Accompagner le spectateur

1382609412135[1]L’Éducation populaire est une valeur commune au festival d’Avignon et aux Ceméa. Sous l’impulsion de Jean Vilar, s’est créée l’association Centres de jeunes et de séjour du festival, qui organise des séjours culturels pour des publics d’adolescents et d’adultes. Les Ceméa en assurent l’encadrement pédagogique depuis 1959. Cet accompagnement culturel s’est également étendu à des séjours lycéens de toutes filières, qui avec leurs enseignants viennent découvrir le festival. Ce cahier central est une immersion dans l’un de ces séjours, qui accueillait des lycéens de Guyane et de Champagne-Ardennes ainsi que leurs professeurs. Ce « carnet de voyage », vous fera partager ces quelques jours d’échanges, de rencontres, de découvertes et d’ouverture culturelle. Les jeunes, encadrés par les équipes pédagogiques des Ceméa et leurs enseignants, se sont préparés à ces oeuvres théâtrales, ont vu les spectacles, rencontré des artistes, participé à des ateliers, échangé à partir de leurs expériences et de leurs impressions. Mais, sur la base d’une vie de groupe au quotidien, intégrant la dimension du lien humain dans tous ces moments. Au détour d’une réflexion, d’une attitude, on s’interroge sur le lien entre l’école, le théâtre. On se prend à rêver de projets d’enseignement dans lesquels le verbe ne soit pas considéré uniquement en fonction de l’accord avec le sujet, mais s’incarne et donne vie. À travers ce séjour on perçoit une pédagogie d’Éducation nouvelle. Mettre en mouvement chacun, quel que soit son niveau et ses a priori, nourrir et accompagner ses expériences et son cheminement et lui permettre d’oser le culturel.

Olivier Ivanoff

Accompagner le spectateur
C’est par une démarche active que ces jeunes s’approprient le théâtre et donnent du sens à ce qu’ils voient, vivent et ressentent.

Se préparer à voir une pièce, n’est pas une activité univoque, toute faite et reproductible quels que soient la situation et le public.

L’équipe d’encadrement adapte chaque fois les activités en fonction de ce vécu. Ce jour-là, les jeunes, qui n’en étaient pas à leur premier spectacle, devaient aller voir Germinal. Un nom qui évoque Zola, mais une pièce, qui se trouve pourtant sur un registre totalement différent. Les animatrices leur proposèrent simplement un petit jeu littéraire, consistant à caviarder la fiche de présentation du spectacle. Raturer des mots pour en faire ressortir d’autres et comparer aux choix des autres groupes.

Petite « mise en bouche », qui permit à ces lycéens de s’interroger sur ce titre paradoxal.

Il ne s’agissait pas de décrypter ce qu’ils allaient voir, mais simplement de se mettre en condition, de s’interroger, de s’intriguer pour se préparer à vivre ce moment de théâtre. Puis ce fut le déplacement dans les rues d’Avignon, la file d’attente longeant un canal et une roue à aubes, l’installation dans la salle… Chacun de ces moments de transition vers le spectacle s’enrichissant des relations et discussions du groupe et de l’environnement du festival.

Dans la pièce Germinal, les acteurs fabriquent un monde à partir du néant, inventant la communication et le langage et essayant de classifier ce qui les entoure. Ces réflexions de fond étant portées avec beaucoup d’humour et d’autodérision sur notre société actuelle. Peut-on classer toutes choses en deux catégories : celles qui font « poc-poc » et celles qui ne font pas « poc-poc » ? Une approche décalée, qui fut très appréciée.

En guise de retour sur le spectacle, des activités ont été proposées aux lycéens. Après un tour de table, dans lequel ceux qui le voulaient donnaient leurs impressions et leurs remarques, les animatrices proposèrent des jeux de transmission de l’information sous diverses formes, allant du contact corporel pour faire passer un message à la transition par l’écrit. Le choix de faire jouer ces ados sur le thème de la communication non verbale a donné une autre dimension à ces activités. Cela leur a permis d’oser et de s’exprimer de manière différente, d’entrer en contact avec l’autre et de percevoir certaines problématiques liées à la communication, tout en restant dans le domaine protecteur du jeu. Les animatrices ont ensuite demandé aux jeunes de chercher des mots en lien avec le spectacle. Une longue liste éclectique fut écrite sur un tableau : « Poc-poc, captivant, média, micro, surprenant, catégorisation, noir, parallépipède rectangle, communication, synchrone, gravats, langage, drôle, catharsis, porte… » L’ensemble étant assez représentatif du contexte de la pièce.

