il est maintenant demandé de prouver leur valeur, ce terme n’étant entendu chez nos contemporains que dans sa seule acceptation marchande. Or, la dignité humaine ne se marchande pas, assurait Kant. La dignité des professionnels de l’enfance, originairement engagés dans la sensibilité de l’autre, est aujourd’hui bousculée par un certain nombre de menaces ici rapidement rappelées pour les plus emblématiques et récurrentes, dans le champ de l’accueil de la petite enfance. Les projets gouvernementaux actuels conduisent, en effet, en dépit des effets d’annonces ministérielles, à une dégradation des dispositifs existants. À la volonté proclamée d’accueillir plus d’enfants, d’un « droit opposable à la garde d’enfant », répondent les atteintes multiples à la qualité de l’accueil.
Les choses sont claires, c’est le règne proclamé du quantitatif au dépend du qualitatif. En effet, dans la suite du rapport Tabarot remis à l’été 2008, sur le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance en France, le gouvernement a successivement :

  • Modifié le décret du 20 février 2007 relatif aux établissements d’accueil des jeunes enfants (EAJE). Votés par la Cnaf le 2 février 2009 et rapidement publiés au Journal officiel, ces changements impliquent l’augmentation de l’accueil en surnombre des enfants (qui de 10 % passera à 20%), de fait la modification des taux d’encadrement et le passage du ratio de personnel qualifié qui régresse de 50 % à 40% : puéricultrices, éducateurs de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, infirmiers ou psychomotriciens.

– Proposé de créer des Maisons d’assistants maternels (Mam) qui correspondent dans les faits à des structures d’accueil pouvant recevoir jusqu’à seize enfants pour quatre assistant(e)s maternel(le)s, sans aucune norme de fonctionnement et d’encadrement, approuvé en première lecture à l’Assemblée nationale, le 4 mai 2010. – Lancé l’expérimentation des jardins d’éveil pouvant accueillir de huit à douze enfants de 2 à 3 ans par adulte (soient huit enfants pour un adulte en crèche collective), sans garantie quant à la qualification des personnels et sans élaboration approfondie sur l’articulation avec l’école maternelle dont on connaît par ailleurs l’ampleur des critiques qui lui sont adressées, comme autant de volontés affirmées de démanteler ce fleuron de l’institution scolaire française.  [2] – Approuvé la non exclusion de la directive « services » (ex Bolkestein) relative aux services dans le marché intérieur émanant de l’Union européenne qui ouvre le champ de l’accueil à la libre concurrence et aux lois du marché. Malgré de récentes préconisations en faveur du recours à des « conventions d’objectifs annuelles ou pluriannuelles » qui permettraient de subventionner certains projets portés par des associations, les services en charge de l’accueil de la petite enfance ne sont plus inclus dans les services sociaux d’intérêt général (SSIG) : la marchandisation de l’accueil est en cours, le marché des crèches aiguise les appétits et apparaissent à tout va de nouveaux opérateurs privés qui proposent leurs prestations aux employeurs, entreprises, municipalités, institutions. – Validé la réduction de soixante à trente heures du temps de formation initiale des assistantes maternelles agréées qui accueillent les enfants à leur domicile. – Et décidé de permettre aux assistantes maternelles l’accueil de quatre enfants au lieu des trois autorisés actuellement. Que pouvons-nous ajouter ? Que le prix à payer de ces mesures pour les enfants et les familles sera bien assurément celui de la qualité d’accueil du jeune enfant. Partout aujourd’hui naît et se renforce une insécurité sociale aux visages multiples. L’enfant apparaît comme le sujet élu de cette inquiète sollicitude pour l’avenir. Il convient qu’ensemble, mouvements, collectifs et associations réunies, qui dénoncent cette « grande braderie de l’accueil » et exigent un plan d’urgence pour la petite enfance, nous participions de cette insurrection des consciences que l’Appel des Appels réclamait obstinément de ses voeux pour répondre aux défis posés par la crise sociétale contemporaine qui risque de virer au cauchemar pour les enfants de demain. S’il est un antidote à ce cauchemar, il est à inventer, n’ayons pas peur des mots, ensemble et avec enthousiasme, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, comme on dit. Pour que d’indignés, nous redevenions tous, engagés, fiers de notre avenir.

Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre.

Article paru dans le dossier spécial Jeunes Enfants de janvier 2014




Le sexe des anges

La sexualité enfantine n’est pas un « problème » ! C’est potentiellement un sujet, une question, un thème. C’est, banalement, une réalité, naturelle. Si effectivement il est nécessaire et urgent de parler de la sexualité enfantine, naturelle, fondatrice de l’individu, il faudra d’abord résoudre, ou tenter de le faire, la question du regard de l’adulte, qui lui, crée le problème. Et ce n’est pas simple !

La banalisation du « spectacle » de l’acte sexuel, du rapport sexuel, et de ses variantes vient perturber frontalement quelque chose qui nécessite une maturation longue, autant physiologique que psychologique et culturelle. Cette banalisation bouscule une approche qui ne devrait être que personnelle, à son propre rythme.

En ce qui concerne les temps de loisirs et de vacances collectives, les ACM, il est important d’interroger le regard et les pratiques des animateurs confrontés à une sexualité qu’au mieux ils ignorent, au pire ils rejettent, peut-être parce que la leur n’est pas encore stabilisée, acceptée ou vécue. Il faudra également interroger les pratiques de direction et voir comment les équipes anticipent la question, l’installent dans la vie du centre, comment elles informent, forment et encadrent les animateurs. Aujourd’hui, les enfants sont confrontés très tôt à des images clairement sexuelles, et à des pratiques commerciales qui les « sexualisent ». Il devient difficile pour une petite fille trop sollicitée par la mode, le maquillage, le mannequinat, l’hyperféminisation, de vivre sereinement, à son rythme, la découverte de son corps, des plaisirs qu’il peut lui procurer, en dehors de toute tentation de ressembler à, d’être femme sans l’être. Il n’est pas certain que cela soit sans conséquences sur la vie future des enfants.

La banalisation du « spectacle » de l’acte sexuel, du rapport sexuel et de ses variantes vient perturber frontalement quelque chose qui nécessite une maturation longue, autant physiologique que psychologique et culturelle. Cette banalisation bouscule une approche qui ne devrait être que personnelle, à son propre rythme. Elle est virtuelle, partagée

au sein de groupes de copains et de copines qui se trouvent de fait biaisés par le thème même de ce visionnage. Les équipes d’encadrement sont confrontées directement à cela. Quand elles ne participent pas à amplifier le phénomène en reproduisant au cours de veillées douteuses les pires débordements de la télé réalité, qui de fait, trouble un peu plus, culturellement, l’approche de la sexualité. Parler de la sexualité enfantine, avec des animateurs et des animatrices, c’est surtout rendre leur propre corps aux enfants, voire aux jeunes. C’est dé-moraliser le discours et le regard. C’est déculpabiliser.

