Éducation Environnement

Ai-je été une des seules à avoir fait de l’éducation relative à l’environnement sans le savoir ? et sûrement à continuer, à certaines occasions… Mes expériences d’animation volontaire sont antérieures à ma rencontre avec le groupe national éducation relative à l’environnement des Ceméa. Il me semble cependant avoir mis des choses en place qui questionnent la même démarche éducative. Les pratiques d’activités et les réflexions que nous avons menées dans le cadre du réseau éducation relative à l’environnement des Ceméa m’ont vraiment aidée à prendre conscience de l’importance des interactions que nous avons avec le milieu qui nous entoure, qu’il soit humain ou/et naturel. Depuis lors, j’ai encadré des stages Bafa et Bafd en ayant le souci de prendre en considération les conséquences que pouvait avoir nos interactions avec le milieu stage sur les choix pédagogiques que nous allions faire. En tant qu’animatrice et directrice de centres de vacances et de loisirs, j’ai toujours accordé beaucoup d’importance au temps de découverte et d’appropriation des lieux qui allaient accueillir le séjour auquel je participais. Je pense tout d’abord que j’appréhendais l’inconnu et j’avais besoin de savoir où et avec qui j’allais vivre cette aventure. Il me semblait ensuite que ces premiers repères étaient rassurants pour tout le monde. Dans les différents centres de vacances auxquels j’ai participé, nous avons toujours prévu une découverte du centre, des personnes qui allaient partager le séjour et des recoins de ce lieu qui allait devenir notre. Lors d’un centre de vacances dans le Jura, tous les villageois (village de quarante habitants) étaient là pour accueillir la centaine de personnes qui arrivait, les deux séjours d’été chamboulaient leur vie quotidienne, ils se sentaient partie prenante de l’aventure, ce qui constituait un enrichissement supplémentaire pour notre projet collectif. Nous avons souvent organisé des balades découvertes autour du centre. Qui n’arrive pas dans une « colo bord de mer » en demandant : « Mais elle est où, la mer ? », parce que souvent, elle est bien là, à quelques pas, mais pas à portée d’yeux. Il y a donc à se rassurer, à découvrir ce milieu, parfois pour la première fois, et il est impossible de passer à autre chose tant que ce n’est pas fait.

Une fois que nous savions où nous étions et avec qui nous allions vivre, restaient toutes les questions relatives à comment nous allions vivre ensemble. Comment respecter au mieux les rythmes individuels quand les enfants dormaient dans deux dortoirs de soixante lits chacun, sans cloisonnement. Comment assurer un petit déjeuner réellement échelonné quand tous partageaient un même dortoir ? De fait, nous avons été créatifs ensemble, avec les enfants. Des affinités se sont constituées, des lits se sont rapprochés, des sous espaces se sont dessinés, nous avons cousu ensemble des séparations, et, passée la première semaine, il tenait à cœur de tous d’essayer de laisser dormir ceux qui le voulaient – cela pouvait très bien être soi le lendemain ! J’ai souvenir que nous avons toujours aménagé des coins avec les enfants, nos choix n’étaient pas toujours les plus judicieux (dans un couloir, dans un débarras), mais ils étaient fait collectivement et ces espaces étaient réellement investis. J’ai le sentiment que nous avons toujours essayé de faire au mieux, par rapport aux valeurs d’éducation nouvelle que nous défendions, mais peut-être sans vraiment prendre conscience que certaines contraintes, ou au contraire, certaines possibilités, étaient posées par le milieu du centre. C’est en redécouvrant l’importance que les Ceméa accordent au milieu « résultante d’un jeu subtil et complexe d’interférences et élément agissant fortement sur le comportement des personnes et des collectivités », par l’intermédiaire du groupe national et du réseau éducation relative à l’environnement que j’ai découvert combien il était important de prendre conscience de ces interactions, pour se donner les moyens de poser des choix éducatifs et pédagogiques en connaissance de cause, de manière à permettre à chacun de se situer et de prendre position. Je n’ai malheureusement pas pu encadrer d’autres centres de vacances ou de loisirs depuis, même si je souhaite toujours le faire, j’ai par contre essayé de mettre en œuvre cette démarche lors des stages Bafa et BAFD que j’ai eu à encadrer. En voilà une illustration. Dans quelques jours, j’accueille avec mon équipe un stage Bafa à Collonges-la Madeleine (Bourgogne). C’est la première fois que j’encadre un stage là-bas, même s’il s’agit d’un lieu fréquent d’accueil de stages. La veille de l’ouverture du stage, nous arrivons. C’est un environnement rural, très verdoyant. Le centre se trouve dans les hauteurs du village de Collonges-la Madeleine. Je me dis que ce village à proximité est une opportunité, la vue panoramique depuis le centre est aussi intéressante. Quand je vais quelque part, je ne peux pas m’empêcher d’observer où je suis. Cette curiosité s’applique autant à l’environnement naturel qu’aux personnes que je peux être amenée à rencontrer. C’est peut-être mon attachement à la démarche d’éducation à l’environnement qui génère cela. Je suis curieuse de ce lieu dans lequel nous allons vivre plusieurs jours car je sais que nous évoluerons en interaction avec cet environnement, que nous en ayons conscience ou pas. Lorsque nous organiserons des activités, les espaces existants dans cet environnement (salles, cour, village, forêt, champs) nous permettront de choisir où et comment vivre des démarches pédagogiques. Il me tient à cœur que notre projet de formation porte cette démarche d’appropriation du milieu par tous les acteurs du stage.

Avec l’équipe d’encadrement du stage, nous organisons une balade « découverte » des environs puis nous prenons le temps de découvrir le centre – organisation des bâtiments, rencontre avec les personnes. Nous avons désormais quelques repères qui vont nous permettre de construire notre projet. Des questions se bousculent dans nos têtes sur la question de la vie quotidienne : comment vont se répartir les personnes dans les chambres ? Comment allons-nous gérer notre rythme de vie de groupe au sein d’un collectif plus large, avec un chantier de la Cotorep qui partage les locaux et des classes vertes qui peuvent avoir besoin de certains salles lors des journées où les enfants viennent sur le centre ? De manière plus générale, comment vont se partager les espaces collectifs (salles à notre disposition à titre permanent ou pas), comment installer des coins dans cette réalité, ces coins sont-ils ouverts à tous ou pas ? Il va y avoir deux services de restauration, nous mangerons à 13 heures, quelles conséquences cela va-t-il avoir sur le rythme des journées ? Aurons-nous la possibilité d’avoir accès à la cuisine, de travailler sur les repas, d’avoir des projets en la matière ? Comment allons-nous organiser la participation à la gestion logistique du stage, qui nous paraît une composante importante du stage (est-ce à nous de faire la vaisselle et le ménage de tout le monde, il n’est pas prévu que le chantier Cotorep intervienne sur la vie quotidienne et le centre qui nous accueille n’a pas prévu de personnel pour prendre en charge l’autre groupe, il comptait sur nous… Cela ne risque-t-il pas de générer des tensions ? Il nous faut avoir un projet là dessus pour que le groupe de stagiaires puisse ensuite s’en saisir, en choisissant en pleine conscience le mode de vie du groupe, dans les limites imposées par notre environnement (à nous aussi de faire évoluer ces limites dans la mesure du possible). Toute cette réflexion est fondamentale, elle nous permet d’agir en connaissance de cause, avec et dans cet environnement, sans l’ignorer, mais sans en attendre l’impossible non plus. Un des premiers temps avec les stagiaires sera une balade découverte de l’environnement autour et dans le centre, ainsi que l’appropriation du centre, les locaux, les personnes qui le font vivre et une information sur les personnes qui vont le partager partie du temps. Cette immersion dans le milieu doit permettre d’élaborer des repères communs pour que chacun puisse être acteur du stage à part entière. Prendre conscience de ces interactions, c’est se questionner sur les valeurs que ces relations portent et il me semble que c’est une condition qui permet aux stagiaires de se positionner comme acteurs du déroulement de leur formation. Quelle va être la place de chacun dans un projet collectif, qu’il soit à l’échelle d’un groupe stage ou de la société ? Les stagiaires doivent pouvoir s’approprier cet environnement, sinon, les choix que nous poserons ne pourront être ni lisibles ni compréhensibles pour eux. Ils subiront le « milieu stage » et que nous en ayons conscience ou non, nous serons acteurs de conceptions éducatives que nous ne partageons pas forcément. C’est en ce sens que notre action pédagogique est éminemment politique.