Certains jeunes ont osé demander aux autres, de leur expliquer le sens de mots qu’ils maîtrisaient mal. Montrant ainsi leur confiance dans le groupe et sa capacité de mutualisation.

Extrait du Livret intérieur paru dans la revue des Cahiers de l’Animation n° 84




Avignon’s paradise

Festival d’Avignon, juillet 2008. C’était la première fois que je mettais les pieds dans cette ville, transformée par le festival, où le moindre petit bout de panneau signalétique, les moindres grille, grillage ou barrière deviennent pour un temps un moyen d’affichage et de publicité. Petit Mistral, c’est le nom de l’école maternelle du centre ville qui est transformée en centre d’accueil de public géré par les Ceméa. C’est dans ce lieu que je rejoins l’équipe qui est déjà là depuis une semaine. Le lieu sonne comme le calme au plein coeur de la tempête : une fois l’imposante porte refermée les bruits de la foule et de la rue hypra-animée s’étouffent pour laisser place au son des cigales. Le contraste est flagrant et très rassurant.

VOIR PLUTÔT QUE FILMER J’avais pour idée préalable de filmer des instants du festival, filmer des temps d’accompagnement culturel, garder des traces, des souvenirs. J’avais donc dans mon sac une caméra et un ordinateur pour traiter l’image. Et puis très rapidement l’idée a été mise de côté, l’envie d’aller voir des spectacles dans le Off ou de faire des siestes durant mes moments de temps libre a été plus forte que la prise d’images. Vivre pleinement les choses plutôt que m’en faire une copie. La caméra est laissée de côté, Julien, le collègue, l’utilise de temps à autre pour jouer. Dernière semaine de festival, la maison accueille désormais des festivaliers adultes et un séjour d’adolescents. Le public diffère donc légèrement des deux semaines précédentes ; nous avions eu des lycéens jusqu’alors.

Là, il n’y a plus de professeurs avec lesquels il faut s’accorder, voir temporiser. Il s’agit d’un séjour type ACM. Alors, on met en place des réunions quotidiennes : « Le but est de vous construire vos parcours de spectateurs, en autonomie. Qu’allez-vous voir aujourd’hui ? » « Et les spectacles que vous avez vu, ils étaient biens ? Vous les conseillerez ? Et le jeu d’acteur ? Et l’histoire ? Et la scénographie ? »… Les ados construisent leurs vacances : spectacles, siestes, repas, discussions, pataugeoire, ils entrent et sortent de la maison en nous donnant des horaires de retour. Certains connaissent très bien le théâtre et Avignon, d’autres absolument pas.

FILMER QUAND MÊME MAIS QUOI ? Et puis un matin où trois d’entre eux sont en vide d’activité (pas trop envie de sortir, pas envie de voir du spectacle juste pour en « bouffer » le plus possible) l’idée de jouer avec la caméra s’impose comme une évidence, l’objet attire l’envie. Mais pour filmer quoi ? Pour quoi faire faire ? Alors on part dans les rues d’Avignon, petites explications techniques de l’appareil et petits conseils : le champ et le hors champ, se déplacer les jambes fléchies pour que la caméra ne vibre pas trop. La consigne que je leur donne est de filmer ce qui les a marqués le plus quand ils sont arrivés à Avignon et tenter de le retranscrire par l’image. Unanimement cela sera l’effervescence de la rue, le flot incessant des pas, les petites manifestations en faveur des intermittents du spectacle, les petites troupes du Off qui font chacune de la pub à leur manière pendant des heures sous un soleil de plomb, la surenchère de publicités pour les spectacles du Off. Les ados réfléchissent aux cadrages. Que filme-ton  ? Comment ? On partage les ressentis et les visions différentes de chacun. Un parti pris met tout le monde en accord : ne pas filmer les visages car « dans la masse les visages ne se perçoivent plus ». Et puis à table, le soir, on discute des références filmographiques de chacun : Lynch, Tarantino, Desplechin, Ozon … et la manière dont chacun filme : « Tu as vu, dans Les Fils de l’homme, il y a un plan séquence de quinze minutes, alors que c’est une scène de combat dans des ruelles, c’est vraiment impressionnant comme technique ». Et puis à force de parler de scènes de films, on se retrouve à faire des liens avec les spectacles que l’on a vu du In et du Off : « Dans la pièce de Pommerat, la scène où il y a la chanteuse qui s’écroule alors que le chant continu et qu’on se rend compte que ce n’est pas elle qui chante, c’est comme dans la scène de Mulholland Drive. Mais je trouve que dans le film la scène est plus poignante, plus profonde, elle fait presque pleurer ». Et puis il y a le Hamlet de Ostermeier vu au Palais des Papes où la vidéo est intégré à la pièce : « C’est intéressant la manière de filmer les visages de près ». « Et puis c’est fort, c’est filmé et projeté en direct, tu vois l’acteur et celui qui a la caméra qui sont sur scène et tu as le résultat en direct de ce qu’il filme, avec l’effet sepia en plus ça rend les visages vraiment troublants  ».

