L’école en tension – La prévention du décrochage scolaire

ven556Derrière les objectifs affichés de réduction du décrochage scolaire, la réalité des interactions dans les établissements scolaires est plus complexe face à un phénomène diversifié et diversement analysé. Nous explorerons ces interactions en nous appuyant sur plusieurs travaux de recherche [1], en collèges, lycées professionnels ou lycées généraux connaissant des absences récurrentes d’élèves et des arrêts d’études sans diplôme.

Le décrochage scolaire désigne la situation de jeunes sortis du système scolaire sans diplôme de fin de formation de niveau V ou supérieur [9]. Il est également appréhendé dans les établissements scolaires comme un processus qui éloigne petit à petit les élèves de l’école, sans qu’ils en informent clairement leur entourage [10] . Ils sont dans ce cas toujours plus ou moins présents à l’école. Cependant toutes les absences, qui prennent des formes différentes, ne sont pas significatives de processus de décrochage scolaire et beaucoup peuvent être prévenues ou résorbées à partir des établissements scolaires eux-mêmes. Le retour en classe, soit l’arrêt des absences, n’est pas la condition unique d’une reprise de scolarité, qui ne s’effectue vraiment que si les acquisitions scolaires prennent sens pour l’élève qui s’y réinvestit. Nous analyserons l’abandon de scolarité avant l’obtention du diplôme de fin d’études en termes de processus et non « d’élèves à risques ». Ce ne sont pas les jeunes qui sont « à risque », mais bien les situations qu’ils vivent et les interactions établies avec leurs pairs et les adultes qui les entourent : famille, école, travailleurs sociaux, voisins. En d’autres termes, l’entourage de l’élève peut produire du décrochage scolaire ou au contraire le réduire. Nous éviterons d’ailleurs de parler de « décrocheurs » ou d’ « absentéistes », car ces termes laissent à penser qu’il s’agit là de démarches volontaires de la part des élèves, alors que l’on observe plutôt un entrelacs d’interactions qui mène au décrochage, dont les protagonistes les plus actifs ne sont pas toujours les élèves, même s’ils peuvent prendre une part active dans la production ou la réduction de ces processus. Si le discours normatif des équipes de direction et de vie scolaire [11] est clairement dirigé vers la prévention de l’absentéisme et du décrochage scolaire, les enseignants ne désirent pas toujours voir revenir des élèves après de longues absences car ils auront du mal à les réintégrer dans la dynamique des apprentissages et n’auront que peu de soutien pour cela, en l’absence de politique concertée dans l’établissement ou dans l’académie. Il existe donc une certaine ambivalence sur l’engagement dans la prévention chez les professionnels de l’école.

Les obstacles aux apprentissages

Environ 15% des enfants qui arrivent en sixième aujourd’hui dans les collèges ont des difficultés en lecture, en écriture et en maîtrise des opérations de base, qui font qu’ils ne sont pas en mesure de suivre la scolarité qu’on leur propose et ils ne peuvent pas entrer dans les apprentissages tels qu’ils sont constitués en disciplines. Ces élèves passent des jours, des mois, voire des années, dans la forme scolaire qui est celle du collège aujourd’hui, à devoir suivre des enseignements qu’ils ne comprennent pas. Ils vont être contraints pendant des années de respecter les adultes et leurs camarades tout en étant dans l’impossibilité de suivre les cours qui sont pourtant la raison d’être de leur présence au collège. Passer des années à s’entendre dire qu’on est nul et qu’on n’y arrive pas et que si on n’y arrive pas c’est parce qu’on ne veut pas et non pas parce qu’on ne peut pas, est une situation qui est productrice de décrochage scolaire et de désespérance. Il arrive que les élèves qui n’ont pas le niveau requis perturbent les cours et s’en fassent exclure rapidement, ou bien soient au contraire atones, repliés sur eux-mêmes ou voire s’absentent : il est sans doute plus économique pour eux, d’un point de vue psychologique, de rester chez eux plutôt que de fréquenter l’établissement scolaire.

Des lycées et des filières déclassés

Pour beaucoup d’élèves de lycées professionnels rencontrés lors d’une recherche-action à Paris [12], orientation semble rimer avec échec, lié à l’impossibilité de suivre des études générales. Ceux qui ont formulé une orientation en premier voeu l’ont fait sans toujours bien connaître le contenu des formations et des métiers préparés et sont déçus en les découvrant. Nombre d’élèves espéraient ne pas retrouver les formes scolaires qu’ils avaient difficilement supportées au collège : enseignements plutôt théoriques et généraux, cours magistraux, classements et notes peuvent générer découragement, absences nombreuses, voire décrochage. En outre, leur niveau scolaire ne leur permet pas toujours de suivre les cours, qu’ils ont tendance à fuir pour éviter cette confrontation, avec un sentiment d’échec quotidiennement renouvelé. Cette désaffection scolaire accentue à son tour les lacunes accumulées et rend impossible un retour au sein des classes en l’absence d‘une prise en compte de ces processus, par les enseignants en particulier. Certains lycées généraux connaissent des processus similaires car ils accueillent des élèves exclus des établissements privés ou publics en raison d’un faible niveau, ou orientés là à défaut d’autres lycées publics plus prestigieux, ce qui induit le découragement et la démobilisation de nombreux professionnels et élèves dans l’établissement.

Le règlement pour le règlement

De manière paradoxale, la question des apprentissages n’est pas traitée comme une question centrale ni même quelquefois comme une question secondaire, au profit de l’application de règlements vidés de leur sens. De fait, l’exigence de l’adhésion aux règles de vie prend le pas sur le sens que prend cette adhésion. Françoise Clerc relie ce « ressassement » autour de l’imposition des normes à « l’affaiblissement du politique instituant (au sens dynamique du terme) au profit des règles instituées » [13]. Cette distance entre l’institution et ses propres usagers, cette logique de tri et de sélection de ceux qui réussissent scolairement et se soumettent aux autorités, va conduire à une inflation des exclusions de cours et des exclusions temporaires ou définitives précédées de mises à pied conservatoires et non suivies de réaffectations immédiates, contribuant à faire perdre l’habitude aux élèves les plus en difficultés de fréquenter l’école de manière régulière [14]. Les retards et les absences sont comptabilisés le plus souvent sous la forme suivante par les logiciels de recueil des absences et des retards : retard à la première heure = absence d’une heure = absence d’une demi-journée. Rares sont les lycées qui accueillent les élèves en retard. Des élèves ont souligné que lorsqu’ils se rendent compte qu’ils seront en retard à la première heure de la journée, ils ne vont pas du tout au lycée car dans tous les cas, la comptabilisation de leur retard transformé en absence sera la même, qu’ils soient présents ou pas. Certains règlements intérieurs, drastiques sur le papier et mal connus des enseignants en particulier, cohabitent avec des pratiques contradictoires et changeantes dans la vie quotidienne. La mise en oeuvre de l’autorité apparaît ainsi comme peu crédible aux élèves qui se repèrent plutôt au fonctionnement individuel de tel ou tel enseignant, personnel de vie scolaire ou chef d’établissement, qu’à un règlement clair et valable pour tous. Si on met en corrélation le fait que les difficultés scolaires des élèves ne sont pas véritablement prises en compte avec les « crispations disciplinaires » et l’inconfort qui règne dans certains établissements (absence de lieux de détente, sonneries stridentes, locaux sonores ou inadaptés), on comprend comment un certain nombre d’élèves, au fur et à mesure de leur scolarité, vont décrocher parce qu’ils ne vont pas trouver dans le collège ou le lycée des conditions de vie et d’expression minimales pour rester et des interlocuteurs qui puissent les soutenir dans leurs apprentissages et avec lesquels ils puissent exprimer leurs difficultés.

Élèves ou adolescents : des modes de vie contradictoires

Des facteurs relatifs aux modes de vie des élèves hors temps scolaire peuvent être corrélés aux absences répétées de divers types, voire aux processus de décrochage scolaire : absence de contrôle parental autour de la scolarité, activités rémunérées (petits boulots), prise de responsabilités au sein des familles (soins portés aux jeunes frères et sœurs par des collégiennes et lycéennes, en particulier), groupes de pairs à visée ludique ou transgressive, « chats » ou échanges de mails sur internet, consommation éventuelle de psychotropes licites et illicite… Le manque de sommeil des élèves est très fréquemment cité par eux-mêmes et les personnels de vie scolaire, enseignants ou infirmier(e)s, ainsi qu’une alimentation déséquilibrée ou des problèmes de santé. Les nuits très écourtées se concluent par des départs précipités au collège ou au lycée sans petit-déjeuner, ce qui grève les possibilités d’attention, freine les apprentissages et augmente l’irascibilité et la nervosité des élèves.
L’absence de contrôle parental sur les rythmes de vie de certains adolescents est partie prenante des difficultés rencontrées par des élèves dans la poursuite de leur scolarité, car les horaires des parents sont désynchronisés par rapport à ceux de leurs enfants [15], ou bien ils pensent que ces derniers sont « assez grands » pour gérer ces questions eux-mêmes.

