Le social en Europe

vst122« Le social en Europe » : ce thème volontairement très large, presque flou, a permis aux contributeurs d’entrer à leur façon dans le sujet. Il en ressort des fortes ressemblances, que nous anticipions : le poids de l’histoire politique de chaque État dans ce qui a été et ce qui est devenu le social, avec l’histoire des diverses dictatures et des différentes formes de démocratie. Le poids des églises également, fortement montré par les auteurs de l’Europe du Sud catholique, sous-jacent dans la présentation de la situation en Suisse romande, où la morale protestante apparaît dans la construction décentralisée et peu interventionniste de l’État.

Il en ressort aussi une importante discussion portant sur les termes qui servent à dire les professionnels, avec l’extrême diversité des formations, des fonctions et des appellations. Plusieurs auteurs, en le disant ou sans le dire, parlent des assistants de service social quand ils évoquent les travailleurs sociaux. Et c’est logique car ce métier, cette corporation moderne, a su se donner une organisation internationale, une production de pensée collective, au sein d’une large profession du social non organisée, aux représentants nationaux et internationaux globalement inexistants.

Tous les auteurs insistent encore sur les effets de l’économie et des réponses des politiques économiques mondiales. La récession et le développement de la réponse économique libérale sont évoqués, avec leurs conséquences pointées par tous : accentuation des exclusions et des pauvretés, isolement, perte du sens collectif, fin de l’État protecteur.

Ce dossier est organisé en deux parties. La première propose des lectures transversales du social en Europe ; la seconde quelques focus sur quelques États, sachant que ces focus ne couvrent qu’une infime partie du territoire européen.

La première des lectures transversales est développée par Thierry Brun, avec une approche socio-économique critique des politiques sociales européennes. Le cadre est planté : nous sommes en plein développement des politiques libérales. Vient ensuite la retranscription d’une intervention qu’a faite Chantal Bruno, responsable d’associations de familles de personnes en situation de handicap, devant les instances politiques et décisionnaires de l’Europe. On voit bien là comment les familles, les usagers deviennent clairement un acteur essentiel des mécanismes de prise de décision par leur présence institutionnelle et politique de plus importante. Emmanuel Jovelin, grand connaisseur des formations de travailleurs sociaux dans l’ensemble de l’Europe, brosse ensuite une fresque des diversités des formations et des diplômes appuyées sur des représentations et des mises en acte très diverses de l’action sociale, portées par des conceptions également très différentes de l’État social. Son propos, centré sur les métiers de niveau 2 et 3 en Europe (en France, les diplômes centraux du social que sont le diplôme d’État d’assistant de service social et celui d’éducateur spécialisé), contourne la double question des frontières du social (et des métiers qui y sont rattachables) et des faibles niveaux de qualification de nombre des nouveaux travailleurs de la ville, de la famille, de la vieillesse. D’autres auteurs traitent de ces questions par leurs entrées nationales.

Enfin, pour clore cette entrée globale, Edwin de Boévé, éducateur spécialisé et animateur d’un réseau international de travailleurs de rue, évoque l’avenir possible d’un travail social de rue comme étant un moyen de désinstitutionnaliser l’action sociale en rapprochant les intervenants sociaux des espaces de vie et des réalités permanentes des usagers.

Passons aux approches nationales. Italie, Suisse, Espagne : des enseignantes-chercheuses- formatrices montrent d’où viennent dans leur pays les pratiques du social, et ce qu’elles deviennent aujourd’hui. Annamaria Campanini pour l’Italie, Joëlle Libois pour la Suisse, en se limitant à la Suisse romande, Josefa Fombuena Valero pour l’Espagne se sont risquées à des lectures historiques faites au filtre du contemporain. Pour l’Italie, Stefano Vitale, un professionnel de l’éducation et de l’action sociale, développe son analyse du réel ià partir de sa pratique de responsable d’une coopérative sociale. Une lecture de l’évolution politique et institutionnelle de la pratique professionnelle du point de vue des assistants sociaux est aussi proposée pour le Portugal par José Brito Soares.