POURQUOI PAS UN COURT ? A force de parler de cadrages, de plans, du style des réalisateurs, l’envie de se tester à fabriquer un court-métrage leur vient à l’esprit. L’envie d’un court-métrage « chelou » avec des plans « pas comme d’hab’ ». « On pourrait faire un truc sur une ambiance, une histoire qui n’en est pas une mais qui est juste un alibi pour mettre en place une ambiance » ; « ouais, une atmosphère d’oppression, sans bruits, un type perdu dans une foule… sans visages ». Alors les ados se sont mis à élaborer un scénario en s’attardant plus sur le cadrage, les plans pour pouvoir mettre en place une atmosphère, imaginer des angles de prises de vues pas communs en se servant des références ciné de chacun, à motiver les autres pour devenir acteurs, à réfléchir où filmer…

SE TESTER ET CRÉER Petit Mistral devient donc le lieu de la réalisation, un « type perdu qui rencontre sa folie personnalisée » circule dans le couloir là où le reste de l’année marchent des enfants de maternelle. La cour de l’école est le lieu de la scène finale, à 2 heures du matin après le spectacle, – « Comme ça avec les spots on peut vraiment créer une ambiance pesante, et on peut filmer les ombres immenses sur les hauts murs de l’école ». Les réalisateurs ont fait appel à tous le groupe d’ados pour faire cette scène, il faut créer un effet de foule.

Le temps du cinquième repas devient un temps d’activité, la réalisation se passe sous les yeux des festivaliers adultes accueillis à Petit Mistral qui se mettent alors à jouer leur rôle de spectateurs en questionnant les jeunes réalisateurs sur le pourquoi et le comment, sans jamais tomber dans la question embarrassante ou vexante qui stopperait net l’énergie du moment. Le lendemain, après l’atelier retour de spectacle, c’est au tour du montage. Les trois ados à l’origine du projet se retrouvent devant l’écran. Je leur montre comment fonctionne le logiciel de montage. La discussion commence sur ce qu’ils gardent et ce qu’ils jettent, dans quel ordre, les effets spéciaux à rajouter… Le court-métrage est projeté le soir même lors du repas dans la cour de l’école devant tous les ados et adultes de Petit Mistral. Ce n’était pas du Lynch mais l’objectif est atteint, l’ambiance d’oppression est bien réussie. Et parce que « l’acte est vierge même lorsqu’il est répété » ces jeunes se sont testés et ont créé leur style de réalisation, leurs cadrages ; ils se sont « inspirés de » et non pas « fait comme ». Le festival a permis non le mélange des genres mais la complémentarité des outils ; voir le spectacle vivant, en parler, le mettre en rapport avec le cinéma, discuter des références et des goûts de chacun et faire du spectacle vivant pour fabriquer son cinéma.

Guilhem Rivaillon

Article extrait de CA n° 67 – Les vacances : un droit ! – Juillet 2009




Les petits philosophes

Les enfants, les ados, se posent autant de questions concernant les grands problèmes de la vie que nous, adultes. Il est essentiel pour eux de s’apercevoir qu’ils peuvent être producteurs d’une pensée qui leur est propre, que cette pensée est une force en elle-même parce qu’elle est mise en mots, et entendue par d’autres, et que ce sont toutes ces pensées qui font l’humanité.

Un jour, quatre garçons sont entrés dans l’infirmerie en me demandant « Clara, on veut savoir ce que tu penses de la prison » et ils ont commencé à raconter…

Un autre jour, une adolescente m’a dit : « C’est bizarre, cette infirmerie, c’est comme si on était obligé d’être nous-mêmes ; c’est l’atmosphère, on se sent en sécurité. Même quand on ne parle pas, j ‘ ai l ‘ impression que tu nous écoutes. »

Et puis, il y a eu ces fameux ateliers de philo. Ils se déroulaient après le déjeuner, « pour ceux qu’ça branche » . Quand on s’y retrouvait, le groupe choisissait le thème sur lequel il avait envie d’échanger. Pendant quinze minutes, on s’enregistrait Chacun pouvait demander le micro et parler sur le thème, moi je me taisais. Dans un deuxième temps, on réécoutait l’enregistrement et on pouvait demander à l’interrompre pour réagir à ce qu’on entendait, toujours dans l’intention de comprendre la pensée de l’autre. Moi, j’étais garante de la circulation de la parole et de la sécurité de chacun à l’intérieur du groupe. Pour cela, au début de chaque atelier, le cadre était posé : la durée, la règle de prise de parole, l’obligation de non-jugement, la confidentialité.

