APS, rien de nouveau

La réglementation des activités physiques et sportives (APS) est, à intervalles réguliers, revisitée et réinterrogée. Cette mise à jour est alors traversée par des questions qui travaillent notre société, entre désir de permettre et souci extrême de sécurité, témoignant ainsi des rapports de force entre les projets parfois divergents des acteurs de l’Ëducation populaire, ceux du sport ou bien encore ceux du tourisme. 
Les activités ayant pour finalité le jeu ou le déplacement et ne présentant pas de risque spécifique peuvent être encadrées par tout membre permanent de l’équipe pédagogique de l’ACM, sans qualification sportive particulière.

A la suite du décret du 20 septembre 2011, l’arrêté du 25 avril 2012 vient compléter la mise à jour des conditions de pratiques et d’encadrement des activités physiques et sportives (APS) en accueils collectifs de mineurs (ACM). Cette mise à jour s’inscrit dans un contexte de société toujours plus exigeant en matière de réglementation et de cadre. Et ceci dans une logique de risque zéro et d’identification des responsabilités.

Le nouveau cadre réglementaire permet d’identifier clairement les activités relevant des prérogatives de l’encadrement habituel des ACM et la limite à partir de laquelle d’autres exigences quant aux conditions d’exercice et d’encadrement s’imposent. Il permet à cette occasion de prendre en compte les nouvelles qualifications professionnelles et les évolutions des pratiques sociales sur les APS car les ACM ne sont pas en dehors de la société. Il était donc normal de revisiter ces textes réglementaires datant de 2003. Même si cela s’est déroulé sous la pression des fédérations sportives et des professionnels de l’enseignement sportif et du tourisme.

Quelques évidences à rappeler
D’abord, et c’est le plus important, la quasi-totalité des activités dites « sportives » pratiquées en séjour de vacances ou en accueil de loisirs continuera à exister et surtout à être encadrée par les animateurs habituels de ces accueils, c’est-à-dire un animateur diplômé Bafa ou un stagiaire. Car ce décret et l’arrêté ne réglementent que des activités dites « à risques » et ne concernent pas les autres. La première question à se poser est de savoir si l’activité physique en question répond aux critères suivants : elle ne présente pas de risques spécifiques ; elle a une finalité ludique, récréative ou liée à la nécessité de se déplacer ; elle est proposée sans objectifs d’acquisition d’un niveau technique ni de performance ; sa pratique n’est pas intensive ; elle n’est pas exclusive d’autres activités ; elle est accessible à l’ensemble des membres du groupe ; elle est mise en oeuvre dans des conditions de pratique et d’environnement adaptées au public en fonction de ses caractéristiques physiologiques et psychologiques. Dans ces conditions, l’activité est encadrée par les animateurs de l’accueil. Si tel n’est pas le cas, l’activité demande alors un encadrement spécifique avec un diplôme lié à l’activité en question tel que défini par l’arrêté du 25 avril. Nous pouvons donc continuer à faire de la randonnée et du vélo, à organiser des tournois de foot ou des olympiades – le débat pédagogique quant à la pratique de certaines de ces activités restant, bien sûr, ouvert.

Un esprit de loisir et de découvertes
Un animateur Bafa ou un stagiaire continue et continuera à encadrer les activités des ACM ; cela n’est pas remis en question. Pour certaines activités, ces prérogatives sont renforcées comme pour la raquette à neige. L’animateur Bafa pourra maintenant encadrer cette activité à partir du moment où elle se déroulera sur un circuit balisé dans un site bénéficiant d’infrastructures.
Il s’agit bien de pratiquer ces activités dans un esprit de loisirs et non d’apprentissage ou de préparation à des compétitions. Le ski en est un bon exemple : les animateurs continueront d’accompagner les enfants et les jeunes dans leur pratique de l’activité mais ils ne pourront pas enseigner l’activité.
Quant aux activités nécessitant un encadrement spécifique, elles restent possibles aux conditions fixées dans l’arrêté du 25 avril.