Note sur le décrochage scolaire Danielle Zay *
• Qu’est-ce que le décrochage scolaire ?
On le définit généralement par ses effets sur l’élève (pour le détail des analyses et les références des auteurs, cf. Zay, 2012, chap. 1, pp. 31 sq).

  • Drop out : absentéisme ponctuel ou prolongé, voire définitif ;
  • drop in : l’élève est présent en classe mais ne suit pas, il est absent mentalement ;
  • déscolarisation, abandon d’étude ;
  • sortie sans diplôme, sans qualification ;
  • un processus complexe de ruptures scolaires progressives ;
  • un processus en lien avec le fonctionnement scolaire. Ce dernier sens conduit à analyser ledit processus par rapport à des causes qui peuvent être individuelles – biologiques ou psychologiques – ou sociales, mais qui se manifestent du fait d’un dysfonctionnement du système scolaire.

Le décrochage scolaire : un effet du dysfonctionnement du système scolaireL’analyse du système scolaire dans la perspective des chercheurs ayant promu le concept d’éducation inclusive renverse les données du problème.
Tout être humain a des capacités, plus ou moins développées par rapport à tel ou tel domaine d’activité intellectuelle ou autre. Ces capacités peuvent s’exercer ou non en fonction de leur environnement. Selon la fameuse formule d’Einstein : « Tout le monde est un génie. Mais, si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide ».
Une école inclusive offre des ressources humaines et matérielles suffisantes et une organisation de celles-ci assez souple pour que tous les jeunes, quelles que soient leurs différences, y trouvent ce qui leur est nécessaire pour y développer au maximum toutes leurs capacités en harmonie avec les autres, parce que ceux-ci, comme leurs enseignants, respectent leurs différences respectives. C’est pourquoi, en conclusion de mon dernier livre (Zay, 2012), j’ai repris le concept de « capabilité », développé par Amartya Sen (2010), pour opposer l’école des « Tous capables » à celle de « la constante macabre » dont les mauvaises notes découragent les élèves (Antibi, 2003, 2007).
• Quels moyens de lutte contre le décrochage scolaire ?
Les mesures de remédiation aux effets 
Tous les dispositifs actuels : classes relais, dispositifs relais, etc. (Pour le détail des analyses et les références des auteurs, cf. Zay, 2012, chap. 1, pp. 42-48 + bibli. pp. 54-60). Les mesures de remédiation soignent les effets, pas les causes, en employant des pédagogies centrées sur l’élève. Leur principal échec vient de ce que l’élève change, mais pas le système. Les retours en scolarité normale se soldent souvent par les mêmes résultats, le décrochage ; les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Les mesures de prévention au sein du système scolaire pour tous 
(Pour le détail des analyses et les références des auteurs, cf. Zay, 2012, chap. 1, pp. 38-42 + bibli. pp. 54-60).

  • L’amélioration de la voie professionnelle et technique et de son image de marque, dévalorisée en France contrairement à d’autres pays européens comme l’Allemagne. La mesure du ministère réservant des places aux diplômés de BTS et de bacs professionnels dans les filières professionnelles du supérieur, IUT notamment, captées par des bacs généraux plus cotés, va dans le bon sens.
  • L’amélioration de l’orientation scolaire.

• La « refondation de l’école »

C’est tout le fonctionnement du système qui est à revoir. Dans une perspective systémique – qui est celle de l’éducation inclusive – un système ne change jamais de l’intérieur, mais seulement sous la pression de son environnement. La réforme des « rythmes scolaires » qui met à contribution les communes et des professionnels hors Éducation nationale, les P.ED.T, les projets éducatifs de territoire, vont dans le bon sens. La possibilité de participation des parents est aussi à renforcer. C’est pourquoi également la voie de la réussite pour cette réforme d’ensemble passe par la prise en compte de tout ce qui se fait dans les milieux associatifs et dans les milieux pédagogiques innovants, FESPI et autres, pour irriguer le système en vue d’une généralisation par de multiples canaux le traversant en plusieurs points sensible et pouvant servir de relais de la périphérie à l’intérieur… n * Auteure de L’Éducation inclusive. Une réponse à l’échec scolaire. Préface de Gabriel Langouët. Paris, L’Harmattan, 2012.

Paroles de décrocheurs Portrait 1. Jeune homme de Haute-Normandie, ayant décroché en terminale S. Relations aux adultes : « La proviseure me décourageait : elle m’a poussé à me désinscrire dans le but de ne pas avoir de mauvais résultats au bac (elle était habituée à ce que la Terminale Ssi dans laquelle j’étais, aie de la réussite) » Évaluation : « Mes loupés n’ont pas été compensés par des résultats ; quand un travail était fourni, les efforts non récompensés découragent… » Concernant l’image de soi : « les ratés de l’école sont des « ratés de partout » ; difficile de se mobiliser dans ce cadre. » L’animation : reconnaissance des compétences sociales et techniques, la possibilité de pouvoir s’exprimer librement, de contredire aussi sans sanction, Confiance accordée… Prise en compte des points de vue des jeunes. Du coup, estime de soi valorisée… Portrait 2. J. 11 ans, atelier relais. Atelier-relais : « J’peux leur demander d’l’aide pour comprendre un exercice. » « Ils nous font comprendre c’qu’on doit faire. » Portrait 3. P. 18 ans, stagiaire en PAL. « Si j’avais su tout ça comment j’allais galérer à rien avoir, à rien faire, j’aurais continué l’école déjà ! Mais là, maintenant, j’ai arrêté pendant un an, j’suis restée là (PAL) pendant 6 mois, j’ai pas envie d’retourner en cours ! Bin, j’ai envie d’travailler ! (elle rigole) J’veux d’l’argent, j’veux du travail ».

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Notes : 

[1] Cf Esterle Hedibel, 2007, Les Élèves transparents, Les arrêts de scolarité avant 16 ans, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion et Rechercheaction autour de la lutte contre l’absentéisme et pour le renforcement de l’assiduité des élèves, Académie de Paris/FSE, 2007-2009.

[2] Cf. Les définitions de L’Eurostat : Office statistique des communautés européennes) et l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique.

[3] Guigue, 1998, 29.

[4] Conseillers principaux d’éducation (CPE) et assistants d’éducation.

[5] Cf. note 1.

[6] Clerc, 2008.

[7] Cf. Moignard, 2014.

[8] Pépin, 2012,1.

[9] Cf. Les définitions de L’Eurostat : Office statistique des communautés européennes) et l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique.

[10] Guigue, 1998, 29.

[11] Conseillers principaux d’éducation (CPE) et assistants d’éducation.

[12] Cf. note 1.

[13] Clerc, 2008.

[14] Cf. Moignard, 2014.

[15] Pépin, 2012,1.




Le temps de s’ennuyer

1398684548340[1]Ne pas avoir d’activité programmée n’est pas synonyme de ne rien faire. L’enfant a parfois besoin de ces moments de tranquillité, de retour sur lui et d’appropriation des espaces. C’est un véritable choix et une véritable activité.

Le périscolaire peut lui aussi être pensé comme un temps libre dont les espaces peuvent être investis par les enfants avec des coins dans lesquels ils vont pouvoir venir jouer, bricoler, se déguiser, dessiner, construire, lire, écouter… ou ne rien faire.

« Sois présent, surtout lorsque tu n’es pas là » Fernand Deligny

Ce titre pourrait paraître provocateur. S’ennuyer est presque considéré comme un gros mot, dans le contexte actuel, où l’on cherche souvent à vouloir rendre optimum le temps. Que ce soit en famille, à l’école ou en séjour de vacances, la tendance est de planifier, prévoir, organiser et utiliser au mieux le temps pour proposer aux enfants le maximum de sollicitations.

La mise en place d’activités quantifiables et évaluables semble être un gage de sérieux et de qualité à faire valoir auprès des parents. Les exemples sont nombreux, que ce soit dans le cadre périscolaire ou dans le domaine des vacances. « Ici, ce n’est pas une garderie ! » clame en forme de slogan un organisateur en évoquant les activités qui sont proposées aux enfants à la sortie de la classe. L’intention est certes louable. On cherche à rendre les enfants plus intelligents, à développer leurs potentialités… On veut leur permettre de découvrir, d’apprendre, de s’épanouir…. Mais, cette abondance de moments contraints, dans lesquels les enfants sont en permanence encadrés et sollicités par les adultes, n’est pas toujours adaptée aux réalités éducatives et aux besoins de chacun.