Les stages traduisent forcément des choix quant à la relation au milieu, à l’importance de la vie quotidienne, à la place des stagiaires dans ce projet de formation, en fonction des contraintes que nous pouvons avoir et des priorités que nous nous donnons. Nous faisons ainsi de l’éducation relative à l’environnement sans le savoir en abordant les choix éducatifs qui sous-tendent la relation à soi, aux autres et à l’environnement naturel. Ainsi l’éducation relative à l’environnement, loin d’être une discipline de spécialistes des petites fleurs ou du réchauffement climatique, est un vecteur fondamental de l’éducation nouvelle qui permet de construire la démarche éducative en interaction avec le milieu ambiant, qu’il soit naturel ou humain, et non pas de manière virtuelle, hors sol…

Myriam Fritz-Legendre

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°46



Des intérêts des enfants dans la découverte

Comment j’ai commencé à comprendre l’Éducation nouvelle. Un séjour de juillet en centre de vacances dans le Massif central, avec un groupe d’une trentaine d’enfants de 9 à 10 ans. J’ai 19 ans dans la tête, quelques connaissances et plein d’idées d’activités, dans ma documentation le petit peuple des ruisseaux.

Une mare, entrevue au cours d’une première promenade, avait semblé éveiller la curiosité. J’ai donc proposé aux enfants d’aller à la mare observer la vie des poissons, des grenouilles, des insectes, des larves et des plantes aquatiques. Je me suis préparé et j’ai rassemblé boîtes, seau, petits flacons en verre. J’ai fabriqué un troubleau avec la toile d’un sac à pommes de terre et une fourche de noisetier, construit une caisse avec fond vitré pour observer dans l’eau… bref, « je suis au top » pour la mare.

La mare est à un kilomètre. à 15 heures, me voilà parti avec une douzaine de filles et de garçons. Au premier tournant du chemin, le bruit rythmé d’une machine nous fait dresser l’oreille. Passé le virage, nous découvrons une moissonneuse-batteuse. Nous nous arrêtons. Les enfants regardent. Ils sont fascinés par l’avant de la machine qui engloutit les épis et les tiges dans son ventre, par l’arrière qui recrache balle et paille hachée, par les courroies, les poulies, les bielles apparentes. Le propriétaire du champ est là, il surveille la qualité du travail. Il nous rejoint, la conversation s’installe, les enfants questionnent.

Le temps passe, je regarde ma montre… et la mare ? J’attends encore quelques minutes puis insiste pour que nous repartions. Un quart d’heure après, nous sommes arrivés. J’organise, je répartis le matériel en expliquant l’utilisation. Les observations commencent. Deux filles et un garçon sont avec moi, attentifs. Le reste du groupe s’étire sur une centaine de mètres. Au bout d’un moment, j’entends des cris et des bruits de course dans la pente boisée toute proche. J’appelle pour ramener tout mon monde au bord de la mare, sans succès. Finalement, accompagné par les « fidèles », je rejoins les fuyards qui manifestent l’envie de jouer à la guerre dans les fougères, les « fidèles » se rallient à cette proposition. Alors, la mare !!! Que faire ? Discourir sur les beautés de la nature et l’intérêt de comprendre la vie ? Non. Faire preuve d’autorité et n’avoir qu’une adhésion très relative ? Encore moins. Ici, je n’ai pas de programme, la décision est prise en quelques secondes. J’organise le jeu en jeu d’approche avec prise à vue, deux équipes, les défenseurs au sommet de la butte, les attaquants sur les pentes… à l’attaque ! Cela joue bien, on change de rôle, on ajoute des règles… à 18h30, j’arrête le jeu. Il faut rentrer. Au passage nous ramassons le matériel d’observation. Sur le chemin du retour, les enfants parlent d’attaques de châteaux forts, de chevaliers et puis il y a la vieille tour du fond du parc. Pendant trois jours, la vie du groupe sera féodale : fabrication de boucliers, de heaumes, d’épées, de hennins, d’éléments de costumes et la vieille tour du fond du parc sera le lieu du jeu dramatique. Quant à la mare, dix jours plus tard, une quinzaine d’enfants parmi lesquels « les fidèles » manifesteront l’envie d’y aller. Nous irons deux fois, et cette fois, les découvertes seront nombreuses, les observations précises, les deux aquariums du centre seront richement peuplés et nous parlerons même de conservation des lieux humides.

Claude Gratien

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°43



Comment on fait cuire les hérissons

Une journée à Paris. Au programme : un trajet en car, visite de la tour Eiffel, promenade en bateau-mouche, shopping, métro, re-trajet en car. Une journée touristique somme toute bien banale, sauf que…

5h30 Il fait encore bien nuit sur le « terrain des étangs », terrain d’accueil des gens du voyage (capacité d’accueil cinquante emplacements). L’équipe, composée en partie d’animateurs, arrive. Le départ est prévu pour 6h30 mais avant, il faut faire le tour des caravanes pour rappeler que c’est aujourd’hui et qui plus est dans une heure, qu’a lieu la journée à Paris.

De l’envie à la réalisation Il est des choses qui se disent et qu’on entend. Cela faisait un moment qu’on entendait parler, sur le terrain, d’une envie d’aller à Paris. Quand on leur posait la question du « pourquoi faire ? » on s’entendait répondre : « Pour faire comme tout le monde, voir la tour Eiffel et faire des photos »… On a tout de suite été séduit par le projet. L’envie a pris du terrain, et bientôt enfants, ados et adultes parlaient de « cette journée à Paris ». Il nous a fallu un temps très long pour mettre en place ce projet, puisque nous avions comme intention d’associer les participants au projet, et l’une des caractéristiques de ce public est la difficulté à se projeter : ils sont là aujourd’hui, mais demain ? Ils ont envie aujourd’hui, mais demain ? Mais « c’est quand demain ? »

6h30 Une trentaine de personnes sont prêtes, pas forcément celles qui étaient initialement prévues. On devrait partir mais on ne peut techniquement pas, le chauffeur est en train de subir un interrogatoire. Depuis quand a-t-il son permis ? Qu’il le sorte tiens, qu’on vérifie. Depuis quand fait-il ce travail ? Quelle route va-t-on prendre ? Ça va durer combien de temps ? Et voilà notre chauffeur qui sort la carte routière…

7h30 On part. On a saisi l’opportunité, pensez donc, petits et grands étaient OK pour un même projet. Oh la belle action familiale que voilà ! Mais si certaines institutions ont une définition bien précise de ce qu’est une famille, les voyageurs en ont une autre ! Nous avions fixé (subvention oblige) que pour un mineur participant, il devait y avoir un membre de sa famille majeur. Mais ils sont tous cousins ! Les objectifs étaient pour le moins différents. Les nôtres étaient pédagogiques. Que les adultes participent à une activité avec les enfants dont ils ont la responsabilité. Que les voyageurs puissent jouir comme tout un chacun de loisirs touristiques. Que les urbains (voyageurs sur terrains des villes) et buissonniers (gitans vivant en roulotte et stationnant en campagne) puissent vivre un moment ensemble… Les leurs étaient plus basiques : voir, faire comme « tout le monde ». 8 heures Péage de l’autoroute, on retrouve un animateur et un groupe de buissonniers. Parmi eux, Jean, pasteur évangéliste, nous fait part de quelques mots pour que le voyage se passe au mieux, il commentera ainsi chaque étape de notre voyage.

9 h00 Premiers énervements : « On est bientôt arrivé ? » « Faut qu’on s’arrête ». « Il avance pas l’gadjo, y sait pas conduire »… Il commence à faire chaud, ils commencent à attaquer le pique-nique.

9h30 Première pause. On s’aère, on discute, on calme le jeu. Un petit avertissement sur le pique-nique de midi, genre : « Si tu le manges, t’en auras plus à midi » et pour toute réponse : « Oui, mais c’est maintenant que j’ai faim »… Le public de l’immédiateté.