Fabrice Deboeuf

Les Cahiers de l’Animation n°79




La meilleure façon de grimper

Nous les avons tous vus, ces gosses casqués, sanglés dans leur baudrier, pendus au bout d’une corde, assommés de conseils sur l’indiscutable meilleur emplacement pour leur pied droit, pour leur main gauche : « Moins haut, plus près, mais non, si, voilà… » Nous les avons tous entendus pleurer, fossilisés de trouille, coincés, refusant d’aller plus haut dans cette voie trop dure et incapables de redescendre. Nous-mêmes sommes peut-être passés par là, il y a longtemps. Peut-être avons-nous fait partie de ces gamins morts d’ennui, cuits de soleil, rivés trois heures sur une vire exiguë au pied de quinze mètres de calcaire brûlant dans l’attente d’un bref aller-retour au sommet. L’escalade, ça doit être du plaisir ! Surtout pour des gamins, surtout s’ils sont débutants, surtout s’ils sont en vacances. D’accord, le plaisir c’est pas la même chose pour tout le monde. Mais pour faire peur, pour dégoûter, pour faire naître l’ennui, le sentiment d’échec, pour empêcher toute appropriation véritable de l’activité, pour repousser au plus loin toute perspective de plaisir, il y a des recettes infaillibles. Je vais vous en détailler quelques-unes, mais pour les lecteurs pressés, je pourrais vous les résumer ainsi : « L’escalade, c’est comme un tour de manège. Il faut que ça vous donne le frisson, que vous n’ayez rien à décider ou à prendre en charge, puis, dès que c’est fini, que vous passiez sans transition à une autre attraction. » Donc, si vous voulez résolument poursuivre une pédagogie de l’échec, conformez-vous aux recettes qui suivent. Il n’y a pas tout, loin de là, mais ça devrait largement suffire ! Pour une pédagogie de la réussite c’est plus compliqué. Mais on peut aussi commencer par éviter les ingrédients néfastes ci-dessous.

Arrangez-vous pour qu’ils aient peur

Rien de plus facile. De toute manière, s’ils sont débutants, ils ont déjà peur. Peur du vide bien sûr, mais aussi d’être en échec, peur de tomber, peur que la corde casse, peur de la hauteur de la paroi, peur du sol qui s’éloigne, peur de ne pas avoir la force nécessaire pour s’accrocher au rocher avec les mains… Mais on peut décupler cette peur : il suffit d’un lieu où le vide, sans être plus grand, est plus perceptible. Il suffit de choisir un terrain un peu trop difficile. Il suffit de négliger de faire tester l’assurage tout près du sol et de proposer d’emblée une descente en moulinette sur une dalle verticale. On peut aussi faire grimper en baskets là où les chaussons sont déjà nécessaires. On peut encore laisser se développer un climat de dérision ou distribuer plus de remontrances que d’encouragements. Bien sûr, la peur naît la plupart du temps contre la volonté des différents acteurs. Ainsi, l’intervenant extérieur provoque parfois de l’angoisse par méconnaissance des individus du groupe. Parce qu’il lui manque une bribe de l’histoire qui s’est nouée l’heure précédente, parce qu’on lui a mal situé le niveau du groupe, il accentue des émotions déjà présentes ou ne s’aperçoit pas qu’elles sont en train de surgir. S’il est attentif, l’animateur peut prévenir ces situations. Il peut, avec un peu de délicatesse, en faire prendre conscience au technicien. Il peut encore en adoucir les effets. En escalade, la maîtrise de son affectivité est à la fois une condition d’apprentissage et de progrès, un but en soi et l’une des principales sources de plaisir. Alors de grâce, faites tout ce que vous pouvez pour aider les enfants à gérer progressivement et à faire reculer leurs peurs. Comme le rire, la peur avance par contagion. Au pied de la paroi, il y a dix minutes, Mathieu fanfaronnait :

  • C’est trop petit ce rappel, c’est bon pour les nains de jardin ! Il a vu descendre Elsa, plus tendue que la corde. Et puis Karim, le grand costaud, a fait trois tentatives infructueuses, avec à chaque fois, en même temps qu’une immense détermination (« C’est impossible que je la fasse pas, cette descente ! ») encore un peu plus d’appréhension au moment de se confier à la corde. Pourtant la peur a été la plus forte : sans un mot, Karim est redescendu à pied par le chemin. C’est le tour de Mathieu maintenant, il est blanc. Sa lèvre inférieure tremble imperceptiblement. Je ne dis rien, d’ailleurs qu’est-ce que je pourrais dire ? Surtout pas qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur ! Il n’y a rien à dire, ou plutôt si : le plus techniquement possible, énumérer à nouveau, doucement, chacune des étapes qu’il connaît parfaitement, comme un rituel auquel se raccrocher, au bord du vide.