J’ai retranscrits ces ateliers dans l’ordre où ils ont été vécus, et de manière anonyme.

Clara GUENOUN

 Les petits philosophes




Chouette, on va à l’opéra !

Oser le culturel ! Beau slogan que nous avons déjà développé dans ces colonnes. Oser l’opéra, qui plus est dans un des temples européens de la culture. Oser le culturel, c’est oser aussi l’aventure.

Nous sommes à Mariánské Lázn (ou comme on disait, à Marienbad) pour la journée et nous venons de terminer une partie acharnée de Bertole*. Tout en rangeant le matériel, je remarque que Florian, 15 ans, m’observe, l’air perplexe. Je le regarde, l’œil gauche interrogateur, et il me lance : « Dis-moi Jean-Noël, qu’est-ce qui t’a pris de te lancer dans l’animation à 64 ans ? » Le sérieux de la question et l’étonnement réel de Florian m’empêchent d’éclater de rire. Affichant seulement un sourire amusé et respectueux en préambule, je lui fais un bref historique de mon engagement dans l’animation. Oui, j’ai été « moniteur », oui, je suis directeur et depuis un bon bout de temps, je participe à des formations d’animateurs et de directeurs, et si je me trouve ici aujourd’hui, c’est que Mohamed, le directeur, m’a invité à encadrer ce séjour d’une semaine à Prague avec cette trentaine de jeunes. Je lui parle brièvement de ma rencontre avec Mohamed durant l’été précédent à Avignon où nous participions à l’accueil et à l’accompagnement de vacanciers durant le festival.

Accompagner des personnes… Faire un bout de chemin avec elles, les mettre en relation, les aider à se parler de ce qu’elles découvrent d’un environnement nouveau, d’un fragment culturel, les aider à se parler de ce qu’elles découvrent des autres et d’elles-mêmes par une mise en mots de leurs goûts, des émotions ressenties, c’est ce que je suis venu faire ici aussi. Mais ceci, je ne le dis pas à Florian.

Dans le dépliant de l’organisme qui a « vendu » ce séjour, on peut lire qu’une soirée sera prévue à l’Opéra. Prague transpire la musique de tous ses pores, mais « l’Opéra », ça fait un peu peur. Comme tous les jeunes, je ne suis jamais allé à l’Opéra… et il appartient à l’équipe de les aider au mieux !

Depuis deux jours, nous avons en poche les billets pour aller voir Nabucco. A part le nom de Verdi et Le Chœur des esclaves, je n’ai pas de quoi être fier de l’étendue de mes connaissances !

Internet faisant bien les choses, je finis par récupérer « l’histoire » de Nabucco, diminutif charmant de Nabuchodonosor. Comment vais-je m’en tirer pour en causer un peu ? Je sais que le terme d’« Opéra » comme celui de « théâtre » peut résonner dans certaines têtes comme espace « étranger à ma culture », donc comme lieu inaccessible ou interdit par ce qui s’y joue ou par le prix à payer.

Le problème financier étant résolu pour ce soir, il me faut trouver le moyen de titiller les esprits des jeunes afin de leur donner des billes pour accepter de suivre un spectacle en italien surtitré en tchèque !

Je me lance donc dans un « racontage » de cette histoire en quatre actes, avec des gentils et des méchants, comme dans les westerns ou dans Star Wars, de l’amour entre deux jeunes gens de familles opposées, l’ivresse du pouvoir, la guerre, l’oppression des uns sur les autres, la mort de la « méchante », la paix retrouvée … J’ai l’impression que je ne m’en sors pas trop mal et nous partons.

La plupart de nos jeunes ont mis du « 31 » dans leur tenue, le gel et l’eye-liner sont de sortie : « Ben quoi ! On va à l’Opéra, non ? » et nous nous retrouvons bientôt sur les marches de l’Opéra, en compagnie de Tchèques super équipés en robes longues, bijoux et costumes chics. Il est évident que nous ne jouons pas dans la même division, mais ce soir, nous serons sur le même terrain.