Faire comprendre, informer et former

Non, un enfant qui se « touche » n’est pas un futur obsédé sexuel ou autre pervers. Non, les jeunes garçons qui mesurent leurs sexes à la lumière d’une lampe de poche et les comparent, ne sont pas de futurs homosexuels, et quand bien même d’ailleurs ! De même, les découvertes mutuelles des corps et des sexes n’induit pas une appétence future aux relations de groupes choisies ou non ! Il faut cesser d’urgence de regarder et d’analyser la sexualité enfantine avec des regards d’adultes fondés sur des pratiques d’adultes, ou de jeunes responsables de leur sexualité – faisons le pari que cela existe.

Est-il nécessaire de dire ici que la pédophilie est une perversion d’adulte ? Est-il nécessaire de dire que les violences sexuelles sont d’abord des violences aux personnes et devraient se traiter d’abord comme des violences. Ce qui est en jeu, c’est l’acception du corps de l’enfant. Ce qui va fonder en partie l’appropriation de son corps par l’enfant, c’est qu’il soit touché. Les mains et le corps de sa mère et de son père, les mains des enseignants, des copains. Etre touché, être en situation de confrontation corporelle fonde une personne et une personnalité. Cette relation, si elle est sexuée, de fait, n’est en rien sexuelle. Mais la peur de toucher les enfants, l’angoisse pour un animateur de prendre un enfant sur ses genoux, parce que ci ou parce que ça, sexualise ! L’angoisse est sexuelle, socialement ou culturellement sexuelle ! Premier « problème » ! Ensuite, et c’est tellement dommage de devoir le rappeler, la sexualité, le sexe et tout ce qui s’en rapproche n’est ni « sale » ni « mal ». Quand il s’agira de jeunes, dans une démarche certes différente, il faudra bien admettre que la relation sexuelle n’est pas interdite, y compris par la loi, entre deux adolescents, dans la mesure où elle est choisie et consentie. Nous nous trouvons dans la même démarche de diabolisation. Comme on parle toujours plus facilement de maltraitance que de bientraitance, on aborde trop souvent la sexualité, qui plus est enfantine, par le côté « problèmes  », violences, perversion. Ce qui d’ailleurs, bien souvent, contribue à créer le ou les problèmes. Il ne s’agit pas d’être naïf. La sexualité devrait s’apprendre, sereinement. Elle devrait pouvoir être parlée, sereinement également.Les temps de vacances et de loisirs sont des temps privilégiés, pour dédramatiser l’approche de la sexualité enfantine. Cela va nécessiter que les animateurs soient pour le moins informés, en dehors d’informations de types réglementaires. Que la sexualité soit comme d’autres approches, au coeur des projets pédagogiques des séjours. Et qu’enfin, les anges aient des sexes.

Alain Gheno

Les cahiers de l’Animation N°82




Éloge de l’ordinaire

« Ici, il n’y a rien de spécial. C’est une colo très ordinaire », annonce d’entrée la directrice de ce centre maternel. Je suis venu pour faire
un reportage photos et elle s’excuse un peu de n’avoir à m’offrir que l’ordinaire de la vie des enfants. Mais pendant les deux jours que je vais passer dans ce centre qui accueille des enfants de 4 à 6 ans, je vais être confronté à des situations éducatives d’une extraordinaire richesse. Il n’y a rien de «médiatique» : pas d’escalade, de camping, d’astronomie, d’initiation à l’informatique ou tout autre activité d’appel que certains organisateurs mettent en avant pour séduire les parents. Rien de tout cela. Simplement une vingtaine de jeunes enfants qui vivent ensemble, jouent, chantent, gèrent les activités du quotidien en harmonie avec leur âge et découvrent la nature.

PRENDRE LE TEMPS DE DEVENIR GRAND
Les enfants vivent à leur rythme. Ici on prend le temps de devenir grand. Le matin, ils arrivent en forme. Chacun a dormi en fonction de ses besoins. On prend le temps de faire ou d’apprendre à faire, tous les gestes de la vie quotidienne, se laver, faire son lit, manger… Dans la vie courante, les enfants subissent bien souvent tous ces moments, plus qu’ils ne les gèrent, car le temps joue contre eux : « Déjeune vite, on est pressé, il faut aller à l’école. Attends, je vais beurrer tes tartines, ça ira plus vite… » Ici le temps joue pour eux, au rythme de chacun. On prend le temps de beurrer ses tartines, couper sa viande, faire son lit, se laver … Les adultes sont là pour aider ou apprendre en cas de besoin. La vie quotidienne n’est jamais un moment neutre. Et chez les jeunes enfants, elle représente une part importante de leur vie. A travers elle, ils affirment leur capacité à se prendre en charge et à appréhender le monde qui les entoure. Dans ce centre de vacances, on prend aussi le temps de jouer, de chanter, de raconter des histoires, de découvrir la nature… ou de ne rien fa ire de particulier. Le rythme des activités s’adapte aux enfants Les animateurs alternent des activités très structurées où tout le monde participe, à des moments où les petits sont plus autonomes et agissent en fonction de ce qui leur tient personnellement à cœur : jouer aux voitures, se déguiser avec les autres, passer du temps à caresser le poney qui est dans le parc de la colo ou aller se mettre tout seul dans la cabane au milieu du pré … Les animateurs étant là pour aider, proposer ou laisser faire. On organise des activités pour que les enfants découvrent, apprennent, coopèrent. Mais on leur laisse aussi du temps pour choisir, s’organiser et pratiquer des actions en fonction de leur propre développement. Ce qui m’a également frappé durant le temps que j’ai passé dans ce centre, c’est l’aspect des relations entre les enfants et avec les adultes. Vivre avec les autres. Apprendre à se respecter mutuellement, malgré les différences, gérer les oppositions et les conflits. Tout cela semblait se vivre au quotidien. Et les quelques disputes auxquelles j’ai assisté se sont gérées et vite résolues avec ou sans l’aide des adultes On avait le sentiment d’un groupe d’enfants vivant ensemble dans le respect de tous et où chacun avait sa place. Un enfant handicapé moteur faisait également partie du groupe. Les relations qu’il avait avec les autres étaient saines. Et l’ensemble des enfants portait sur lui un regard très naturel, sans rejet, ni compassion, étant capables de jouer avec son fauteuil ou de se disputer avec lui pour savoir qui utiliserait le gros feutre en premier. Je pense que l’organisation du centre pour un respect du rythme de chacun, n’était pas pour rien dans cet équilibre de vie. Quand chaque enfant est en situation de réussite par rapport à ce qu’il entreprend et se retrouve dans ce qu’il vit au centre de vacances, cela facilite grandement ses relations avec les autres.