Décidez tout pour eux

Vous souhaitez une séance d’escalade bien calibrée, un tour de manège pour ces petits ? Alors décidez de tout, entre adultes : le nombre et la nature des voies qui seront faites par chacun, la composition des cordées, les jeux, les consignes et même, pourquoi pas, les prises à utiliser et la manière de les tenir.

  • Aujourd’hui il y en a deux qui veulent faire du rappel ? Ah non, ça c’est la prochaine séance.
  • Ça fait trois fois que vous grimper la même voie en moulinette, ça n’a pas de sens. Allez hop, on change de voie !
  • C’est en fissure que vous êtes mauvais. Alors de la dalle, vous en avez assez fait pour aujourd’hui. Après tout vous savez bien ce qui est bon pour eux, non ? Mais vous pouvez peut-être considérer que les enfants et les jeunes auxquels vous vous adressez, sont en vacances… Alors, réfléchissez à ce qui vous plaît quand vous partez grimper une journée, pour vous. Ça peut servir. En même temps, essayez de sortir de votre vision personnelle (et nécessairement limitée) de l’escalade. Mélangez tout ça : il en sortira certainement quelques pistes pour que les enfants s’approprient, au moins en partie, l’activité. Pour autant, en tant qu’adulte, vous ne renoncerez pas à décider de ce qui ne peut pas relever de la responsabilité de l’enfant, en particulier lorsque la sécurité est en jeu. Décider pour eux ce qu’ils doivent apprendre, c’est déterminer ce qu’ils doivent faire pendant leur séance d’escalade : ça peut marcher, mais rarement, par la coïncidence entre ce que l’adulte a prévu et un intérêt préexistant des enfants. Il y a au contraire des animateurs ou des éducateurs sportifs qui font des propositions différenciées et qui écoutent. Ils permettent aux enfants d’établir un rapport véritable avec l’activité proposée. Parce qu’ils suscitent l’initiative, ils contribuent à construire une relation de sens : les enfants se donnent un mobile pour grimper. Ils proposent des problèmes intéressants à résoudre, savent écouter, enrichir et faire partager (sans les détourner) les idées et les envies qui se dessinent, même lorsqu’elles sont exprimées de manière voilées ou détournées. En fait, ils permettent aux enfants de considérer l’escalade comme une véritable activité, et non comme une succession de tâches, d’exercices ou de consignes. Accorder aux enfants de décider du véritable contenu de leur activité c’est partir de leur vrai rapport à l’escalade, du mobile réel qu’ils ont de grimper. Enrichir les situations, proposer des pistes multiples, c’est apporter aux enfants des occasions de faire évoluer ces mobiles vers d’autres formes de pratiques et vers l’acquisition des compétences nécessaires.

Guy Loyrion

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°35



Activités physiques de pleine nature

Les APPN constituent souvent aujourd’hui le point d’accroche pour les futurs participants. Les séjours sont présentés au travers des activités qui y seront proposées en mettant en avant leurs potentiels et leurs atouts pour séduire parents et enfants. Ces présentations fondées sur des logiques de marché, induisent souvent des pratiques de consommation. Les enfants s’inscrivent dans des propositions calées à l’avance où leurs envies d’aventure se jouent par procuration. De telles pratiques occultent malheureusement le sens des activités de pleine nature en centres de vacances. Celles-ci sont en effet un moyen privilégié de découverte et d’appropriation des milieux. Elles permettent aux enfants de s’immerger totalement dans un milieu inconnu et d’en saisir toutes les richesses et la complexité. Ces activités sont aussi le support à la rencontre. Rencontre de l’autre, des autres, de soi même lorsqu’il s’agit de se confronter à des difficultés, à des situations nouvelles, à des prises de risques inhabituelles. Elles sont avant tout l’occasion d’un projet collectif où le petit groupe de personnes va vivre des moments intenses, des émotions fortes, des expériences inoubliables.