DU TEMPS POUR SOI
Ne pas avoir une activité programmée, normée et organisée n’est pas synonyme de ne rien faire. L’enfant a parfois besoin de ces moments de tranquillité, de retour sur lui et d’appropriation des espaces. C’est un véritable choix et une véritable activité. Régulièrement, quelques élèves demandent à rester dans la classe pendant la récréation, ou se débrouillent pour y traîner tout seul ou à effectif très réduit au moment de la sortie. Parfois, ils ne font rien de particulier et sont simplement là.

À les voir ainsi, on pourrait se dire qu’ils s’ennuient en comparaison des autres qui jouent dans la cour. Parfois, ils dessinent, écrivent au tableau, utilisent les ordinateurs, discutent, regardent, déambulent, lisent des albums qu’ils ont pourtant en permanence à leur disposition, mais qu’ils semblent apprécier différemment… Les volontaires changent. Certains sont plus réguliers que d’autres, mais le petit groupe de 3 ou 4 enfants, pourtant sans cesse différent, semble toujours se délecter comme d’une gourmandise du fait de rester en classe. Quelles sont leurs motivations  ? Un besoin d’être tranquille et de se couper de l’agitation du grand groupe, d’être en petit comité avec des copains, l’envie de rester au chaud, de se retrouver en classe dans un autre contexte, ou simplement de prendre son temps …

DU TEMPS POUR ÊTRE AUTONOME
Laisser aux enfants des espaces et des temps qui leur permettent de pouvoir s’organiser entre eux, dans des activités qui ne sont pas dirigées par les adultes me semble aussi une donnée importante dans l’organisation du temps de l’enfant.
Ces espaces éducatifs de jeu et de relations où les enfants sont autonomes et dans lesquels il leur faut prendre en compte l’autre, négocier, s’organiser, gérer les conflits et les leaders, adapter l’activité en fonction du groupe sont d’une grande richesse dans la construction personnelle de chacun.
Or, pour certains enfants, ces temps ont tendance à se réduire. Il y a bien les récréations, mais ce sont des moments très normés institutionnellement avec une délimitation courte du temps. Ailleurs, en périscolaire, en famille, en séjour de vacances, ils ont bien souvent de moins en moins de moments pour être ensemble, jouer et s’organiser.
En classe, je rencontre régulièrement des enfants, qui éprouvent de grandes difficultés à travailler en groupe et pour lesquels la négociation avec l’autre se révèle extrêmement difficile. Comme ces quatre élèves de CE1, qui devaient ensemble trier des aliments et les classer. Ils présentèrent à la classe un document contradictoire dans lequel chacun avait gardé son idée de départ. Lorsque les autres enfants pointèrent les incohérences, la réponse fut chaque fois individuelle : « Ça, ce n’est pas moi qui l’ai fait. » Savoir observer les autres, chercher à les comprendre, s’organiser, négocier, partager des savoirs et des réflexions, mutualiser, construire ensemble ne s’apprend pas qu’en classe dans les travaux de groupe. C’est une construction lente et multiple dans laquelle ces moments informels et autonomes entre pairs pour jouer, discuter, s’ennuyer ou décider ensemble me semblent importants.
Mais, pour certains enfants, ces moments d’autonomie ont tendance à disparaître de leur environnement, avec des arguments de rentabilité et de sécurité. Une activité dirigée étant supposée plus éducative et mieux surveillée. La mise en place du temps périscolaire n’échappe pas à cette logique.

ORGANISER L’ESPACE
Pour ces activités proposées aux enfants après la classe, l‘organisation tourne souvent autour de deux préoccupations récurrentes : mais que font les animateurs ? et qui surveille ?
Cette question de la sécurité, omniprésente actuellement, a tendance à uniformiser la structure proposée et à formater ces activités périscolaires naissantes sur le modèle : l’animateur dirige et surveille son activité. Pourtant, l’animation, étymologiquement et pédagogiquement parlant, est bien plus vaste que cet espace où elle se trouve bien souvent contrainte. Fernand Deligny écrivait : « Sois présent, surtout lorsque tu n’es pas là. »
Le rôle de l’animateur est de créer ou de mettre en valeur des espaces matériels, de relations humaines et d’activité dans lesquels les individus vont pouvoir développer leurs potentialités, apprendre et se construire en fonction de leurs besoins et d’un environnement. Le périscolaire pourrait permettre d’avoir des activités autonomes. Mais cela est plus complexe à organiser et à faire vivre qu’une structure dans laquelle chaque animateur dirige et surveille son activité. Il ne s’agit pas de laisser des enfants dans une cour et d’exercer une surveillance de l’ensemble. Il s’agit d’organiser l’espace et de permettre aux enfants de se l’approprier. Mettre en place des coins dans lesquels ils vont pouvoir venir jouer, bricoler, se déguiser, dessiner, construire, lire, écouter… ou ne rien faire. Il s’agit aussi de donner la possibilité aux enfants de faire évoluer ces coins d’activités en fonction des réalités, de leur intérêt et de l’intérêt général.
« Est-ce qu’avec mon copain, on peut emporter des livres dans la cabane ? » La réponse de l’animateur va être fonction d’une réalité locale et impliquer une organisation, une gestion. Comment s’assure-t-on que les livres reviennent en état, sont remis à leur place ? C’est une situation beaucoup plus complexe à gérer que lire un conte à un groupe. Cela oblige aussi les animateurs à circuler entre les différents lieux. Ils savent où sont les enfants, viennent voir, s’adaptent à la situation.

DES ANIMATEURS QUI CIRCULENT DANS LES ESPACES
Parfois, ils sont sollicités pour un conseil, pour une participation temporaire, pour parler ; parfois le groupe est entièrement autonome et leur passage n’a pour but que de rappeler implicitement la présence d’un adulte sur lequel ils peuvent compter. Si un enfant est isolé, il faut arriver à percevoir s’il y a un problème ou s’il éprouve simplement le besoin d’être tranquille un moment.
Ces activités autonomes représentent de vrais temps d’animation. Elles ne s’opposent en rien à la richesse et l’intérêt d’activités plus guidées et structurées, mais en sont complémentaires.
Dans le contexte actuel de mise en place de projets pour l’aménagement des rythmes scolaires et du temps de l’enfant, il me semble important d’avoir à l’esprit cette multiplicité des besoins, même celui de ne rien faire. L’activité ne se limite pas à une forme dirigée. Elle peut être multiple et doit permettre aux enfants de prendre le temps d’apprendre à être autonomes.

Olivier Ivanoff

Texte paru dans le Cahier de l’Animation n°86




Cohérence des champs concordance des temps

1398355864982[1]La refondation de l’École de la République et la mise en oeuvre de la réforme des rythmes bouleversent notre environnement au-delà de ce que nous percevons aujourd’hui. Pour les collectivités l’éducation est devenue un enjeu formel, explicite, contribuant au projet politique local ; les PEDT mobilisent l’ensemble des acteurs d’un territoire ; l’école devient l’un des espaces d’éducation essentiels mais elle se doit d’articuler une partie de son temps avec d’autres lieux et acteurs éducatifs.

Concordance des temps, complémentarité des actions d’abord pour élaborer un projet cohérent, un projet commun. Il devient alors indispensable, de faire dialoguer LES projets : le projet d’école, le projet éducatif de la collectivité territoriale, celui des associations potentiellement partenaires ainsi qu’au plus près du terrain le projet pédagogique des structures d’accueils collectifs de mineurs. Cohérence des champs ensuite pour construire la continuité éducative et la complémentarité des espaces qui ne peuvent être réelles et pertinentes que si l’on considère les activités périscolaires et extrascolaires comme des temps sociaux ayant leur propre logique éducative et non comme des adjuvants au service de la seule réussite de l’élève à l’école.

Mais qu’en est-il alors s’agissant des acteurs ? Promouvoir des activités périscolaires et extrascolaires de qualité nécessite de garantir une qualification suffisante des personnes qui vont y intervenir directement mais aussi de celles qui vont avoir la responsabilité de les coordonner. Mais il est une autre nécessité, celle de conserver les valeurs, les logiques, les cadres propres à chaque espace d’éducation. Ne pas confondre les missions de l’école avec celles des structures de loisirs, c’est respecter les cadres de référence des acteurs, c’est garantir aux enfants et aux jeunes de pouvoir vivre des situations éducatives différentes et donc réellement complémentaires. Nous le savons, le champ de l’animation, mobilisé dans la mise en oeuvre de la réforme est porté par des acteurs professionnels et volontaires. Cette diversité des statuts est une richesse. Elle fait agir ensemble des professionnels de l’éducation et des non professionnels intervenant « dans le cadre d’un engagement social et citoyen » comme le stipulent les textes régissant les diplômes de l’animation volontaire.

Si, au nom de la réforme des rythmes, par pragmatisme ou « à titre dérogatoire », on adapte, on bidouille, les règles, les normes du champ des activités périscolaires et des loisirs, on déstabilise alors tout un champ déjà fragilisé aujourd’hui. Emplois précaires, sous-qualification des acteurs, utilisation abusive de diplômes non professionnels, dévoiement du sens même du volontariat sont autant de risques qui ne peuvent être levés que par une réponse politique. Cette réponse appartient aux collectivités mais également à l’État. Elle est aussi importante que le sens même de cette réforme.