NE PASSONS PAS À CÔTÉ DE L’ESSENTIEL
Le tableau dressé ici peut paraître idyllique, pourtant ce n’est que le centre de vacances très «ordinaire», qu’ont vécu ces enfants de 4 à 6 ans. Il fait bien ressortir le caractère essentiel de la vie collective et des relations. Mon propos n’est pas d’opposer la voile, l’escalade, le camping ou l’équitation à la vie du centre de vacances. Et de dire qu’il ne faut pas qu’il y ait ce type d’activités dans les colos. Il est bien évident que des activités spécifiques peuvent apporter beaucoup aux enfants et être enrichissantes pour eux. Mais il arrive parfois que, par leur médiatisation, elles cachent l’importance de la vie collective et des relations, les fassent passer au rang de choses subalternes et de second plan. Voire même, fassent vivre aux enfants des activités ne correspondant ni à leur tranche d’âge, ni à leurs besoins alors que ce qui fait toute la richesse éducative du centre de vacances, c’est bien ce lien entre l’activité, le rythme de vie et les copains.

Olivier IVANOFF

CA N° 65 ACTIVITÉ ET PROJET




Bryan, elles sont comment les filles ?

Un centre de vacances de jeunes enfants à Thierceville dans l’Eure. Organisateur : association laïque des centres de loisirs et de vacances de Bobigny (Seine-St-Denis). Trente deux enfants de 4 ans à 5 ans et demi, un directeur, deux adjoints de direction, sept animateurs, cinq personnes de service et un gardien. En juillet 2005, une équipe de Bourguignons s’inscrit dans le projet « A quoi joues-tu ? » avec curiosité puis avec enthousiasme !

Les filles ?… Elles sont belles ! Pendant la préparation de notre centre de vacances (deux jours en mai et deux jours avant le début du séjour) nous consacrons un temps de travail spécifique sur ce sujet.

  • Qu’est-ce qu’un stéréotype sexué ?
  • Quelle est l’influence de ces stéréotypes sur nos pratiques éducatives ?
  • Quelles hypothèses ?
  • Que mettons-nous en place à Thierceville ?

Qu’est-ce qu’un stereotype sexué ? Ce sont des propos, des expressions toutes faites, que nous entendons, que nous répétons et dont nous nous accommodons ! Les stéréotypes se faufilent dans nos pensées et dans nos pratiques… sans qu’on y prenne garde ! Sans cette prise de conscience, nous voilà dans le superficiel, l’archaïque, l’étriqué. Les préjugés ne sont pas loin. Nous sommes alors tout prêts à enfermer l’autre dans des catégories de sexes, de cultures, de croyances, d’origines, de milieux sociaux.

Ensemble nous cherchons (avec jubilation) des stéréotypesPar exemple…

  • Les hommes ne pleurent jamais !
  • Les femmes conduisent très mal.
  • Les garçons, ne jouent pas à la poupée !
  • La couleur rose c’est pour les filles et la couleur bleu, c’est pour les garçons…

Nous prenons conscience de l’influence insidieuse des stéréotypes…Etonnement, perplexité… Silence… Les stéréotypes nous paraissent omniprésents… à la maison, à l’école, au centre de loisirs, au centre de vacances… partout où nous croisons les autres. Quelle est la part d’influence de chacun dans le quotidien, et en l’occurrence auprès des enfants dont nous aurons la charge cet été ? La pensée est en marche. L’inquiétude aussi. Nous sommes rattrapés par les habitudes, les préjugés, les stéréotypes sans le savoir.

Nous avons envie d’en savoir plus… Des documents nous ont aidés à réfléchir.

  • L’étude de Leïla Acherar sur l’attitude des enseignants à l’école maternelle – différente en fonction des filles et des garçons.
  • « Jeux et jouets pour grandir » de Raymonde Caffari, Petite Enfance, mars 1997.
  • Une étude Fischer-Price « Les jouets ont-ils un sexe ? »
  • Des revues de presse enfantine destinée soit aux filles, soit aux garçons.
  • Une vidéo Des hommes et des femmes avec le philosophe Pierre-Philippe Druet (écoute et accueil de la différence et de la communication – www.canal-u.education.fr les Amphis de France 5).

Nos réflexions fusent… questions, hypothèses… Quand on parle de sexualité, de quoi parle-t-on ? de sexe, de féminin et de masculin, de genre, de mixité, de culture ? La part du féminin et du masculin en chacun de nous. On parle souvent de féminin quand on veut parler de tendresse ! Les mères prennent beaucoup en charge les activités ludiques de leurs enfants alors que les pères restent en retrait ! Un enfant peut-il grandir hors du désir de ses parents ? Les adultes subissent une pression sociale très importante quant au choix des jouets et des activités de leurs enfants. Nous sommes souvent enfermés dans des rôles qui laissent peu de place à notre personnalité. Souvent l’adulte choisit à la place de l’enfant, prenant en compte son propre désir et non celui de l’enfant.

A propos du rôle de l’animateur La manière dont on s’adresse aux filles et aux garçons est différente selon qu’on soit un homme ou une femme. Dans le processus de l’identité sexuée, est-ce que les filles imitent les femmes et les garçons les hommes ? Comment évaluer l’influence du rôle de l’animateur ? La mixité n’engendre pas forcément l’égalité.

Pourquoi vouloir faire jouer garçons et filles aux mêmes jeux ? Des jouets pour les filles, des jouets pour les garçons… Faut-il laisser jouer les enfants avec des jouets de l’autre sexe ? Une évidence ( ?) : ce n’est pas parce qu’un garçon joue à la poupée qu’il sera homosexuel ! Une autre évidence ( ?) : ce n’est pas parce qu’une fille joue avec des petites voitures qu’elle sera une mauvaise mère !