Les APPN inscrites dans le projet éducatif de l’organisateur de CVL

Qu’il soit associatif, collectivité locale ou comité d’entreprise, celui-ci doit avoir un projet éducatif pour les séjours et les centres qu’il organise, c’est depuis peu une obligation réglementaire. Ce projet éducatif est souvent une prise de positions sur des valeurs telles que la solidarité, le respect de l’autre, l’accès à l’autonomie, le droit aux vacances, l’accessibilité aux loisirs, la découverte d’activités sportives. Les séjours organisés doivent mettre en actes ces positions. Le projet pédagogique élaboré en équipe va les traduire dans tous les temps de vie, y compris dans les APPN. Permettre à des enfants, encadrés par des personnes passionnées et compétentes de monter des projets, d’être acteurs de leurs vacances ne vise pas les mêmes objectifs pour l’accès à l’autonomie que des pratiques de consommation où les enfants attendent leur tour pour « faire du cheval, de la voile ou du VTT ». Concrètement, l’été, beaucoup de séjours utilisent les services de professionnels compétents pour découvrir les joies du rafting. Dans un cas, le directeur a choisi, avec ses animateurs, de négocier et de préparer avec le prestataire de l’activité, les modalités de celle-ci, dans l’autre, il a seulement réservé un créneau, pour faire passer les jeunes à la file au regard de son budget. Les deux sont sans doute persuadés d’atteindre leurs objectifs pédagogiques, et pourtant ! Dans le premier cas, il sera possible, après les nécessaires consignes de sécurité et une première expérience, de monter un projet de descente de rivière sur plusieurs jours, avec bivouac, des rencontres possibles avec les habitants. Dans l’autre cas, il suffira de s’assurer que les participants écoutent les consignes et prennent leur tour au moment voulu… Caricature ? Non, réalité constatée dans beaucoup trop de séjours où intentions éducatives et pratiques n’ont plus grand chose en commun. Cet exemple pour réaffirmer que les APPN participent de toute évidence au sens global du séjour ; elles sont liées à la vie collective, elles en découlent. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises activités ; il y a des modalités de pratiques porteuses de conceptions éducatives différentes voire totalement opposées:autonomie ou dépendance, prise en compte de l’autre ou individualisme. Des modalités de pratiques en phase avec le cadre du séjour de vacances et les participants et d’autres pas. Un centre de vacances n’a pas pour mission de produire des grands techniciens sportifs ni de proposer des stages sportifs. À l’inverse, il doit permettre des découvertes, des pratiques dans le cadre de loisirs organisés de façon collective.

Les CVL se déroulent dans un cadre réglementaire précis

La pratique des APPN entre dans ce cadre qui doit garantir entre autre la sécurité des participants. La grande majorité d’entre elles au premier rang desquelles le camping et la randonnée, est encadrée par les équipes d’animation dont les animateurs BAFA. D’autres, nécessitant une maîtrise technique particulière et identifiée comme des activités dites « à risques » doivent être, selon les conditions et les modalités de pratique, encadrées par des professionnels. Les activités ne sont pas toutes soumises à réglementation, fort heureusement car il ne s’agit pas de tout codifier, de tout normer dans les séjours. Les APPN se retrouvent, selon trois cas de figure. Elles peuvent faire l’objet d’une réglementation spécifique aux CVL, être soumises à une réglementation générale s’appliquant aussi aux CVL ou ne faire l’objet d’aucune réglementation mais nécessiter une organisation pour assurer leur bon déroulement et la sécurité des participants. Des arrêtés parus en décembre 1995 concernant la pratique des activités à risques dans les CVL sont encore aujourd’hui la référence pour les organisateurs et les équipes d’encadrement, dans l’attente de nouveaux textes liés à la modification, en juillet 2000, de la loi sur le sport de 1984-92. Ils précisent les prérogatives de chacun, animateurs BAFA et spécialistes, en faisant la différence entre des pratiques à but éducatif dans le cadre des CVL et des pratiques sportives d’une part et en repérant les différentes conditions et modalités de pratiques d’autre part. Chaque directeur de séjour, chaque animateur amené à encadrer directement ou à accompagner un professionnel, doit avoir connaissance de ce cadre réglementaire. Il peut contacter la Direction départementale de la Jeunesse et des Sports du lieu de séjour qui diffuse des instructions ou consulter le guide Enfants et espaces de la JPA. Dans tous les cas, quelles que soient les activités pratiquées, il convient de faire preuve de bon sens et de cohérence. Bon sens parce que le danger et les risques ne sont pas toujours là où on les imagine, et qu’il faut avoir toujours le même souci de la sécurité des enfants. Cohérence parce que les pratiques d’activités sont trop souvent synonymes de consommation, sans intérêt pour les participants.