Jean-Luc Cazaillon, Directeur général des Ceméa

Texte paru dans VEN n°554




Formation professionnelle des animateurs

1398355864982[1]Les débats actuels et la mise en place très progressive de la réforme des rythmes scolaires ont mis sur la place publique les lourdes carences en formation professionnelle des animateurs. Si la situation est bien connue des principaux acteurs du champ de l’animation, en revanche le grand public a été justement choqué du décalage entre les attendus de la réforme et la triste réalité des qualifications professionnelles de ceux qui auront pour l’essentiel en charge les activités périscolaires. L’animation en tant que forme d’intervention sociale peut jouer un rôle d’éducation, de culture et d’invitation à la transformation sociale mais la bonne volonté et l’enthousiasme ne suffisent pas. Les pratiques d’animation requièrent une vision politique, des valeurs et des savoir faire. Comme tout métier, l’animation s’apprend. Pour que l’animation professionnelle soit réellement à la hauteur de ses intentions, elle a besoin d’une rénovation de son système de formation professionnelle. C’est une responsabilité qui incombe à l’ensemble des acteurs du champ de l’animation.

Entre septembre 2012 et mars 2013, le Cafemas 1 a initié une étude sur les trajectoires professionnelles des métiers de l’animation. Il s’agissait d’observer comment se déroulent les carrières. Avec quels bagages ces professionnels commencent-ils leurs activités ? Quelles sont les principales portes d’entrée ? Existe-t-il des logiques pour les évolutions de carrière ?

Une situation effectivement sinistrée
Cent quatre-vingt professionnels, animateurs, intervenants spécialisés, coordonnateurs, directeurs, tous en poste dans la diversité des structures qui mobilisent des pratiques d’animation, soumis à une enquête, ont retracé leur carrière lors d’un entretien approfondi. La qualification professionnelle était l’un des points étudiés.
Cet échantillon représentatif du champ a livré des informations précieuses sur les questions de la qualification professionnelle des acteurs. Une étude ne saurait dire toute la réalité, néanmoins, gageons que les gens du terrain quels que soit leur poste ne seront pas surpris par les informations recueillies.
– 88 % ont commencé leur activité professionnelle sans diplôme professionnel relatif à l’animation. – L’accès à une qualification professionnelle est lent, il ne concerne que ceux qui restent plusieurs années dans le métier. – Il faut en moyenne aux animateurs cinq ans dans le secteur associatif et sept ans dans la fonction publique pour accéder à un diplôme professionnel. Mais nombre d’entre eux ne font qu’un passage de quelques années dans l’animation. – Seul le secteur social présente une réelle différence avec davantage d’animateurs diplômés et un accès plus rapide à la formation. Il faut rappeler l’obligation de qualification professionnelle figurant au sein des principales conventions collectives de ce secteur. Les parcours de vie soulignent aussi l’importance des ACM 2comme porte d’entrée dans le métier d’animateur. – 75% des professionnels ont été animateurs occasionnels dans les ACM. – 79% ont entamé une formation préparant au Bafa ou au Bafd.

Cette étude confirme les carences de formation du secteur. L’état des lieux fluctue selon les domaines d’intervention et ce sont les animateurs socio-éducatifs qui connaissent les taux les plus bas de diplômés. Ainsi les professionnels qui encadrent les millions d’enfants accueillis lors des ACM et activités périscolaires sont-ils le plus souvent dépourvus de toute qualification professionnelle. Dans le meilleur des cas, le Bafa et le Bafd font office de formation professionnelle 4.
Pourtant l’animation connaît une expansion durable, les pratiques d’animation s’implantent dans des milieux les plus divers. Mais cette expansion s’effectue le plus souvent dans une spirale négative où l’absence de qualification autorise des conditions de travail et de rémunération médiocres. Celles-ci drainent vers ces activités des professionnels sans qualification. La boucle est alors bouclée et la professionnalisation de l’animation s’effectue dans la précarité des animateurs au grand détriment des publics, de la quantité des interventions et de la reconnaissance de ce métier.
Dans ce contexte sinistré, est-il toujours possible de revendiquer pour l’animation une mission d’émancipation et un rôle dans la lutte contre les inégalités sociales et culturelles ? Les espoirs et les visées d’émancipation que l’Éducation populaire revendiquait pour les activités d’animation risquent bien de se diluer dans des animations appauvries par manque de qualification.

Identifier les points de blocage
Ces constats appellent à un sursaut de l’ensemble des acteurs et à une mutation des possibilités d’accès à la qualification professionnelle avec une priorité pour les animateurs du secteur socio-éducatif. Sans prétendre à l’exhaustivité, signalons les principaux obstacles qui entravent l’accès aux qualifications.

Pas d’obligation conventionnelle de certifications
Les principales conventions collectives du champ ne mentionnent pas l’obligation de qualification professionnelle pour accéder à des fonctions d’animation, celles-ci ne sont citées qu’a titre indicatif ou d’exemple pour la classification des salariés. Ce choix qui pouvait être justifié dans le contexte de la signature de la convention collective de l’animation en 1988, est-il encore légitime ? Situation identique dans la fonction publique territoriale où une très large majorité des animateurs relève de la catégorie C, grade accessible sans obligation de certification professionnelle. Dans un contexte si peu exigeant on voit mal les employeurs associatifs et publics recruter du personnel diplômé pour les emplois les plus nombreux et s’exposer à une remise en cause des grilles de classification.

Déclassement des certifications
Comme aucune qualification professionnelle n’est exigée pour les emplois les plus nombreux de l’animation, la reconnaissance des diplômes existants se trouve tirée vers le bas. Le titulaire d’un diplôme d’animateur de niveau IV se voit alors proposer des postes avec des fonctions d’encadrement intermédiaire : coordination d’équipe ou responsabilité d’établissement à faibles effectifs. Situation identique pour la fonction publique territoriale ; les agents relevant du cadre B de la filière animation occupent le plus souvent des fonctions de coordination voire de direction avec une qualification d’animateur 6. S’illustre ici la logique absurde de la formation récompense. Ainsi, après avoir travaillé plusieurs années comme animateur sans qualification, le professionnel se voit proposer une formation d’animateur pour exercer des fonctions de coordination. Il va alors exercer de nouvelles fonctions pour lesquelles il n’aura pas davantage été formé ! Voici une variante du principe de Peter 5 qui serait drôle si elle n’était bien réelle.

Le flou réglementaire des activités d’ACM
Ces activités mobilisent une large majorité des animateurs professionnels ; de ce fait, elles influencent l’ensemble du champ sur les questions de qualification professionnelle des animateurs. Ces accueils relèvent d’une réglementation spécifique fondée sur la protection des mineurs. Celle-ci prévoit que les personnels pédagogiques soient majoritairement titulaires de diplômes spécifiques : les célèbres Bafa et Bafd 6. Il est sans doute inutile dans les colonnes de cette revue de rappeler que dans la logique d’Éducation populaire des ACM, ces brevets sont une préparation accessible à tout ceux qui souhaitent exercer occasionnellement une action éducative durant ces accueils. Pourtant, bien que sans visée professionnelle ces brevets sont massivement utilisés par les professionnels, car ils sont le plus souvent la seule exigence des employeurs 7. Officiellement, un texte est censé corriger cet usage abusif en faisant obligation de diplômes professionnels pour les directeurs d’ACM exerçant plus de quatre-vingt jours par an. Ce texte est peu respecté sur le terrain. Malheureusement, aucune obligation de qualification professionnelle n’est demandée aux « simples » animateurs professionnels. La règlementation de ces activités entrave ici l’accès à la qualification professionnelle.

Un système de formations, de certifications et de financements multiples et complexes
Le manque de coordination et de cohérence entre les différents acteurs qui conçoivent financent, organisent, prescrivent et contrôlent les possibilités de formation est sans doute la caractéristique majeure du système de qualification du champ. On y observe aussi bien des doublons, plusieurs diplômes couvrant les mêmes besoins, que des manques – absence de formation dédiée au socio-éducatif secteur dominant. L’ensemble du système est peu lisible et concurrentiel. En 2008, le très critiqué rapport Bertsch 8 s’appuyait sur cette situation pour dénoncer la jungle des 215 certifications différentes, les passerelles difficiles d’une filière à l’autre, la multiplication des ministères certificateurs et surtout l’inadéquation de l’offre à la nature des besoins. Si les oppositions à ses préconisations ont été vives et légitimes, il faut reconnaître la contradiction entre une offre pléthorique et complexe et un aussi faible pourcentage de professionnels diplômés.