De quelles façons installer :

  • Des espaces de jeux favorisant l’activité spontanée ;
  • Des coins de jeux aménagés pour jouer librement ;
  • La possibilité pour les enfants d’installer des territoires en fonction de leurs besoins. Le rôle de l’éducateur dans la construction de la sexualité de l’enfant. Les phénomènes de groupe entre les enfants : que se passe-t-il lorsque, dans un groupe, les filles (ou les garçons) sont très minoritaires ? Les préjugés des enfants… On naît fille, on naît garçon, mais comment se fait le chemin pour en arriver à être homme ou à être femme ? Quelle est alors la part d’influence de l’animateur ? Différence entre les sexes-mixité : quels comportements spécifiques peut-on repérer chez les jeunes enfants ?

Comment faire à Thierceville ? Nous observons, mais que peut-on observer ?

  • Les enfants ?
  • Les adultes et les enfants ?
  • Les jeux des enfants ?
  • Les coins de jeux ? Evidemment, il ne peut être question d’une observation scientifique : les enfants sont en vacances… et nous sommes là pour ça !

Retenons quelques hypothèses Il existe des comportements spécifiques de la part des animateurs et des animatrices dans leurs attitudes et dans leurs interventions en direction d’une part des filles et d’autre part des garçons – comportements sexués ?

Dans le processus de l’identité sexuée, les garçons imitent les hommes et les filles imitent les femmes. Aurait-on besoin d’un référent du même sexe ?

En centre de vacances, par notre volonté d’éducateur à promouvoir l’égalité, on peut avoir tendance à traiter les filles comme les garçons… (pédagogie asexuée ?)… même si notre conception de l’éducation nous demande de permettre à chaque individu de réaliser sa propre sexualité.

A Thierceville, comme les année précédentes, nous allons filmer… mais avec en plus ces nouvelles questions dans la tête… en particulier dans deux situations :

1 – Des enfants (groupe mixte) et leur animatrice(teur) construisent une cabane :

  • Comment s’y prennent-ils ?
  • Qui fait quoi ?
  • Qui décide ?
  • Comment vit-on dans la cabane ?

2 – Le lever et le temps de jeux informels avant ou après le petit déjeuner… Mettre en place des espaces différenciés pour observer les comportements des filles et les comportements des garçons :

  • Un espace a priori « jeux de filles » ;
  • Un espace a priori « jeux de garçons » ;
  • Un espace a priori « jeux neutres » ;
  • Un espace avec les trois…

L’association laïque des centres de loisirs et de vacances et de Bobigny (ALCVLB) met à la disposition du séjour un livreur d’histoires et une illustratrice de livres pour enfants.

Cette année, nous créerons une histoire qui racontera quelle est la place des garçons et des filles dans la vie familiale, à l’école, dans la rue, à la colo…

En plus et régulièrement…

  • Observations personnelles
  • Ressentis personnels
  • Photos numériques…
  • Images vidéos

Rester simple, mais rigoureux Attention aux interprétations hâtives…

Parler, écrire, réajuster… relancer ! … des paroles d’animateurs … des paroles d’enfants

Parler d’égalité et de différences, c’est reconnaître l’autre dans son altérité, dans ce qui est différent de nous. C’est faire un bout de chemin dans l’ailleurs. C’est mettre entre parenthèses nos certitudes, ce qui nous est familier pour tenter d’aller voir dans l’étrange, dans l’inconnu.

C’est sans doute ainsi quand on parle de différences de culture, d’origine, de milieux sociaux. Quand on parle du féminin et du masculin, de questions de genre, c’est sans doute aussi accepter qu’on ne sera jamais comme cet autre qui nous séduit, qu’on envie peut-être. C’est sûrement accepter d’être qui on est. Alors peut-être pourrons-nous mieux le ou la regarder, le ou la considérer et aller vers une réelle égalité.

Après le séjour, le bilan avec des images vidéos, des observations, des souvenirs, du recul… ce qui est le plus frappant, c’est la manière dont nous considérons et traitons à égalité filles et garçons, l’importance de notre rôle, et le peu de différence dans le comportement entre filles et garçons.

L’organisation même du centre de vacances implique un certain type de relations entre les enfants.

A Thierceville, tous les espaces sont mixtes. Les enfants ont tous moins de 6 ans et la législation n’impose pas de règles quant à la mixité.

Garçons et filles se douchent ensemble, dorment dans la même chambre, se voient nus et découvrent les différences dues à leur sexe… On ne se pose pas la question de savoir s’ils ressentent une gêne, s’ils souhaitent plus d’intimité. Les verrait-on tous « pareils ? », comme asexués ? Dans notre pratique tout est fait pour éviter de faire des « différences »…« Je suis content quand une fille joue au foot et un garçon à la corde à sauter »…Dans le quotidien, les différences entre les deux sexes se traduisent surtout par les vêtements, les cheveux et le prénom et encore pas toujours !

Ken et Ilana sont de force égale à la lutte et Ilana serait même un peu plus forte. Garçons et filles s’investissent et coopèrent de la même façon dans les jeux. Dans le coin cuisine, les garçons font le ménage, cuisinent et couchent les bébés comme les filles. Devant l’établi, les filles manient aussi bien le marteau que les garçons. Ils prennent plaisir de la même façon aux jeux chantés, à faire du vélo, à préparer des gâteaux pour le goûter. Pourtant des comportements particuliers apparaissent à certains moments. Dans le coin maquillage, les garçons ne se maquillent pas comme les filles avec du rouge à lèvres et du rimmel… bien que… Djibril prend un tube de rouge à lèvres. Il croise le regard d’un adulte et repose vite le tube… Ne serait-il plus un garçon s’il avait du rouge à lèvres ? Autour de la malle de déguisements, il y a ceux qui ne veulent pas se déguiser, ceux qui sont ouverts à tout, ceux qui ne veulent imiter que les hommes ou les femmes qui les entourent ; les garçons seront pompiers, cow-boys, policiers, joueurs de foot… et les filles, princesses !

Lorsqu’on demande à Sana avec qui elle veut apprendre à sauter à la corde, elle répond « avec une animatrice » et au foot « avec un garçon, il sait en faire depuis plus longtemps… »

On ne peut pas dire, au point ou nous en sommes qu’il y ait de différences majeures dans le comportement des garçons et des filles de 4 à 5 ans ni qu’il reproduisent des stéréotypes, tout au plus, parfois, des a priori vite démentis comme dans le récit de Lucie ou la remarque de Marius. En revanche, la manière dont nous considérons et traitons à égalité les filles et les garçons, et l’importance de notre rôle auprès d’eux nous apparaissent comme une question essentielle lorsque l’on parle de mixité et d’égalité.

Après ce séjour, et la réflexion que nous avons commencée, on peut dire que « ça clignote » quand on repère des stéréotypes sexués dans les discours, les journaux, la télé. Et puis nous commençons à nous entendre parler. C’est sans doute un petit début de prise de conscience.