11 h00 Arrivée à Paris, on nous dépose au Trocadéro. Première photo. La tour Eiffel :

  • Ha oui, qu’c’est beau !
  • C’est ça qu’on appelle l’architecture ?
  • Ça sert à quoi ?
  • À rien.
  • Ah oui, mais c’est beau !
  • Et en plus, ça se visite, y’a des volontaires ? Une dizaine, les trente autres ont le vertige, la montée se fait par les marches. Au premier étage, il ne nous en reste plus que quatre. « On a pas l’habitude nous. Ma cousine, pour monter dans l’camping (comprendre petite caravane) y a qu’une marche. »

13 h00 Pour le déjeuner, on propose une dispersion avec un point de rendez-vous, l’équipe en profite pour se retrouver. Cinq minutes plus tard, nous sommes cernés … par une bande de trente voyageurs ! Tout au long de cette journée nous constaterons que les voyageurs ont plusieurs angoisses notament liées au vide, à la foule, aux grands espaces. Peur d’être sous terre, d’être en l’air, d’être sur l’eau. Nous les découvrons, eux les indépendants, très dépendant de nous, insécurisés. C’est une des rares fois où nous avons pu avoir une relation si proche entre nous. Nous avions avec nous la fine fleur du caïd voyageur, du beau rebelle, ceux qui cinq jours avant se tiraient dessus à la carabine, ceux qui quinze jours après se faisaient « serrer » par cinquante CRS, et durant cette journée, ils avaient besoin d’être rassurés.

14 h00 Après avoir vérifié la présence de gilets dans le bateau, la solidité de celui-ci, après un entretien sur les compétences du conducteur et de la traductrice, plus de la moitié des participants osent-daignent monter sur le bateau-mouche : assis sur leur chaise, pas un n’a osé bouger. Si les autres passagers pouvaient en faire de même !

16 h00 Shopping. On refait un petit topo sur la responsabilité de chacun, de la loi et du fait que quoi qu’il arrive, à 18 heures, on monte dans le car pour le retour. Métro [metro] n.m. chemin de fer souterrain… Souterrain adj. Qui est sous terre. Comment faire entrer un groupe de manouches super flippés à l’idée d’aller sous terre, dans un véhicule conduit par quelqu’un avec qui on ne peut même pas discuter, le tout au milieu d’une foule de gadjé ? Compatissez !

18 h00 Retour. Le trajet retour est plus calme que l’aller, on fait moins les malins !

19 h00 Les estomacs crient famine.

20h30 Les grillages du terrain se dessinent à l’horizon. Les autres, ceux qui sont restés aux caravanes, sont là à nous attendre. Ils ont mangé eux, depuis deux heures déjà. Le car se vide, on nous serre la main, on nous remercie, ce fut une belle journée… On crie sur le terrain, on raconte. Une journée touristique qui n’a rien d’une simple journée de conso Une expo photo, il fallait que l’on ramène des preuves, il était important pour les participants que notre journée soit vue par ceux qui n’avaient pas pu y assister. L’équipe avait envie de faire un bilan avec les participants, nous n’avons pas pu le mettre en place : certains étaient partis sur d’autres terrains ou en prison… Et puis les mémoires sont courtes… « Pis s’est passé, on en parle plus. » On a réussi informellemennt à recueillir des impressions. Et bientôt sur le terrain on entendait : « On repart quand à Paris ? ben oui, la Ninnin elle a pas pu v’nir, elle voudrait voir ! » J’aurais pu vous raconter l’histoire de huit jeunes manouches dans un club de remise en forme, ou vous apprendre à parler l’argomich’, J’aurais aussi pu vous donner les « mémoires d’un père Noël après son passage au terrain des étangs » ou encore vous donner la recette du hérisson… J’aurais pu.

Sof

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°42



Quelle belle aventure

Ça s’est passé an août 2002. Ils avaient entre 11 et 14 ans. Ils étaient quarante et un. Certains venaient de Saint-Denis, d’autres de La Courneuve. Moi, ça faisait dix-sept ans que je faisais de l’animation, mais c’était la première fopis que j’étais assistante sanitaire sur un centre de vacances.

J’ai eu la chance de rencontrer le directeur, qui m’a proposé que l’infirmerie devienne aussi un lieu d’écoute et de parole. Ça a fait comme un déclic. J’ai tout de suite pensé aux ateliers de philo que j’avais expérimentés en tant qu’institutrice avec des enfants de 6 à 8 ans, mais jamais encore avec des adolescents. Les enfants, les ados, se posent autant de questions concernant les grands problèmes de la vie que nous, adultes. J’ai investi cette infirmerie très rapidement, en y apportant ma guitare, mon djembé, mes disques, mes livres de contes, de quoi dessiner, mon micro, mon lecteur de CD, afin de pouvoir les partager. Mais comment installer mon désir d’être en relation, à l’écoute, de créer du lien ? Quelques lits transformés en canapés, des fauteuils, une disponibilité affichée, de quoi se faire une tisane, et puis moi, comme je suis, avec dans ma tête l’envie d’avoir un regard bienveillant sur chacun de ces adolescents. Ce lieu a été un lieu de passages, de soins, de paroles. Beaucoup de choses s’y sont passées, aussi belles les unes que les autres. Cette infirmerie n’était jamais vide. Un jour, quatre garçons sont entrés en me demandant : « Clara, on veut savoir ce que tu penses de la prison. » Et ils ont commencé à raconter… Un autre jour, une adolescente m’a dit : « C’est bizarre, cette infirmerie, c’est comme si on était obligé d’être nous-mêmes ; c’est l’atmosphère, on se sent en sécurité. Même quand on ne parle pas, j’ai l’impression que tu nous écoutes. » J’ai répondu : « Merci pour le cadeau. » Et puis il y a eu ces fameux ateliers de philo. Ils se déroulaient après le repas de midi, « pour ceux qu’ça branche ». Quand on s’y retrouvait, le groupe choisissait le thème sur lequel il avait envie d’échanger. Pendant quinze minutes, on s’enregistrait. Chacun pouvait demander le micro et parler sur le thème, moi je me taisais. Dans un deuxième temps, on réécoutait l’enregistrement et on pouvait demander à l’interrompre pour réagir à ce qu’on entendait, toujours dans l’intention de comprendre la pensée de l’autre. Moi, j’étais garante de la circulation de la parole et de la sécurité de chacun à l’intérieur du groupe. Pour cela, au début de chaque atelier, le cadre était posé : la durée, la règle de prise de parole, l’obligation de non-jugement, la confidentialité. Le jour du retour, dans le train, deux jeunes me disent : « Nous, on n’a jamais osé venir aux ateliers philo parce qu’on s’exprime pas trop bien, mais on voudrait en faire un pour voir ce que c’est, mais seulement tous les deux. » Alors j’ai dit oui, même si le cadre ne s’y prêtait pas complètement. On s’est retrouvés debout, entre deux wagons, avec un petit magnétophone au milieu de nous trois. Et ça a donné : « Le vol ». À la fin, l’un des deux a dit : « Ouais, c’est bien ce truc, on peut parler de la guerre maintenant ? » Je ne pouvais plus les arrêter…

Je voulais qu’il y ait une trace de ces onze ateliers de philo*. Je les ai donc retranscrits dans l’ordre où ils ont été vécus, et de manière anonyme. Merci à tous ceux et celles qui, par leur présence à ces ateliers de philo, par leurs paroles mais aussi leurs silences, ont permis à ce recueil d’exister.

* – Un recueil de quelques-uns de ces ateliers est édité dans le cahier « fiches » de ce numéro.

Clara Guenoun

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°41



Osons le culturel

Entre la consommation brutale d’objets culturels et le refus tout aussi brutal de se mettre en position d’aller voir existent plusieurs alternatives. Les centres de vacances et de loisirs ont un rôle primordial à jouer dans l’accès à la culture du plus grand nombre. Il serait dommage qu’ils ne réussissent pas à se démarquer du tumulte médiatique actuel.