L’absence de formations initiales publiques et gratuites
Il n’existe pas de système de formation initiale, publique et gratuite pour les emplois les plus fréquents d’animateurs en face à face avec un public. Un jeune qui souhaite devenir animateur ne pourra pas se préparer à ce métier dans le cadre de sa scolarité initiale. Seules les fonctions de coordination ou d’animateur concepteur sont couvertes pas un DUT Carrières sociales option animation délivré par le ministère de l’Enseignement supérieur depuis 1966 9. Cette impossibilité aberrante est sans doute la cause première des carences de qualification professionnelle de la masse des animateurs. Elle a pour conséquence de faire supporter la responsabilité du financement des formations des 165 000 animateurs :

  • Soit aux futurs professionnel ou à leur famille ;
  • soit aux aux employeurs qui vont devoir utiliser les fonds de la formation professionnelle issus des cotisations salariés et employeurs ;
  • soit aux conseils régionaux ou à Pôle Emploi dans le cadre de leur politique d’emploi en direction de la jeunesse.
    Pour les animateurs de la fonction publique territoriale l’accès à la formation est tout aussi difficile. Leur organisme de formation, le CNFPT 10, ne finance pas les formations diplômantes des agents. Les municipalité, employeurs n°1 des animateurs de face à face, doivent alors financer la formation sur leurs fonds propres sans pouvoir recourir à des fonds mutualisés. L’absence de formation initiale détourne aussi les jeunes scolarisés de leurs projets d’être animateurs. Ces jeunes s’orientent alors souvent vers la filière des carrières sanitaires et sociales plus accueillantes dans le cadre de la scolarité initiale pré-bac. Pour ceux qui persistent, l’accès à une qualification sera le plus souvent précédé par une longue période d’attente pour obtenir un financement employeur ou bien par une période de chômage et de précarité pour accéder à une formation dans le cadre des politiques de l’emploi.

Philippe Segrestan, chargé d’études animation au Cafemas militant Ceméa

Texte paru dans VEN n°554




Les ESPE, ou écoles supérieures du professorat et de l’éducation : un levier pour la refondation de l’École de la République ?

Comblant le vide conséquent à la liquidation des IUFM et de la formation initiale des futurs professeurs des écoles, collèges et lycées, la création des ESPE va-t-elle instaurer les conditions propices à une préparation appropriée à l’éducation de nos enfants, nos successeurs, afin qu’ils grandissent et acquièrent les savoirs et compétences utiles pour vivre et agir avec les autres dans le monde que nous nous préparons nous-mêmes à leur léguer ?

Deux positions observables
Pour avancer en direction d’une refondation de l’École de la République, une grande concertation a été organisée à l’initiative du ministre de l’Éducation nationale pendant l’été et le début de l’automne 2012, un rapport a été remis. Puis, un conseil national de l’innovation pour la réussite éducative dont on attend des propositions a été créé au printemps 2013. Un nouveau rapport va-t-il s’ajouter à d’autres et se perdre ou est-on cette fois enfin fondé d’espérer ? Le pouvoir sera-t-il de fait laissé, une fois de plus, aux inerties associées aux refus de voir les réalités actuelles et aux refus des connaissances dont on dispose aujourd’hui sur les processus psychiques à l’oeuvre dans le travail de grandir et de transmission, ainsi que sur les formes sociales à instaurer pour favoriser ces processus ? Ou, pour le dire autrement, va-t-on laisser une fois de plus le pouvoir aux paresseux et aux ignorants oeuvrant pourtant dans le temple même des savoirs que représentent les ministères de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ?
On peut le redouter. En effet, les différents acteurs du système ne travaillent pas dans la même direction. Même s’il en est d’autres, deux grandes positions sont observables. D’un côté, se tiennent les ignorants qui, aveuglés par leur volonté de ne pas savoir et de ne pas entendre les mouvements, les fureurs et les rumeurs du monde, estiment assister au renoncement continu aux savoirs à enseigner à l’école. Ceux-ci déclarent très secondaire ou inutile une formation non disciplinaire et même les stages sur le terrain. Ils persistent à croire et à faire croire que tout s’apprend sur les bancs de l’université et ne veulent pas savoir ce que l’expérience de la vie apprend. À chaque fois que l’on augmente le nombre des années de la formation initiale, ils réclament toujours plus de « disciplinaire », donc, corrélativement, toujours moins de formation au métier. D’un autre côté, se tiennent ceux qui s’appuient sur l’expérience et les connaissances actuellement établies dans l’expérience et dans les recherches sur l’enfance et l’adolescence, sur les conditions sociales des apprentissages, sur les situations de groupe et leurs effets, sur les épreuves psychiques de la confrontation à la culture des autres, sur ce qui est mobilisé dans les psychés des enfants mis en groupe lors du travail de transmission et entre les générations, sur l’importance des pratiques, sur le rapport aux techniques, sur l’importance de l’alliance éducative entre les deux groupes de socialisation de base que sont l’école et la famille, sur les résonances en chacun des contenus qui viennent heurter les croyances, sur le rapport au savoir, sur le besoin d’humilier autrui…

Assurer les missions de l’école
Si les nostalgiques d’une époque, qui n’a sans doute jamais existée, l’emportaient, les réalités actuelles continueraient d’être ignorées et sera amplifiée l’impuissance du ministère de l’Éducation nationale, de ses structures et de ses personnels à créer les conditions propices à une formation adaptée des futures générations de professeurs et d’éducateurs. En effet, avec une formation réduite aux disciplines enseignées à l’université puis à l’École, on rendra les futurs professeurs incapables d’assurer les différentes missions de l’École, incapables de comprendre les différentes manifestations des enfants réactivement à ce que l’École leur propose, incapables de préparer les générations à venir à vivre et à agir dans le monde qui nous entoure et nous constitue.

Préparer le professeur à entrer dans une classe
Une École se doit de créer les conditions d’une expérience de vie en commun, de pratiques en commun, qui, seules, peuvent équiper culturellement un enfant de ce dont il a besoin pour grandir, où savoirs abstraits et savoirs concrets se conjuguent. Les modalités de transmission et de mise en activité, ici seulement évoquées, préparent à recevoir d’autres connaissances et donnent à chaque être humain les compétences utiles pour prendre en charge sa vie quotidienne ; elles lui fournissent les conditions d’une expérience partagée qui donnent notamment accès à la pratique de la parole prise avec les autres, indispensable pour prendre sa part et sa place dans les pays démocratiques où nous avons la chance de vivre grâce aux sacrifices de nos prédécesseurs. Oui, l’École et la Famille — ou des structures de suppléance familiale — sont les deux groupes sociaux complémentaires de socialisation et d’éducation de base des nouvelles générations dans nos sociétés. L’École doit être pensée sur cette base, et non avec le projet exclusif de faire entendre les récits des savoirs abstraits et académiques. En effet, pour concevoir un enfant et l’élever, pour fabriquer psychiquement, socialement, culturellement un enfant, lui permettre de grandir avec son époque, un père et une mère ne suffisent pas, il faut aussi une société qui s’engage, par son École, et qui organise les utiles liens entre l’École et la Famille. L’École est espace culturel intermédiaire. Si ses structures ne fonctionnent pas comme une société elle induit des conduites et des pensées antisociales. Parmi les savoirs ignorés, rappelons cette évidence, trop souvent passée sous silence : l’école est un groupe de groupes, une classe est un groupe. Pourtant la sensibilisation sinon la formation aux réalités des processus collectifs, à ce qu’ils produisent en nous, n’est pas au programme des formations. Notre propre contribution personnelle à ces processus, dans ses dimensions inconscientes, est maintenue à l’écart de toute possibilité d’émergence à la conscience. Quand la question du groupe est toutefois inscrite dans un programme, les formations proposées sont théoriques, pour la plupart, ou assurées par des formateurs très insuffisamment formés pour cela.
La sensibilisation à la vie des groupes et à ce que que l’on donne à voir de soi-même aux autres dans un groupe et à son insu n’existe pas. Or, elle est indispensable. Le professeur n’est donc pas préparé à entrer dans une classe, un groupe-classe et n’a qu’une idée très approximative ou erronée de ce que le système de l’Éducation nationale provoque, avec sa complicité passive, en regroupant des jeunes qu’il assoit les uns à côté des autres, des heures durant et à longueur d’années. En outre, pour pouvoir être et se situer dans un groupe, une organisation, s’adresser à d’autres, et s’investir dans son travail, il est nécessaire d’être assigné à une place instituée donnant une existence sociale et nourrissant le sentiment de la continuité de l’existence entre les générations. C’est ce qui permet de se sentir compter pour les autres, pour la société. Sans instances instituées et instituantes créant un système de places sociales pour les différents acteurs du système scolaire, le travail de transmission des professeurs et cadres de l’école ne peut être entrepris de façon satisfaisante. L’affiliation des nouvelles générations à ce qui est déjà là avant elles ne peut se produire. Ou encore, il est évident que toute procédure ponctuelle d’éducation à la citoyenneté, par exemple, est artificielle, si des instances de pratiques concrètes et quotidiennes d’exercice de cette citoyenneté ne sont pas conçues et actives.