Jacqueline Bacherot

Article extrait de CA n°52 – Tous les garçons et les filles



Pas si simple

On parle trop souvent, ou pas assez selon les idées de chacun, de l’intégration des handicapés dans les centres de vacances et de loisirs. C’est pourtant une nécessité, pour eux, pour tous les participants des CVL, pour la société ! Mais ce n’est pas toujours si simple…

Damien a quinze ans, il est trisomique. Il m’est présenté par sa mère à la fin de la réunion d’informations des parents. Notre première entrevue durera à peine quelques minutes. Il sera présent sur le centre que je dirige cette année-là. C’est une colo « classique » accueillant des enfants de huit à douze ans. Damien part en centre de vacances depuis plusieurs années et tout s’est toujours bien passé. Oui mais…

Cet été-là, Damien semble avoir plus de difficultés que les années précédentes. Il ne communique peu ou pas. Il insulte à longueur de journée les adultes de l’équipe. Il refuse de se coucher le soir. Il a des manies : il ramasse le linge sale des autres enfants dont il fait des tas bien pliés dans un coin de la chambre. Il dépoussière. Ce type de rituel peut durer presque une heure avant que Damien n’accepte de se coucher. Il est souvent agressif et coléreux, ce qui peut le conduire à des actes de violence sur du matériel. Il montre le poing aux adultes qui essaient de le raisonner. Il ne s’intègre pas aux activités. Bref, la présence de Damien sur le centre nous est difficile à gérer. Nous sommes perplexes, et nous nous sentons impuissants. Parfois il nous fait peur. Seul un enfant de la colo, son seul copain parvient à le calmer dans les moments de crise. Et nous, adultes, sommes bien embêtés de devoir le laisser faire, faute de mieux. On tient comme ça jusqu’à la fin du séjour. C’est tendu. Damien, on a de plus en plus de mal à le supporter. A la fin du centre on se dit : « Plus jamais ça ! » A ce moment-là, je n’ai plus envie, plus jamais, d’accueillir un adolescent trisomique en centre de vacances. Ce sont l’émotionnel et le sentiment d’échec relatifs à cet accueil qui parlent.

Avec le temps, je peux aujourd’hui porter en regard plus réfléchi sur cette expérience d’accueil d’un enfant handicapé en colo. Pourquoi a-t-on échoué ? Quels moyens auraient-ils été nécessaires à son intégration sur le centre ?

Sans doute aurait-il fallu mieux préparer l’arrivée de ce jeune sur le centre. Une entrevue de quelques minutes n’a pas suffi pour pouvoir connaître les besoins spécifiques de Damien, ses habitudes de vie. Dans un souci de traiter Damien comme les autres, nous avons négligé le fait qu’ill était différent. Car une intégration réussie passe certainement par la prise en compte des spécificités du handicap, puis à une réflexion concernant les moyens à mettre en œuvre pour que le fonctionnement du centre s’adapte à cette problématique et non le contraire. Nous avons pensé que Damien s’adapterait… Mais sans doute fallait-il prendre le problème dans l’autre sens.

Les repères posés sur le centre en termes de vie quotidienne, d’adulte référent, n’étaient sûrement pas suffisants pour sécuriser Damien. Il avait sans doute besoin plus qu’un autre de rituels rassurants, de repères dans le temps et les espaces de vie. Peut-être cela explique-t-il ses colères et ses manies que nous n’avons pas su décoder. L’équipe n’a pas été préparée à cet accueil et n’a pas réfléchi avant le début du centre aux conditions de celui-ci. Les adultes n’ont pas non plus travaillé sur la place de Damien dans le groupe d’enfants, ni à son intégration dans les activités. Par manque de recul, chacun a donc fonctionné avec son affectif, retranché derrière ses peurs, ses angoisses. Parce que le handicap fait peur ! Il aurait fallu pouvoir poser tout cela sur la table avant l’accueil de Damien. Se dire les choses, puis passer au concret : qu’est-ce qu’on fait pour accueillir ce jeune dans les meilleures conditions ? Qui souhaite être l’adulte référent de Damien ? Son interlocuteur privilégié et celui de la famille aussi. Famille sur laquelle nous ne nous sommes que trop peu appuyés pour avoir les informations nécessaires à la prise en charge de Damien.

Damien a dû se sentir bien seul. Cette expérience n’a pas dû l’aider à vivre des choses positives et constructives dans le milieu dit « ordinaire ». Il a dû se sentir vraiment différent, vraiment en difficulté. En somme, tout le contraire des objectifs classiquement visés par l’intégration.

Aujourd’hui, j’aimerai pouvoir contribuer à l’accueil d’un enfant handicapé en centre de vacances, mais c’est sûr, je ferai les choses différemment. Parce que l’intégration nécessite une réflexion préalable en appui sur le projet pédagogique. Parce que l’intégration « sauvage » génère plus de dégâts que de bienfaits. Permettre à un enfant ou à un jeune de vivre une expérience d’intégration en milieu ordinaire en centre de vacances, oui ! Mais pas à n’importe quel prix.

Mélanie Le Fèvre

Article extrait de CA n°51 – Vive les vacances !



Marquage à la culotte

Très vite, leur détresse est devenue incontournable. Elle crève les yeux quand on voudrait tourner la tête. Alexandre. Jason. Dix ans chacun. L’effet d’un champ de ruines.

Alexandre est compromis dans toutes les bagarres et sa violence n’a d’égale que sa position de souffre-douleur. Quand enfin, il se résoud à laisser celle-ci au vestiaire, il se retrouve aussi démuni qu’un bernard-l’hermite sans coquille, écorché-vif, l’émotion à fleur de peau, toujours prête à jaillir. Les mots lui manquent puisqu’ils les mangent (systématiquement, il élude la dernière syllabe). Les mots lui jouent des tours aussi. Quand il voudrait dire, ils vont se cacher, quand il a besoin de leur secours, ils tendent la jambe pour mieux le faire trébucher. Alors comme il ne peut plus jouer des poings, comme les mots se sont ligués avec les autres gamins pour railler Alexandre, il ne reste plus qu’à pleurer. Il faut bien faire sortir toute cette douleur. Ses crises de larmes laissent Alexandre inconsolable et nous glacent le cœur à pierre fendre. Et puis Alexandre n’a rien. Il est arrivé presque « cul nu » à la colo. Il vole un peu à la manière des pies. Des choses qui brille qu’il accumule naïvement dans les draps de son lit : un pion de monopoly, des cartes de super-héros, un bouchon de canne à pêche…