Hall d’entrée, dorures, lustres, larges escaliers, et nous voilà répartis quatre par quatre dans des loges au premier balcon, une moitié côté jardin, l’autre, côté cour, nous faisant face. On se fait des « coucou » en riant, prenant les autres à témoin de notre présence dans ce lieu. On en prend plein les yeux du lustre monumental, du plafond, de l’orchestre dans la fosse…

Et l’orchestre attaque… Les actes s’enchaînent plus rapidement que notre inculture ne le laissait présager. A chaque entracte, on en profite pour se parler (fort le plus souvent) des personnages, des costumes, du décor, des éclairages, pour se questionner, « réviser » l’histoire, se raconter les aventures des musiciens, celle des deux contrebassistes qui se parlaient à l’oreille, celle de l’un des clarinettistes qui se cachait derrière son pupitre pour rire tout en nettoyant son instrument…

Au bout de quatre heures, c’est le salut final, la sortie au milieu du beau monde, les retrouvailles sur les marches dans la nuit fraîche de Prague et l’on se parle encore : « Heureusement que tu nous avais raconté l’histoire, parce que sinon… C’te robe qu’elle avait la princesse ! Y bougeaient pas beaucoup les comédiens ! Je me suis un peu endormi à la fin. C’était beau tous ces fauteuils rouges ! » Après un petit moment de « récolte » d’impressions, il nous faut partir trouver de quoi manger, rentrer pas trop tard à l’auberge de jeunesse car demain, on se lève tôt, nous quittons Prague.

Moi, je sais déjà qu’une fois rentré, mon premier disque d’opéra sera Nabucco, ne serait-ce que pour retrouver de ces moments passés avec ces jeunes qui m’ont accompagné à l’Opéra.

Jean-Noël Obert

Note * Pour les règles de ce jeu, voir les Cahiers de l’Animation n° 36.

Article extrait de CA n°55 – Et les parents alors ?



Comment on fait cuire les hérissons

Une journée à Paris. Au programme : un trajet en car, visite de la tour Eiffel, promenade en bateau-mouche, shopping, métro, re-trajet en car. Une journée touristique somme toute bien banale, sauf que…

5h30 Il fait encore bien nuit sur le « terrain des étangs », terrain d’accueil des gens du voyage (capacité d’accueil cinquante emplacements). L’équipe, composée en partie d’animateurs, arrive. Le départ est prévu pour 6h30 mais avant, il faut faire le tour des caravanes pour rappeler que c’est aujourd’hui et qui plus est dans une heure, qu’a lieu la journée à Paris.

De l’envie à la réalisation Il est des choses qui se disent et qu’on entend. Cela faisait un moment qu’on entendait parler, sur le terrain, d’une envie d’aller à Paris. Quand on leur posait la question du « pourquoi faire ? » on s’entendait répondre : « Pour faire comme tout le monde, voir la tour Eiffel et faire des photos »… On a tout de suite été séduit par le projet. L’envie a pris du terrain, et bientôt enfants, ados et adultes parlaient de « cette journée à Paris ». Il nous a fallu un temps très long pour mettre en place ce projet, puisque nous avions comme intention d’associer les participants au projet, et l’une des caractéristiques de ce public est la difficulté à se projeter : ils sont là aujourd’hui, mais demain ? Ils ont envie aujourd’hui, mais demain ? Mais « c’est quand demain ? »

6h30 Une trentaine de personnes sont prêtes, pas forcément celles qui étaient initialement prévues. On devrait partir mais on ne peut techniquement pas, le chauffeur est en train de subir un interrogatoire. Depuis quand a-t-il son permis ? Qu’il le sorte tiens, qu’on vérifie. Depuis quand fait-il ce travail ? Quelle route va-t-on prendre ? Ça va durer combien de temps ? Et voilà notre chauffeur qui sort la carte routière…

7h30 On part. On a saisi l’opportunité, pensez donc, petits et grands étaient OK pour un même projet. Oh la belle action familiale que voilà ! Mais si certaines institutions ont une définition bien précise de ce qu’est une famille, les voyageurs en ont une autre ! Nous avions fixé (subvention oblige) que pour un mineur participant, il devait y avoir un membre de sa famille majeur. Mais ils sont tous cousins ! Les objectifs étaient pour le moins différents. Les nôtres étaient pédagogiques. Que les adultes participent à une activité avec les enfants dont ils ont la responsabilité. Que les voyageurs puissent jouir comme tout un chacun de loisirs touristiques. Que les urbains (voyageurs sur terrains des villes) et buissonniers (gitans vivant en roulotte et stationnant en campagne) puissent vivre un moment ensemble… Les leurs étaient plus basiques : voir, faire comme « tout le monde ». 8 heures Péage de l’autoroute, on retrouve un animateur et un groupe de buissonniers. Parmi eux, Jean, pasteur évangéliste, nous fait part de quelques mots pour que le voyage se passe au mieux, il commentera ainsi chaque étape de notre voyage.