Vincent Chavaroche

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°35



Paris, février 2010

Les canons à neige ont fonctionné toutes les nuits depuis un mois… Les pistes sont prêtes, surveillées nuit et jour par les nivologues, protégées par les forces de l’ordre… La saison de ski commence demain… Pas question qu’un hurluberlu abîme la neige précocement, ou s’octroie le droit et la liberté de profiter d’une « neige » vierge, avant l’heure et le jour démocratiquement décidé… Les décorateurs sont fiers de leur travail. Les sapins en pots zèbrent de vert les toboggans en résine qui supportent les pistes, les diffuseurs de molécules odorantes crachent une odeur de résine fraîche… Les comédiens sont prêts. Six mois de travail, six mois d’entraînement, pour affiner un accent, apprendre toutes ces histoires de montagnes dont raffolent les skieurs, peaufiner son rôle de berger, se préparer à répondre aux questions longuement mûries (inscrites au programme scolaire) par les enfants. Tout le monde est prêt. Demain des milliers de personnes pourront assouvir leur passion. Des anneaux de ski de fond au stade de slalom, des tunnels à surf aux toboggans à luge, des chemins à raquettes aux pistes à traîneaux… jusque même aux espaces réservés aux bonshommes de neige et aux batailles de boules de neige… Dix ans d’efforts pour intégrer ces structures artificielles à l’architecture et au patrimoine parisien. Mais quelle réussite ! Et quelle sécurité ! Et quel confort ! Finis les accidents de hors piste, mais aussi les polémiques. Finies les avalanches et les responsabilités d’entretien des pistes, finis les conflits avec les tenants d’une nature vierge et les protecteurs de barbelés. Quant à consommer de l’activité neige, autant le faire confortablement à côté de chez soi. En tous cas, pour les commerciaux des sociétés de neige, profit oblige, la proximité permet des plus-values considérables… Délire ? Peut-être. Je l’espère. Quoique !

Le carcan de la mode L’évolution des activités liées à la neige ne montre-t-elle pas une fâcheuse tendance à enfermer ces activités, à en délimiter de façon drastique les terrains de pratiques ? On a beau tenter de nous prouver que le surf est un engin plus « libertaire » (plus libérant ?) que le ski, sa pratique, aussi ludique soit-elle, se trouve également restreinte, légalement restreinte j’entends, à des terrains balisés, banalisés. Les modes nous pousseraient vers la pratique d’activités nécessitant des apprentissages moins lourds, moins ardus. Mais qu’on excuse ma mémoire ou ma mauvaise foi, j’ai entendu le même discours au sujet du ski de fond, ce ski si facile que tout un chacun pouvait pratiquer, de 6 mois à 102 ans… discours conduisant à l’abandon rapide et désabusé de l’activité pour cause de souffrance due à un manque de technique, ou même à l’hôpital. Peut-être y arriverons nous un jour, sur écran, en virtuel.