Jason. Tout d’abord mutique, il n’est guère que frustre quand on lui adresse la parole. Puis, le round d’observation passé, Jason entame sa grande série de monologues délirants. Un mélange incompréhensible de Buffy et les vampires et d’histoire familiale où papa viendrait jouer les morts-vivants jusqu’à la colo. Des histoires à foutre la trouille à un régiment au point de douter de sa santé mentale ; des histoires où il n’est jamais facile d’y voir clair. Bientôt sa partition s’enrichit de tous les refus possibles : « J’veux pas manger, j’veux pas me coucher, j’veux pas faire mon lit, j’veux pas me doucher… et puis de toutes façons je m’en vais. » Jason fugue mais jamais bien loin ; il se cache plutôt. Jason parle mal aux animatrices et provoque beaucoup. Le ton monte très haut mais sans aucun effet. Tant et si bien que l’esquive devient bientôt la tactique de tous les adultes du groupe : ne pas manger avec Jason, ne pas faire d’activités avec Jason… en appeler au directeur.

La fuite On fuit Jason et Alexandre. Pour des raisons différentes : Jason est ingérable et fait peur ; Alexandre est devenu si vulnérable qu’il lui faudrait un garde du cœur en permanence. Tous deux évoluent dans une grande marginalité au sein du groupe d’enfants. La situation n’est pas satisfaisante et l’équipe d’adultes est bien tentée de faire l’impasse et de laisser filer les trois semaines. Qu’est-ce qu’on peut faire face à un tel sinistre, une telle détresse ? Continuer à parler d’eux. Les garder présents à l’esprit, ne pas les rayer. Ne pas lâcher mais ne pas tout relever pour Jason, ne pas se laisser envahir par Alexandre.

Deux semaines passent et Alexandre craque souvent, Jason évolue autour du groupe, souvent en électron libre. On cadre beaucoup mais pas tout. Il faut bien le reconnaître d’autres règles se mettent en place pour tous les deux. A notre étonnement, les autres enfants comprennent très bien et jamais ne revendiquent pour eux les assouplissements mis en place tacitement pour les deux autres. Une certaine compréhension, diffuse, s’installe. Face à la fatigue des animateurs, j’essaye d’être le plus souvent possible disponible pour ces deux là, pour pouvoir prendre en marquage individuel l’un ou l’autre. Libérant les animateurs d’une relation individuelle pas toujours possible à mener quand il faut s’occuper de tout un groupe. Une chance, ils ne me sortent pas par les yeux. Je les supporte encore. J’en viens même à me dire des choses naïves que je ne m’étais pas dites depuis le stage de base du Bafa, qu’il faut peut-être commencer par les aimer… en tous cas désirer faire des choses avec eux. Trouver une espèce de voie étroite entre fermeté et marques d’affection. Trouver d’autres occasions que le conflit. Et puis il y a la pêche pour Alexandre, la fabrication de voitures pour Jason, le fonctionnement très souple du centre qui permet de s’échapper des pesanteurs du groupe au travers les jeux libres.

L’orage En deux semaines, les progrès sont minces. Les pleurs, les rebuffades, les « fugues » ne faiblissent guère. En apparence sans doute. Car à l’entame de la troisième semaine, s’opère un brusque basculement vers plus de sérénité et de plaisir pris. Aussi soudain qu’un orage de montagne. Pourtant, on a bien failli rater le coche. Une randonnée dans la montagne en compagnie d’un guide et de trois ânes doit conduire une partie du groupe (quatorze enfants et deux animatrices) à sillonner la montagne au-dessus de Sixt en passant deux nuits en refuge. Alexandre puis Jason ont manifesté le désir d’y participer. Une discussion s’installe dans l’équipe pour savoir si l’on peut emmener ces deux garçons en même temps et si vraiment c’est bien sérieux d’emmener Jason, un gamin imprévisible « qui peut se barrer à tout moment ou nous faire un “coup de calcaire” ». Il faut dire qu’il y a quelque antécédent. Notamment, un fameux pique-nique en montagne où, après le repas, Jason a refusé de faire un pas de plus en direction de la montée, piquant une colère mémorable armée d’un bâton et menaçant de son courroux toute personne s’approchant. Une fois de plus, il a fallu beaucoup de patience et surtout ne pas céder. Ce jour-là, le groupe d’enfants a été très mature, prodiguant encouragements et invitations à continuer à Jason quand, à distance raisonnable, nous enjoignions fermement celui-ci à poursuivre. Un cap a sans doute été franchi ce jour-là mais on ne le savait pas encore. J’ai pesé très fort pour qu’ils participent tous les deux à cette randonnée. Non sans crainte. Quand au terme des trois jours je suis parti rechercher le groupe en minibus, à peine les apercevais-je au lieu de rendez-vous que, derrière le volant, je guettais les visages des deux animatrices pour connaître l’issue de cette randonnée. Sourires et cris de joie m’accueillirent. Nos deux lascars s’étaient régalés. Sans accroc. Jamais les deux premières semaines n’auraient pu nous laisser envisager le visage apaisé de la troisième.

Le cadeau qu’on n’attend pas En cet avant-dernier jour, il est 18 heures et, pour la dernière fois, on entame notre réunion quotidienne avec le groupe d’enfants. Ce soir, la réunion n’aura pas tellement d’autre objet que le plaisir de ce rituel, de se rassembler une dernière fois et l’occasion de faire un bilan du séjour. Les prises de paroles s’enchaînent au gré des souvenirs de chacun. Déjà la mémoire ne retient plus que les bons moments, sans surprise jusqu’à ce que l’inattendu survienne. La voix presque assurée, la parole quasi claire, Alexandre dit son plaisir de la colo et sa hâte du retour à la maison. Un sourire tendre éclaire son visage. Puis, un peu plus tard, Jason demande la parole à son tour pour dresser son bilan en quelques phrases d’un discours très construit, drôle et tous compte fait positif. C’est la première fois en trois semaines que ces deux-là s’expriment en réunion d’enfants… et de quelle manière ! Je crois que chacun d’entre nous, les adultes, en reste bouche bée. Personne ne fait de commentaire mais la satisfaction est à la hauteur de la surprise. Inespérée.

Laurent Michel

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°49



Vacances pour tous !

