Les Cahiers de l’Animation : 20 ans !

Janvier 1993… janvier 2013… Les Cahiers de l’Animation, un projet et une revue pour amener animateurs, directeurs, organisateurs… à s’interroger sur leur rôle et sur la place de l’enfant dans l’activité et les apprentissages que ce soit dans le domaine des vacances, du périscolaire ou plus généralement dans notre société… Une revue pour les aider à mettre les enfants en situation d’Agir.

La commémoration est à la mode. Nous pourrions surfer sur cette vague, avec un numéro spécial mettant en avant cette date symbolique de 20 ans de publications. Un trémolo d’émotion dans la plume, nous pourrions nous remémorer le chemin parcouru, notre histoire… A la manière de la rubrique d’un journal satirique bien connu, voici donc quelques titres « auxquels vous avez échappé » : On n’a pas tous les jours 20 ans… Quand on aime, on a toujours 20 ans… 20 ans déjà… Mais point de numéro spécial, ni d’événement mémoriel pour ce 81e numéro, dont l’équipe rédactionnelle a souhaité qu’il se situe dans le fonctionnement habituel de notre action pour l’Education nouvelle. S’appuyer sur ce qui a fait notre histoire et nos expériences pour construire l’avenir n’est pas lié à un événement ou un symbole, mais se lit au quotidien dans nos pages.

MUTUALISER LES EXPÉRIENCES

Les articles des Cahiers de l’animation sont rédigés par des militants des Ceméa, mouvement d’Education nouvelle. Ils sont le reflet de leurs réflexions et de leurs actions pédagogiques sur les différents terrains éducatifs où ils travaillent, dans les domaines des loisirs, du périscolaire, ou de l’école. Des textes qui mutualisent des expériences d’animation, d’apprentissage, de coopération et de vie, avec l’objectif de rendre les enfants acteurs de leur éducation et de leur avenir. Les articles de la revue s’appuient sur le vécu, la réflexion, la recherche, les satisfactions et les doutes des animateurs, directeurs, responsables de structures, enseignants… qui agissent au quotidien. Analyser sa pratique, l’environnement éducatif, les situations proposées aux enfants, pour avancer dans sa réflexion sur l’Education, la transmission et la place de l’enfant, puis de l’adulte dans l’activité et la société.

EVOLUER POUR MIEUX GRANDIR

Pour autant, si cet anniversaire n’annonce pas de virage de fond pour les Cahiers, la revue ne peut échapper aux questionnements sur sa forme. Depuis quelques années, on nous annonce la mort de la presse papier. Celle-ci serait vouée à plus ou moins brève échéance à être remplacée par les supports numériques aussi simplement que l’appareil photo numérique a remplacé l’appareil argentique. Mais on sait également que les évolutions technologiques ne sont pas toujours aussi radicales.
Tout comme l’ordinateur n’a pas tué la télé qui n’a pas tué le cinéma qui n’a pas… il n’est pas certain que la presse quitte totalement le papier pour les écrans. A bien observer la réalité on se dirigerait plutôt vers un univers médiatique plus complexe où les supports plus nombreux cohabitent et dans le meilleur des cas se complètent et se renforcent.

PERMANENCE ACTUALISÉE

Pour une revue trimestrielle comme les Cahiers de l’animation qui ne surfe pas sur une actualité toujours brûlante, la temporalité s’inscrit dans le temps moyen, voire long pour une partie de ses contenus. Son lectorat est divers, entre les animateurs qui vont encadrer quelques séjours durant leurs congés et ceux, professionnels ou militants associatifs, qui animent et s’installent dans la durée avec les Cahiers. A la lumière de cette situation, on peut donc imaginer quelques évolutions de format et de support pour la revue en incorporant un peu de fibres numériques à celles du papier : un site internet conservant la mémoire de la revue, assurant la permanence d’un contenu de fond actualisé régulièrement et relayant l’actualité plus chaude vers les écrans des tablettes ou des téléphones, prolongements numériques de la revue qui pourrait être, dans sa face papier le vecteur de réflexions et de témoignages d’expériences d’acteurs de terrain. Et on touche là, à la singularité de cette revue dont les contenus de fond donnent corps à une parole engagée, à une conception de l’animation non techniciste, où les procédés ne prennent pas le pas sur le sens.
Donc, pas de numéro rétrospectif, pour ces 20 ans, mais des articles actuels, consacrés à l’éducation à l’image, au rythme de vie, à la préparation des séjours, à la confrontation d’idées, de projets et de pratiques, avec une place particulière donnée au jeu, composant essentiel du développement de l’enfant, que ces jeux soient littéraires, de société ou sportifs.