Un support de consommation En 1974, le docteur Lucien Bonnafé 1 s’insurgeait contre le rétrécissement de l’activité ski aux seules pistes damées. Il fondait son argumentaire sur la nécessaire liaison entre un milieu et une manière de le pénétrer, de le transformer, de se l’approprier, et sur l’utilisation de sa propre liberté dans un milieu libre. Pouvons-nous dire que nous avons progressé ? Que non ! La neige n’est plus qu’un support de consommation. Et la montagne également. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Ce n’est pas l’activité pratiquée qui est consommatoire, c’est la manière d’y accéder ou de la pratiquer. Toute activité a vocation à rendre l’homme libre, parce que toute activité a vocation à permettre la compréhension des milieux, des environnements, et de soi-même en confrontation à ces milieux. Le skieur qui passe son temps à descendre les pistes le plus vite possible a une activité aussi noble que celui qui s’enfonce dans une forêt grâce à ses raquettes ou que le fondeur qui tourne inlassablement sur sa boucle. Chacun d’entre eux, par son mode de déplacement, par sa vision particulière, par la maîtrise de son équilibre, par sa technicité, transforme son milieu, se l’approprie, existe véritablement dans ce milieu. Autant que le surfeur, autant que le promeneur, autant que quiconque se met en jeu, se met en agir. Se met en agir. Sur ces propres choix, ses propres désirs. C’est au-delà que commence la consommation. Forcer par exemple un enfant à aller skier (ou pratiquer n’importe quelle activité de neige), sous prétexte que ses parents ont payé, ou qu’il a la chance qu’on lui permette cette activité réservée à une élite) tient du réflexe de consommation. Mais vouloir lui apprendre de force les principes de nivologie également. Le réflexe de consommation Comme s’il était de bon ton, obligatoire, d’apprendre (d’acheter ?) sous contrainte, d’ingurgiter je ne sais quelle représentation de la montagne. Quand, alerté par les débats et les polémiques, on revient au libre choix du pratiquant de sa propre activité, par je ne sais quel réflexe, on lui impose l’enquête auprès du berger du village, même quand il n’y a plus de berger, ni de village d’ailleurs, ou on lui raconte de force combien la vie pastorale d’il y a quarante ans était poétique et pleine de charme. Heureusement que ceux qui se complaisent dans ces fables sont d’authentiques représentants des cultures citadines, sinon ils auraient quelques difficultés à se regarder dans une glace ! Il est de bon ton, toutes activités pédagogiques confondues, de « bouffer » de la montagne. Mais dans un cadre oh combien délimité ! Oh combien sécuritaire ! Dans les normes. La montagne l’hiver semble restreinte aux quelques stations qui organisent l’activité. Il est plus que probable qu’il existe encore des bergers, une vie pastorale, une agriculture, une industrie voire une culture de montagne. Se réduisent-elles aux seules stations de sports d’hiver ? Peut-on décemment cloisonner à ce point la vie des personnes ?

Plaisir et liberté Éducation à l’environnement, éducation à la citoyenneté. Remplaçons le « à » par un « par ». Nous nous approcherons peut-être mieux d’un objectif plus noble. Éducation par l’environnement. C’est confronté à un milieu, à un environnement que j’en saisis petit à petit les tenants et les aboutissants. C’est en y pratiquant ma propre activité, en y réalisant mon propre plaisir que je transforme cet environnement, que j’apprends à le respecter. C’est bien ma propre activité, ma manière d’être à un environnement qui me constitue, et qui me donne à lire, à comprendre, à intégrer. Qu’importe alors la forme de l’activité. Qu’on me laisse découvrir ma glisse, ma forme de déplacement, ou de contemplation. Qu’on me laisse mes jeux, mon jeu. Qu’on me présente les éléments de compréhension qui vont me rendre libre, parce qu’en sécurité, dans un milieu hostile que je vais petit à petit m’approprier. Qu’on me laisse ma découverte, mon cheminement. Qu’on me laisse aller où je veux, comme je veux, avec qui je veux. Personne ne peut décider de ma compréhension d’un milieu pour moi. Sauf à installer une relation éducative loin des principes de démocratie ou de citoyenneté. La mer, la montagne, tous les milieux hostiles sont aussi des terrains d’aventure2, au sens noble du terme. Des terrains de liberté. D’apprentissage de la liberté. Est-ce en en interdisant l’accès qu’on espère rendre les gens responsables ? Ou plutôt, de manière plus pernicieuse, n’est-ce pas en fixant des interdits dans ces milieux hostiles, en les faisant accepter, en les banalisant, qu’on habitue progressivement une société à accepter et subir d’autres interdits ?

Alain Ghéno

Notes 1 – VEN n° 290 2 – Est-ce parce que les terrains d’aventures ont disparu des villes qu’il faut supprimer le terme même partout ?

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°25