Après le départ des enfants fin août, une trentaine de retraités, d’une moyenne d’âge de soixante-quinze ans, sont venus passer deux semaines au centre de vacances de Montrem, à la « Découverte du Périgord aux mille saveurs aux mille couleurs, le pays des sciences de gueule et du bien- manger ». L’intitulé du séjour donnait, par cette entrée en matière et ce clin d’œil, la tonalité d’une découverte qui se proposait d’investir en douceur et par le plaisir et l’émotion, le cœur et les réalités d’une région. Une région qui ne peut offrir toute la diversité de ses richesses, qu’aux âmes épicuriennes, curieuses et généreuses. Les visites et sorties proposées ont alterné avec les multiples animations proposées dans le cadre de rencontres chaleureuses et riches en échanges avec des personnalités locales. Les anciens ont découvert et pratiqué la cuisine périgourdine : la cuisine du cochon, la fabrication de liqueur, la fabrication du pain de campagne et du pain d’épice, la fabrication du fromage de chèvre… Tout cela agrémenté d’un repas gastronomique concocté par les cuisinières du centre et d’un repas pris dans une ferme auberge. Les retraités ont pu visiter le château de Joséphine Baker aux Milandes, le village du Bournat, un élevage de porcs cul noir, le marché local, un moulin, une distillerie et des sites du patrimoine local. Ils se sont intéressés à la cueillette des champignons, aux techniques et aux histoires de pêche, ils ont aussi pêché dans l’étang de Montrem et pique-niqué sur les berges. Ils ont rencontré un apiculteur et un jardinier, assisté à un spectacle de danses folkloriques, à une veillée contes et à une soirée théâtre avec l’équipe du centre. Un témoignage sur la Résistance dans le Périgord, leur été donné par l’ancien maire de Montrem. Ce séjour à la découverte active de la culture périgourdine et rurale, s’inspire largement de notre philosophie et de notre expérience des centres de vacances. Il a été élaboré en relation avec le service retraités, à partir des attentes, besoins et réalités quotidiennes de ce public âgé, identifié au fil des séjours précédents organisés à Montrem. Ce qu’ils attendent, c’est un séjour de qualité quant à la restauration et à l’hôtellerie, un accueil chaleureux, convivial, attentif et à l’écoute des petites difficultés des uns et des autres, des contenus adaptés à l’autonomie et aux rythmes de vie de personnes semi-actives et à leurs centres d’intérêts. Ce séjour qui répond aussi à leur besoin d’émancipation et d’autonomie, leur permet de s’autoriser à entreprendre, à être co-auteur de projets, de moments partagés avec d’autres. On retrouve là l’essentiel des attentes et besoins des différents publics (enfants en centres de vacances ou en classe de découverte, collégiens, familles…) que nous accueillons à Montrem.

Pallier le repli sur soi Pour ces anciens, dans un environnement en mutation constante où la réduction des sociabilités et la diminution des solidarités intergénérationnelles, entraîne le repli sur soi, la famille se résume dans beaucoup de cas à quelques rares visites. Cela accentue la perte de sens de cette fin de vie par rapport à ce qui constitue une rupture avec les sacrifices consentis pour leur famille, les nombreuses années consacrées à un travail souvent pénible, et l’espoir déçu d’un avenir meilleur. L’une des finalités essentielle de notre projet est de redonner du sens au quotidien, de les aider à mieux affronter cette part d’angoisse et d’inquiétude propres à cette période de la vie, dans un environnement urbain où les repères traditionnels ont disparu. Le projet de Montrem est d’apporter modestement dans les limites de nos moyens quelques éléments de réparation et de soutien. À partir de la découverte d’un territoire rural et de ses composantes socioculturelles, historiques et géographiques, nous essayons de réactiver la mémoire et la réflexion sur l’évolution d’un environnement qui concerne de près chacun d’eux, et qui nourrit encore les bases de notre culture du lien, faite d’identité, de solidarités, de sociabilités et de civilités de proximité.

Prise en compte des individualités Nos objectifs visent également à une démarche de reconnaissance mutuelle et une reconquête de l’estime de soi, dimensions éprouvées par des exclusions progressives du monde des actifs. En fait nous agissons sur un des fondements de l’identité citoyenne : une remise en réseaux de personnes entre elles. Ainsi les situations de rencontres développées à Montrem peuvent être génératrices de liens et de réseaux à Saint-Denis et avec Montrem. Cette démarche s’appuie sur la médiation active de pratiques, de discussions et d’échanges conviviaux de savoirs et de savoir-faire, d’émotions partagées avec les intervenants locaux et finalement la rencontre avec un territoire dans ses multiples composantes. À partir de ces intentions pédagogiques, nous proposons une démarche d’animation qui vise à plus de reconnaissance et de respect de l’ensemble des participants et encourage le initiatives et la participation active de chacun. Dans un premier temps, il s’agit d’appréhender chaque personne individuellement dans la réalité de ses besoins et de ses attentes. Ensuite, nous cherchons à établir une relation d’écoute, d’empathie et de confiance avec chacun des participants, en prenant soin de respecter les distances nécessaires afin que le dialogue ainsi amorcé soit structurant et constructif pour les personnes et leurs relations au sein du groupe. Nous essayons de repérer et d’agir sur les difficultés éventuelles des participants dans la mesure où elles concernent les données du séjour : son cadre de vie, son organisation, ses contenus, la composition du groupe ou des difficultés de relations et de communication. Nous tentons d’élaborer une démarche d’intervention progressive, cohérente et globale pour, chemin faisant, avancer vers un mieux avec les personnes concernées en les aidant à passer progressivement d’un état passif de spectateur à un investissement actif dans les contenus, en leur laissant toujours le choix entre les différents niveaux d’implication et en encourageant dans l’évolution du séjour leurs prises d’initiative. Tous les trois ou quatre jours, des temps d’échanges autour d’un verre, appréciés des retraités, ont servi d’indicateur de satisfaction ou d’insatisfaction et nous ont conduits à rectifier en cours de route l’organisation du séjour et son contenu. La présence des deux animateurs du service retraités tout au long du séjour, à côté du directeur et de l’animateur permanents du centre, a contribué à sécuriser certains participants âgés, préoccupés par d’éventuels problèmes de santé. Leur connaissance de ces personnes âgées, qu’ils fréquentent lors des animations de loisirs de proximité organisées sur Saint-Denis, en favorisant une meilleure approche des participants, nous a permis de mieux prendre en compte les particularités de ce public, dans la conception et le déroulement du séjour. Afin de renforcer la cohérence d’intervention de l’ensemble de l’équipe sur le plan pédagogique, et de l’organisation au quotidien, nous nous donnerons cette année, un temps plus important de préparation en commun comme nous le faisons pour les centres de vacances. Ce type de séjours, conçus en référence aux principes éducatifs de nos centres de vacances, privilégient le développement et la remise en jeu des personnes à travers la pratique d’activités, la découverte active d’une région, la vie collective dans le respect du rythme de vie de chacun, et la prise en compte des besoins et attentes des participants.Les retraités s’investissent dans des activités culturelles et manuelles, font des découvertes et de nouveaux apprentissages, rencontrent d’autres personnes de leur ville et du lieu d’accueil. Certaines personnes âgées qui présentent une mobilité réduite à leur arrivée semblent oublier complètement leur « handicap » après quelques jours de vacances à Montrem. Elles se montrent plus confiantes, comme ragaillardies par une expérience et un milieu stimulants. Il semble que ces vacances soient pour les retraités aussi, une occasion de se retrouver, de s’enrichir et de reprendre goût à la vie.