Les Cahiers de l’animation continuent à proposer, imaginer et cheminer avec l’aide des militants afin d’Agir au quotidien pour l’Education nouvelle.

LA NAISSANCE DES CAHIERS
Alain Grimont Secrétaire général d’honneur des Ceméa| |En 1990, en supplément au numéro 441 de Vers l’Education nouvelle (Ven) nous avons publié le premier « cahier de l’animateur ». Rédacteur en chef de la revue, je présentais ce premier cahier : « Vous découvrez le premier Cahier de l’animateur, outil spécifique tourné vers les structures de vacances et de loisirs collectifs. Les cadres de celles-ci, qu’ils soient chevronnés ou débutants, y trouveront des éléments pour la préparation des séjours et les lecteurs engagés sur d’autres lieux de vie de l’enfant (la crèche, l’école, le quartier) ne négligeront pas les apports exceptionnels sur le plan de la pédagogie de ces lieux privilégiés d’éducation. » « Les animateurs nous disaient ne pas trouver leur compte dans une revue où les articles consacrés à leur activité étaient répartis sur les dix numéros de l’année. Désormais trois cahiers répondent à leur premières attentes : avril et octobre proposeront des comptes rendus d’expériences d’animation, juin s’intéressera davantage aux problèmes de direction… »
En 1993, Directeur des publications des Ceméa, j’annonce dans le numéro 458 de Ven la création d’une nouvelle revue : Les Cahiers de l’animation vacances – loisirs : « Dans un contexte socio-économique et culturel tourmenté, dans une société en crise entre des mutations technologiques considérables et des ruptures idéologiques, les Ceméa ont, en 1992 lors de leur congrès de Strasbourg, montré l’image d’un mouvement dynamique….
Les moyens mis en oeuvre pour la diffusion de nos idées sont régulièrement analysés, notre objectif étant bien de satisfaire les besoins d’information de nos lecteurs, d’aider au perfectionnement des pratiques de nos stagiaires. L’étude de l’évolution des abonnements, le très bon accueil réservé aux Cahiers de l’animateur, suppléments à Ven nous conduisent à changer la proposition d’abonnement. La formule précédente imposait au jeune animateur de 17 ans de passer par l’abonnement complet pour obtenir le document qui l’intéressait davantage. Sur un plan financier, en particulier, cette proposition était dissuasive.
En 1993, nous vous proposons deux revues : Vers l’Education nouvelle, revue du mouvement, abordant les grandes questions qui intéressent tous les champs d’intervention des Ceméa et Les Cahiers de l’animation vacances-loisirs, très concrets, riches d’informations pratiques donnant aux animateurs des idées immédiatement applicables sur le terrain. Nous encourageons tous nos lecteurs à s’abonner aux deux revues pour être au fait de l’action globale des Ceméa. »

Aujourd’hui, Les Cahiers de l’animation accompagnent le stagiaire, après son premier stage, l’aide à bien analyser ce que fut sa première expérience pratique et lui permet d’aller plus loin dans ses connaissances, de progresser vers l’Education nouvelle.

Olivier Ivanoff, Laurent Michel

Les cahiers de l’Animation n°81




Comme un écho

Les Ceméa sont nés en 1937. Dans un contexte bien particulier, un bouillonnement d’idées, d’enthousiasme, la mise au grand jour de ce que pouvait créer l’éducation populaire. Les colonies de vacances existaient depuis longtemps, 300 000 enfants les fréquentaient en 1936. Denis Bordat, qui fut Délégué Général des Ceméa de 1969 à 1979 nous raconte ici dans quel contexte, les Ceméa sont nés… Et, au travers des lignes, un peu aussi pourquoi.

1936 : j’ai treize ans et je suis déjà un vieux routier des colonies de vacances. Certaines municipalités ouvrières de la région parisienne ont découvert depuis quelques années qu’il n’était plus possible de laisser les colonies de vacances à la seule bonne volonté des œuvres charitables. On achète des châteaux plus ou moins abandonnés par leurs occupants pour « les enfants des travailleurs », mais aussi, on construit, on construit dans la hâte tant les besoins sont grands, et l’on construit avec, comme seul critère de la vie en internat, les critères de l’internat scolaire dans le meilleur des cas, de l’hôpital ou de la caserne dans le pire. Grands dortoirs avec chambre de surveillant, grands réfectoires. C’est dans l’une de ces colonies que je me retrouve, chaque année, de sept à quatorze ans.