Les centres de vacances et de loisirs sont des lieux de vie privilégiés pour sensibiliser les enfants et les jeunes aux manifestations culturelles et artistiques qui existent et se développent un peu partout en France rurale et urbaine. Ce sont aussi des espaces privilégiés pour stimuler, favoriser des activités artistiques, sans autres contraintes que celles librement consenties au moment du choix de l’activité ou de l’inscription dans un séjour. Et s’il peut y avoir une exigence de production, un objectif de réalisation d’éléments de spectacle à présenter ou d’objets à exposer, cette exigence, de notre point de vue sera d’abord éducative et portera sur l’engagement du jeune dans la pratique de l’activité, sur le plaisir qu’il prend, avant d’être une exigence artistique. Autrement dit, l’ambition artistique qui doit légitimement guider tout projet est au service du projet éducatif. Pendant les temps de vacances et de loisirs, tout au long de l’année, les éducateurs peuvent éduquer les enfants et les jeunes à une pratique de l’activité, à une consommation des produits culturels qui ne consistent pas à accumuler seulement toujours plus d’avoir culturel, mais à acquérir et à développer toujours plus leur bien-être culturel. C’est aujourd’hui de la responsabilité de l’ensemble des acteurs du champ CVL et en particulier des organisateurs de CVL que de recentrer l’accès aux formes culturelles, les pratiques culturelles et artistiques dans leur projet éducatif. Il y a en particulier pour les CLSH un enjeu éducatif majeur tant dans l’accès aux objets et aux pratiques artistiques, dans le renouvellement des pratiques d’animation dans ce domaine, que dans la communication de ces objectifs éducatifs aux familles. Le centre de loisirs étant aujourd’hui le principal lieu de vie après l’école, le principal lieu de garde et de loisirs des enfants, avant la famille, pour une large part de la population, il doit être pour les enfants le centre de loisirs culturels en lien étroit avec tous les lieux et institutions culturelles de la ville, du canton ou de la commune ; un des lieux, à côté de l’école, de l’éducation culturelle.

Un moyen au service de l’expression Dans les CVL, les équipes d’animation ont aujourd’hui à jouer un rôle d’accompagnement culturel qui consiste à faire le lien entre les activités pratiquées et la fréquentation des productions des autres. Si la rencontre avec les arts constitue une découverte de ses propres émotions, et peut éveiller toujours plus de curiosité, de besoin d’étonnement, elle est aussi et d’abord la rencontre avec le regard de l’autre, avec le ressenti de l’autre avec l’imaginaire et l’affect de l’autre qui ne correspondent pas forcement aux siens. Ainsi, accompagner les enfants dans la rencontre des objets artistiques, dans la découverte du patrimoine et de leur environnement culturel, c’est leur apprendre à vivre dans la ville, à s’approprier les lieux publics ; c’est aussi les initier à la différence et au respect de la différence. C’est ouvrir des apprentissages fondamentaux du goût, du sens du goût et de la lecture des signes propre à chacun, et en même temps un apprentissage lent et difficile mais concret du vivre ensemble, c’est-à-dire du respect du goût des autres. Reconnaître la différence de goût, c’est devoir apprendre la divergence de sens. Il s’agit non seulement de créer les occasions de rencontres fortes avec les formes culturelles actuelles, avec les arts vivants, avec le patrimoine culturel environnant mais d’inscrire cet objectif d’éveil culturel au quotidien dans les CVL et d’en faire un axe privilégié de communication entre les personnes, de socialisation. Parce que les enfants ne s’enrichissent vraiment des objets qu’ils regardent, que s’ils peuvent en parler ensemble, que s’ils peuvent échanger et confronter leur ressenti, prolonger leurs émotions et excercer leur créativité, sous différentes formes et pas obligatoirement verbales dans un premier temps. De même, la pratique d’une activité artistique ou l’acquisition d’un certain nombre de techniques deviennent intéressantes à condition d’être un moyen au service de l’expression des personnes. Telles sont les liaisons étroites à promouvoir entre action éducative et action culturelle. L’illettrisme, l’échec scolaire, la misère culturelle qui sévissent dans toutes les couches de la société et pas seulement dans les milieux économiquement pauvres ou défavorisés et qui servent de terreau aux idéologies simplistes et populistes montrent le déficit éducatif de notre société et le manque de nourritures sensibles et spirituelles. Multiplier les occasions de découverte avec des objets artistiques, des livres, des images, des sons, des personnages ; des univers différents pour susciter chez les enfants et les jeunes l’envie et le désir non seulement de savoir et de comprendre mais de s’aventurer, de mettre en relation les pratiques d’animation avec les productions artistiques tel pourrait être aujourd’hui le réflexe culturel de l’animateur.

Bertrand Chavaroche

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°41



La meilleure façon de grimper

Nous les avons tous vus, ces gosses casqués, sanglés dans leur baudrier, pendus au bout d’une corde, assommés de conseils sur l’indiscutable meilleur emplacement pour leur pied droit, pour leur main gauche : « Moins haut, plus près, mais non, si, voilà… » Nous les avons tous entendus pleurer, fossilisés de trouille, coincés, refusant d’aller plus haut dans cette voie trop dure et incapables de redescendre. Nous-mêmes sommes peut-être passés par là, il y a longtemps. Peut-être avons-nous fait partie de ces gamins morts d’ennui, cuits de soleil, rivés trois heures sur une vire exiguë au pied de quinze mètres de calcaire brûlant dans l’attente d’un bref aller-retour au sommet. L’escalade, ça doit être du plaisir ! Surtout pour des gamins, surtout s’ils sont débutants, surtout s’ils sont en vacances. D’accord, le plaisir c’est pas la même chose pour tout le monde. Mais pour faire peur, pour dégoûter, pour faire naître l’ennui, le sentiment d’échec, pour empêcher toute appropriation véritable de l’activité, pour repousser au plus loin toute perspective de plaisir, il y a des recettes infaillibles. Je vais vous en détailler quelques-unes, mais pour les lecteurs pressés, je pourrais vous les résumer ainsi : « L’escalade, c’est comme un tour de manège. Il faut que ça vous donne le frisson, que vous n’ayez rien à décider ou à prendre en charge, puis, dès que c’est fini, que vous passiez sans transition à une autre attraction. » Donc, si vous voulez résolument poursuivre une pédagogie de l’échec, conformez-vous aux recettes qui suivent. Il n’y a pas tout, loin de là, mais ça devrait largement suffire ! Pour une pédagogie de la réussite c’est plus compliqué. Mais on peut aussi commencer par éviter les ingrédients néfastes ci-dessous.

Arrangez-vous pour qu’ils aient peur

Rien de plus facile. De toute manière, s’ils sont débutants, ils ont déjà peur. Peur du vide bien sûr, mais aussi d’être en échec, peur de tomber, peur que la corde casse, peur de la hauteur de la paroi, peur du sol qui s’éloigne, peur de ne pas avoir la force nécessaire pour s’accrocher au rocher avec les mains… Mais on peut décupler cette peur : il suffit d’un lieu où le vide, sans être plus grand, est plus perceptible. Il suffit de choisir un terrain un peu trop difficile. Il suffit de négliger de faire tester l’assurage tout près du sol et de proposer d’emblée une descente en moulinette sur une dalle verticale. On peut aussi faire grimper en baskets là où les chaussons sont déjà nécessaires. On peut encore laisser se développer un climat de dérision ou distribuer plus de remontrances que d’encouragements. Bien sûr, la peur naît la plupart du temps contre la volonté des différents acteurs. Ainsi, l’intervenant extérieur provoque parfois de l’angoisse par méconnaissance des individus du groupe. Parce qu’il lui manque une bribe de l’histoire qui s’est nouée l’heure précédente, parce qu’on lui a mal situé le niveau du groupe, il accentue des émotions déjà présentes ou ne s’aperçoit pas qu’elles sont en train de surgir. S’il est attentif, l’animateur peut prévenir ces situations. Il peut, avec un peu de délicatesse, en faire prendre conscience au technicien. Il peut encore en adoucir les effets. En escalade, la maîtrise de son affectivité est à la fois une condition d’apprentissage et de progrès, un but en soi et l’une des principales sources de plaisir. Alors de grâce, faites tout ce que vous pouvez pour aider les enfants à gérer progressivement et à faire reculer leurs peurs. Comme le rire, la peur avance par contagion. Au pied de la paroi, il y a dix minutes, Mathieu fanfaronnait :

  • C’est trop petit ce rappel, c’est bon pour les nains de jardin ! Il a vu descendre Elsa, plus tendue que la corde. Et puis Karim, le grand costaud, a fait trois tentatives infructueuses, avec à chaque fois, en même temps qu’une immense détermination (« C’est impossible que je la fasse pas, cette descente ! ») encore un peu plus d’appréhension au moment de se confier à la corde. Pourtant la peur a été la plus forte : sans un mot, Karim est redescendu à pied par le chemin. C’est le tour de Mathieu maintenant, il est blanc. Sa lèvre inférieure tremble imperceptiblement. Je ne dis rien, d’ailleurs qu’est-ce que je pourrais dire ? Surtout pas qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur ! Il n’y a rien à dire, ou plutôt si : le plus techniquement possible, énumérer à nouveau, doucement, chacune des étapes qu’il connaît parfaitement, comme un rituel auquel se raccrocher, au bord du vide.