Jacques Ranoux et Michel Gouno

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°42



Les jeux collectifs des 3-7 ans

Dans la famille, à l’école maternelle, dans les différents clubs et institutions qui accueillent les enfants les pratiques corporelles et ludiques ont indéniablement fait leur place parmi les facteurs importants de leur développement. Les idées nouvelles sont marquées par plus de liberté de mouvement accordée aux enfants, d’où l’utilité de parcs de jeux, de “structures” à grimper, s’équilibrer, se suspendre, se cacher, se balancer, glisser, l’offre de jouets invitant à l’action, à l’expérimentation, à l’imitation et la mise à disposition d’espaces et de matériels favorisant la “costumation” et les jeux symboliques. Sont aussi reconnus les bienfaits des contacts sensibles avec différents milieux physiques – eau, soleil, neige, sable, forêt…

Certes, sur le terrain les batailles engagées sont loin d’être gagnées. Les inégalités, l’injustice, la pauvreté ont, dès cet âge, créé des clivages. Tous les enfants n’ont pas le même accès au club des bébés-nageurs, à la patinoire, au jardin des neiges, à la ludothèque, à l’école de danse ou de judo, à un centre de vacances ou une garderie bien équipée. De plus, les idées nouvelles, plus ou moins bien médiatisées ont pu, ici ou là, donner lieu à des dérives : soit un laisser-faire systématique senti par l’enfant comme un manque de repères, un abandon, voire un droit de tout faire ; soit un forcing de sollicitations où la plasticité de l’enfant et son appétit d’activité servent d’alibi à l’impatience de certains adultes d’en faire des champions.

Mais souvent, l’oublié de cette évolution vers plus de motricité, plus d’expérimentation, plus d’activité, le parent pauvre, le laissé pour compte, c’est le jeu collectif. C’est que certaines interprétations d’analyses de psychologues ont été hâtives, menant à des contre-sens. La classification de Piaget, fixant l’apparition des jeux à règles vers 8-9 ans, après celle des jeux symboliques (3 ans) et des jeux d’exercice est souvent comprise comme une succession de tranches étanches, alors que chacun de ces comportements est présent toute la vie. Il évolue avec des périodes plus manifestes que d’autres où il envahit toutes les conduites. Les “relations socio-motrices”, par exemple, sont présentes dès le plus jeune âge. Hubert Montagner a montré, en observant les jeunes enfants dans les crèches, la place importante de ces relations dans leur comportement et la formation de leur personnalité. On coopère, on s’oppose, on s’imite, on s’agresse, on cherche à dominer ou à suivre, dès le plus jeune âge.

À 3 ans, l’enfant est capable de comprendre et d’appliquer une règle concernant le rapport à l’espace (cette ligne au sol dessine ton nid), aux objets (la cible est cette porte), aux autres (on passe sous les bras), de comprendre le but du jeu (ramasser et rapporter les balles rouges), de jouer un rôle (se cacher) ; mais, à l’évidence il ne peut se mettre à la place d’autrui, analyser rapidement une situation où sont imbriqués partenaires et adversaires, se conformer à une tactique collective. Les éléments de complexité à prendre en compte sont multiples : l’effectif d’enfants, la régulation de l’adulte, la nouveauté du jeu, le nombre de consignes et de règles, la technicité demandée aux gestes… mais le critère choisi comme axe de notre proposition est celui des rôles socio-moteurs, leur nombre et leur stabilité. Déjà certains fichiers de jeux pour l’école maternelle classent ainsi :

  • les jeux où les enfants reçoivent tous la même consigne (Cherchons…)
  • ceux où un enfant reçoit une consigne différente des autres (Loup, y es-tu ?)
  • ceux où deux groupes reçoivent des consignes différentes (Le filet des pêcheurs) Notre tableau à double entrée (p. 30) va plus loin en suivant les travaux de Pierre Parlebas et en distinguant :
  • les duels d’individus ou de groupes aux rôles symétriques ;
  • les duels dissymétriques ;
  • les épreuves opposant trois équipes rivales (ou plus éventuellement), directement ou indirectement (par barème interposé) ;
  • les oppositions d’un joueur contre tous les autres (situation pouvant évoluer). Au début, l’adulte joue souvent le rôle central.
  • les jeux d’un groupe où chacun joue pour soi.

Nous pensons que dans un fichier, les jeux doivent être déshabillés de leurs thèmes symboliques (fleurs, papillons, sorciers, animaux, aventures…) car ceux-ci doivent appartenir au groupe de joueurs, en fonction de son milieu et de son histoire propre. Cependant certaines dominantes apparaissent : • le voyage pour les parcours, pistes, relais, rallyes ; • la chasse pour les cachettes-recherches, les poursuites, les esquive-ballons, les investissements de territoires ; • les épreuves initiatiques pour les défis d’adresse et d’agilité comme les billes, sauts à l’élastique… • l’animation qui consiste à faire vivre une balle, un volant… par renvoi contre un mur ou au dessus d’un filet… • la bataille comme dans le corps à corps ou la dispute d’un ballon ; • la comédie comme dans les jeux de taquinerie (Je te tiens par la barbichette) ou dans les petits jeux d’expression (mimes…) ; Les titres donnés en illustration du tableau peuvent paraître énigmatiques. Les éclaircissements qui suivent les expliquent et les prolongent.

Jean-Claude Marchal, groupe de recherche Jeux et pratiques ludiques des Ceméa

Bibliographie Marchal J.-C., Jeux traditionnels et jeux sportifs, ed. Vigot, Paris, 1990. Marchal J.-C., École maternelle, 48 fiches de jeu, ed. EPS, Paris. Montagner H., L’Activité ludique, Ceméa, 1991. Parlebas P, Jeux sports et sociétés, lexique de praxéologie motrice, ed. Insep, Paris 1999.

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°29