J’entends le maire encore aujourd’hui… Un grand discours exaltant devant la population réunie sur la place de notre mairie de banlieue. « Et nous avons la plus belle colonie qui ait jamais été construite en France. La plus belle parce que construite au cœur d’une grande forêt qui va jusqu’à la mer. La plus belle, parce que près de la mer ; elle donne sur l’immense plage du phare de la Coubre où vos enfants se baigneront tous les jours. » Les yeux des parents s’illuminent de vaguelettes, eux qui n’ont jamais vu la mer, « la plus belle parce que nous avons construit huit dortoirs équipés de cent lits chacun, la plus belle parce que nous avons construit un immense réfectoire qui peut contenir huit cents places… » J’étais l’un des huit cents, quelque part à une table du réfectoire. Je n’ai pas souvenir de moniteurs, le mot même n’existait pas, ni même le mot surveillant. Il y avait bien pour tout ce monde une dizaine, une douzaine peut-être d’adultes, en dehors des dames que nous apercevions, dans cette immense usine-cuisine préparer les repas, mais une douzaine d’adultes à tout faire. On les voyait parfois revenir tôt le matin avec une camionnette pleine de légumes ou de bidons de lait ou d’épicerie ou de quartiers de viande, car il fallait BIEN nous nourrir ; la nourriture, c’était quasiment sacré. L’un ou l’autre conduisait parfois le car pour une courte excursion. L’un ou l’autre aussi, le soir ou le matin, dans le dortoir passait pour voir si tout allait bien. L’un ou l’autre aussi veillait dans les grandes allées du réfectoire pour aider les plus jeunes quin’avaient pas trouvé de place à table et pour s’assurer que les plus âgés les aidaient à BIEN MANGER. Sans doute, je me souviens aujourd’hui de quelques moments difficiles au cours de ma première année de vacances mais les mauvais moments des années suivantes, je les ai oubliés pour n’en conserver qu’un souvenir ébloui. Abandonnés à notre initiative, nous nous organisions en bandes généralement homogènes d’âge, parfois mixtes et parfois non mixtes selon la nature du moment, bandes de dix à quinze avec leurs chefs et leur hiérarchie, bandes tantôt rivales et tantôt alliées. J’ai vécu cent fois chaque année La Guerre des boutons de Pergaud, avec ses cabanes construites et détruites qui devenaient forteresses au cours de deux mois de vacances, car nous partions deux vrais mois, qui devenaient forteresses avec leurs défenses, leurs armes qu’il fallait fabriquer, leurs munitions qu’il fallait stocker, leurs trésors qu’il fallait d’abord ramasser dans les chasses les plus variées, voire les plus dangereuses ou les plus condamnables, et dont les lézards gris ou verts, les orvets, les couleuvres ou les vipères faisaient tristement les frais. Trésors aussi qu’il fallait conserver, dans des boîtes, des caisses, des zoos improvisés qu’il fallait défendre des pillages éventuels des bandes adverses, car parfois le trésor changeait de camp. Un de la bande, souvent, devait monter la garde à midi, sacrifiant l’heure du repas ; sur la quantité, personne ne s’apercevait de son absence au réfectoire.