Décidez tout pour eux

Vous souhaitez une séance d’escalade bien calibrée, un tour de manège pour ces petits ? Alors décidez de tout, entre adultes : le nombre et la nature des voies qui seront faites par chacun, la composition des cordées, les jeux, les consignes et même, pourquoi pas, les prises à utiliser et la manière de les tenir.

  • Aujourd’hui il y en a deux qui veulent faire du rappel ? Ah non, ça c’est la prochaine séance.
  • Ça fait trois fois que vous grimper la même voie en moulinette, ça n’a pas de sens. Allez hop, on change de voie !
  • C’est en fissure que vous êtes mauvais. Alors de la dalle, vous en avez assez fait pour aujourd’hui. Après tout vous savez bien ce qui est bon pour eux, non ? Mais vous pouvez peut-être considérer que les enfants et les jeunes auxquels vous vous adressez, sont en vacances… Alors, réfléchissez à ce qui vous plaît quand vous partez grimper une journée, pour vous. Ça peut servir. En même temps, essayez de sortir de votre vision personnelle (et nécessairement limitée) de l’escalade. Mélangez tout ça : il en sortira certainement quelques pistes pour que les enfants s’approprient, au moins en partie, l’activité. Pour autant, en tant qu’adulte, vous ne renoncerez pas à décider de ce qui ne peut pas relever de la responsabilité de l’enfant, en particulier lorsque la sécurité est en jeu. Décider pour eux ce qu’ils doivent apprendre, c’est déterminer ce qu’ils doivent faire pendant leur séance d’escalade : ça peut marcher, mais rarement, par la coïncidence entre ce que l’adulte a prévu et un intérêt préexistant des enfants. Il y a au contraire des animateurs ou des éducateurs sportifs qui font des propositions différenciées et qui écoutent. Ils permettent aux enfants d’établir un rapport véritable avec l’activité proposée. Parce qu’ils suscitent l’initiative, ils contribuent à construire une relation de sens : les enfants se donnent un mobile pour grimper. Ils proposent des problèmes intéressants à résoudre, savent écouter, enrichir et faire partager (sans les détourner) les idées et les envies qui se dessinent, même lorsqu’elles sont exprimées de manière voilées ou détournées. En fait, ils permettent aux enfants de considérer l’escalade comme une véritable activité, et non comme une succession de tâches, d’exercices ou de consignes. Accorder aux enfants de décider du véritable contenu de leur activité c’est partir de leur vrai rapport à l’escalade, du mobile réel qu’ils ont de grimper. Enrichir les situations, proposer des pistes multiples, c’est apporter aux enfants des occasions de faire évoluer ces mobiles vers d’autres formes de pratiques et vers l’acquisition des compétences nécessaires.

Guy Loyrion

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°35



Activités physiques de pleine nature

Les APPN constituent souvent aujourd’hui le point d’accroche pour les futurs participants. Les séjours sont présentés au travers des activités qui y seront proposées en mettant en avant leurs potentiels et leurs atouts pour séduire parents et enfants. Ces présentations fondées sur des logiques de marché, induisent souvent des pratiques de consommation. Les enfants s’inscrivent dans des propositions calées à l’avance où leurs envies d’aventure se jouent par procuration. De telles pratiques occultent malheureusement le sens des activités de pleine nature en centres de vacances. Celles-ci sont en effet un moyen privilégié de découverte et d’appropriation des milieux. Elles permettent aux enfants de s’immerger totalement dans un milieu inconnu et d’en saisir toutes les richesses et la complexité. Ces activités sont aussi le support à la rencontre. Rencontre de l’autre, des autres, de soi même lorsqu’il s’agit de se confronter à des difficultés, à des situations nouvelles, à des prises de risques inhabituelles. Elles sont avant tout l’occasion d’un projet collectif où le petit groupe de personnes va vivre des moments intenses, des émotions fortes, des expériences inoubliables.

Les APPN inscrites dans le projet éducatif de l’organisateur de CVL

Qu’il soit associatif, collectivité locale ou comité d’entreprise, celui-ci doit avoir un projet éducatif pour les séjours et les centres qu’il organise, c’est depuis peu une obligation réglementaire. Ce projet éducatif est souvent une prise de positions sur des valeurs telles que la solidarité, le respect de l’autre, l’accès à l’autonomie, le droit aux vacances, l’accessibilité aux loisirs, la découverte d’activités sportives. Les séjours organisés doivent mettre en actes ces positions. Le projet pédagogique élaboré en équipe va les traduire dans tous les temps de vie, y compris dans les APPN. Permettre à des enfants, encadrés par des personnes passionnées et compétentes de monter des projets, d’être acteurs de leurs vacances ne vise pas les mêmes objectifs pour l’accès à l’autonomie que des pratiques de consommation où les enfants attendent leur tour pour « faire du cheval, de la voile ou du VTT ». Concrètement, l’été, beaucoup de séjours utilisent les services de professionnels compétents pour découvrir les joies du rafting. Dans un cas, le directeur a choisi, avec ses animateurs, de négocier et de préparer avec le prestataire de l’activité, les modalités de celle-ci, dans l’autre, il a seulement réservé un créneau, pour faire passer les jeunes à la file au regard de son budget. Les deux sont sans doute persuadés d’atteindre leurs objectifs pédagogiques, et pourtant ! Dans le premier cas, il sera possible, après les nécessaires consignes de sécurité et une première expérience, de monter un projet de descente de rivière sur plusieurs jours, avec bivouac, des rencontres possibles avec les habitants. Dans l’autre cas, il suffira de s’assurer que les participants écoutent les consignes et prennent leur tour au moment voulu… Caricature ? Non, réalité constatée dans beaucoup trop de séjours où intentions éducatives et pratiques n’ont plus grand chose en commun. Cet exemple pour réaffirmer que les APPN participent de toute évidence au sens global du séjour ; elles sont liées à la vie collective, elles en découlent. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises activités ; il y a des modalités de pratiques porteuses de conceptions éducatives différentes voire totalement opposées:autonomie ou dépendance, prise en compte de l’autre ou individualisme. Des modalités de pratiques en phase avec le cadre du séjour de vacances et les participants et d’autres pas. Un centre de vacances n’a pas pour mission de produire des grands techniciens sportifs ni de proposer des stages sportifs. À l’inverse, il doit permettre des découvertes, des pratiques dans le cadre de loisirs organisés de façon collective.

Les CVL se déroulent dans un cadre réglementaire précis

La pratique des APPN entre dans ce cadre qui doit garantir entre autre la sécurité des participants. La grande majorité d’entre elles au premier rang desquelles le camping et la randonnée, est encadrée par les équipes d’animation dont les animateurs BAFA. D’autres, nécessitant une maîtrise technique particulière et identifiée comme des activités dites « à risques » doivent être, selon les conditions et les modalités de pratique, encadrées par des professionnels. Les activités ne sont pas toutes soumises à réglementation, fort heureusement car il ne s’agit pas de tout codifier, de tout normer dans les séjours. Les APPN se retrouvent, selon trois cas de figure. Elles peuvent faire l’objet d’une réglementation spécifique aux CVL, être soumises à une réglementation générale s’appliquant aussi aux CVL ou ne faire l’objet d’aucune réglementation mais nécessiter une organisation pour assurer leur bon déroulement et la sécurité des participants. Des arrêtés parus en décembre 1995 concernant la pratique des activités à risques dans les CVL sont encore aujourd’hui la référence pour les organisateurs et les équipes d’encadrement, dans l’attente de nouveaux textes liés à la modification, en juillet 2000, de la loi sur le sport de 1984-92. Ils précisent les prérogatives de chacun, animateurs BAFA et spécialistes, en faisant la différence entre des pratiques à but éducatif dans le cadre des CVL et des pratiques sportives d’une part et en repérant les différentes conditions et modalités de pratiques d’autre part. Chaque directeur de séjour, chaque animateur amené à encadrer directement ou à accompagner un professionnel, doit avoir connaissance de ce cadre réglementaire. Il peut contacter la Direction départementale de la Jeunesse et des Sports du lieu de séjour qui diffuse des instructions ou consulter le guide Enfants et espaces de la JPA. Dans tous les cas, quelles que soient les activités pratiquées, il convient de faire preuve de bon sens et de cohérence. Bon sens parce que le danger et les risques ne sont pas toujours là où on les imagine, et qu’il faut avoir toujours le même souci de la sécurité des enfants. Cohérence parce que les pratiques d’activités sont trop souvent synonymes de consommation, sans intérêt pour les participants.