9 h00 Premiers énervements : « On est bientôt arrivé ? » « Faut qu’on s’arrête ». « Il avance pas l’gadjo, y sait pas conduire »… Il commence à faire chaud, ils commencent à attaquer le pique-nique.

9h30 Première pause. On s’aère, on discute, on calme le jeu. Un petit avertissement sur le pique-nique de midi, genre : « Si tu le manges, t’en auras plus à midi » et pour toute réponse : « Oui, mais c’est maintenant que j’ai faim »… Le public de l’immédiateté.

11 h00 Arrivée à Paris, on nous dépose au Trocadéro. Première photo. La tour Eiffel :

  • Ha oui, qu’c’est beau !
  • C’est ça qu’on appelle l’architecture ?
  • Ça sert à quoi ?
  • À rien.
  • Ah oui, mais c’est beau !
  • Et en plus, ça se visite, y’a des volontaires ? Une dizaine, les trente autres ont le vertige, la montée se fait par les marches. Au premier étage, il ne nous en reste plus que quatre. « On a pas l’habitude nous. Ma cousine, pour monter dans l’camping (comprendre petite caravane) y a qu’une marche. »

13 h00 Pour le déjeuner, on propose une dispersion avec un point de rendez-vous, l’équipe en profite pour se retrouver. Cinq minutes plus tard, nous sommes cernés … par une bande de trente voyageurs ! Tout au long de cette journée nous constaterons que les voyageurs ont plusieurs angoisses notament liées au vide, à la foule, aux grands espaces. Peur d’être sous terre, d’être en l’air, d’être sur l’eau. Nous les découvrons, eux les indépendants, très dépendant de nous, insécurisés. C’est une des rares fois où nous avons pu avoir une relation si proche entre nous. Nous avions avec nous la fine fleur du caïd voyageur, du beau rebelle, ceux qui cinq jours avant se tiraient dessus à la carabine, ceux qui quinze jours après se faisaient « serrer » par cinquante CRS, et durant cette journée, ils avaient besoin d’être rassurés.

14 h00 Après avoir vérifié la présence de gilets dans le bateau, la solidité de celui-ci, après un entretien sur les compétences du conducteur et de la traductrice, plus de la moitié des participants osent-daignent monter sur le bateau-mouche : assis sur leur chaise, pas un n’a osé bouger. Si les autres passagers pouvaient en faire de même !

16 h00 Shopping. On refait un petit topo sur la responsabilité de chacun, de la loi et du fait que quoi qu’il arrive, à 18 heures, on monte dans le car pour le retour. Métro [metro] n.m. chemin de fer souterrain… Souterrain adj. Qui est sous terre. Comment faire entrer un groupe de manouches super flippés à l’idée d’aller sous terre, dans un véhicule conduit par quelqu’un avec qui on ne peut même pas discuter, le tout au milieu d’une foule de gadjé ? Compatissez !

18 h00 Retour. Le trajet retour est plus calme que l’aller, on fait moins les malins !

19 h00 Les estomacs crient famine.

20h30 Les grillages du terrain se dessinent à l’horizon. Les autres, ceux qui sont restés aux caravanes, sont là à nous attendre. Ils ont mangé eux, depuis deux heures déjà. Le car se vide, on nous serre la main, on nous remercie, ce fut une belle journée… On crie sur le terrain, on raconte. Une journée touristique qui n’a rien d’une simple journée de conso Une expo photo, il fallait que l’on ramène des preuves, il était important pour les participants que notre journée soit vue par ceux qui n’avaient pas pu y assister. L’équipe avait envie de faire un bilan avec les participants, nous n’avons pas pu le mettre en place : certains étaient partis sur d’autres terrains ou en prison… Et puis les mémoires sont courtes… « Pis s’est passé, on en parle plus. » On a réussi informellemennt à recueillir des impressions. Et bientôt sur le terrain on entendait : « On repart quand à Paris ? ben oui, la Ninnin elle a pas pu v’nir, elle voudrait voir ! » J’aurais pu vous raconter l’histoire de huit jeunes manouches dans un club de remise en forme, ou vous apprendre à parler l’argomich’, J’aurais aussi pu vous donner les « mémoires d’un père Noël après son passage au terrain des étangs » ou encore vous donner la recette du hérisson… J’aurais pu.