Pour moi qui n’avais ni frère ni sœur, la colonie de vacances était le terrain privilégié de découvertes exceptionnelles et pour lesquelles l’école ne m’avait jamais rien apporté. Construire des choses avec mes mains, découvrir la nature et la vie de la campagne, jouer avec des camarades de mon âge dans un grand jeu permanent. Découverte aussi de la solidarité, découverte aussi de l’autre sexe, y compris dans les jeux sexuels qui avaient leur juste part dans l’ensemble des activités, qu’elles soient de paix ou de guerre. Les adultes connaissaient l’existence de ces bandes, mais ils se gardaient de trop intervenir, sauf si la collectivité ou l’un de ses membres était mis en péril. Certaines étaient spécialisées, et tous nous savions que lorsque l’économat avait été pillé de toutes les tablettes de chocolat, c’était la bande à Riton, que lorsque les trente vaches du fermier voisin avaient été une nuit sorties de l’étable et conduites dans une clairière pour une vaste corrida, c’était la bande à Jacques. Mais, à travers tout cela, quelle richesse dans l’approche des autres, dans les relations sociales dirait-on aujourd’hui, dans la libre invention sans cesse renouvelée ! Il y a apparemment quelque tristesse à dire cela aujourd’hui quand on a consacré l’essentiel de son activité à penser à l’organisation des centres de vacances, à la formation des moniteurs ou des directeurs qui devaient les encadrer. Je dis « apparemment », car ces expériences aussi ont nourri notre réflexion. Il ne faut pas gommer non plus les mauvais moments de la première année. L’arrivée… Perdu dans un cadre impossible à saisir pour un enfant de sept ans. La recherche angoissée de waters pendant plusieurs jours sans même oser demander « l’endroit » et, après leur découverte par hasard, découverte que les portes ne fermaient pas (comme à l’école), que les chasses d’eau automatiques vous inondaient lorsqu’on arrivait au mauvais moment. Découverte des douches collectives à l’âge même où je n’aimais plus faire ma toilette devant ma mère. Je ne savais même pas ce qu’était une douche : à la maison, la toilette, se faisait dans une cuvette sur l’évier de la cuisine. Terreur d’être nu devant les cinquante autres enfants. Terreur de cette sonorité particulière des douches collectives. Terreur de cette atmosphère embuée. Terreur de cette eau qui tombe de très haut sur la tête et dans les yeux. Terreur des voix adultes qui dominent le bruit en criant : lavez-vous, savonnez-vous, rincez-vous, essuyez-vous, rhabillez-vous ! Et les pipis au lit, moi je ne faisais jamais pipi au lit, mais chaque matin, sur les cent du dortoir, une bonne dizaine d’enfants avaient mouillé leurs draps ; « les pisseux », leur criait la rumeur. Le soir, j’avais du mal à m’endormir, terrassé d’anxiété à l’idée que moi aussi je pourrais… et une nuit c’est arrivé… l’accident, un rêve absurde, au pied d’un arbre. Je ne me suis pas rendormi de la nuit. Le matin, dès le jour, je me suis levé avant les autres, j’ai refait mon lit très bien avec les draps souillés. Lorsque le monsieur est passé comme chaque matin près de mon lit, il m’a dit : « Oh, c’est très bien aujourd’hui, tu as très bien fait ton lit, bravo. » Il y avait aussi la séance d’épouillage où nous passions tous, plusieurs fois dans le séjour. Si l’on trouvait un pou dans les lames du peigne fin, on était rasé, les filles aussi avec leurs longs cheveux, on leur mettait un foulard sur la tête, et les autres qui étaient passés au travers montraient du doigt les pestiférés : « Oh les pouilleux, les pouilleux… » Terrible ! On pourrait longtemps raconter le meilleur et le pire. Lorsque, quelques années plus tard, j’allai suivre aux Ceméa un stage de formation de moniteurs, je trouvai quelque écho dans mes souvenirs d’enfant aux propos des instructeurs. Ce qu’il faut dire encore, sans doute, c’est le grand respect que nous avions des adultes que l’on voyait tout faire dans la colonie : conduire les voitures, réparer un lit, une fenêtre, déboucher un lavabo, surveiller la baignade. Il faut leur rendre hommage. Sans eux, les colonies de vacances n’auraient jamais pris l’essor qu’elles ont pris. Tous étaient venus là en « mission », leur travail en colonie de vacances était partie intégrante de leur vie de militants, car tous étaient militants politiques ou syndicaux, et tous savaient que ce travail en colonie de vacances enrichissait leur vie de militants. J’ai bien connu l’un d’eux depuis, Henri, alors ardent militant anarchiste. Il était professionnellement mécanicien au garage municipal, il avait toujours un livre à lire à portée de main, une « histoire vraie » à raconter sur les fourmis, les abeilles, les choses de la nature. A la colonie, lorsqu’il ouvrait le capot d’une voiture, il y avait toujours une dizaine d’enfants autour de lui, et il expliquait, expliquait toujours. Sans diplôme aucun, il a été nommé quelques années plus tard bibliothécaire d’une très importante bibliothèque municipale ; il est aujourd’hui président d’honneur de la Fédération nationale des centres culturels communaux, toujours sans diplôme. Je crois qu’en 1937-1938, j’allai pour la dernière fois comme enfant en colonie de vacances à la Pointe de la Coubre. C’était le temps où des éducateurs déjà engagés dans les mouvements d’éducation nouvelle réfléchissaient à ce phénomène, nouveau dans ses dimensions sociales, et où ils projetaient de former des moniteurs. Gisèle de Failly rêvait alors de transformer certaines petites écoles de campagne en « Maisons de campagne des écoliers » pour les vacances des enfants des villes. Elle nous raconte dans quel contexte les Ceméa sont nés, quels courants pédagogiques les ont portés, quelles contradictions ils ont dû surmonter pour d’abord exister.

Denis Bordat

Article extrait de « CA n°57 – 70 ans, déjà ?«