Vincent Chavaroche

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°35



Peur des Pokémon ?

L’humour douteux des noms des personnages, le graphisme simpliste inspiré des dessins animés japonais, la valeur marchande attribuée à chaque carte ne contribuent pas aisément à séduire les parents, enseignants ou animateurs. Mais une autre raison explique sans doute le rejet manifesté par certains adultes. Ce jeu leur échappe ! Dans un ouvrage récent (1), le psychanalyste Serge Tisseron démontre que le succès des Pokémon tient en partie à la complémentarité du jeu sur console et des cartes imprimées. Face à sa Game-Boy, l’enfant est conduit à s’identifier à un petit garçon chargé de faire évoluer les créatures de son choix, il intervient dans le déroulement des faits et peut se projeter dans l’action. À l’inverse, les images fixes que sont les cartes, incitent l’enfant à s’identifier aux caractéristiques de telle ou telle créature, à se projeter dans l’être, à rêver de détenir l’apparence ou les qualités de son personnage préféré. Les relations que l’enfant établit avec chacune des deux formes du jeu sont donc très différentes. Dans la version informatique l’enfant intervient dans un scénario, doit inventer des stratégies et obtenir des informations auprès des personnages. Dans le jeu de carte, il évolue en même temps que son ou ses personnages favoris en traversant différentes épreuves. L’image de carton reste telle que nous l’avons toujours pensée : un miroir ou un reflet de la réalité. L’image vidéo, elle peut être explorée, conquise, transformée. Il y a probablement là une explication du succès des Pokémon, en même temps qu’un élément supplémentaire de l’incompréhension qu’éprouvent certains adultes.

Une autre culture ludique

Une autre difficulté brouille nos repères d’adultes : ces jeux ne correspondent à aucun souvenir des jeux pratiqués par les enfants il y a vingt ans ou plus. Un des fragments du dernier livre de Philippe Delerm (2) évoque avec pertinence sa délicate tentation d’adulte d’entrer dans le jeu d’un enfant absorbé par son fort PlayMobil® : « Tu crois que je saurais jouer au fort avec toi ? » (2) Tentative périlleuse de se prouver à soi-même que l’on est encore capable de s’immiscer passagèrement dans l’enfance. Prise de risque aussi ; celui de se voir jugé par l’enfant, trop visiblement étranger aux subtilités du conditionnel : « On aurait dit que je t’aurais envoyé un émissaire pour parlementer. » (2) Ce regard sur le jeu de l’enfant, le fait que puisse exister la velléité d’y prendre part, traduit une compréhension, une réminiscence d’une culture ludique pas tout à fait oubliée. Mais aujourd’hui, combien d’adultes peuvent envisager de jouer aux Pokémon ? Tellement ces êtres semblent éloignés de nos propres références enfantines. Tellement les règles du jeu paraissent, au moins à première vue, étrangères à notre expérience. Dans sa version cartes imprimées, la complexité du jeu (plus de 250 personnages différents) a conduit les enfants à développer, comme souvent ils savent le faire, leurs propres règles, plus simples, mais aussi plus fluctuantes suivant l’âge, les lieux, le moment. Et l’adulte s’y perd un peu plus encore… La version jeu électronique fait appel à une technologie informatique en constante évolution vis-à-vis de laquelle beaucoup d’adultes ont un handicap en terme de savoir et d’habileté. L’aisance des enfants dans l’acquisition du maniement des jeux électroniques leur permet de surpasser la plupart des adultes. Là où ces derniers cherchent une progression logique, un mode d’emploi, et avancent avec une grande méfiance, les enfants usent et abusent du tâtonnement, investissent, sans même toujours en prendre conscience, toutes les subtilités conçues à dessein pour une approche intuitive. « Avec les Pokémon, l’enfant fait des choses auxquelles les parents ne comprennent plus rien et, qui plus est, dans un domaine où l’adulte sent qu’il est dépassé, celui des nouvelles technologies et des fantasmes qui les accompagnent. » (3) Sans doute, plutôt que de céder à la tentation du rejet, les adultes doivent s’intéresser à ces jeux, mieux en comprendre les multiples intérêts et communiquer avec les enfants pour les aider à mieux en tirer profit.

Un terrain d’aventure structuré !

Pour Serge Tisseron les deux versions du jeu sont en effet riches d’intérêt. Le caractère interactif et évolutif du jeu d’abord permet aux enfants d’élaborer eux-mêmes une mise en scène de leurs peurs ou de leurs aspirations. La relation aux éléments (l’air, le feu, la terre et l’eau), l’apparence de chaque personnage et les métamorphoses qu’il subit, renvoient l’enfant à son propre corps et à son rapport au monde. La structure du jeu, les étapes (représentées par exemple par les différentes catégories de boîtes de cartes) balisent la progression des pouvoirs acquis par le joueur. C’est un ensemble de repères, prévisibles, qui organise le futur. « [Pour les enfants] l’avenir est devenu flou, et ils perçoivent souvent, à juste titre, leurs parents comme flottants et désemparés devant les bouleversements du monde. Dans ce jeu, au contraire, ils sont appelés à s’identifier à un héros de leur âge qui en a un. On comprend leur bonheur ! » (3) Dans cette progression, le joueur est accompagné, soutenu, conseillé par un personnage bienveillant (le professeur Chen). Il peut le consulter régulièrement, comme il demanderait conseil, dans la vie, aux adultes auxquels il accorde sa confiance. Une caractéristique des jeux vidéo est qu’ils obligent les joueurs à échanger des informations, à confronter leurs problèmes pour mieux partager les solutions. Même sans l’intermédiaire du câble ou d’internet, la sociabilité est indispensable, elle fait partie intégrante du jeu. Il n’est pas plus envisageable de progresser seul dans le jeu des Pokémon que de parvenir seul à atteindre le but dans un jeu de coopératif. Le danger du repli sur soi, s’il existe, ne provient pas du jeu lui-même. Bien au contraire les jeux vidéos encouragent, impliquent la socialisation. Pour Serge Tisseron, l’enfant qui trouve refuge dans le jeu vidéo (ou dans une autre passion solitaire) souffre en amont d’un isolement relationnel. Les mensonges, les fictions familiales, les contradictions et l’hypocrisie du monde qui l’entoure le poussent à s’enfermer dans l’univers des jeux vidéos qui se présentent explicitement comme des fictions : « […] les images, elles, ont toujours l’honnêteté de leur mensonge. Elles ne font jamais croire qu’elles disent la vérité. » (1) Lorsque nos parents nous offraient des jouets, ils connaissaient d’avance, et d’expérience, l’usage que nous en ferions. Les petites voitures, les poupées, les jeux de construction, les dînettes, avec lesquels ils avaient eux-mêmes joué, n’étaient pour nous que le moyen de nous approprier un monde qu’ils connaissaient bien : le leur, celui de leurs activités d’adultes. Aujourd’hui, d’autres jouets s’ajoutent aux jeux traditionnels. Ils permettent aux enfants de se préparer à un monde qui bouge, et qui désoriente parfois les adultes. Ils permettent aux enfants de construire leur relation à la machine, aux automates, aux gadgets intelligents. En jouant avec ces jouets différents, l’enfant apprend à relativiser leurs pouvoirs, à les traiter comme de simples outils, dénués de toute volonté, sans autres intérêts que ceux qu’il lui accorde. Il relativise leurs pouvoirs, apprend à se détacher d’eux quand le plaisir du jeu s’émousse et ne correspond plus à ce qu’il recherche, comme pour tout autre jouet. En cela, il bénéficie d’une compétence précoce qui fait parfois défaut aux adultes, plus fascinés et rapidement dépendants des gadgets électroniques (4). Les craintes qu’éprouvent certains adultes ne doivent pas les conduire à rejeter ces jeux. Ils priveraient les enfants d’apprentissages de comportements et d’attitudes qu’ils n’ont pas eux-mêmes acquis mais que le monde en évolution rend indispensables.