Comprendre comment travaillent les interdits d’apprendre
L’École a pour mission d’accueillir tous les enfants d’âge scolaire. Elle se doit d’être inclusive pour le plus grand nombre, sinon toujours pour tous dans le même lieu. Pour remplir cette mission, il lui revient de créer pour eux les espaces et les médiations leur permettant d’éprouver qu’il y a une place pour eux à l’École, condition de base pour rendre possible leur mobilisation sur les tâches de base à l’École. C’est par sa structure, c’est-à-dire par ses formes sociales d’organisation des relations de travail que l’École provoque le travail de chacun de ses membres ainsi que les coopérations entre les élèves, les professeurs, les cadres d’éducation et de direction et les autres intervenants d’autres professionnels assurant son fonctionnement. Soulignons aussi que l’École et ses personnels accueillent des individus singuliers et non des catégories sociologiques ou des unités statistiques. Il faut prendre une distance avec les notions et représentations que véhiculent, sans l’avoir voulu, les approches globales et quantitatives. Elles ne renseignent pas sur les situations vécues. L’élève-statistique est une abstraction, ça n’existe pas. L’élève idéaltype n’existe pas, pas plus que le professeur idéal-type. Chaque individu suit un chemin singulier, original, un rythme qui lui est propre, pour grandir et pour apprendre, pour transmettre. Ce qui fait que l’École est mise en demeure de créer, à chaque instant, un espace potentiel commun, pour que les chemins se croisent, pour que les individus singuliers se parlent, se rencontrent, pour que les univers logiques de chacun s’ouvrent un peu, sans crainte d’effondrement ou de disqualification, afin d’entendre les logiques des chemins des autres, pour que le versant fratricide ou sororicide de l’humanité en chacun ne l’emporte pas sur le sororal et le fraternel.
On parle souvent de méthodes pédagogiques, de bonne ou de mauvaise méthode. Quand on prend un peu de recul, on comprend que toute méthode, sauf celles qui sont folles et faites pour rendre fou, peut être efficace, si elle est investie, c’est-à-dire si le maître est engagé, veut transmettre, mais pas immodérément, et s’il laisse pour cela une place aux élèves, une place pour le déploiement de leur propre désir d’apprendre qui se trouve parfois avoir été entravé par des interdits précoces d’apprendre. Il est nécessaire de comprendre, pour chaque enfant singulier, comment travaillent en lui les interdits d’apprendre qu’il a conçus et intériorisés au cours de son expérience de vie.
Un modèle de formation de futurs professeurs doit mettre en perspective ce qui peut s’apprendre en formation initiale et ce qui ne s’apprend qu’en formation continue.

Si une sensibilisation avant la prise de fonction peut alerter les futurs professeurs et les rendre sensibles aux complexités de leur futur métier, il est bien difficile pour eux, alors qu’ils sont mobilisés pour la réussite des examens diplômants et concours — qui jusqu’ici portaient quasi exclusivement sur des épreuves de connaissance disciplinaire — de se représenter avec toute leur consistance les dimensions du métier. Même si elles doivent faire l’objet d’une sensibilisation en formation initiale et à la faveur de stages supervisés par des professionnels qui savent ce que superviser veut dire et ne veut pas dire, ces dimensions et leur complexité peuvent être repérées, élaborées et comprises en formation continue. C’est pourquoi est nécessaire un dispositif d’accompagnement des nouveaux enseignants, qui implique un travail d‘équipe intégré au temps de travail. C’est aussi pourquoi, on devrait rendre obligatoire un stage d’une durée significative dans d’autres espaces que ceux d’une École. Comme le travail d’équipe est une pratique sociale très largement inconnue, bien que souvent invoquée, une formation au travail d’équipe est un préalable, sous condition que ces formations soient assurées par des formateurs capables eux-mêmes de travail d’équipe, et sous condition d’y consacrer le temps approprié. Il faut du temps pour se former, et d’abord le temps de se déformer, de renoncer aux bénéfices associés à une forme antérieure, sans se casser.

Adapter la formation des chefs d’établissement à leur fonctions réelles
Parlons un peu de l’autorité. On peut exercer de l’autorité et assurer un pouvoir délégué par une institution quand on comprend de quoi il s’agit, quand on a renoncé à des rapports de simple puissance, c’est-à-dire de domination et de toute-puissance. La structure d’autorité et les repères d’autorité dans une École ne tiennent ni des statuts ni des textes écrits, bien que nécessaires. Ils ne tiennent que des lieux et de la qualité des paroles échangées régulièrement dans des instances conçues et investies spécifiquement pour cela entre les adultes qui assument dans l’école l’un des métiers d’éducation et d’enseignement, et entre adultes et adultes en devenir. Chacun sait combien les qualités personnelles et les compétences à animer et conduire des groupes et des réunions de travail d’un chef d’établissement sont capitales et orientent le climat d’un établissement.
Or, la formation que les chefs d’établissement reçoivent n’est pas adaptée à leurs fonctions réelles. Elle leur distille principalement une idéologie des rapports de puissance et non l’esprit des rapports d’autorité. Un chef d’établissement ne l’est que par ses exigences personnelles et non grâce à la formation qu’il a jusqu’ici reçu. Ajoutons et chacun le sait que les Écoles sont souséquipées en matière d’équipes de direction et d’administration eu égard à la multiplicité des tâches qui leur reviennent, aux pressions qu’elles subissent, aux problèmes quotidiens multiples qu’elles ont à prendre en charge et à tenter de résoudre. À tout cela s’ajoutent chaque jour des injonctions désorganisatrices venant de la hiérarchie et des sollicitations de celle-ci qui les appellent ailleurs que dans leur établissement.
Tout cela pour dire que le système Éducation nationale avec ses changements perpétuels et ses pratiques est le premier facteur de désordre et de discontinuité du service public de l’Éducation nationale. D’où le nombre des congés de maladie pour des motifs sérieux, sinon très graves, d’où le nombre des postes de direction qui restent vacants ou sont mal pourvus. Bien sûr, une société qui honore sa mission d’éducation et d’enseignement, a une politique de prérecrutement et de présalaire pour encourager les jeunes générations à s’orienter vers le métier de professeur. Or, les responsables publics ont pris le chemin inverse depuis vingt cinq ans en supprimant d’abord les Écoles Normales, puis les allocations, puis l’année de formation professionnelle rémunérée, en allongeant la durée de la formation initiale requise. En supprimant les pré-salaires et les allocations, les pouvoirs publics ont organisé sciemment la destitution du corps enseignant comme constitutif de l’État républicain et de son corps social.
En reculant l’âge d’entrée en fonction, les pouvoirs publics font comme si on n’apprenait que sur les bancs de l’université à être enseignant en situation, ce qui n’est pas le cas, car ce n’est tout simplement ni la mission de l’université, ni de sa compétence. Personne ne l’ignore. Les militants de l’Éducation nouvelle à l’école refuseront là où ils sont et comme ils le peuvent de participer à ce jeu de dupes. D’autant qu’ils savent que des écoles où l’on fonctionne autrement existent, à l’intérieur même de l’Éducation nationale, à l’initiative d’équipes engagées, et que leur réussite a été évaluée. Toutefois, soulignons que, curieusement, les ministères ne faisaient absolument rien pour que ces écoles soient connues, rien pour susciter de nouvelles bonnes volontés. Les choses ont commencé à changer. Il ne peut y avoir de révolution scolaire que par une politique très élaborée et patiente de transformations en s’appuyant sur de nombreuses équipes d’enseignants qui existent et travaillent.

Reconfigurer le travail du professeur
Pour une nouvelle politique scolaire, il faut renoncer à instrumentaliser l’école et la jeunesse en les mettant au service des échéances électorales. Lorsqu’une réforme prendra en compte les analyses, les connaissances et les principes, ici très schématiquement mentionnés, de nombreux volontaires se manifesteront. Pour s’orienter dans cette perspective et mettre en mouvement le système, il y a lieu de faire face aux inerties des uns et aux ignorances des autres. À cette fin, il est urgent que les responsables de la puissance publique sortent de leur anesthésie et de leur fascination pour les études dites statistiques, c’est-à-dire pour les unités fictives quantifiables créées pour les besoins des opérations statistiques.
En effet, si ces études donnent des représentations d’ensemble, elles ne renseignent absolument pas sur le réel de ce qui se passe dans un espace groupal singulier d’apprentissage, avec des personnes vivantes.