Sof

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°42



Quelle belle aventure

Ça s’est passé an août 2002. Ils avaient entre 11 et 14 ans. Ils étaient quarante et un. Certains venaient de Saint-Denis, d’autres de La Courneuve. Moi, ça faisait dix-sept ans que je faisais de l’animation, mais c’était la première fopis que j’étais assistante sanitaire sur un centre de vacances.

J’ai eu la chance de rencontrer le directeur, qui m’a proposé que l’infirmerie devienne aussi un lieu d’écoute et de parole. Ça a fait comme un déclic. J’ai tout de suite pensé aux ateliers de philo que j’avais expérimentés en tant qu’institutrice avec des enfants de 6 à 8 ans, mais jamais encore avec des adolescents. Les enfants, les ados, se posent autant de questions concernant les grands problèmes de la vie que nous, adultes. J’ai investi cette infirmerie très rapidement, en y apportant ma guitare, mon djembé, mes disques, mes livres de contes, de quoi dessiner, mon micro, mon lecteur de CD, afin de pouvoir les partager. Mais comment installer mon désir d’être en relation, à l’écoute, de créer du lien ? Quelques lits transformés en canapés, des fauteuils, une disponibilité affichée, de quoi se faire une tisane, et puis moi, comme je suis, avec dans ma tête l’envie d’avoir un regard bienveillant sur chacun de ces adolescents. Ce lieu a été un lieu de passages, de soins, de paroles. Beaucoup de choses s’y sont passées, aussi belles les unes que les autres. Cette infirmerie n’était jamais vide. Un jour, quatre garçons sont entrés en me demandant : « Clara, on veut savoir ce que tu penses de la prison. » Et ils ont commencé à raconter… Un autre jour, une adolescente m’a dit : « C’est bizarre, cette infirmerie, c’est comme si on était obligé d’être nous-mêmes ; c’est l’atmosphère, on se sent en sécurité. Même quand on ne parle pas, j’ai l’impression que tu nous écoutes. » J’ai répondu : « Merci pour le cadeau. » Et puis il y a eu ces fameux ateliers de philo. Ils se déroulaient après le repas de midi, « pour ceux qu’ça branche ». Quand on s’y retrouvait, le groupe choisissait le thème sur lequel il avait envie d’échanger. Pendant quinze minutes, on s’enregistrait. Chacun pouvait demander le micro et parler sur le thème, moi je me taisais. Dans un deuxième temps, on réécoutait l’enregistrement et on pouvait demander à l’interrompre pour réagir à ce qu’on entendait, toujours dans l’intention de comprendre la pensée de l’autre. Moi, j’étais garante de la circulation de la parole et de la sécurité de chacun à l’intérieur du groupe. Pour cela, au début de chaque atelier, le cadre était posé : la durée, la règle de prise de parole, l’obligation de non-jugement, la confidentialité. Le jour du retour, dans le train, deux jeunes me disent : « Nous, on n’a jamais osé venir aux ateliers philo parce qu’on s’exprime pas trop bien, mais on voudrait en faire un pour voir ce que c’est, mais seulement tous les deux. » Alors j’ai dit oui, même si le cadre ne s’y prêtait pas complètement. On s’est retrouvés debout, entre deux wagons, avec un petit magnétophone au milieu de nous trois. Et ça a donné : « Le vol ». À la fin, l’un des deux a dit : « Ouais, c’est bien ce truc, on peut parler de la guerre maintenant ? » Je ne pouvais plus les arrêter…

Je voulais qu’il y ait une trace de ces onze ateliers de philo*. Je les ai donc retranscrits dans l’ordre où ils ont été vécus, et de manière anonyme. Merci à tous ceux et celles qui, par leur présence à ces ateliers de philo, par leurs paroles mais aussi leurs silences, ont permis à ce recueil d’exister.

* – Un recueil de quelques-uns de ces ateliers est édité dans le cahier « fiches » de ce numéro.

Clara Guenoun

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°41



Osons le culturel

Entre la consommation brutale d’objets culturels et le refus tout aussi brutal de se mettre en position d’aller voir existent plusieurs alternatives. Les centres de vacances et de loisirs ont un rôle primordial à jouer dans l’accès à la culture du plus grand nombre. Il serait dommage qu’ils ne réussissent pas à se démarquer du tumulte médiatique actuel.