Ce qui ne change pas : le rôle médiateur de l’adulte

Beaucoup d’adultes sont désorientés par certains jeux nouveaux, imposés avec force par un tapage médiatique agressif. Quand il existe, le rejet des Pokémon par les adultes tient pour partie à des angoisses nées de l’incompréhension et du sentiment d’être exilés, étrangers à ce monde. Pourtant la présence de l’adulte reste primordiale. Son regard bienveillant, son écoute, sa manière de rentrer dans le jeu sans y être impliqué de la même manière que l’enfant, la possibilité qu’il offre de poser une parole sur les émotions vécues par l’enfant au cours de ses aventures ludiques se rapprochent du rôle de l’adulte racontant une histoire à l’enfant. S’ils se désintéressent de cette forme de jeu, le parent, l’animateur ne peuvent plus être des recours possibles lorsque l’expression d’une inquiétude ou la rencontre d’un problème nécessitent d’être verbalisées. La relation qui se noue, la communication qui s’établit, aident l’enfant à prendre de la distance avec le jeu. C’est cette présence qui constitue la meilleure garantie contre les éventuels effets néfastes des monstres venus du Japon.

Guy Loyrion

Notes (1) Tisseron (S.), Petites mythologies d’aujourd’hui, Aubier, Paris, 2000. (2) Delerm (P.), La sieste assassinée, Gallimard, Paris, 2001. (3) Tisseron (S.), « Le parcours initiatique des Pokémon », Le Monde Diplomatique, novembre 2000. (4) Carmagnart (F.) et (E.) Robson, « Qui a peur du Tamagochi ? », Hermès Sciences Publication, 1999.

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°34



Internet et les contes

Le conte est il comme on l’entend la sagesse des nations ? En tout cas le poète nous dit que « les peuples privés de légende sont condamnés à mourir de froid ».

Le conte communique avec notre inconscient. Il ne nous parle pas seulement de choses enfouies depuis des générations (cet « inconscient collectif » qui fait partie des fantasmes totalitaires), mais tout simplement cet inconscient individuel dont nous émergeons. Il n’extériorise pas seulement nos préoccupations, il rend possible nos pensées. Nous avons besoin d’une « forme » pour donner sens.

En user sans compter Le conte est une de ces formes, situées dans la relation entre l’oral et l’écrit, et qui n’est pas à référer à une nuit des temps si commode pour ne rien expliquer : nous avons besoin de créer des récits en permanence. Entrer dans le récit c’est prendre conscience du temps, entrer dans l’histoire, qu’elle soit individuelle ou collective.

Par sa structure rigide le conte permet de fixer des pulsions, des attentes, des angoisses. Il suffit de voir comment un enfant va nous reprendre quand on modifie le conte qu’il connaît. On a besoin de s’appuyer sur de telles structures.

Les contes n’ont pas seulement une vertu pédagogique comme certains aspects de l’œuvre de Bruno Bettelheim le laissent parfois entendre. Ils ne disent pas seulement la morale, ils ne s’insèrent pas seulement dans la société, ils ne sont pas toujours « politiquement corrects ». Je pense à ces contes et proverbes africains où l’on demande à l’assistance ce qu’il faut conclure : « Quel est le plus peureux des deux héros ? », ou à ces proverbes à conclusions aléatoires. Selon l’assistance on aura effectivement des réactions qui peuvent être opposées : c’est de l’expérience du groupe que naît la vérité. L’évolution est permanente.

Passé un certain âge, il faut voir plus loin que le bout de son conte. L’adolescence n’est pas « l’heure du conte ». Les histoires alors défilent toujours, mais autres : les personnages sont plus complexes, les épisodes semblent mieux mimer la vie, le temps devient incertain et les conclusions plus « problématiques » que dans les contes. Cette étape est également indispensable. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne reviendra pas au conte, qu’on n’aura pas besoin de s’y ressourcer à d’autres moments de la vie.

Pour la période où les enfants aiment les contes, les éducateurs doivent pouvoir donner accès à de nombreux textes, des versions différentes, des contes de tous les pays. C’est donner forme et ouverture à l’interculturel.

Les sites Internet Les sites Internet comportant des contes, consacrés partiellement à ceux-ci ou spécialisés dans ce domaine, se développent actuellement. Les contes proposés en ligne sont en général, assez courts (de une à trois pages en moyenne). Ils peuvent permettre des usages pédagogiques dynamiques.

Ces sites proposent tout ou partie de textes :

  • Issus de la tradition populaire et présentés par régions, pays ou aires culturelles comme les contes de Gascogne, les contes du Québec ou les contes esquimaux ;
  • issus de recueils d’auteurs, qu’ils soient identifiés comme écrivains-conteurs (Grimm, Perrault, Andersen) nouvellistes et conteurs (Maupassant), autres écrivains (Cendrars). Les sites donnent des choix correspondant aux personnalités qui les ont mises en place (il n’y a jamais d’œuvres complètes). Ce qu’il convient de noter, sur ces sites, c’est la « signature ». Il nous semble en effet nécessaire de s’assurer :
  • D’une part que tout site Internet est bien identifié (qui parle ?), ce qui n’est pas toujours le cas. Il n’est pas non plus inutile de savoir si le site est la création d’un conteur, d’un réseau de bibliothèques ou d’un écrivain… Si cela vous semble peu clair, insuffisant… n’hésitez pas à envoyer des courriels pour demander des explications au webmaster. Ne vous demandent-ils pas d’ailleurs : « Écrivez-nous » ?
  • D’autre part que les textes comportent la mention de leurs sources, ou de l’auteur qui a effectué la réécriture, ou du traducteur (relisez plusieurs textes Internet de Grimm, vous serez parfois surpris des différences). Il s’agit là du respect du droit moral sur la propriété artistique. La situation des « illustrateurs » sur ce type de site est parfois pire encore que celle des auteurs : même des sites agréables et bien intentionnés, mettent des « illustrations » reprises éventuellement de livres, sans indication du créateur, ni la source. Si vous créez vous-même un site, pensez à respecter un code de bonne conduite à cet égard. Cela ne vous enlève rien et permet au contraire d’expliquer aux enfants et aux jeunes qu’il y a un pilote dans toute création. Les textes ne naissent ni de l’air du temps ni du « petit clic » créateur d’hyper-liens.

Jean Foucault

Jean Foucault est le rédacteur en chef de la revue Lignes d’écritures, une publication de Rénadej, Réseau national de développement des écrits littéraires de jeunes

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°32



Jouer avec la photo

Il y a plusieurs années la photo a connu un succès dans de nombreuses structures de vacances et de loisirs qui se sont équipées de labo et de matériel de prise de vue. L’effet de mode passé le matériel est souvent tombé en désuétude. La principale utilisation consistait à garder trace de la vie collective des groupes d’adolescents comme l’on fige les moments importants de la vie familiale. Peut importe que la photo ait des qualités esthétiques ou permette de communiquer à d’autres, On attendait surtout d’elle qu’elle puisse prolonger encore un peu le plaisir d’être ensemble en ré-évocant les souvenirs. Parfois en fonction de la passion et de la compétence de l’animateur ou de quelques jeunes l’activité trouvait des formes plus créative , elle était l’occasion de découvrir et d’expérimenter des principes techniques. Le développement des techniques a permis de continuer l’usage narcissique de la photographie sans se soucier de la maîtrise d’un labo ou de la manipulation d’un appareil sophistiqué. Le jetable et le développement couleur automatique en une heure ont relégué le matériel noir et blanc au placard et paradoxalement banalisé l’usage de la photo. Dans leur environnement familiale, a travers la publicité et les différent médias les enfants sont baigné depuis leur plus jeune age dans un monde ou la communication et l’expression par l’image sont devenus naturels. Ils se forgent souvent seul leur propre distance critique face a tous ces messages visuels. Parfois avec difficulté et surtout rarement encouragés par les adultes a regarder autrement, a regarder autre chose, à regarder ailleurs…Les enfants sont en effet capable d’observer et de repérer les dispositifs et les partis pris de mise en scène des images sans savoir forcément le formuler. Ils sont en tout cas rarement dupe de la différence entre la réalité et sa représentation photographique. Ce qui leur manque ce sont surtout des occasions de fabriquer leur propre images, de jouer avec elle, d’en discuter avec les autres et surtout avec des adultes.