Sans un changement radical, sans une curiosité pour les connaissances établies par les travaux psychosociologiques et psychanalytiques sur les groupes, l’adolescence, le travail de grandir, les relations entre les générations, les relations intergenres, la confrontation en groupe à la culture de l’autre, la multiplicité des entrées dans les savoirs, des pratiques de la pédagogie de l’expérience, le système scolaire restera en l’état et chacun continuera d’attendre la catastrophe annoncée, tellement les structures scolaires et les formations nécessaires ne sont pas pensées et ne sont donc pas en relation avec la réalité du travail actuel de transmission. Elles ignorent en particulier que les enfants ont besoin d‘être encadrés par des adultes présents, solides et capables de sollicitude et travaillant avec plaisir en équipe. Ce qui suppose une reconfiguration complète du travail d’un professeur. On n’est solide que par les autres, qu’avec les autres, dans et par l’expérience du travail coopératif en équipe, par l’expérience renouvelée du plaisir d’être et de faire avec les autres, par des temps réguliers d’analyse et d’élaboration de ce qui advient.

André Sirota, Président des Ceméa

Texte paru dans la revue dans le VEN n°553




Pour la culture dans l’éducation et Médias éducation critique et engagement citoyen

1382607213489[1]Le 16 septembre dernier, dans son discours de présentation d’un grand projet pour l’éducation artistique et culturelle, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti affirma plusieurs priorités d’objectifs en grande convergence avec les propositions concrètes portées par les Ceméa et présentées dans leurs chartes : Pour la culture dans l’éducation et Médias éducation critique et engagement citoyen.

Parmi ces priorités le numérique « parce que l’éducation au numérique est forte de promesses, d’explorations, d’innovations pour les jeunes. » Mais, précisa-t-elle « non pas une culture numérique, mais une culture par le numérique » donnant l’exemple de l’événement national L’automne numérique qui proposera pendant deux mois des rendez-vous autour des enjeux croisés de l’éducation artistique et culturelle et du numérique. Cette distinction ainsi nommée qui n’est certes pas une opposition, nous a quelque peu étonnés en référence à une conception éducative et sociale de la culture, d’autant que l’objectif de L’automne numérique sera de montrer que « en matière de création artistique, en matière d’éducation artistique, mais aussi de pratique artistique, il y a dans le numérique des ressources créatives ».

Pour les Ceméa cette complémentarité est évidente, tant les sciences et la culture scientifique, les arts et les pratiques artistiques, les médias et la maitrise des cultures d’écran, les cultures numériques, l’environnement, l’expression écrite et orale ou l’interculturel constituent des ressources indispensables dans le processus de construction d’une culture commune.

Aujourd’hui, les pratiques numériques et médiatiques des jeunes se construisent principalement hors de l’école et avec l’association Enjeux e-medias, les Ceméa pensent qu’il est de la responsabilité du ministère de l’Éducation nationale mais aussi du ministère de la Culture et de la Communication d’établir des liens entre ces pratiques médiatiques des jeunes souvent très consuméristes et commerciales et des apprentissages à finalité éducative et culturelle afin de se construire une culture (du) numérique. Ce double enjeu culturel et éducatif doit rassembler les politiques publiques des deux ministères. Les Ceméa par leur approche globale ont su les rassembler dans un même projet.

Il n’est pas d’éducation artistique et culturelle sans culture numérique, pas de culture sans éducation aux médias, pas d’éducation aux médias sans culture.

Bertrand Chavaroche, rédacteur en chef, Christian Gautellier, directeur de la publication

Vers l’Éducation Nouvelle n°552




Soutenir la réforme des rythmes scolaires

1382607213489[1]À peine un mois après une rentrée « apaisée », l’affaire est entendue ! Réforme bâclée, trop rapide pour certains, trop lente pour d’autres, sans effet probant sur les apprentissages, fatigue des enfants, journées déséquilibrées, activités inintéressantes, animateurs mal ou non formés, coûts financiers insupportables par les collectivités. Et puis, des ESPE qui peinent à se mettre en place.

Un mois ! Quatre semaines après la suppression de la semaine de quatre jours dont tout le monde s’accordait à reconnaître l’aberration, trente jours après la mise en oeuvre mesurée (20% des collectivités) de la réforme des rythmes, après plus de trois mois d’une concertation nationale unique dans l’histoire de notre pays, au moment où la formation des enseignants renaît, le bilan serait fait, les dés seraient jetés : supprimons cette réforme ! Halte à la refondation de l’École !

« Jeu » politicien, poids des conservatismes, peut-être aussi rejet de la notion même de réforme, pourquoi changer ? Changer pour qui ? « Mon objectif n’est pas de construire la société de demain, c’est montrer qu’elle ne doit pas ressembler à celle d’aujourd’hui. » écrivait Albert Jacquard. Sans nier les difficultés, sans nier les complexités, en identifiant les freins et les résistances, aujourd’hui plus qu’hier, nous devons nous mobiliser pour agir notre projet de transformation sociale. C’est un enjeu politique certes, mais c’est du point de vue de l’Éducation des enfants et des jeunes de notre pays que nous construisons nos actions, que nous soutenons la refondation de l’École à l’oeuvre aujourd’hui !

Adapter le rythme de la semaine pour faciliter la réussite scolaire, construire la cohérence des projets éducatifs au plan des territoires, former les enseignants, réinscrire l’éducation artistique et culturelle comme l’une des priorités d’aujourd’hui, porter l’ambition d’une école inclusive, lutter contre le décrochage scolaire, sont autant d’enjeux fondés sur une analyse des faiblesses de l’école d’hier, faiblesses qui touchent en premier lieu les élèves eux-mêmes. L’histoire de notre mouvement est consubstantielle de ces enjeux, de ces ambitions.

Les Ceméa, pour leur part comme avec d’autres, au sein du Cape sont engagés dans le projet de refondation ; nous avons pris le parti de soutenir la réforme en cours, nous restons vigilants, critiques, mais proposants, agissants !

« Le rôle de l’école est de préparer les enfants à mettre en place et à faire vivre cette société de l’échange, dont les principales productions seront des richesses « non marchandables », échappant par conséquent aux raisonnements des économistes : santé, éducation, culture, justice… Cette préparation exige au moins autant d’efforts que l’actuelle compétition à laquelle les contraint une société incapable de les accueillir tous. Elle incite chacun à une émulation où il ne s’agit pas de lutter contre les autres, mais contre soi », disait encore Albert Jacquard. Finalement c’est peut-être ça le vrai clivage politique ! Quand l’Éducation a pour ambition de contribuer à la formation de citoyens autonomes, quand l’École se donne pour intention d’éduquer à l’esprit critique pour ne pas accepter de fait le système dominant, alors elle devient subversive.
Moi, ça me plaît !

Jean-Luc Cazaillon, Directeur général des Ceméa

Vers l’Éducation Nouvelle n°552




Naissance des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE)

1382607213489[1]Acte I : la concertation
Il était une fois un gouvernement nouvellement élu, plein de « bonnes » intentions en matière d’éducation. Afin de réussir au mieux une réforme annoncée dans son programme pour la grande élection, réforme que l’on nomma Refondation de l’École, son ministre de tutelle mit en place une grande Concertation. Il y invita tous ceux et celles qui avaient une implication, quelle qu’en soit la raison, dans l’école : les représentant- e-s des personnels de l’EN (vaste palette de professionnel-le-s de tout poil : enseignant-e-s des 1er et 2nd degrés, infirmièr- e-s, CPE, chef-fe d’établissement, AS…), représentant-e-s des parents d’élèves, des elu-e-s, des associations complémentaires de l’école publique et des mouvements pédagogiques, dont les Ceméa, sans oublier les élus lycéen-ne-s et étudiant-e-s… Il y convia aussi les EXPERTS : des chercheurs et chercheuses universitaires, en sciences de l’éducation notamment mais pas que… qui pouvaient éclairer les chandelles ; de sages retraité-e-s dont les expériences pouvaient alimenter la réflexion, des journalistes spécialistes des questions d’éducation… Il y ajouta enfin des représentant-es de son ministère, personnes ressources ayant une connaissance affinée des dossiers ainsi que leurs collègues de 22 autres ministères… La Concertation dura de juillet à fin septembre 2012 et s’organisa autour de quatre grands groupes dont un, intitulé « Des personnels formés et reconnus », concernait entre autre la formation des personnels de l’Éducation nationale. L’objectif de la démarche était de rassembler le plus largement possible les points de vue afin de « définir les grands choix éducatifs nécessaires à notre pays »1. Le 9 octobre 2012, ultime étape de l’acte premier de la Refondation, un rapport issu de tous ces temps d’échanges donnait les orientations qui allaient inspirer le projet de loi. Ce petit rappel de l’histoire récente ne serait pas complet sans les précisions qui suivent : des tentatives d’organisation de temps de concertation ont été réalisées en région mais le plus souvent dans la précipitation, le désordre et sans doute pour essayer de prévenir la grogne de ceux et celles qui se sentaient floué-e-s parce que pas, ou pas assez, associé-e-s à ce moment « historique ». Nous voulons parler en particulier des enseignant-e-s. Certes, certain-e-s d’entre eux et elles avaient été invité-e-s pour faire part de leurs (sans doute bonnes) pratiques. Certes, leurs représentant-e-s syndicaux étaient présent-e-s. Mais l’immense majorité des professeur-e-s des premier et second degrés, tout comme l’ensemble des autres personnels, n’a pas participé à ce premier « round ».