Les centres de vacances et de loisirs sont des lieux de vie privilégiés pour sensibiliser les enfants et les jeunes aux manifestations culturelles et artistiques qui existent et se développent un peu partout en France rurale et urbaine. Ce sont aussi des espaces privilégiés pour stimuler, favoriser des activités artistiques, sans autres contraintes que celles librement consenties au moment du choix de l’activité ou de l’inscription dans un séjour. Et s’il peut y avoir une exigence de production, un objectif de réalisation d’éléments de spectacle à présenter ou d’objets à exposer, cette exigence, de notre point de vue sera d’abord éducative et portera sur l’engagement du jeune dans la pratique de l’activité, sur le plaisir qu’il prend, avant d’être une exigence artistique. Autrement dit, l’ambition artistique qui doit légitimement guider tout projet est au service du projet éducatif. Pendant les temps de vacances et de loisirs, tout au long de l’année, les éducateurs peuvent éduquer les enfants et les jeunes à une pratique de l’activité, à une consommation des produits culturels qui ne consistent pas à accumuler seulement toujours plus d’avoir culturel, mais à acquérir et à développer toujours plus leur bien-être culturel. C’est aujourd’hui de la responsabilité de l’ensemble des acteurs du champ CVL et en particulier des organisateurs de CVL que de recentrer l’accès aux formes culturelles, les pratiques culturelles et artistiques dans leur projet éducatif. Il y a en particulier pour les CLSH un enjeu éducatif majeur tant dans l’accès aux objets et aux pratiques artistiques, dans le renouvellement des pratiques d’animation dans ce domaine, que dans la communication de ces objectifs éducatifs aux familles. Le centre de loisirs étant aujourd’hui le principal lieu de vie après l’école, le principal lieu de garde et de loisirs des enfants, avant la famille, pour une large part de la population, il doit être pour les enfants le centre de loisirs culturels en lien étroit avec tous les lieux et institutions culturelles de la ville, du canton ou de la commune ; un des lieux, à côté de l’école, de l’éducation culturelle.

Un moyen au service de l’expression Dans les CVL, les équipes d’animation ont aujourd’hui à jouer un rôle d’accompagnement culturel qui consiste à faire le lien entre les activités pratiquées et la fréquentation des productions des autres. Si la rencontre avec les arts constitue une découverte de ses propres émotions, et peut éveiller toujours plus de curiosité, de besoin d’étonnement, elle est aussi et d’abord la rencontre avec le regard de l’autre, avec le ressenti de l’autre avec l’imaginaire et l’affect de l’autre qui ne correspondent pas forcement aux siens. Ainsi, accompagner les enfants dans la rencontre des objets artistiques, dans la découverte du patrimoine et de leur environnement culturel, c’est leur apprendre à vivre dans la ville, à s’approprier les lieux publics ; c’est aussi les initier à la différence et au respect de la différence. C’est ouvrir des apprentissages fondamentaux du goût, du sens du goût et de la lecture des signes propre à chacun, et en même temps un apprentissage lent et difficile mais concret du vivre ensemble, c’est-à-dire du respect du goût des autres. Reconnaître la différence de goût, c’est devoir apprendre la divergence de sens. Il s’agit non seulement de créer les occasions de rencontres fortes avec les formes culturelles actuelles, avec les arts vivants, avec le patrimoine culturel environnant mais d’inscrire cet objectif d’éveil culturel au quotidien dans les CVL et d’en faire un axe privilégié de communication entre les personnes, de socialisation. Parce que les enfants ne s’enrichissent vraiment des objets qu’ils regardent, que s’ils peuvent en parler ensemble, que s’ils peuvent échanger et confronter leur ressenti, prolonger leurs émotions et excercer leur créativité, sous différentes formes et pas obligatoirement verbales dans un premier temps. De même, la pratique d’une activité artistique ou l’acquisition d’un certain nombre de techniques deviennent intéressantes à condition d’être un moyen au service de l’expression des personnes. Telles sont les liaisons étroites à promouvoir entre action éducative et action culturelle. L’illettrisme, l’échec scolaire, la misère culturelle qui sévissent dans toutes les couches de la société et pas seulement dans les milieux économiquement pauvres ou défavorisés et qui servent de terreau aux idéologies simplistes et populistes montrent le déficit éducatif de notre société et le manque de nourritures sensibles et spirituelles. Multiplier les occasions de découverte avec des objets artistiques, des livres, des images, des sons, des personnages ; des univers différents pour susciter chez les enfants et les jeunes l’envie et le désir non seulement de savoir et de comprendre mais de s’aventurer, de mettre en relation les pratiques d’animation avec les productions artistiques tel pourrait être aujourd’hui le réflexe culturel de l’animateur.

Bertrand Chavaroche

Article extrait de Les Cahiers de l’Animation n°41