Le groupe d’activité audiovisuelle des Ceméa vous propose huit fiches d’ activités avec la photo qui ne nécessitent ni une maîtrise de matériel complexe ni une compétence particulière dans le domaine de l’analyse de l’image. l’objectif n’est pas pour cette première série d’acquérir des compétences techniques mais plutôt de participer à l’éveil du regard des jeunes consommateurs d’image en diversifiant les propositions et les approches. Ces pistes a explorer se rapprochent des activités manuelles pour certaines, des activités d’expression ou du jeu pour d’autres. Elles sont réalisables soit a partir de photos récupérées ou soit a partir de prises de vue faites avec les enfants a l’aide d’appareils photos jetables ou a développement instantanée (polaroïd). Pour chaque fiche nous avons commencé par raconter une histoire à partir de l’expérience des membres de notre groupe. Celles-ci n’ont pas valeur de modèle, elle sont l’occasion d’évoquer et d’attirer votre attention sur le rôle de l ‘animateur dans l’activité, l’aménagement de l’espace, la relation avec le milieu et surtout la place des enfants et des jeunes. L’activité ne s’arrête pas à la fabrication ou aux jeux avec les images mais se prolonge par le plaisir de regarder des photos. Celle-ci sont autant d’invitation a voyager, a rêver, a interpréter et a discuter ensemble des émotions que nous procure un simple bout de papier glacé. Quelques ouvrages photographiques vous sont proposés en fin de ce numéro.

Groupe d’activité audiovisuelle des Ceméa

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°31



Pourquoi pratiquer des activités techniques et scientifiques en centre de vacances ou à l’école ?

Notre vie quotidienne est aujourd’hui envahie par les technologies les plus avancées. Grâce à elles, nos rythmes se sont accélérés : l’information circule de manière presque instantanée, nos déplacements de plus en plus rapides nous permettent d’explorer ou d’intervenir dans un espace de plus en plus étendu. Face à cette situation nouvelle, nous cherchons à adapter nos comportements, notre pensée. Nous profitons des avancées technologiques et ne songeons pas à les remettre en questions aussi longtemps qu’elles nous apportent plus de confort, plus de plaisir. Nous sommes capables de nous rendre totalement dépendants des machines qui nous entourent sans en avoir vraiment conscience. Nous sommes aussi capables de manifester contre la science “dangereuse”, celle qui nous fait peur, sans réfléchir qu’elle est précisément la même que celle qui nous rend tant de services. Trop d’ignorance nous rend incohérents dans nos raisonnements. Sommes-nous capables de vivre humainement dans notre univers scientifico-technique ? Si nous considérons qu’être citoyen, c’est participer, par l’action, à la gestion de la société, il est grand temps de se poser la question de l’éducation scientifique. Car, que deviendront les choix démocratiques lorsque les enjeux seront incompréhensibles à la plupart d’entre nous ? Les attitudes phobiques ou contestataires sont-elles plus constructives que les comportements rationnels ? Comprendre et connaître le monde qui nous entoure est aussi important que savoir communiquer ou connaître son passé. Cela participe de la construction globale de l’individu et des repères qu’il se donne pour vivre socialement. Toute activité, où qu’elle se déroule (à l’école ou au centre de vacances) et qui permet à chacun de construire ses conceptions ou de les faire évoluer, tend à rendre l’individu plus instruit, plus libre et plus social.

Solange Barroux

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°30



Les jeux collectifs des 3-7 ans

Dans la famille, à l’école maternelle, dans les différents clubs et institutions qui accueillent les enfants les pratiques corporelles et ludiques ont indéniablement fait leur place parmi les facteurs importants de leur développement. Les idées nouvelles sont marquées par plus de liberté de mouvement accordée aux enfants, d’où l’utilité de parcs de jeux, de “structures” à grimper, s’équilibrer, se suspendre, se cacher, se balancer, glisser, l’offre de jouets invitant à l’action, à l’expérimentation, à l’imitation et la mise à disposition d’espaces et de matériels favorisant la “costumation” et les jeux symboliques. Sont aussi reconnus les bienfaits des contacts sensibles avec différents milieux physiques – eau, soleil, neige, sable, forêt…

Certes, sur le terrain les batailles engagées sont loin d’être gagnées. Les inégalités, l’injustice, la pauvreté ont, dès cet âge, créé des clivages. Tous les enfants n’ont pas le même accès au club des bébés-nageurs, à la patinoire, au jardin des neiges, à la ludothèque, à l’école de danse ou de judo, à un centre de vacances ou une garderie bien équipée. De plus, les idées nouvelles, plus ou moins bien médiatisées ont pu, ici ou là, donner lieu à des dérives : soit un laisser-faire systématique senti par l’enfant comme un manque de repères, un abandon, voire un droit de tout faire ; soit un forcing de sollicitations où la plasticité de l’enfant et son appétit d’activité servent d’alibi à l’impatience de certains adultes d’en faire des champions.

Mais souvent, l’oublié de cette évolution vers plus de motricité, plus d’expérimentation, plus d’activité, le parent pauvre, le laissé pour compte, c’est le jeu collectif. C’est que certaines interprétations d’analyses de psychologues ont été hâtives, menant à des contre-sens. La classification de Piaget, fixant l’apparition des jeux à règles vers 8-9 ans, après celle des jeux symboliques (3 ans) et des jeux d’exercice est souvent comprise comme une succession de tranches étanches, alors que chacun de ces comportements est présent toute la vie. Il évolue avec des périodes plus manifestes que d’autres où il envahit toutes les conduites. Les “relations socio-motrices”, par exemple, sont présentes dès le plus jeune âge. Hubert Montagner a montré, en observant les jeunes enfants dans les crèches, la place importante de ces relations dans leur comportement et la formation de leur personnalité. On coopère, on s’oppose, on s’imite, on s’agresse, on cherche à dominer ou à suivre, dès le plus jeune âge.

À 3 ans, l’enfant est capable de comprendre et d’appliquer une règle concernant le rapport à l’espace (cette ligne au sol dessine ton nid), aux objets (la cible est cette porte), aux autres (on passe sous les bras), de comprendre le but du jeu (ramasser et rapporter les balles rouges), de jouer un rôle (se cacher) ; mais, à l’évidence il ne peut se mettre à la place d’autrui, analyser rapidement une situation où sont imbriqués partenaires et adversaires, se conformer à une tactique collective. Les éléments de complexité à prendre en compte sont multiples : l’effectif d’enfants, la régulation de l’adulte, la nouveauté du jeu, le nombre de consignes et de règles, la technicité demandée aux gestes… mais le critère choisi comme axe de notre proposition est celui des rôles socio-moteurs, leur nombre et leur stabilité. Déjà certains fichiers de jeux pour l’école maternelle classent ainsi :

  • les jeux où les enfants reçoivent tous la même consigne (Cherchons…)
  • ceux où un enfant reçoit une consigne différente des autres (Loup, y es-tu ?)
  • ceux où deux groupes reçoivent des consignes différentes (Le filet des pêcheurs) Notre tableau à double entrée (p. 30) va plus loin en suivant les travaux de Pierre Parlebas et en distinguant :
  • les duels d’individus ou de groupes aux rôles symétriques ;
  • les duels dissymétriques ;
  • les épreuves opposant trois équipes rivales (ou plus éventuellement), directement ou indirectement (par barème interposé) ;
  • les oppositions d’un joueur contre tous les autres (situation pouvant évoluer). Au début, l’adulte joue souvent le rôle central.
  • les jeux d’un groupe où chacun joue pour soi.

Nous pensons que dans un fichier, les jeux doivent être déshabillés de leurs thèmes symboliques (fleurs, papillons, sorciers, animaux, aventures…) car ceux-ci doivent appartenir au groupe de joueurs, en fonction de son milieu et de son histoire propre. Cependant certaines dominantes apparaissent : • le voyage pour les parcours, pistes, relais, rallyes ; • la chasse pour les cachettes-recherches, les poursuites, les esquive-ballons, les investissements de territoires ; • les épreuves initiatiques pour les défis d’adresse et d’agilité comme les billes, sauts à l’élastique… • l’animation qui consiste à faire vivre une balle, un volant… par renvoi contre un mur ou au dessus d’un filet… • la bataille comme dans le corps à corps ou la dispute d’un ballon ; • la comédie comme dans les jeux de taquinerie (Je te tiens par la barbichette) ou dans les petits jeux d’expression (mimes…) ; Les titres donnés en illustration du tableau peuvent paraître énigmatiques. Les éclaircissements qui suivent les expliquent et les prolongent.

Jean-Claude Marchal, groupe de recherche Jeux et pratiques ludiques des Ceméa

Bibliographie Marchal J.-C., Jeux traditionnels et jeux sportifs, ed. Vigot, Paris, 1990. Marchal J.-C., École maternelle, 48 fiches de jeu, ed. EPS, Paris. Montagner H., L’Activité ludique, Ceméa, 1991. Parlebas P, Jeux sports et sociétés, lexique de praxéologie motrice, ed. Insep, Paris 1999.

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°29