Que conclure ? Constater le poids des déterminants économiques et des choix politiques globaux, l’importance du nouveau pôle de pression constitué des usagers et des familles, l’importance de la vague de fond d’universitarisation des diplômes « historiques  ». Si les choix de mise en acte du social ont longtemps été en grande partie déterminés par des individus humanistes qui pensaient l’action sociale et qui la mettaient en oeuvre, il semble que des tendances lourdes déplacent durablement le centre de gravité de la conception et de la décision vers les lieux de pouvoir de la technostructure.

Thierry Brun conclut son texte en invitant les citoyens à se mobiliser ; Emmanuel Jovelin appelle les gouvernants à choisir. Cette repolitisation de la question du social paraît indispensable afin d’éviter les glissements que nous connaissons actuellement, faits de décisions technocratiques ignorant à la fois ceux qui mettent en oeuvre le social, alors qu’ils savent un peu de quoi il s’agit, et ceux à qui il est destiné au-delà des seules associations d’usagers, de parents et de familles. Car le social, c’est pour tous, et son contrôle comme son inflexion sont donc une question centrale dont les citoyens doivent s’emparer.

Texte paru dans Vie Sociale et Traitements n°122




Partenariats éducatifs franco-allemands

Cette année 2013 a été marquée par les festivités du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, conjointement signé par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer en 1963, et de la création la même année de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj).

L’institution mise en place par les deux gouvernements a permis à un grand nombre de programmes de mobilité à destination des jeunes des deux pays de voir le jour. Il nous a donc semblé important de nous saisir de cette occasion pour porter un regard sur cette dimension partenariale particulière, dans laquelle les Ceméa se sont très tôt investis. C’est dès l’après-guerre, à l’heure des premiers contacts avec les organisations actives outre-Rhin, dans le champ de la jeunesse, que les Ceméa se sont engagés dans un partenariat avec des associations et organismes de formations allemands (écoles de formation, universités), sur des formations, des échanges de jeunes professionnels de l’éducation, ou encore sur le travail jeunesse et social. Par la suite, se sont construits avec ces mêmes entités des partenariats pédagogiques bilatéraux, notamment dans le domaine de l’animation volontaire et des rencontres de jeunes. C’est avec la création de l’Office franco-allemand pour la jeunesse, le 5 juillet 1963, que ces premiers échanges trouveront un cadre institutionnel. Cette coopération prendra d’autres formes au fil du temps et des événements, restant toujours en prise avec la société. À l’issue de la guerre froide et durant les années quatrevingt dix, le partenariat bilatéral s’oriente vers un partenariat trilatéral qui s’inscrit dans une perspective de construction européenne, en renforçant ce cadre « privilégié » de travail des questions d’apprentissage interculturel et linguistique, d’encouragement de la réciprocité dans les accueils et départs, de promotion des projets collectifs. À cette époque, la démarche a été « d’expérimenter » dans le franco-allemand et de faire le lien avec d’autres pratiques bi- et multilatérales. Aujourd’hui, l’un des objectifs de ce partenariat est de nourrir et de se nourrir d’autres coopérations bilatérales tels les partenariats franco-algérien ou germano-polonais. Les témoignages et retours d’expérience nous montrent que ce partenariat éducatif franco-allemand constitue bel et bien un lieu de construction pédagogique, voire même un « laboratoire interculturel », source de créativité et d’innovations dans les pratiques, à l’exemple du Bafa-Juleica*, des rencontres de jeunes professionnels et des modules de co-formation pour animateurs professionnels, moniteurs-éducateurs ou encore éducateurs spécialisés. Quelle est alors la portée de ce partenariat franco-allemand ? Dans quelle mesure vient-il alimenter des enjeux de société tels que l’éducation au monde et à l’Europe, la mobilité pour construire apprentissages et solidarités, l’ouverture aux langues ou bien l’éducation à l’interculturel ? L’objectif de ce dossier, en donnant la parole à des formateurs, des enseignants, des coordinateurs de formations français et allemands, est de mettre en exergue l’engagement politique des différents partenaires et de valoriser des pratiques pédagogiques dans le partenariat franco-allemand et trilatéral d’hier et d’aujourd’hui, tout en imaginant à partir de celles-ci, les relations franco-allemandes et internationales de demain.

Flavien Degoulet, Chargé de mission Europe et international Association nationale des Ceméa

Vers l’Éducation Nouvelle n°552