Acte II : le projet de loi
Parmi les « 25 mesures clés » du projet de loi, la création des ESPE et la formation initiale pour les enseignant-e-s et les personnels d’éducation consiste à « mettre en place une nouvelle formation initiale et continue aux métiers du professorat et de l’éducation et faire évoluer les pratiques pédagogiques » 2 Évidemment, nous ne pouvions que partager l’idée d’un rétablissement de la formation initiale des personnels l’Éducation nationale disparue depuis 2010 ! Aurions-nous pu envisager qu’un médecin ne soit pas formé, qu’un pilote d’avion ne soit pas formé ? Comment notre société avait-elle pu tolérer que l’éducation tombe si bas, que l’on méprise aussi ouvertement ses profs, en particulier ? Les Ceméa ont participé autant qu’ils ont pu avec d’autres, notamment au sein du CAPE (collectif des associations partenaires de l’école publique), à la mise en place des ESPE. Mais avec une vision particulière, plus ouverte et peu, voire pas, partagée de ce E final d’ESPE : Éducation.

Qui sont les professionnel-le-s de l’ÉDUCATION ? Les seuls enseignant-e-s et leurs collègues CPE ? Nous ne pouvions nous résoudre à cette réduction du terme ! La France cultive une singularité qui nous questionne : la segmentation des métiers de l’éducation, de l’animation et de l’action sociale. Les Ceméa, dont le coeur des actions et réflexions tourne autour de la formation, ont une expérience massive et ancienne non seulement dans la formation mais aussi dans l’accompagnement des enseignant- e-s, des éducateurs et éducatrices, des animateurs et animatrices, des intervenants et intervenantes éducatifs et même des parents. De ce fait, nous voyons les indispensables passerelles à construire pour répondre aux enjeux d’avenir et donner une vraie cohérence aux politiques publiques d’éducation. C’est pourquoi, le rattachement des ESPE aux universités, sans réelle autonomie, nous a semblé une aberration en soi. Sans parler des zizanies que ce choix a pu déclencher ici ou là, entre universités d’une même ville ! Les luttes d’influences et les rapports de force ont parfois aggravé ou ravivé des tensions latentes. Les ex-IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres) ont joué des coudes pour ne pas tout perdre dans la manoeuvre. Bref, les énergies ont été plus brûlées à la défense des territoires, des intérêts des structures et de leurs budgets qu’à la réflexion sur la mise en place d’une formation nouvelle, de qualité, ambitieuse, ou tout simplement cohérente ! C’est dans ce contexte que les pré-projets ont été construits, négociés, avalisés pour certains, revus pour d’autres. Tout cela avec le temps qui pressait, on était déjà fin juin et des projets n’étaient toujours pas acceptés alors que la rentrée approchait à grand pas ! Mais parlons pédagogie, concours… Avec d’autres (nos partenaires du CAPE notamment), nous avions argumenté pour un concours en fin de troisième année de Licence ce qui permettait de faire des deux années de Master, un véritable temps de formation professionnelle avec alternance temps de formation- temps de pratique qui aurait permis de diversifier les terrains de stages, considérés comme une première expérience professionnelle, de mener une analyse approfondie des différentes situations rencontrées et de travailler les articulations fondamentales entre apprentissages didactiques et pédagogiques. De même, ce choix rendait possible une augmentation progressive de la prise en responsabilité d’une classe. Mais face aux défenseurs du concours en fin de Master 2 (une catastrophe pour ceux et celles qui croient encore en la possibilité d’ouvrir ces concours aux étudiant-e-s issu-e-s de classes socio-professionnelles les plus défavorisées), le gouvernement a choisi de le placer en Master 1. Et l’année suivante (l’année de Master 2), les étudiante-s ayant réussi le concours devront obtenir leur master, préparer et soutenir un mémoire de recherche tout en étant à mitemps devant les élèves. Des conditions pires qu’avant 2010 pour entrer dans le métier. Finalement, qu’est-ce qui a changé par rapport à la formation en IUFM ? Moins de temps de formation, plus de pouvoir aux universités et de ce fait, nous le craignons, la prépondérance accordée aux contenus purement disciplinaires. De plus, le modèle universitaire, peu enclin à travailler avec l’éducation populaire, a pu conduire par le passé à une certaine uniformité paralysante des pratiques. Alors même que la formation aux méthodes nous semble déterminantes : apprendre à travailler en équipe, à coopérer, à réaliser des évaluations autocritiques, à concevoir et conduire des projets…tout en portant les valeurs de la République. Des principes inscrits dans le rapport de la concertation mais hélas qui semblent être restés à l’état de voeux pieux…

Acte III : Essuyer les plâtres
Nous voici arrivés en septembre 2013. Les ESPE ont accueilli leurs stagiaires dans des conditions limites car la mise en place s’est faite dans l’urgence et l’improvisation. Même le ministre l’a reconnu lorsque, à Toulouse, il s’est adressé à eux en leur disant qu’ils allaient « essuyer les plâtres ». Pour encourager des jeunes, on ne trouve pas meilleure formule. Mais ne soyons pas mauvaise langue.

Et la place des Ceméa dans tout cela ?

Après avoir tenté d’influencer sur certaines positions, le CAPE a quand même obtenu d’être cité dans la loi, en tant que « professionnel- le-s de terrain » puisqu’ il y est écrit : « les ESPE seront animées à la fois par des personnels spécialisés dans la formation, des universitaires et des personnels de l’Éducation nationale, et leurs équipes pédagogiques accueilleront un grand nombre de professionnels de terrain : personnels enseignants, d’inspection et de direction en exercice dans le 1er et 2nd degré, intervenants issus de l’éducation populaire, de l’éducation culturelle et artistique, de l’éducation à la citoyenneté. L’expertise de ces professionnels sera un apport essentiel au projet pédagogique que développeront les ESPE. »(cf education.gouv.fr/projet de loi pour la refondation). Il ne nous reste plus qu’à multiplier les démarches, les rendez- vous dans nos régions pour obtenir la place qui nous revient parce que nous souhaitons que les ESPE réussissent ce que les IUFM n’avaient pas mis en place, notamment former pédagogiquement aussi bien des personnels du 1er que du 2nd degré. Reprenons des forces pour conquérir quelques espaces et transmettre certains de nos principes éducatifs.

Concernant les métiers de l’éducation :

  • Une culture commune entre les différentes professions de l’éducation.
  • Mise en oeuvre de projets ou recherches actions pluricatégoriels au cours de la formation.
  • L’élargissement de leur périmètre de formation (animation, travail social, santé) en lien avec les métiers du champ de l’animation et du travail social en partenariat avec les mouvements partenaires de l’école publique pour plus de complémentarité et de cohérence.
  • La proposition de terrains de stages diversifiés en centres sociaux, centres de loisirs, structures médicosociales, services éducatifs…
  • Des temps de formation initiale et continue conçus avec des associations complémentaires de l’école, des parents, des élu-e-s et des actrices et acteurs territoriaux, à partir de thématiques éducatives communes.

Concernant le terme même d’éducation. La formation doit prendre en compte l’enfant et le jeune dans leur globalité en ouvrant aux milieux dans lesquels ils évoluent. Des stages, tant en formation initiale que continue, doivent être proposés hors du champ scolaire ; centres sociaux, centres de loisirs, structures médicosociales, services éducatifs, services sociaux traitant des problématiques de l’enfant et de sa famille, en France et hors de France.

Concernant la pédagogie, les apports et pratiques des mouvements pédagogiques, notamment d’Éducation nouvelle, l’accompagnement éducatif et les activités pédagogiques complémentaires, l’aménagement des espaces comme tiers pédagogique, l’innovation (concepts et pratiques) sont autant de dimensions qui doivent être au coeur de la formation fondée sur les méthodes actives(Ces différents points correspondent aux amendements portés par les Ceméa lors de la séquence sénatoriale). Aujourd’hui tout reste à faire. Gageons que « le bébé » aura besoin des conseils avisés de tous et toutes pour grandir même si, après sa naissance difficile, ses parents n’en sont pas encore convaincus, ni conscients… Rappelons-nous d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître, celui où tous les maîtres et maîtresses devaient suivre une session de formation Bafa ! Dans son dernier livre, Gaby Cohn-Bendit (Gabriel Cohn-Bendit, Pour une autre école. Repenser l’éducation, vite ! éditions Autrement, août 2013.), reprend cette idée et l’élargit à tous les personnels de l’EN ! Les Ceméa ne demanderaient pas mieux.